Besoins individuels et collectifs: Nanacatlan, Mexico

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Besoins individuels et collectifs: Nanaca t I a n, Mexico P I E R R E D U R A N D / Universite' de Montrbal The author intends both to describe a native credit institution in a peasant com- munity and to analyse its overt and covert functions. The community fund, managed by the local authority (presidenciu uuxiliur ) is theoretically available to all household heads who can show solvency (e.g., by pawning a piece of property, usually land). Apart from assisting peasants who face a shortage of cash, another overt function of the system is to finance, with the interests which are paid back on the loans, the functioning of the local administration. Because of the great economic discrepancies between peasants (50 per cent of them own no land, while 2.5 per cent own 30 per cent of the land) one real, although covert, function of the credit institution is to channel a substantial amount of cash to the local upper class (which has little access to banking facilities). Therefore it actually enhances their economic domination over the majority of villagers, which fact allows us to understand the strict control they have exerted over the management of the fund since its foundation, some 40 years ago. I. INTRODUCTION Le paysan des communautCs indiennes de la Sierra Norte de Puebla a besoin d'argent liquide, que ce soit pour se procurer sur le march6 les biens qu'il ne peut produire lui-mCme, pour payer les ~OZOS (ouvriers agricoles) qui viennent lui aider ou pour acheter une terre. Les moyens habituels pour s'en procurer sont le travail salariC ou la vente du cafk ou du sucre de came. On peut aussi vendre du mays mais ces transactions sont t r h limit& du fait que la production paysanne moyenne est, au mieux, B peine suf€isante pour couvrir les besoins domestiques. Si, pour difftrentes raisons, il lui est impossible de recourir B ces moyens, il doit emprunter des plus nantis, com- mercants ou gros planteurs. Le m6me prabl&me se pose B l'ichelle de la communaut6. Elle doit en effet dtfrayer le coOt de l'administration locale (que ce soit sur le plan politique ou religieux) et, en ce sens, elle a aussi besoin d'argent liquide. Les solutions B ce probl2me social sont nombreuses, allant de la mise en valeur de certaines ressources collectives dont le produit est vers6 dans une caisse commune jusqu'h l'engagement financier des personnes occupant les difftrents postes (Carrasco, 1967:399). C'est le cas entre autres des may ordomos. La litttrature anthropologique nous off re plusieurs exemples de mCca- nismes visant B rCsoudre ces probl&mesindividuels et collectifs. Mais il nous a ttt impossible d'y dtcouvrir une situation oh ce double problhe de manque pCriodique de liquidit6 aux deux niveaux Ctait rtsolu au moyen d'une institution unique, en l'occurrence, une sociCtC de crCdit mutuel. Rev. canad. Soc. & AnthJCanad. Rev. SOC. & Anth. 9(3) 1972 210

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Besoins individuels et collectifs: Nan aca t I a n, Mexico

P I E R R E D U R A N D / Universite' de Montrbal

The author intends both to describe a native credit institution in a peasant com- munity and to analyse its overt and covert functions. The community fund, managed by the local authority (presidenciu uuxiliur ) is theoretically available to all household heads who can show solvency (e.g., by pawning a piece of property, usually land). Apart from assisting peasants who face a shortage of cash, another overt function of the system is to finance, with the interests which are paid back on the loans, the functioning of the local administration. Because of the great economic discrepancies between peasants (50 per cent of them own no land, while 2.5 per cent own 30 per cent of the land) one real, although covert, function of the credit institution is to channel a substantial amount of cash to the local upper class (which has little access to banking facilities). Therefore it actually enhances their economic domination over the majority of villagers, which fact allows us to understand the strict control they have exerted over the management of the fund since its foundation, some 40 years ago.

I. INTRODUCTION

Le paysan des communautCs indiennes de la Sierra Norte de Puebla a besoin d'argent liquide, que ce soit pour se procurer sur le march6 les biens qu'il ne peut produire lui-mCme, pour payer les ~ O Z O S (ouvriers agricoles) qui viennent lui aider ou pour acheter une terre. Les moyens habituels pour s'en procurer sont le travail salariC ou la vente du cafk ou du sucre de came. On peut aussi vendre du mays mais ces transactions sont t r h limit& du fait que la production paysanne moyenne est, au mieux, B peine suf€isante pour couvrir les besoins domestiques. Si, pour difftrentes raisons, il lui est impossible de recourir B ces moyens, il doit emprunter des plus nantis, com- mercants ou gros planteurs.

Le m6me prabl&me se pose B l'ichelle de la communaut6. Elle doit en effet dtfrayer le coOt de l'administration locale (que ce soit sur le plan politique ou religieux) et, en ce sens, elle a aussi besoin d'argent liquide. Les solutions B ce probl2me social sont nombreuses, allant de la mise en valeur de certaines ressources collectives dont le produit est vers6 dans une caisse commune jusqu'h l'engagement financier des personnes occupant les difftrents postes (Carrasco, 1967:399). C'est le cas entre autres des may ordomos.

La litttrature anthropologique nous off re plusieurs exemples de mCca- nismes visant B rCsoudre ces probl&mes individuels et collectifs. Mais il nous a ttt impossible d'y dtcouvrir une situation oh ce double problhe de manque pCriodique de liquidit6 aux deux niveaux Ctait rtsolu au moyen d'une institution unique, en l'occurrence, une sociCtC de crCdit mutuel. Rev. canad. Soc. & AnthJCanad. Rev. SOC. & Anth. 9(3) 1972

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Dans une communautk totonaque de la Sierra Norte de Puebla, nous avons pu observer trois institutions de ce genre : une intCgrCe B la mairie, l’autre au comitC de l’kole et la dernibre B la Junta Vecinal (comitC d‘entre- tien) de 1’Cglise. Le but de cet article est d’abord de dCcrire la plus impor- tante de ces institutions - celle de la mairie - et surtout d’en analyser la s imcat ion konomique et sociale. Nous tenterons de voir comment fonctionne l’institution de crCdit pour ensuite nous attacher B ses const- quences sur la structure sociale. Dans une dernibre partie, nous formulerons certaines hypothbses quant aux conditions de mise sur pied et de survie d’un tel mkcanisme de financement.

a Ld oh poussent les champignons D Nanacatlan (Ctymologie : endroit oh il y a des champignons) est un village totonaque des terres temptrCes dans la partie centrale de la Sierra Norte de Puebla. Politiquement, il s’agit d‘un municipio auxiliar c’est-Mire que, bien que faisant partie du municipe de Zapotitlan de Mendez, cette agglo- mCration possbde une certaine autonomie interne. Le personnel administra- tif est la rCplique simpECe de celui du municipe : maire (presidente auxi- liar) 4 conseillers (regidom), secrdtaire, trCsorier, juge de paix et (x agent du ministbre public S. Un de leurs principaux pouvoirs est l’allocation des certaines ressources financibres bien que l’on doive faire accepter par l’A yuntamiento (mairie) de Zapotitlan les previsions budgktaires.

