Boers et Anglais: où est le droit

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Boers et Anglais: où est le droit. Author(s): Demolins, Edmond Source: Foreign and Commonwealth Office Collection, (1889) Published by: The University of Manchester, The John Rylands University Library Stable URL: http://www.jstor.org/stable/60231934 . Accessed: 14/06/2014 21:51 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Digitization of this work funded by the JISC Digitisation Programme. The University of Manchester, The John Rylands University Library and are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Foreign and Commonwealth Office Collection. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.78.78 on Sat, 14 Jun 2014 21:51:10 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Boers et Anglais: ou est le droit.Author(s): Demolins, EdmondSource: Foreign and Commonwealth Office Collection, (1889)Published by: The University of Manchester, The John Rylands University LibraryStable URL: http://www.jstor.org/stable/60231934 .

Accessed: 14/06/2014 21:51

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EDMOND DEMOLINS ^^UPP^%\

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BOERS ET ANGLAIS

OU EST LE DROIT?

(extrait de « la Science sociale »)

Prix : Un franc

LIBRAIRIE DE PARIS

FIEMIN-DIDOT ET CIE, IMPRIMEUES-EDITEURS

56, RUE JACOB, PARIS

urn-

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BULLETIN MENSUEL

LE MOUVEMENT SOCIAL

France, 6 francs. — Etranger, 7 francs.

La livraison, 50 centimes.

REVUE MENSUELLE:

LA SCIENCE SOCIALE et le BULLETIN reunis.

France, 20 fr. — Etranger, 25 fr. La livraison, 2 francs.

Secretaire de la redaction : .W. G. d'AZAMBUJA.

On peut s'abonner sans frais daris tous les bureaux de poste. Le montant des abonnements, ou des cotisations, doit etre envoye a M. Paul

Leloup, administrateur, librairie de Firmin-Didot et C,e, 56, rue Jacob. Les treize premieres annees de la Science sociale, formant 26 volumes, sont vendues

au prix de 280 fr.; pour les nouveaux abonnes, 260 fr. Les sept premieres annees du Mouvement social : 36 fr.

soci£te de science sociale POTJJl LE DEVELOPPEMENT DE L'lNITIATIVE PRIVlSB ET LA VULGARISATION

DE LA SCIENCE SOCIALE

But dela Societe. — La Societe a pour but de propager l'etude de la Science so3iale et d'exciter le developpement de l'initiative privee.

Moyens d'action de la Societe. — L'action de la Societe s'exerce : 1° Par deux series de Publications periodiques : 1'une consacree a la vulgarisation et

a la propagamie; 1'autre, a I'etude scientifique des phenomenes sociaux. 2° Par des Ouvrages edites par la Societe et formant une Bibliotheque conferee

a l'etude des questions sociales. Ces volumes sont livres aux membres a prix reduits. 3° Par des Enquetes entreprises en vue de recueillir des faits precis, de les classer, et

d'en degager des enseignements positifs. 4° Par des Reunions d'etude et des Conferences, a Paris et en province. o° Par des Subventions donnees a l'Enscignemeiit de la Science sociale (1). fi° Par la creation de Bourses de voyage, ou Missions d'etude, en vue de faire des

observations sociales en France et a l'etranger. 7° Par une Retribution accordee aux meilleurs travaux d'etudes sociales. Recrutement de la Societe. — La Societe comprend trois categories de membres : 1° Les Membres souscriptews, qui versent une cotisation de 6 fr. (7 fr. pour 1'etran-

ger). — lis recoivent, en echange, un Bulletin mensuel, Le Mouvement social, qui est un organe de vulgarisation et de propagande.

2° Les Membres titulaires, qui versent une colisation de 20 francs (25 fr. pour 1'etranger). — lis recoivent, en echange, outre le Bulletin, la Revue mensuelle, La Science sociale (2), qui est essentiellement un organe d'etudes scienlifiques.

3° Les Membres fondateurs de Bourses. — Les membres qui veulent bien souscrire pour une somme de 100 a 500 francs sont fondateurs de partie de bourse, ou de bourse entiere. Ces bourses sont destinees a faire faire des voyages d'etude aux jeunes gens qui ont suivi avec le plus de succes l'Enseignement de la Science sociale.

Tout fondateur, individuel ou collectif, d'une bourse entiere peut designer le pays qui doit faire l'objet d'un voyage d'etude.

(1) Cet enscigncmenl est doiine, depuis treize annees, a I'Hdtel de laSociiti de Giographie, 18S, bou¬ levard Saint-Germain.II comprenddeuxCours, qui ontdeja etcsuivis parplus de cinq centselevea. (2) Les abonnes aetuels de la Revue La Science sociale, qui versent deja unabonnemeotde 20 francs sont admis dans la Societe, comme membres titulaires, sans autre cotisation.

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BOERS ET ANGLAIS

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DU ME ME AUTEUR

L'Elducation nouvelle; L'Ecole des Roches. Un volume

in-12 8e edit. (Traduit en espagnol et en russe.)

Les Francais d'aujourd'hui. Les types Sociaux du Midi

et du Centre. Un vol. in-12. 8e edition.

A quoi tient la superiority des Anglo-Saxons. Un vol.

in-12. 20"- edit. (Traduit en anglais, en allemand, en espagnol, en russe, en roumain, en polonais el en arabe.) V,

Tynograplue Firmin Didot et C"=. — Mesnil (Eure).

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EDMOND DEMOLINS

BOERS ET ANGLAIS

OU EST LE DROIT?