La population du village a connu des fluctuations considtrables depuis un sibcle, en raison surtout d’Cpidtmies importantes dont la u grippe espa- gnole B qui, en 1917, rCduisit de moitib la population. La communautk compte prdsentement 750 personnes rCparties en 162 unites d0mestiques.l En termes Cconomiques, l’activit6 agricole peut se diviser en deux cattgories : ( 1 ) de subsistance (ma% et haricot), et (2) commerciale (cafC et, B moindre Cchelle, canne B sucre). Le travail salariC fournit Cgalement des revenus B environ 70 pour cent des chefs de famille.

La plupart des &changes commerciaux sont effectubs avec la cabecera (chef-lieu) du municipe.2 C’est 1ii que l’on vend le cafe et que l’on ‘achhte les produits de premibre nCcessitC (tissus, poterie, outils, nourriture, etc.) dans les boutiques des mCtis ou sur la place du march6 dominical.

SituCe B environ cinq heures de marche des routes carrosables, cette sous-rCgion appartient ii l’aire &influence d’un centre commercial important, Zacapoaxtla, qui fournit B ces communautCs pCriphCriques les produits rnanufacturts qui y sont consommCs en plus d’etre la pierre angulaire du commerce (achat-vente) du caft (Park, 1970 : 30-39).

11. U N E INSTITUTION D E CRBDIT La nCcessit6 d‘emprunter pour le chef de famille est Ctroitement like B la

1 Le nombre d’habitants demeure relativement fixe depuis une dizaine d’annCes en

2 Selon Cordoba Olivares (1966), la population de la cabecera 6tait de 1094 personnes raison surtout de l’kmigration des jeunes vers les grands centres.

en 1960. 211

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distribution inkgale des revenus pendant l'annke, inhkrente au cycle des activitks agricoles. La majeure partie des revenus est concentrke en juillet (pour le mays) et surtout en dCcembre (mays et cafC) .a La canne h sucre vient s'ajouter h ce cycle, la coupe se faisant de janvier h mars. L'importance relative de ces diffkrentes cultures peut s'exprimer c o m e suit : 62 pour cent des chefs de famille sont engagks dans la culture du mais, 23 pour cent dans celle du cafC et 11 pour cent dans la production de sucre de canne. L'activitC la plus rentable est, sans nu1 doute, la rkcolte du cafk (profit pos- sible d'environ 2000 pesos par hectare). h i s vient celle de la canne h sucre, bien que la production ait souvent h faire face B des difEcultks de mise en march& Finalement, vient le mays dont le producteur ne retire aucun revenu monktaire puisque la rCcolte est la plupart du temps conservte pour les besoins domestiques.

La disponibilitk de l'argent liquide pour le producteur fluctue en fonction de ce cycle, la raretC de numkraire se faisant surtout sentir d'octobre h dC- cembre. En effet, le cafkiculteur, dBs qu'il dCpasse les dimensions minimales qu'il peut cultiver avec sa famille (95 h 3/4 &hectare) doit, au risque de voir se perdre une partie de sa rCcolte, embaucher des ouvriers qu'il doit payer comptant. La rarete d'argent liquide affecte moins la culture du mays, vu la faible surface des milpar (95 hectare en moyenne) . En outre, mkme le paie- ment des fermages pour la terre h mays s'effectue en janvier, pCriode oh le paysan dispose encore de l'argent provenant de la rkcolte du cafC.

En plus des besoins urgents de liquiditk dkpendant de l'entreprise agricole, il en est d'autres qui sont liks h la consommation familiale et sociale : frais mCdicaux imprhus, contribution B des dkpenses rituelles, etc. Dans un cas comme dam l'autre, vu l'inexistence de l'kpargne (elle-meme like au faible niveau des revenus) le paysan devra hypothkquer des gains futurs en em- pruntant.

A Nanacatlan, un emprunteur peut diriger sa demande dans deux direc- tions : soit vers l'administration locale qui gBre un fonds commun, soit vers un particulier. La premihre solution est nettement prCfkrte4 pour des raisons qui tiennent de la nature m&me de l'institution de crkdit. Pour en saisir le fonctionnement, nous considCrerons surtout l'emprunt proprement dit, les conditions de remboursement ktant celles de la plupart des institutions de crkdit.

L'emprunt Le fonds de la communautk (actuellement d'environ 17,000 peso^),^ ad- ministrk par la presidencia auxiliar est disponible thkoriquement pour tous 3 En raison de l'altitude du terroir villageois (8OOm), seule une faible partie est apte

B la deuxibme culture du mars. Cette contrainte s'ajoute B celles que l'on retrouve dans toute la Sierra (faible rendement du xoparnil, concurrence des aotivitts de cueillette du cafC) pour ddnuer l'importance de cette rkolte.

emprunter 50 pesos, de qui l'emprunteriez-vous ? s

95 pour cent des chefs de famille ont ripondu en ne nommant que la c mairie S . Les autres 5 pour cent ont ajoutC h cette rtponse le nom d'un particulier.

5 I1 nous a ttt impossible de consulter les rapports de la tresorerie pour 1970 et 1971. Le chiffre mentionnt est une Cvaluation faite par quelques informateurs B partir des rapports des armies dernibres.

4 A la question 8 Si vous aviez

les chefs de famille du village. Et si l’on prCftre y emprunter plutbt que d’aller voir un particulier, c’est que le t a n d‘inttrQt est plus faible, soit 3 pour cent par mois alors que les particuliers prstent habituellement B 5 pour cent, certains allant m&me jusqu’a 7 pour cent ou 8 pour cent. D’autre part, le systtme Ctant administrk par la communauti elle-m&me (par pouvoirs dClCguCs), il offre des garanties B l’emprunteur contre les abus de pouvoir, l’injustice et l’exploitation qui caractkrisent gtnkralement les prsts entre particuliers.