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LIBRAIRIE DE PARIS

FIEMIN-DIDOT ET CIE, IMPRIMEURS-EDITEURS

56, RUE JACOB, PARIS

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BOERS ET ANGLAIS

Jr

J'ai du, depuis quelques mois, donner a la Revue une collabo-

J ration moins active, parce que j'etais absorbe par line ceuvre

capitale et urgente. Mais aujourd'hui YEcole des Roches est ou-

verte, elle fonctionne, elle se dcveloppe dans la force que donne une situation vraie. Je puis done, sans me detourner de l'ceuvre

nouvelle, revenir avec plus d'assiduite a nos « cheres etudes », a ces etudes qui recoivent des faits, coup sur coup, tant de jus¬ tifications decisives.

Pour chercher un sujet d'etude, je n'ai pas l'enibarras du choix. II est une question qui, en ce moment passionne et divise les es-

prits et qui met aux hommes les armes k la main. Elle est deli¬ cate et exige, pour etre traitee et comprise, d'une part, beau-

coup de calme scientifique, d'autre part, un vif desir de secouer les prejuges, de voir la verite entierement.

-' Je n'ai pas l'intention de traiter ici toute cette affaire du Trans¬

vaal, mais d'y saisir la manifestation de certains faits sociaux or-

ganiques, qui y apparaissent tres sensiblement et qui eclairent la science sociale d'une lumiere plus vive sur certains points.

Ce n'est pas un jugement porte sur les hommes et sur les actes. Nous n'avons pas a intervenir ici dans les debats purement poli-

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D BOERS ET ANGLAIS.

tiques. La science se tient en dehors de ces competitions et de ces agissements personnels.

Nous ne considerons pas, dans le conflit, les causes qu'on peut dire occasionnelles, mais les forces profondes qui ont agi der- )'

rierecescirconstancesaccidentelles : ce sont la les vraies causes. Par exemple, ce n'est pas donner la cause de la guerre Franco- Allemande de 1870 que de l'attribuer a la question de la candi¬ dature d'un prince prussien au tr6ne d'Espagne. Cette explica¬ tion ne peut satisfaire que les esprits superficiels.

II en est de meme du conflit anglo-boer. Beaucoup de gens croient

l'expliquer par le debat sur deux annees de residence en plus ou en moins pour acquerir la nationalite boer; ce sont de grands nai'fs.

Comment peut-on croire que c'est pour un resultat anssi mince que les Anglais, gens pratiques, mettent en ligne 70,000 hommes et assument les frais d'une pareille campagne. Ce serait aussi une trop grosse depense pour une crise sur les mines d'or,

qui se peut reparer autrement. D'ailleurs existe-t-elle reelle- v ^ ment? Tout prouve le contraire. C'est la une legende de « dos¬ sier secret. »

Quelle est done la vraie histoire de ce conflit?

I

La vraie histoire de ce conflit est la repetition d'un fait qui est vieux comme le monde et qui forme le fond commun de l'his- toire de l'humanite.

Essayons de le formuler d'une facon generale et sans applica¬ tion immediate au conflit du Transvaal :

Des commercants, des emigrants, — supposons les Francais, ou

Allemands, ou Espagnols, ou Portugais, ou Romains, ou Grecs, ou Pheniciens, ou n'importe quoi, — gens intelligents, capables, entreprenants, s'en vont dans un pays qui n'appartient pas a

leur formation sociale. Autant que possible, au debut, ils s'y installent paciflquement. Aussit6t deux formations sociales sont

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<i.

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OU EST LE DROIT? 7

en presence dans le meme lieu et il y a conflit entre leurs besoins.

La formation la moins avancee — supposons-la peau-rouge, ou

negre, ou meme chinoise, indienne, annamite, ou arabe, —• sent n son inferiorite etl'elimination qui la menace. Elle invoque l'oc-

cupation anterieure du sol et les droits de souvcrainete pour trancher le differend en sa faveur. Tout au contraire, la forma¬ tion sociale superieure n'admet pas que ces deux revendications

puissent faire uu obstacle indefini au progres de l'humanite par- tout ou le sol ou la souveramete sont tenus par une race infe-

• rieurc. Apres des debats sur ces questions de justice, on en vient a se battre etla race superieure, a travers plus ou moins de temps et de difficultes, l'emporte toujours.

Mais voici qui est a noter et a retenir : quand la chose est

faite, per sonne ne pretend plus qit'il la faille de faire, ni au nom de requite, ni au nom du Men.

Nul ne pretend phis que le Grec ou le Phenicien aurait du

equitablement rendre le sol et la souverainete aux populations X-^ riveraines de la Gaule et de l'Afrique; les Romains, anx Bar-

bares; les Francais aux Arabes, aux Annamites, ou aux negres du Senegal et du Soudan; les Espagnols et les Portugais aux Indiens de l'Amerique du Sud; les Americains des Etats-Unis, aux Peaux-Rouges de l'Amerique du Nord.

Au contraire, on trouve que cela est bien, qu'un progres a et6 realise et que l'humanite s'acbemine ainsi vers des destinees

plus hautes. L'histoire elle-meme n'a des eloges que pour ces races dominantes, tandis qu'elle traite avec le plus profond mepris les races evincees. Souvent meme, elle grandit les pre¬ mieres et abaisse les secondes plus que de raison; tous les lec- teurs approuventet, dans les ecoles, nous n'enseignons pas autre chose a nos enfants (lisez n'importe quelle histoire).

C'est d'ailleurs par ce procede que se sont constituees toutes les nationalitcs. Elles se sont constituees par l'absorption presque toujours violente des regions locales independantes. C'est a ce prix seulement que s'est faite l'unite de l'Espagne, de la France, de l'Allemagne, de l'ltalie, du royaume uni de Grand e-Bretagne, etc.

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«

8 BOERS ET ANGLAIS.

Mais le phenomene sur lequel j'insiste et dont je voudrais

chercher 1'explication, c'est que chacune de ces absorptions, apres avoir souleve des oppositions furieuses, a rencontre ensuite des

approbations presque unanimes. Les historiens republicans ^ eux-memes font honneur a la royaute francaise d'avoir fait

l'unite nationale » et, pour ce seul fait, ils lui pardonnent

beaucoup. Or, pour constituer cette unite francaise si vantee, la royaute

a du deposseder chacune de nos provinces de son autonomie et

de sa suzerainete et le plus souvent par la force. Si ces depossessions sont justes, pourquoiprotestercontreelles?

Si elles sont injustes, pourquoi les celebrer si unanimement?

Evidemment, il y a la un probleme clont il faut trouver la so¬

lution, car, manifestement, nos jugements sont livres au hasard. Un homme serieux ne peut se resoudre a avoir, sur le meme

phenomene, deux opinions aussi contradictoires.

Nous trouvons un nouvel exemple de cette appreciation con- \ J tradictoire dans l'histoire meme du Transvaal et dans le cas des Boers.

Lorsque les Boers se sont installes dans l'Afrique meridionale, le sol n'etait pas vacant. Il 6tait occupe par les Hottentots et

par les Cafres. Ces deux peuples etaient, depuis un temps im¬

memorial, les proprietaires incontestes de vastes territoires.

Or, non settlement les Boers ont depossede violemment ces

premiers occupants, mais ils se sont montres feroces vis-a-vis d'eux.

L'eviction s'operait par un procede des plus simples. Une fa- mille de Boer choisissait un endroit a sa convenance, puis elle

y plantait un piquet appele baaken, ce qui signifiait que la

place etait retenue. On s'entendait ensuite avec les families K^~

voisines pour repousser par la force les Hottentots qui es-

sayaient de resister a cette invasion de leur territoire. Restait alors a se procurer le betail necessaire. Voici comment proce- daient les Boers, d'apres un temoin oculaire : « Quelques colons bien amies se reunissent ensemble; puis, tombant tout

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OU EST LE DROIT? 9

a coup sur une horde isolee, ils obligent ceux qui la compo- sent a amener tous leurs troupeaux, y choisissent les betes k

leur convenance et en donncnt le prix qu'il leur plait. C'est ce qu'on appelait « se porter acheteurs k coups de fusil (1). »

On employait le meme procede sommaire pour se procurer des serviteurs. Ainsi, du meme coup, on comisquait la propriete publique, la propriete privee et les habitants eux-memes.

L'occupation du Transvaal par les Boers fut « accompagnee parfois de massacres atroces, d'exterminations en masse; chaque progres des blancs dans la direction du Nord devait s'acheter par le sang (2) ». C'est ainsi que peu k peu les Hottentots furent refoules de tout le territoire qu'ils occupaient de pere en fils.

Lorsquc ce territoire ne leur suffit plus, les Boers envahirent celui des Cafres.

Les Cafres sont plus sedentaires et, s'il est permis de s'expri- mer ainsi, plus civilises que les Hottentots. Ils se livrent a une culture rudimentaire et possedent un systeme assez regulier de

pouvoirs publics et une organisation militaire. Mais ils ne purent tenir longtemps contre la poussee des envahisseurs Boers et fu¬

rent, eux aussi, refoules, ou detruits par les armes. La depossession des Cafres s'accomplit dans des circonstances

horribles. En voici un exemple (3). « Dans la vallee du Vaal se trouve une grotte celebre, large dc 100 a 150 metres et tres ele-

vee, qui est pleine d'ossements humains. Longtemps, les Boers ont pretendu que e'etait un repaire de cannibales et qu'une tribu indigene anthropophage y faisait d'epouvantables fes- tins. Aujourd'hui, il est demontre que ces squelettes sont ceux de noirs qui etaient venus chercher un refuge dans cette caverne

apres avoir ete battus par les blancs. Enfumes comme des re-

nards, ils perirent avec leurs femmes et leurs enfants. « A l'interieur, c'est un fouillis d'ossements, de calebasses et

d'ustensiles de cuisine. Quelques corps ont meme conserve leur peau, mais tannee et racornie; certains sont restes de-

(1) Levaillant, Deuxieme Voyage, t. I, p, 19 et 20. (2) Elisee Reclus, Giog. unio., t. XIII, p. 59i. (3) Voir le Correspondant, 10 aoiit 1899.

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10 BOERS ET ANGLAIS.

bout, colles aux parois de la grotte. Dans un coin, un cadavre

d'enfant repose encore sur les genoux decharnes de sa mere. Ce

spectacle est tellement hideux que beaucoup de voyageurs ne

peuvent en supporter la vue et quittent immediatemcnt ce lieu

d'horreur. »

C'est ainsi que les Boers ont evince les Hottentots et les Cafres.

Mais voilik, qu'aujourd'hui les Anglais k leur tour entreprennent d'evincer les Boers et de substituer leur domination a la leur.

Comment juger ces deux actes d'apres une commune mesure? car il repugne k la plus vulgaire equite de condamner les Boers

si on absoucl les Anglais, ou de condamner les Anglais si on ab-

soud les Boers; leur cas est exactement le meme. Ce fait de l'elimination d'une race par une autre se repro-

duit avec une regularity extraordinaire dans toute l'histoire du

monde. Et depuis qu'il fonctionne on ne cesse de discuter sur

sa legitimite et sur le moyen de le modifier. La science sociale peut apporter quelque lumiere dans ces te-

nebres.

II

Je n'ai pas besoin de dire que d'innombrables mefaits accom-

pagnent le genre de faits que je viens de signaler. Ces super¬

positions de domination et de race, dont les historiens nous racontent trop complaisamment les details, ne montrent pas l'humanite" sous un jour tres favorable. La guerre, entre autres, est une tres vilaine chose, dans l'immense majorite des cas.