Pour pouvoir obtenir un prCt, l’individu doit plier B certaines exigences qui sont autant de mesures de protection pour conserver intact et faire accroitre l’actif de la communauti. Les garanties principales sont identiques B ce que demandent les particuliers la plupart du temps : l’individu doit remettre le titre de propriCtC (escriturus de tierra) d’un lopin de terre, champ ou cafkteraie, d’une valeur supirieure B celle de l’emprunt sollicit&. Le choix d‘une garantie foncitre s’explique aisCment dans une communautk paysanne oh la terre concentre la plus grande partie du capital rural et constitue I’avoir dont on ne se dkpartit qu’en dernier recours. De plus, le niveau des revenus d’un individu Ctant directement liC B la valeur de ses terres, elle pro- cure un crithre uniforme d’Cvaluation de la capacitC de rembourser.

En outre, la terre offre l’avantage de pouvoir Qtre l o d e ou vendue trts facilement du fait de sa raretC. Toutes ces raisons font que l’on n’accepte rien d’autre comme garantie.

I1 est intiressant de noter que les raisons de l’emprunt n’ont aucune im- portance dans la transaction. La a mairie D n’est pas intCressCe B savoir B quoi servira l’argent, mais B possCder des garanties valables qui sont la preuve d’une capaciti de rembourser (SolvabilitC) .

L‘existence d’un tel sysdme pourrait laisser croire que Nanacatlan est une communautC relativement Cgalitaire oh chacun posskde au moins un lopin de terre. Or la situation est totalement diffCrente, comme le dCmontre le Tableau I. Plus de la moitiC des chefs de famille (52 pour cent) ne sont propriCtaires d’aucune parcelle et doivent louer de la terre de grands pro- prittaires (mCtis) pour produire ce qui assurera leur subsistance. Plusieurs d‘entre eux louent mQme le terrain sur lequel est construit leur maison. Dans cette situation, il deviendrait donc impossible pour ces personnes de solliciter

~ ~ ~~~~

TABLEAU 1 RBPARTITlON DES TERRES, NANACATLAN 1971

Surface Nombre de % de % de (en h) propriktaires propriktaires terres

0 85 5 1 . 9 0 0 . 2 5 4 9 32 19.8 11.25 1.00-1.9 28 17.6 23.25 2.00-3.9 11 6 . 9 18.00 4.00 f 6 3 .8 31 .OO Total 162 100 8 3 . S

1 16.5 pour cent des terres appartiennent a des propri6- taires de I’extCrieur (surtout de Zapotitlan).

Disponiile

'I 3r

( b ) (d

Conditions particuli?xes * Argent pr&6

FIGURE I. ALTERNATIVES POUR L'EMPRUNT D'ARGENT LIQUIDE, NANACATLAN

un emprunt. Nous reviendrons plus loin sur les incidences concrhtes des intgalitts sociales sur le fonctionnement du systkme de cruit. Qu'il nous suffise pour l'instant de dire que pour rtpondre au moins thtoriquement aux besoins de ces prolttaires ruraux, la mairie s accepte qu'une tierce per- sonne vienne rtpondre de l'emprunteur, laissant des titres de propriCtC en garantie du remboursement. Cette garantie est particulikrement importante si l'emprunteur a l'habitude de s'absenter frtquemment du village et ce, pour des ptriodes relativement longues.

Nous avons jusqu'ici considtrt les cas oh le besoin d'argent Ctait satisfait par le fonds commun. Mais, comme le laisse voir le schtma, cette issue n'est pas la seule, loin de 1B (voir Figure I). I1 existe trois types de situations qui vont obliger l'emprunteur B diriger sa demande vers un particulier et ce, en dtpit des conditions moins favorables. Dabord ( a ) , la mairie refusera d'ac- corder un prCt B tout individu qui aura, par le passk, tprouvt de strieuses difficultts B effectuer le remboursement d'un emprunt. Ni la possession de garanties foncibres, ni la prtsence dun rtpondant ne semblent pouvoir em- pCcher l'application de cette rbgle.

L'impossibilitt pour un paysan sans terre de trouver un rtpondant con- stitue la deuxikme situation (b) , o i ~ l'individu se voit dans l'obligation de faire affaire avec les commersants ou les grands propriktaires pour obtenir un pret. Le cas se prtsente couramment puisque le rtpondant est toujours choisi dans l'entourage immuiat (parents, beaux-parents, tpouse, etc. ) donc parmi des personnes qui, dans de nombreux cas, appartiennent B la meme strate Cconomique que l'emprunteur, ce qui constitue un handicap strieux pour les chefs de famille de la strate infkrieure.

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Mais, et c’est le troisikme type de situation (c) , il se peut que, remplissant toutes les conditions, il voit sa demande quand mCme rejette pour des raisons qui tiennent au fonctionnement du systkme lui-mkme. Pour maxi- miser les revenus, la mairie garde le capital toujours en circulation, & l’ex- ception d’un fonds de roulement minime (75 & 100 pesos) qui risque de n’Ctre pas satisfaisant pour plusieurs individus, qui se dirigeront alors vers des particuliers.

La seule ptriode de l’annte 06 cles montants d’argent importants sont disponibles est le mois de dbcembre, pbriode de la rtcolte de caft oii tout la monde rembourse. C o m e la mairie recommence aussitBt h le preter, l’emprunteur tventuel d’une somme importante doit donc c prtvoir l’imprt- visible s et, mCme s’il n’a pas besoin d’argent B cette ptriode, faire aussitBt son emprunt. Autrement, il risque de ne jamais rien avoir.

Le remboursement Le systkme doit mettre sur pied certains mkanismes particuliers dans le cas d’un non-remboursement au moment fixt. En ce sens, les mbcanismes sont beaucoup plus rigides que ceux qui permettent d’emprunter. Autant il est prtftrable ,pour l’administration d‘assouplir ses conditions d’emprunt, autant il est de son inttret de durcir ses positions en ce qui concerne le rembourse- ment.

Si le dkbiteur ne rembourse pas son emprunt au moment h b , il voit doubler l’inttret mensuel qu’il doit verser. Il en est de mCme & toute nouvelle tchbance. D&s qu’il cesse de payer les intbrets, ceux-ci vont rejoindre le capital dfi et l’on calcule alors les intCr8ts composts. Et ce, jusqu’au moment oii le montant de l’emprunt est tgal & la valeur des garanties (oa certains biens de valeur @ale si l’emprunteur en posdde) , et l’argent revient au fonds communautaire.