Cela est bien entendu et je n'insiste pas. Je voudrais elever

plus haut le debat et degager, s'il est possible, les conditions

d'apres lesquelles, en fait, une race se substitue a une autre et

detient la suprematie. Malgre les apparences, ces substitutions ne sont pas livrees au caprice des hommes; elles sont regies

par une loi dont toute l'histoire temoigne. Cette lot n'est pas basee sur le droit du premier occupant,

comme le proclament tant de gens peu reflechis.

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OU EST LE DROIT? 11

Les faits parlent assez haut : le premier occupant, c'est, dans

nne grande partie du monde, le sauvage, le pur chasseur, ou

meme le troglodyte, l'homme des cavernes. II a ete evincd par-

f tout et bientot il ne sera plus qu'un souvenir. Les partisans des droits du premier occupant, eux-memes,

n'hesitent pas a prendre leur parti de l'eviction de cet antique possesseur du sol. « Passe pour les peuples sauvages, » disent-ils.

Mais les peuples sauvages ne sont pas les seuls qui ont ete evinces ou domines sur leur propre territoire. Ici encore les faits dementent la theoric du premier occupant. Les peuples d'Asie, Hindous et Chinois, par exemple, ne sont pas des sau¬

vages et cependant ils ont perdu ou ils sont en train de perdre leur independance au contact des europeens. C'est fait deja pour lTndo-Chine aussi, ou il n'y a que des populations fondamen- tales essentiellement donees, telles que les Annamites. En 1860, la Chine, tres civilisee a beaucoup d'egards, etait fermee : au1-

jourd'hui elle est gouvernee et bientdt elle sera partagee entre

../ Russes, Anglais, Francais, sans compter les Allemands et les Amcricains!

Ainsi, nous-memes europ^ens, nous faisons bon marche de ce droit du premier occupant lorsqu'il est revendique par les peu- ples de l'Asie ou de l'Afrique. Nous ne pensons k le proclamer que lorsqu'on le tourne contre nous. Verite en deca de l'Oural et de la Mediterranee, erreur au dela!

Et lorsque ces peuples evinces par nous se retournent contre nous et nous demandent raison de cette spoliation, comme nous ne pouvons plus invoquer le droit du premier occupant, nous invoquons et nous proclamons bien haut un autre droit : celui de 110tre superiorite sociale.

Et en cela, nous sommes plus pres de la verite.

Seulement, on va voir que ce droit tire de notre superiorite est terrible meme pour nous et qu'fi un moment donne il peut se retourner contre certains d'entre nous.

En effet, un peuple ne peut invoquer, quand il est le plus faible, le droit du premier occupant, et, quand il est le plus fort, le droit de sa superiorite. Ceserait vraimenttrop commode!

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12 BOERS ET ANGLAIS.

C'est cependant ce que Ton ne manque pas de faire, car les

peuples, comme les simples particuliers, n'cn sont pas a une

inconsequence pres, quand il s'agit de leurs interets.

Et c'est precis6ment ce qu'ont fait les Boers, pour en revenir

a enx.

Quand ils ont evince les Hottentots et les Cafres, ils se sont

autorises du droit de leur superiorite sociale qui etait indenia-

ble, et ils ont outrageusement foule aux pieds le droit du pre¬ mier occupant.

Mais quand les Anglais, suivant le meme exemple, ont entre-

pris de les debusquer, les Boers ont proclame leur droit de pre¬ mier occupant, et n'ont plus songe a faire valoir leur superio¬ rite sociale, qui etait plus difficile a demontrer.

Je crois que maintenant nous devons apercevoir le mauvais

cas dans lequel l'humanite s'est mise a propos de cette question des nationalites.

Si la souverainete appartient au premier occupant, il faut que l'Europe renonce a tontesses possessions lointaines, qu'elle evacue toutes ses colonies sans exception, car elle foule aux pieds les droits imprescriptibles des peuples. Il n'y a pas a regimber.

Mais si la souverainete appartient a la superiorite sociale, elle

peut les garder en toute securite de conscience. Rassurons done de suite notre conscience : le monde n''appar¬

tient pas au premier occupant, les faits le demontrent assez; il

appartient aux peuples qui possedent la superiorite sociale. Et c'est precisement ce qui justifie les Europeens et ce qui explique leur predominance.

Mais il faut insister sur ce sujet.

HI

Si Dieu, — je fais une supposition absurde dont je demande

pardon a la sagesse divine, — si Dieu avait decide que le premier occupant jouirait d'un droit imprescriptible, il aurait voue le

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OU EST LE DROIT? 13

monde a la domination exclusive des races inferieures, et tout

progres eut ete impossible dans l'humanite. Au contraire, la predominance des races superieures a ache-

mine l'humanite, de siecle en siecle, dans la voie d'un progres constant. A toutes les epoques, les peuples qui ont fnalement domine les autres leur etaient superieurs socialement. Ils n'ont

pas toujours ete superieurs parce qu'ils dominaient; mais ils ont domine parce qu'ils etaient superieurs, je ne dis pas militai-

rement, mais socialement. En effet, les peuples qui n'ont eu que la superiorite militaire

n'ont exercc qu'une domination ephemere, comme les Tartares

d'Attila, de Gengis-khan ou de Tamerlan. Avec le temps, la superiorite sociale des peuples dominateurs

est allee en s'accentuant : les Grecs et les Romains ont etc supe¬ rieurs aux Egyptiens, aux Perses et aux Medes. Les societes du

moyen age ont ete superieures aux Grecs et aux Romains, car elles ont eleve plus haut la valeur morale et sociale de l'homme ; les grandes nations actuelles de l'Occident et de l'Amerique du

Nord sont superieures aux grandes nations du moyen age et elles ont fait faire a. 1'humanite de nouveaux progres.

Ainsi il vaut mieux que le sceptre appartienne au plus digne,

plut6t que d'appartenir au premier occupant. Le premier occu¬

pant, c'est le rcgne du hasard ou de la pure violence; le plus digne, c'cst l'acheminement vers la justice et vers le progres.