Dans les faits, la vente de terrain pour rembourser un emprunt B la prtsi- dence est tr&s rare. Mais l’existence mCme de cette possibilitt est suEsante pour que I’emprunteur trouve l’argent avant l’tchbance.

IIL. LE FINANCEMENT DE L’ADMINISTRATION

Pour des fins d‘analyse, nous avons considtrt jusqu’h prtsent cette institution de crtdit comme indtpendante des autres structures de la communautb paysanne. En rtalitt, elle est rattachbe & la structure formelle d’autoritt dans le village. C’est le trbsorier, en accord avec les recommandations du maire et des conseillers, qui voit au bon fonctionnement de l’institution financikre.s

Il est aist de comprendre ce rapprochement avec l’autoritt. L‘institution n’a pas c o m e fin unique de fournir aux paysans des conditions favorables de credit, mais elle doit aussi servir B financer l’administration du village, B meme les inttr8ts mensuels. I1 est & noter ici que ce n’est pas la seule source

6 Au cours des premibres am& de fonctionnement, il y avait un poste exclusif au systbme de pr6t : celui de depositario, c’est-&dire celui qui conserve les titres de propri6t6. Ce poste est disparu vers 1950.

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de revenu pour la mairie, mais la plus importante (en 1962, elle fournit plus de 75 pour cent du budget). Les autres sources de revenu sont les amendes, les taxes sur Is Ctablissements commerciaux et surtout les partici- paciones municipales, c'est-2-dire un retour d'argent B partir des imp8ts pay& par les producteurs de canne B sucre et de caft.

Les frais de fonctionnement (le secrdtariat surtout), relativement ClevCs (plus de $3600 pesos par an en moyenne) pourraient facilement Cpuiser les revenus du capital pr6tC. Ce sont les autres revenus qui permettent B la prCsidence de rCaliser un certain surplus qui ira rejoindre le capital dCjh en circulation, et c'est ainsi que le total pr6tC est toujours croissant.

L'Ctude de la formation du capital communautaire depuis la mise sur pied de ce systbme devrait donc nous rCvCler les principes de gestion qui ont CtC adopt& par les administrations successives. Nous verrons alors com- ment on a respect6 les formes traditionnelles de cooptration et comment, sous certains aspects, cette institution modifie le systkme de postes politiques et religieux de la communautC.

L'accroissement du capital L'institution est en place depuis 1935. Aprbs un dCpart assez lent, elle com- mensait B fonctionner vraiment B partir de 1945. Le Tableau 11 nous fournit les chiffres pour Ctablir les grandes Ctapes de cette croissance.

Les variations du tam d'accroissement sont consid6rables (de 2 pour cent 21 43.5 pour cent par an). Mais le tableau ne tient pas compte des rCalisations eff ectuCes au cours des pCriodes consid6rCes et des prCoccupa- tions des WCrentes Cquipes B la mairie. C'est ce que nous allons tenter de voir dans les lignes qui suivent.

La premiere Ctape couvre une dCcennie (1935-1945). Ce sont les premiers pas de l'institution. On prGte l'argent mais on doit garder une forte proportion des intCrbts (le capital &ant trhs limit6) pour l'administration elle-mGme. Ntanmoins, on se retrouve B la fin de la pCriode avec un actif d'environ 800 pesos.

TABLEAU II ACCROISSEMENT DU FONDS COMMUN SELON CERTAINES PBRIODES'

Montant a la fin Accroissement annuel de la pCriode

Pkriodes total de croissance (en pesos)

-1935 - - s649.00 193 5-1 945 + 20 $ 2 $800.00 1945-1952 + 300 +43.5 %3700.00 1952-1 957 + 200 +40.0 $9000.00 1957-1960 +17.3 + 6 . 0 $10,650.00 1960-1963 +23.7 + 8 . 0 $14,225.00 1963-1970 +24 .0 + 3 . 5 $1 7,000.00

1 Nous disposons de donnks completes pour les annCes 1935, '45, '52, '57, '60, '63 et '70 ce qui explique le regroupement en pCriodes inkgales. Tout porte ii croire que le mouvement de croissance s'est poursuivi de faeon rkguliere dans les annkes intercalaires. 216

De 1945 B 1957, on voit le capital s’accroitre de fason trbs considCrable. Cela est d3 en bonne partie B deux maires qui avaient Ctt Clus spkialement pour relever les finances du village. ‘I1 s’agit en occurrence des deux plus grands proprittaires mttis du village. Ils ont agi en sorte que 12 ans plus tard, en 1957, le fonds commun en est rendu B environ $9000 pesos, soit un ac- croissement annuel moyen de 42 pour cent. Cette croissance rapide n’a pour- tant pas empikht certaines rCalisations oii l’on a dCpenst certaines sommes importantes : reparation de l’kole, amtlioration du systkme d’approvisionne- ment en eau potable, etc. Le fait que l’on ait accru aussi considtrablement le capital tout en rtalisant certains travaux dans le village s’explique dans une certaine combinaison spCcifique des facteurs de production oii l’tltment a travail D (non rtmuntrt) tient la plus grande place. Nous traiterons plus loin de cet aspect particulier.

Alors que la premibre pCriode fut un lent dCpart et que la deuxikme Ctait surtout caracttriste par l’accumulation du capital, c’est B partir de 1957 (dCbut de la troisi2me pCriode) que l’on voit vraiment le fonctionnement du systbme : l’accroissement est relativement faible en pourcentage. Mais en chiffres absolus, il demeure considkrable : environ $625 pesos sont rtinvestis en moyenne chaque annte.

Ce taux relativement faible est dQ surtout aux travaux effectub dans le village au cours de cette phiode. De 1959 B 1968, c’est la construction pro- gressive de l’hbtel de ville (palacio municipal); en 1958 on refait complbte- ment l’aqueduc; en 1967, il y a d’importants travaux d’amtlioration B l’tcole et en 1970, c’est la rtnovation du terrain de ballon-panier. Ces entreprises sont devenues possibles aujourd’hui en raison de l’importance des revenus annuels du capital communautaire. (Alors qu’en 1935, le capital rapportait un peu plus de $200 pesos par an, il en apporte plus de $6000 en 197 1 .)

Le capital demeure donc, sinon intouchable, du moins intoucht. Il est dirig6 exclusivement vers les emprunteurs et il n’est nullement question d’en affecter une partie B un autre item du budget. Ce sont donc les intCrbts et les autres revenus de la mairie qui font l’objet de certains choix quant 5 leur utilisation.

En ce sens, trois possibilitts sont offertes : (1) couvrir les dkpenses de l’administration, (2) accroitre le capital, (3) entreprendre des travaux d‘in- f ra-structure.

Et dans chacun de ces secteurs, la mairie fait face B des exigences prhcises. (1) L‘administration doit &re efficace. (2) Il faut amCliorer l’aspect physi- que du village, toujours avec un caracthe ostentatoire Cvident. De nom- breuses entrevues nous ont rCvCl6 qu’un ancien presidente est d’autant mieux considtrt qu’il a B son actif des rtalisations matCrielles d’envergure. (3) I1 faut augmenter le fonds commun qui permet les emprunts et un accroissement des revenus de la mairie. Le nombre d’emprunteurs &ant limitt, affirme-t-on, par le montant total disponible, il est de la plus haute importance d’accroftre ce montant pour permettre B un plus grand nombre d’y avoir droit. Et il ne saurait btre question de quitter la presidenciu en y 217

~~

TABLEAU III

Pkriode I PPriode 2 PPriode 3

(i) Frais d‘adminis-

(ii) Accroissement

(iii) Travaux d‘infra-

tration ck) 95 56 I0

du capital (‘A 4 38 12

structure (%) 1 6 18

SOURCES: Nanacatlan, Libro de Actas, janvier 1932, 1938, janvier- mars 1945, 1946, 1948, 1950, 1951, 1952, 1954, 1955, janvier-juin 1956, 1961,1962.

laissant moins d‘argent liquide qu’il n’y en avait au moment oh l’on y est entrk, et ce, peu importe les autres rkalisations que 1’0n ait B son actif.

Si nous analysons la part du revenu de la municipalitk qui est allke ii chacun des trois secteurs pour les phiodes mentionnks, now dekouvrirons alors les vkritables principes de gestion qui ont dictk l’allocation des res- sources.

Le tableau 111 vkr3e les hypothbses formulkes prkc6demment. Au cours de la pkriode 1, ce sont les frais de fonctionnement qui sont les plus BlevCs et qui occupent la plus grande partie des dkpenses. Le capital s’accroit trbs lkgbrement alors que la participation monktaire de la mairie aux travaux publics est ii peu prbs nulle.

Ces rapports sont considkrablement modifies ii la deuxibme pkriode, bien qu’encore une fois l’administration ait la plus grande part du budget. Le secteur qui s’est accru le plus est sans doute celui du capital auquel on accorde maintenant 38 pour cent du budget. Et la diminution relative des coiits de fonctionnement permet en outre d’investir certaines sommes dans l’infrastructure.

A la pkriode 3, le secteur des travaux publics tient une place encore plus grande, comme nous l’avons dkjii mentionn6. Ce qui est plus Btonnant, c’est l’accroissement considkrable des frais d’administration, et la baisse substan- tielle d’accroissement du secteur a capital s. En chif€res absolus, le secteur i rqoit environ 3700 pesos par an alors qu’il n’en avait que 980 h la pCriode anterieure. Cela tient exclusivement 21 l’augmentation du salaire et des frais du secrktaire qui nkcessitent des d6boursks de plus de 3000 pesos.

C‘est donc la deuxibme pkriode qui constitue la phase cl6 du systi5me. C‘est celle du a dkmarrage D du capital, &ape sans laquelle les allocations de la dernibre pkriode auraient kt6 impossibles B rtaliser. L’accroissement con- siderable de capital a donc permis d’allouer des sommes beaucoup plus considkrables dans deux secteurs en particulier, celui des travaux d’infra- structure et celui de l’administration surtout dont le coat s’est considerable- ment accru, sans que pour autant les citoyens aient A payer d’impbt.

Les f o r m s traditionnelles de la coopkration Le fait que la mairie puisse dkfrayer une partie des coQts des dB6rentes 218

amkliorations n'tlimine pas pour autant les formes traditionnelles de cooptration dans la communautt. La presidencia n'est jamais seule dans la rkalisation m&me si au moment de la prtparation c'est elle qui s'occupe de tout et qui dirige les efforts. Il s'agit en somme d'un r61e de coordination. On a recours B l'institution coloniale de la corvte communautaire (fuena) qui oblige tous les hommes valides du village B donner une journte de travail par semaine pour les travaux publics. Celui qui ne peut assister en personne se devra de payer un remplagant, faute de quoi il se verra obliger B payer une amende pour chaque absence. L'argent ntcessaire B la rtalisation des projets provient de sources difftrentes, c o m e nous le montre le cas suivant. En 1970, il a t t t dtcidt de construire un terrain de ballon-panier en ciment. Voici comment se sont rkparties les dtpenses. Contributions en espPces :' 1500 pesos de l'administration anttrieure; 1500 pesos de l'administration actuelle; 1500 pesos des personnes originaires du village mais travaillant B Mexico et dans les grands centres; 800 pesos du comitt responsable de l'kole. Contributions en nature : 35 sacs de ciment ont Ctt fournis par les quatre familles les plus B l'aise du village. Contributions en travail : B l'exception des services du mason (main- d'aeuvre sptcialiste) il s'est effectut sous forme de faena.

I1 apparait donc que loin de mettre au rancart les formes traditionnelles de cooptration, l'institution plus rhente que nous observons aujourd'hui semble les inttgrer d'une nouvelle manikre.

11 en est de mQme de l'organisation des fetes civiles et religieuses. La mairie, dans certains cas versera un certain montant B m6me le fonds com- munautaire, mais la plupart du temps, on demandera la collaboration des citoyens par le biais d'une collecte (le montant exigt allant de 2 B 5 pesos, par famille) . Ce qui nous amkne B parler de la responsabilitt rtelle de ceux qui dttiennent des postes politiques ou religieux.

L'impact sur le system de postes politiques et religieux (sistema de cargos) Une fois m i s sur pied le mode de financement de la prksidence, l'tcole et l'kglise ont tent6 avec sucds relati€ de crker des mtcanismes identiques. Toutes deux administrent un fonds commun qui est utilisC de fagon assez diffkrente du modgle que nous venons de vokS Mais I$ n'est pas l'essentiel.