Seulement, toute la question c'est d'etre et de rester le plus di¬

gne, en marchant clans le sens du plus grand perfectionnement de 1'humanite; c'est ce qui n'est pas tres facile.

C'est en cela que les Boers sont restes en arriere et qu'ils se

sont laisse depasser par les Anglais, comme les Asiatiques se sont laisse depasser par les Europeens.

Les Boers se distinguent par des qualites morales remarquables. Ils vivent encommunaulesfamilialesnombreuses, sousladirection

respectee du chef de famille, qui est une sorte de patriarche. Lc

repas du soir « est suivi d'une priere et d'une lecture faite par le

plus ancien de la maison dans la grossc bible de famille, impri- mee en caracteres gothiques et ornee d'un fermoir precieux ».

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14 BOERS ET ANGLAIS.

Mais, au point de vue social, ces populations ont peu progresses et n'ont tire qu'un parti mediocre des immenses territoires dont

elles se sont emparees. Chaque famille s'est attribuee de vastes

domaines qui sont a peine defriches et presqne entierement livres

au simple parcours des troupeaux. Au point de vue de la civilisation, ils sont egalement restes

tres arrieres. Ils vivent clans « un isolement farouche », sur lenrs

domaines qui ont souvent plus de 2,000 hectares. « Les Boers

ignorent la musique, l'art, la litterature. Leur part dans l'explo- ration scientifique de la contree a ete presque nulle. L'education

des enfants et le journalisme sont principalement entre les mains

des Anglais (1). »

Quatrefois par anseulcment, les Boers entrent en communica¬ tion avec leurs semblables. Ils se rendent a la chapelle qui sert de centre a leur immense paroisse de vingt ou cinquante lieues

de diametre. « Les epoux communient, les fiances font benir

leur mariage, les jeunes gens sont recus membres de l'eglise, on baptise les enfants. Puis, chaque groupe familial s'cloigne,

pour aller retrouver la solitude et le silence dans les grandes plaines (2). »

Tous les progres realises font ete par des etrangers, car le Boer affectionne presque exclusivement la vie paisible et peu active du pasteur. « II est presque sans exemple que les Boers s'etablissent comme artisans ou boutiqniers : cc sont des anglais ou cles allemands qui s'occupent ainsi de gagner leur vie et nombre d'enlre eux, devenus plus inches que les proprietaires boers cles alentours, achetent une partie de leur domaine. C'est. ainsi que Varistocratic terrienne se recrule peu a peu d''elements

elrangers a la classeprimitive des Boers. Parmi les autres blancs, ceux que les Boers voient d'ordinaire avec le plus de dcplaisir sont precisement lew's freres de race et de lancjue, les Neerlan- dais de la mere patrie. Le Boer est fort susceptible (comme tous les gens peu eclaires); il n'aime pas que le Hollandais, civilise, sourie cles mceurs africaines et reponde avec affectation clans une

(1) E. Reclus, Giog. univ., t.XIH, p. 597. (2) Id., ibid.

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^ OU EST LE DROIT? 15

langue pure au jargon corrompu que parlent les campagnards sur les bords du Vaal ou du Limpopo.

« Si les Anglais ne sont qu'en minorite, ils n'en sont pas moins les represcntants d'une civilisation superieure et leur idiome vi¬ talise avec la langue officielle dans la conversation courante : il I'a de beaucoup distance comme vehicute de Vinstruction. La

plupart des instituteurs e'tant anglais ou ecossais, leur langue devient celle de I'ecole; elle devient aussi celle des villes, car c'est la que s'etablissent les immigrants, marchands et bouti-

quiers, venus de Port-Elizabeth et d'autrcs villes des colonies

angiaises. Lentement, mais surement, se fait la substitution d'une

langue a l'autre, par l'effet des mille changements intimes qui s'accomplissent chaque jour dans les profondeurs dc la so¬ ciete (1). »

11 y a clix ans que ces lignes ont ete ecrites par M. Elisee Re- clus. Depuis lors, la predominance sociale de l'element anglais s'est accrue dans une proportion enorme, et la guerre qui eclate

aujourd'hui n'est que la consequence naturelle de cette dispro¬ portion entre les deux elements en presence,

Formulons encore une fois ce fait, aussi ineluctable que la loi de la chute des corps :

Lorsque une race se montre superieure a une autre clans les diverses manifestations de la vie privee, elle finit par l'emporter fatalement dans la viepublique, et par affirmersa predominance. Que cette predominance soit ensuite imposee pacifiquement ou

par les armes, elle n'en est pas moins, k un moment donne, con- sacree officiellement et ensuite reconnue universellement.

J'ai dit que cette loi explique seule l'histoire de rhumanitc et les revolutions des Empires et que seule, en outre, elle explique et

justifie, la prise de possession par les Europeens des territoires de l'Asie, de l'Afrique, de l'Oceanie et tout notre developpement colonial.

Si on me cette loi, il ne nous reste plus qa'k proclamer que nous autres, Europeens, nous sommes des monstres epouvanta-

(1) E. Reclus, Geog. univ., I. XIII, p. 597.

)^

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10 BOERS ET ANGLAIS.

bles, clignes d'etre mis au ban de J'humanite. Nous devons etre

traites comme cles animaux de proie par tous les peuples sau¬

vages, barbares, ou simplement moins avances en civilisation,

que nous avons injustement et brutalement depossedes. Il faut rendre k ces peuples leur suprematie, et revenir pure-

ment et simplement a la barbarie; il faut en outre renoncer a

comprendre quoi que ce soit a l'histoire du monde et declarer

que l'oeuvre divine est une monstrueuse iniquite. Sommes-nous disposes k accepter ces consequences? Voila toute

la question. Elle vaut la peine qu'on y reflechisse.