7 Les contributions en espkces ont servi ?I payer la majeure partie des mattriaux et le salaire du maGon.

8 L'kole dkpend de la presidencia (par I'intermEdiaire du regidor de instruccidn) mais elle possBde une structure propre. Le comitC comprend cinq postes : 1 prhident, 1 secretaire (Pinstituteur), 1 trborier, et 2 vocafes. Elle dCtient Cgalement un terrain sur lequel chaque annCe on rkolte le cafC, dont la vente reprisente la plus grande partie de ses reveaus. On va priter de l'argent, en autant qu'il y a un surplus important. On a rCussi i accumuler ainsi environ 2000 pesos mais si jamais le besoin s'en fait sentir, on n'hhitera pas B investir cet argent dans d'autres secteurs.

L'Cglise est complktement indkpendante de la mairie. Elle dispose Cgalement d'un certain montant obtenu ii la suite d'une rCcolte de mays effectuie par la communaut6. Daprk les informations que nous avons, la proportion de I'actif qui est mis ii la disposition des chefs de famille est infime, et la principale source de revenus est la collecte dans la communautk. 219

Il dtcoule de ces structures que, contrairement B ce qui se produit dans la plupart des communaut6s mtsoam6ricaines7 l’individu n’est jamais res- ponsable hancikrement, quelque soit le poste qu’il occupe dam la hitrarchie politique ou religieuse. Il n’a pratiquement rien B payer avec ses propres ressources. L’exemple du responsable de la fkte du saint patron (mayor- domo) est inttressant B ce sujet. Le mayordomo est nommt par le comitt de l’tglise (Junta Vecinul). On

s’entend alors sur les fonds n6cessaires A la realisation de la fkte. L‘Cglise paie une certaine partie (minime la plupart du temps) et la prtsidence une autre. Le mayordomo doit voir B rassembler la diffirence par une collecte auprks des int6ress6s.s Il s’ensuit que la mayordomiu n’a pas cette fonction de nivel- lement des richesses que l’on retrouve dans plusieurs communautts voisines (Ichon, 1969) oii les individus doivent payer des sommes trks tlevtes pour organiser les fetes dont ils sont les seuls responsables.1° Nous devons davan- tage parler a d‘activation des liens de parent6 et de comp6rage D qui a ren- force la solidaritt autour du mayordomo D (Beaucage, 1970 : 17-18).

I1 s’ensuit qu’il y a tr&s peu de prestige B retirer de l’exercice d’une charge comme la muyordomiu. Dailleurs, on a de plus en plus de dficult6 21 trouver quelqu’un qui accepte la charge, l’individu &ant totalement libre d’accepter ou de refuser.l’

Par contre, les charges politiques les plus 6levCes sont porteuses de pres- tige. Les personnes en place sont responsables de l’allocation des ressources publiques et B ce titre, elles doivent rkpondre aux normes attendues. Les individus qui sont le plus considtrts dans le village sont ceux qui ont permis le plus de progrks B l’ensemble de la communaut6 (surtout en termes de rtalisations matkrielles). Il ressort de tout ceci que le crithe selon lequel un individu sera choisi comme pr6sident tient moins de son statut socio- tconomique - bien que celuici conserve quand m6me son importance - que de son aptitude B bien gtrer les fonds de la communautt. Le passage dans la hitrarchie politique tend d’ailleurs 21 tliminer le plus rapidement possible les individus inaptes.

IV. POUR QUI POUSSENT LES CHAMPIGNONS ? D

L’originalitt du mkanisme m i s en place (l’emprunt individuel qui finance l’activitt collective) ne doit pas nous cacher certains aspects qui lui sont inh6rents.

Nous avons dtjB abordt le problkme quand nous avons trait6 des solu- tions visant A assouplir les exigences et conditions d’emprunts dans une soci6tt inkgalitaire. On ne peut nier que ces mesures (la prtsence d‘un r+ondant, par exemple) tlargissent le nombre de ceux qui ont effectivement

10 Dans un municipe voisin du nbtre, le mayordorno peut d6penser jusqu’h5OoO pesos

11 Les membres du cornit6 de l’6glise m’ont inform6 qu’ils avaient fait 6 demmdes

9 En 1971, la contribution 6tait k d e h 5 pesos.

pour la fete qu’il organise.

cette annCe avant de trouver quelqu’un qui accepte. 220

la possibilitt d’emprunter. Une femme peut, par exemple, se porter garante de son mari, si elle possbde des terres ( A cause de l’htritage bilattral) . Mais si elle possbde quelque chose, ce sera la plupart du temps le solar (site) de la maison, ce qui limite le pret A une valeur de 50-60 pesos. Dans la rtalitt ces cas sont relativement peu frtquents, parce que le

systbme lui-meme favorise davantage les grands propribtaires. Et ce pour trois raisons principales. Dabord, la prksidenciu prtfbre de beaucoup preter B ceux qui peuvent immtdiatement offrir des garanties strieuses, nettement suptrieures B l’emprunt sollicitk. La stcurit6 de remboursement sans histoire est importante. Une deuxibme raison tient au fait que les grands proprittaires empruntent toujours des sommes considtrables comparativement aux autres. 11 n’ttait pas rare, jusqu’en 1962, de voir un individu d6tenir le quart du capital disponible. Ce qui a pour effet d’tlimher pour plusieurs personnes I’acds B cet argent. A titre d’exemple, la rtpartition du capital entre les emprunteurs au cours de la premibre annte de fonctionnement du systbme de crtdit (Tableau IV) . TABLEAU IV

RkPARTmION DU CAPITAL, 1935

Emprunts Nombre % des % du en pesos d’emprunteurs emprunteurs capital

1-20 10 5% 20% 20-40 6 30% 24% 40-70 2 10% 15% 7&+ 2 10% 41%

Total 20 100% 1WA SOURCES: Nanacatlan, Libro de la Tesoreria, 1935.

Alors que la moitit des emprunteurs ne disposaient que de 20 pour cent du capital, 10 pour cent en utilisaient plus de 40 pour cent, et il semble, d’aprbs les donntes fragmentaires que nous posstdons pour les anntes sub- stquentes que ces proportions ne se soient que ltgbrement modifites : en 1962, par exemple, 10 pour cent des emprunteurs ont B leur disposition un peu plus de 34 pour cent du capital. (Libro de Zu Tesoreria, 1962). De plus, le nombre de personnes qui ont rtellement accbs B l’institution de crtdit ne vane que trbs peu (compte tenu des besoins qui se sont accru depuis sa mise sur pied). Le Tableau v indique ces variations.

Le nombre d’emprunteurs se stabilise autour de 50 en 1957 et ne s’accroit nullement par la suite alors que le capital disponible augmente de presque 100 pour cent de 1957 A 1963. De plus, les listes d’emprunteurs que nous avons pu consulter nous indiquent que, sauf de trhs rares cas, ce sont toujours les memes qui empruntent. En ce sens, la mairie possbde une clien- tble particulibre. Nous n’avons pas les donntes ntcessaires pour affirmer qu’il en est de meme pour l’tcole et pour l’tglise, mais, chose certaine, ces deux organisations ne disposent pas des fonds nkessaires pour satisfaire les besoins de tous les autres chefs de famille qui ne font pas afhire avec la mairie. 221

TABLEAU V NOMBRE D’EMPRUNTEURS, SELON LE CAPITAL DISWNIBLE (ANN6ES REPfiR6ES)

Montant Montant empruntk disponible Nombre (en moyenne et

Annkes (en pesos) d’emprunteurs’ en pesos) ~ ~~

1935 647.00 20 32.45 1945 783.00 19 41.21 1952 3175.00 35 90.71 1957 8925.00 53 168.39 1960 10,650.00 47 226.59 1963 14,225 .OO 49 290.30 1970 17,000.00 - -

222

1 SOURCES: Nanacatlan, Libro de la Tesoreria, 8 avrill935, dkem- bre 1945, 1952 (tous les mois). 1960, 1963 (tous les mois), et Libro de Actas, 1957

Troisikme et dernier facteur favorisant les grands propriCtaires; la circu- lation de l’information dans la communautC. Tout l’argent est pr6tC : nor- malement, on rembourse en dkcembre de chaque annCe, mais il peut arriver qu’une s o m e importante soit disponible au cours de I’annCe, certains emprunteurs ayant effectd lour remboursement, ou parce que la mairie investit une part de ses revenus dans ce secteur. A cause de la structure du pouvoir dCtenu par les grands propriCtaires, qui, par YintermCdiaire du secrCtaire, noyautent I’autoritC en place, ils sont immkdiatement inform& de l’argent disponible, ce qui leur permet de faire une demande, s’ils en ont besoin.

11 apparait donc clairement que le fonctionnement de cette institution refl&te la stratification sociale du village. Les grands propriCtaires ont un acc& beaucoup plus facile au capital que ceux qui ne possbdent pratique- ment rien.12 L’utilisation qu’ils en font sera aussi dBCrente. Les propriCtaires mCtis investiront dans leur commerce (dont ils ont le monopole au village) , dans l’achat de terres, etc. (Wagley, 1968 : 27). Pour eux, il faut investir dans un secteur rentable, qui paiera B lui seul intCr6t et capital. L’indien pauvre, de son c6t6, acculC au mur, empruntetera pour payer ses mozos, pour rCparer sa maison, etc. 11 devra travailler B salaire pour rembourser. a Ce systkme a CtC m i s sur pied pour aider plus pauvres. On prete B 3 pour cent plut8t qu’B 5 ou 10 pour cent. Tout le monde peut emprunter dans ces conditions D (un riche propriCtaire mCtis) .

Cette rkflexion qui m’a CtC faite reprksente l’image que l’on a (ou que l’on veut donner ?) de I’institution. Mais il est Cvident qu’B long terme, elle sert B accentuer les dispariths Cconomiques B l’intkrieur de la communautk, sans compter qu’elle ne solutionne pas le problkme du besoin d’argent du plus dCpourvu et que celui-ci doit aller emprunter de son patron.

Sur le strict plan administratif, l’accroissement des dCpenses de la mairie n’a pas eu pour effet une augmentation des services B la population. En 12 S’il leur est impossible d’obtenir un prbt de la mairie au moment voulu, ils pourront

faire affaire avec des particuliers de la cabecera qui font partie de leur rbeau de relations extkrieures (la plupart du temps des parents), et qui l e u prbteront dans des conditions plus favorables que lorsqu’ils prbtent B des Indiens pauvres.

rkalitt, un seul poste du budget explique cet accroissement : le salaire du secrktaire municipal. Cette situation ferait suite B une loi du gouvernement central visant B permettre au secrttaire des villages de travailler dans des conditions meilleures pour une efficacitk accrue. Ceci est d’autant plus facile B comprendre que dans la plupart des communautks mksoamkricaines, le secrktaire est le seul B pouvoir lire et kcrire couramment et constitue la pierre angulaire de l’administration locale. Cette exigence en terme d’allocation des ressources explique en grande partie la diminution (mCme en chiffres absolus) des sommes verstes annuellement dans le fonds communautaire.

Si sur le plan individuel, cette institution respecte les intgalitks de statut dans la communautk, sur le plan social, nous assistons A l’enrichissement progressif de la corporation du village sans que le niveau de vie de la popu- lation se soit klevk pour autant. L’individu n’y perd rien - et c’est peutCtre en ce sens que l’institution est vraiment fonctionnelle - mais, B l’exception d’une minoritk, n’y gagne rien non plus. 11 emprunte B court terme, pour un besoin B court terme. I1 lui est pratiquement impossible d’investir pour faire fructifier cet argent. 11 rembourse capital et intkrCt qui vont enrichir la a communautk D mais ne lui profiteront pratiquement pas. S’il n’a pas B payer d’impbt pour les frais d‘administration locale, il continue B donner frkquemment de son temps (fuena) et de son argent (collectes), assurant ainsi le maintien des solidarit6s traditionnelles. En ce sens, l’institution que nous avons pu observer est caractkristique de ce que Camara appelle une organisation a centripbte n (Camara, 1952 : 143) au sens oh le biendtre de la communautk a tendance h passer avant celui de l’individu.

v. LES CONDITIONS D ’ A P P A R I T I O N E T DE S U R V I E DU S Y S T B M E

Le problbme qui se prksente ici est de savoir comment un tel syst&me a pris forme et surtout pourquoi il est unique dans la rkgion. MCme les autres communautks du mCme municipe ignorent cette institution. Et B l’extkrieur de la rkgion immkdiate du village, nous n’avons aucun exemple d‘un systkme qui puisse se rapprocher de ce que nous avons observC dans cette com- munautk.