La lutte actuelle des Boers contre les Anglais n'est qu'une nouvelle manifestation de cctte loi. Les Boers seront surement

battus, soit aujourd'hui,' soit demain, quels que soit d'ailleurs

leur courage personnel et la force de leurs armees, parce qu'ils ont dejaetprealablement ete battus socialement. La lutte militaire

n'est jamais qu'un episode secondaire de la lutte sociale. C'est

celle-ci et non celle-la qui decide de la victoire. II ne reste aux Boers qu'une chance dc relevement dans l'a-

venir, c'est de se^nettre energicruement au regime de l'huma- nite la plus progressive. Ils ont domine les Hottentots et les Cafres parce qu'ils etaient plus civilises qu'eux; il leur restc maintenant a s'assimiler la civilisation qui est en train de les

evincer, et surtout k y former leurs fils. Qu'ils apprennent a

egaler leurs vainqueurs et, un jour, ils pourront partager avec eux la domination de l'Afrique du Slid.

Si non, ils n'auront plus qu'a remonter sur leurs chariots, a

reprendre la vie nomade dont ils ont malheureusement conserve les habitudes et a refluer plus au nord. La, ils refouleront et ils massacreront encore quelques tribus sauvages, dont ils se

partageront les territoires, juscp'au jour ou la poussee anglo- saxonne grandissante viendra encore les forcer a aller toujours plus loin vers l'equateur.

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y

OU EST LE DROIT? 17

IV

Arrive k ce point, le lecteur, un peu bouleverse dans ses idees toutes faites, doit se dcmander ce que deviennent, en face de cette loi, les droits de propriete du sol et de souverainete de territoires.

Il faut encore s'expliquer k ce sujet. Le droit de propriete est, en realite, plus limite qu'on ne l'i-

magine. Ce qui justifie socialement la propriete, c'est qu'elleest favorable a I'inl&ret public. Si on ne laissait pas la libre dispo¬ sition du sol a un liomme, il n'y aurait aucun travail sur la terre, elle resterait a l'etat natif; elle ne produirait que ce qu'elle produit spontanement. L'observation demontre que si la pro¬ priete est concedee avant le travail, elle n'est concedee qu'en vue du travail.

/ L'interet social reclame la propriete. Mais si cette concession

d'usage exclusif du sol, tournait, au contraire,~a empecher l'ex-

ploitation productive clu sol, elle serait peu k peu decriee, corn- battue et remise dans des conditions procluctives. C'est le cas de toutes les crises agraires, qui sont nombreuses et celebres dans F histoire.

A toutes les epoques et dans tous les pays, de violentes protes¬ tations se sont elevees contre les immenses proprietes accaparecs par de grands proprietaires et qui demeuraientpresque incultes. On repete quo les latifundia perdirent l'ltalie; ils perdirent aussi la Pologne, l'Ecosse, l'Espagne, etc. La meme chose arrive actuellement pour les Boers qui ont montre, a s'emparer d'im- menses domaines, plus d'empressement qu'a les cultiver. Ils ont ainsi viole la loi meme de la propriete et cette loi se retourne contre eux, comme elle s'est retournee contre les grands pro¬ prietaires non defricheurs de tous les pays. Si cette loi n'avait

pas fonctionne impitoyablement, la surface du sol aurait ete re-

conquise par la foret ou par la prairie, et rhumanite, faute de

subsistance, aurait cesse d'etre.

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18 BOERS ET ANGLAIS.

Vous voyez bien qu'il faut, sous peine de mort, que la loi fonc- tionne en depit de tout et de tous.

II en est de meme du droit des peuples a la souverainete. On laisse une portion de la population humaine dominer sur -»

un territoire, parce que, sans cela, il n'y aurait pas d'adaptation locale aux interets que regit la force publique; on tomberait dans l'anarchie. Mais si cette adaptation se retourne contre les interets du genre humain, elle amene line crise. Ce sont ces

crises qui provoquent les revolutions politiques et les change- ments de nationalite.

II faudrait done que i'homme sut de plus en plus que l'exer- cice de la souverainete a, comme condition fondamentale, le

bien general et que ce n'est pas un droit a l'encontre de ce

bien. Si les Boers avaient jamais pu entrer dans la connaissance

exacte de cette loi, qui fonctionne en depit de tout, ils auraient eu soin de tourner leurs vues a une transformation de leur droit sur le sol et sur la souverainete, sans se jeter dans une lutte qui _^ ne peut jamais se terminer dans leur sens, alors meme que les

Anglais seraient, pour cette fois, archi-battus.

En somme, rindependancc nationale ne peut pas se maintenir comme nn droit absolu envers et contre tout, ainsi qu'on le voit assez par l'histoire des revolutions des peuples.

C'est ce qui est arrive aux regions locales autrefois indepen- dantes, e'est-a-dire aux provinces. Elles se sont aujourd'hui fondues dans de plus grandes nationalites. C'est ainsi que se sont accomplies l'unite de l'Espagne, de la France, de l'Allema-

gne, de l'ltalie, des RoyaumesUnis de Grande-Bretagne, etc.

Ce n'est pas la royaute, comme on le croit, qui a opere ces

fusions, ou ces reunions; c'est, au contraire, ce mouvement na-

turel qui a fait la royaute, qui a cite la raison de son r6le, de sa

force, de son credit. En somme, elle a servi d'instrument a une

force spontanee, qu'elle n'a pas du tout creee.

Aujourd'hui, personne ne voudrait revenir sur ce fait de na¬

tionalites independantes, perdues par suite de l'interet public et du besoin general constate,

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OU EST LE DROIT? 19

C'est encore cc qui est arrive et ce qui arrive dans tous les

paysde decouvertes. Successivement, toutes les populations inde-

pendantes de l'Amerique, de l'Afrique, de l'Oceanie ont perdu * leur nationalite au contact de peuplements de formation supe-

rieure, au contact des Europeens. C'est aussi ce qui est arrive aux populations qu'ont dominees

les Boers. La meme chose arrive aux Boers eux-memes de la part de la race superieure qui survient sur le meme lieu.

Meme chez les peuples qui sont actuellement a la tete du monde civilise, l'independance premiere locale s'efface devant cles besoins generaux : c'est ainsi que les colonies d'Amerique,

independantes les unes des autres a l'origine, se sont federees

pour creer les Etats-Unis. Les colonies mutuellement indepen¬ dantes de l'Australie viennent de decider leur federation.

L'independance absolue du Transvaal disparait dans ce mouve- ment qui part de l'origine des temps et se continue toujours.

On aurait apercu cette loi, si on avait observe de plus pres \s que l'autonomie n'est pasun droit aussi absolu qu'on l'imagine,

n'est pas un fait qui puisse se maintenir aussi absolument

qu'on le suppose. La formule qu'on donne g6neralement de ce droit est trop

sommaire et incomplete. C'est le propre de la science de reviser ces formules insuffisantes. Elle ne les dement pas par des for- mules inverses, mais elle les rapproche plus du vrai en les com-

pletant; elles les rend plus exactes. C'est la le progres dc la con-

naissance, qui n'abolit pas ce qui est connu, mais qui ajoute a ce

qui est connu. C'est la une ceuvre tres precieuse et pleine de resultats, car

beaucoup cles difficultes ou cles conflits de ce monde viennent de l'erreur d'une connaissance insuffisante, plus que du vice ou de la passion.

Si les hommes connaissaient le jeu veritable de ce phenomene naturel de la nationalite, ils eviteraient a ce sujet une multitude de debats, que finit par trancher, quoi qu'ils fassent, la force des choses, la nature meme cles choses.

Or tous les faits de l'histoire montrent que la nationalite ne

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20 BOERS ET ANGLAIS.

peut pas se maintenir, la oil elle fait obstruction au progres de

I'espece humaine. Le laisser faire qu'accorde le genre humain aux pouvoirs pu¬

blics se fonde sur le bien qu'en tire la communaute des habitants et sur le retentissement que ce bien d'une partie de I'espece a sur le reste de I'espece. Mais, des que ce laisser faire n'a plus ce resultat et tourne k l'effet contraire, sa raison d'etre cesse. Alors le laisser faire est mis en question et bient6t prend fin.

C'est ainsi que la nationalite premiere disparalt et change de condition. Le territoire independant jusque-la est annexe ou « in- federe ».

Une autre crise du meme genre se produit, non plus entre ter- ritoires jusque-la separfe, mais k l'interieur meme d'un territoire donne.

Supposons un territoire autonome peu a peu occupe par des

survenants, qui apportent, ou qui prennent sur ce territoire une autre formation sociale que les premiers arrives, par exemple a cause de la pratique d'un autre moyen d'existence. C'est le cas

des Boers survenant au milieu des Cafres, ou cles Anglais surve- nant au milieu des Boers. Ces nouveaux arrivants finissent par protester contre le gouvernement du lieu, si celui-ci exerce son

pouvoir a rencontre de Vinteret des nouveaux venus.

C'est toujours le m6me phenomene : un droit exclusif ne vous

est laisse, concede, que sous la condition implicite qu'il produira

unplus grand bien pour la generalitc qui vous laisse faire. II ne faut pas croire que cette loi qui regit la propriete privee

corresponde a la doctrine socialiste, pas plus que cette fusion

des nationalites et l'accession des nouvelles classes au pouvoir ne sont l'anarchie.

Les droits de propriete et de souverainete sont ici remis

dans leur condition essentielle et non pas supprimes; ils sont

seulement debarrasses des crreurs contradictoires mises en cir¬

culation, d'un cote par les conservateurs et de l'autre par les re-

volutionnaires. Les conservateurs revendiquent le droit de mesuser de la pro¬

priete et de la souverainete. Comme ils detiennent generale-

V

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Oil EST LE DROIT? 21

ment l'une et l'autre, cette doctrine leur est plus commode. Ils

estiment, pour la meme raison, que la propriete et le pouvoir sont sacres et qu'il est impie d'y porter la main.

Les revolutionnaires, qui ne sont generalement ni proprie- taires du sol ni detenteurs des pouvoirs publics, professent au contraire qu'il faut supprimer la propri6te et la souverainete; et ils sont aussi dans leur r6le d'hommes de parti.

Le conservateur aboutit done a sacrifier l'interet public a l'interet prive mal compris; le revolutionnaire aboutit k sacri¬ fier l'interet prive k l'interfit public aussi mal compris.

Les uns et les aulres ne possedent par consequent qu'une partie' de la verite; c'est meme par cette partie de verite" qu'ils font illusion et impression sur les esprits.

Mais ils se trompent les uns et les autres, soit en sacrifiant l'interet prive a l'interet public, soit en sacrifiant l'interet

public a l'inter6t prive\ Chacun d'eux ne voit qu'une face du probleme : celle qui

est la plus favorable a ses interets mesquins, a ses prejuges, ou a ses passions.

La science, au contraire, n'est ni conservatrice ni revolution¬ naire ; elle s'efforce de voir les faits tels qu'ils sont et d'en

degager tranquillement les lois, sans se preoccuper des gens qu'elle derange dans la quietude de leurs theories a priori.

Et il se rencontre que le droit de propriete, tel qu'elle le d&-

gage des faits, concilie admirablenient I'initiative privee et I'inter it public.

La science demontre que le droit exclusif du particulier est fait pour le bien general, qui ne peut etre procure que par lui. Par la, mais sans l'avoir cherche\ elle fait plaisir aux conser¬ vateurs.