Deux problbmes principaux se posent dans la mise sur pied de cette structure. (1) L’ktablissement d‘un fonds de dkpart assez substantiel : si le montant est trop faible, les intkrCts ne sufliront mCme pas B subvenir aux besoins de l’administration. Chose certaine, ils seront utilisCs au complet et l’on devra mCme complkter par des collectes dans la communautk, ce qui empkhera le dkmarrage D du capital. (2) La formulation des rbgles ayant trait B l’utilisation de ce capital et des intkrkts qu’il apporte. On aurait pu dks le point de dkpart utiliser le capital pour effectuer des amkliorations au village. Ce qui aurait eu pour effet d’tliminer le sysdme 1ui-m;me. Les groupes mktis auraient pu l’accaparer et l’utiliser 21 des fins personnelles cornme cela se produit couramment dans ces petites communautts.

Il faut, pour rksoudre le premier problbme, recourir B des facteurs histori- ques extkrieurs B la communautk.

223

Au cours des anntes suivant immtdiatement la Rtvolution, le maintien de l'ordre et le respect de l'idtologie rtvolutionnaire ttaient assurts par un gtntral d'armte qui, avec ses hommes, sillonnait toute la Sierra, depuis Zacatlan B l'ouest jusqu'ii Poza Rica dans l'Etat de Veracruz. ll poss6dait des hommes de confiance dans la plupart des cubeceras de municipe ce qui lui assurait un appui considtrable sur le plan local, d'autant plus que ces incondicionados ttaient toujours des personnes en vue.

L'idtologie dominante de cet homme peut se rtsumer ainsi : assurer l'indtpendance tconomique des villages paysans indigknes de la Sierra grice au maintien ou B la crtation de proprittts communales et B la constitu- tion de fonds communautaires. Cette idtologie dtait d'autant plus importante que plusieurs communautts avaient dtjB perdu (ou Ctaient sur le point de perdre) leurs terres au profit de quelques grands proprittaires.

Nanacatlan se trouvait dans cette situation au cours des annCes vingt : un riche proprittaire de Zapotitlan avait rtussi B s'emparer des terres com- munales du village (environ 30 h ) sans qu'il n'y ait eu aucune forme de transaction avec la communautt. En 1928, on demande l'aide de l'homme de confiance du gtntral (qui est alors prtsident du municipe) et la communautt r k u e r e halement ses terres aprks que le problkme se fut discutt jusqu'a Puebla, capitale de 1'Etat. Le probEme des terres Ctant rtgl6, on chercha ii constituer un fonds

commun qui serait m i s ii la disposition de la communautt. O n l'obtint en vendant sur le march6 le produit d'une rkolte effectude sur les terres nou- vellement rtcup6rtes par tous les hommes valides du village (faem). Les fonds obtenus furent versts alors B la trtsorerie du village oii ils vont dormir pendant quelques anntes.

Il aura fallu un deuxikme codi t d'importance dans la communautt pour que prenne forme le systkme tel que nous l'avons dkrit. 1932 ; la popu- lation exige la dtmission du maire qui manifeste certaines tendances anti- agrairistes et l'on nomme aussit6t le plus grand propridtaire du village avec le mandat spkiique de mettre le fonds commun B la disposition des citoyens. Ce qui fut fait !!! Et jusqu'en 1957, sans aucune interruption, le systbme fut supervist par les mttis du village (au total, trois familles) qui se sont succt- dts aux postes de maire, de trtsorier et de depositurio.

C'est donc l'idtologie de la Rtvolution qui donne naissance B cette insti- tution. Mais elle n'explique pas pourquoi le cas est unique dans la rtgion oii l'idtologie du gtntral ttait difiste. Cela tient, B notre avis, B des caractt- ristiques de la communautt et du municipe qui nous inttresse. L'homme de confiance du gtntral 5 Zapotitlan avait des relations tr5s ttroites avec la communautt; il en ttait en quelque sorte le patron s selon le type frtquent en MCsoamtrique. De plus, il avait dans son Ttseau parental immtdiat les plus grands proprittaires mttis du village qui ttaient Venus s'y Ctablir au dtbut de la p6riode rtvolutionnaire et avaient combattu contre les federalex. Ainsi, le g6ntral trouvait un appui non seulement au niveau municipal, mais aussi au niveau villageois, ce qui a permis B son idtologie de lui survivre, &ant profondhent enracinte dans la communautt.

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Nous avons dtmontrt comment les proprittaires mttis du village reti- raient de nombreux avantages du systkme. Mais, contrairement B tous les modkles existants, ils ne se sont pas appropriks individuellement les fonds, ce qui peut surprendre, B prime abord. Cette situation peut s’expliquer par le comportement sptcifique qui a toujours it6 l’ttiquette de la minoritt mttisse dans le village. PlutBt que de s’opposer ouvertement aux Indiens, ils ont jout (et jouent encore) le jeu de la participation et de l’inttgration B la com- munaut6. Nombreux sont les services qu’il rendent aux plus dtpourvus : soins macaux, achats de fruits et ltgumes (qui sont produits en tr$s faible quantitt), p r h d’outils, etc.

Deux facteurs principaux peuvent rendre compte de ce type particulier de relations. Dabord leur faible nombre : il n’y a que trois f a d e s mttisses pour l’ensemble de la communautt ( 162 unit& domestiques) . Leur impor- tance numtrique Ctant ii ce point limit&, les mCtis se trouvent p l d s dans une position extremement prkaire pour aller B l’encontre de ce que la com- munautC juge comme ttant de son intCr2t. La situation est fort difftrente dans les communautCs plus vastes oil les mCtis, plus nombreux, peuvent constituer une strate importante par rapport B l’ensemble, ce qui leur permet de contreler beaucoup plus directement les d8Crentes secteurs d’activitts. C’est le cas, entre autres, des deux autres communautts du municipe, oii le systkme de prCt ne s’est pas maintenu longtemps. Un deuxikme facteur explicatif r6ide dans le fait que les mttis retirent, B

long terme, de nombreux avantages. Les Indiens vont accepter de travailler pour eux B des conditions qu’ils refuseraient normalement. Les mttis des villages voisins paient de 10 B 12 pesos pour la journte de travail alors qu’B Nanacatlan, ils n’en donnent que 5 ou 6, c o m e les employeurs indiens. De plus, sur le plan politique, le type de relations qu’ils entretiennent avec la majorit6 de la population, les place dans une position privilCgiCe qui leur servira B promouvoir leurs inttrCts, sans pour autant crter de conflits B l’inttrieur de la communaut6.

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