'<i Mais elle demontre en meme temps — et cela sans qu'elle ait cherche davantage k faire plaisir aux revolutionnaires —

que ce droit ne peut pas s'exercer contre l'interet public. Autrement, on y met opposition et il est retabli dans ses condi¬ tions essentielles de bien public. Mais ce retablissement ne

peut ctre procure que par l'initiative privee et non autrement.

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22 BOERS ET ANGLAIS.

Ce juste rapport etabli par les faits sur la conciliation entre le droit prive et l'interet public, entre le particularisme et les revendications du socialisme est extremement curieux et lumi- neux.

C'est le triomphe de la science sociale que de denouer ces

antinomies, et de trouver la formule juste, positive, prise dans les faits, entre deux formules excessives qui croisent l'une sur l'autre et ne trouvent pas leur accord organique, vital, neces- saire.

De tout ce qui precede, il ne resulte pas que les moyens em¬

ployes par l'Angleterre pour etendre sa domination soient ir-

reprochables. Il s'en faut meme de beaucoup. Et le major Ja¬ meson a bien reellementcommis une acte de brigandage. La loi sociale ineluctable agit; mais ceux qui operent dans le sens de la loi n'ont pas necessairement les mains nettes. Que le peuple do- minateur qui a les mains nettes se leve! Nous-memes, Francais,

quelque bonne opinion que nous ayons de nous, de notre poli¬ tique et de notre ceuvre coloniale, oserions-nous proclamer que nous avons les mains nettes? L'histoire des peuples n'est malheureusement que trop entachee d'actes de violence; les lois sociales operent au milieu de la guerre et du carnage.

Mais cela du moins n'est pas necessaire et fatal. A mesure que la loi sociale que nous venons de formuler sera

mieux connue; a mesure que Ton connaitra mieux les condi¬ tions fondamentales du droit de propriete et du droit de

souverainete, on pourra eviter bien des conflits armes et on

reglera pacifiquement beaucoup de questions en litige entre les peuples.

C'est bien a cet effet que pourra intervenir l'arbitrage inter¬

national, qui opere encore a tatons et dans la nuit. Si les grandes nations d'aujourd'hui, celles qui marchent a

la tele de la civilisation, s'etaient entendues, elles auraient du

4

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OU EST LE DROIT? 23

dire aux Boers : « II faut que vous avanciez dans le sens d'une meilleure formation sociale, d'une meilleure utilisation de la terre et de la souverainete. II faut lier votre action avec celle de vos voisins anglais, car vous avez avec eux des interets

k generaux et communs. Sinon, vous vous verrez abandonnes et mis a la raison par toutes les grandes nations qui entendent

pousser l'humanite dans la voie du progres moral, intellec- tuel et materiel, dans le sens du plus grand perfectionnement possible de toutes choses. »

Si on avait tenu ce langage aux Boers, ils auraient compris. Par malheur pour eux et pour tous, le fameux telegramme

de Guillaume II, apres la repression du brigandage prive de

Jameson, les a jetes dans une appreciation toute contraire des choses.

II faut done esperer que peu a peu l'arbitrage prendra le r6le que nous venons d'indiquer.

Il le prendra d'autant plus que nous entrons dans une periode nouvelle qui sera caracterisee par un fait dont les consequences

W** sont incalculables : le portage du monde entre quelques grandes nations les plus avancees en civilisation.

Ce partage, qui doit faire entrer les peuples les plus arrie- res clans la voie progressive des nations de l'Occident et re- nouveler ainsi la face de la terre, est cleja serieusement com¬ mence.

La France a recu sapart, en Afrique et en Asie, et elle est assez

belle, si nous savons en tirer parti et faire oeuvre de colons et de civilisateurs. En tout cas, nous n'avons pas interet k en demander une plus grande, qui depasserait visiblement nos forces et de- viendrait pour nous plut6t un grand danger.

L'Allemagne n'a pas d'empire colonial. Mais elle jette ses vues du cote de l'Orient sur la Palestine, l'Euphrate et le Golfe

Persique. Le recent voyage de l'empereur d'Allemagne en te-

moigne assez. La Russie a son Transsiberien et sa vallee du Hoang-Ho en

Chine, avec une flotte sur le Pacifique. L'Angleterre detient deja la plus grande partie de l'Afrique

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24 BOERS ET ANGLAIS. A

orientale, jusqu'au sud. Elle tient particulierement a la region du sud qui est le chemin des Indes par le Cap. La route de Suez est trop sujette k etre coupee.

Telles sont les grandes lignes deja visiblcs de ce partage du monde. "

Les chefs des grands peuples qui se divisent ainsi la surface terrestre et qui entendent la civiliser, ne donneraient pas une

haute idee de leur intelligence et des besoins du monde, s'ils

etaient incapables d'arriver a une entente commune ct a un ar¬

bitrage commun. C'est bien la la solution qui s'impose, au lieu

de toutes ces guerres apres lesquelles se font toujours des choses

inevitables, qu'il eut ete plus court, pluseconomique, plus moral

et plus humain de faire avant et sans guerre. Et puis, il faut bien que ces grandes nations se disen! que leur

preeminence vient seulement de ce qu'elles sont actuellement

les plus dignes de l'exercer. Mais ce droit a la domination n'est

pas imprescriptible, nous venons de le dcmontrer suffisamment.

Les nations qui viendraient a exercer ce droit contre les interets

de l'humanite verraient peu a peu ces interets eux-memes se re- -^ tourner contre elles et la preeminence passer aux nations qui en

seraient restees plus dignes. C'est la loi.

rrpoGBAPHiE riRMis-DiDor r.r c">. — mesnil (eube)

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Page 29: Boers et Anglais: où est le droit

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