Autonomie démocrtique
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Projet pour
UN KURDISTAN DEMOCRATIQUE ET AUTONOME
Préface du Professeur Dr. Norman Paech
CONGRES POUR UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE (DTK) :
AUTONOMIE DEMOCRATIQUE
- Janvier 2011 -
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Par le Professeur Dr. Norman Paech,
Le Congrès pour une Société Démocratique a présenté un projet visant à organiser la coexistence
démocratique et pacifique des peuples kurde et turc en Turquie. Le concept d'« autonomie
démocratique » vise donc à démocratiser l'ensemble de la Turquie.
La rédaction d'une nouvelle constitution, donnant au peuple kurde les mêmes droits à la vie, le
même statut politique et les mêmes opportunités économiques, sociales et culturelles qu'au peuple turc,
sera la clé de ce concept. Il aura fallu longtemps pour que les 15 millions de Kurdes vivant en Turquie
soient reconnus en tant que peuple ; cette reconnaissance leur permet donc de bénéficier, non seulement
des droits limités garantis aux minorités, mais également du droit plus large à l'auto-détermination, tel
que le définit l'Article 1 des deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques de 1966, où
il est ainsi codifié :
« Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent
librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et
culturel. »
Ce droit a été à nouveau confirmé par l'Assemblée Générale de l'ONU en 1970 dans sa
« Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies » (communément appelé
déclaration de principes), par ces mots :
« En vertu du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes,
principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur
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statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement
économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux
dispositions de la Charte. »
Depuis cette date, le droit à l'auto-détermination est considéré non seulement comme un
principe politique ou un programme contraignant sans obligation dans les relations internationales,
mais aussi comme une règle contraignante de droit international coutumier, dans le domaine de la
loi impérative (jus cogens). Depuis des années, l'Assemblée Générale de l'ONU a réaffirmé ceci
dans de nombreuses résolutions.
La Commission du droit international a reconnu le droit à l'auto-détermination en tant que jus
cogens avant même 1970, et a par la suite considéré la violation de ce droit comme un crime
international. La Cour internationale de justice a confirmé son caractère contraignant en tant que droit
coutumier dans sa mission d'expertise en Namibie et au Sahara Occidental et dans le conflit entre le
Nicaragua et les Etats-Unis.
L'Article 20 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, datée du 27 juin 1981,
en propose la définition suivante :
« Tout peuple a droit à l'existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à
l'autodétermination. ll détermine librement son statut politique et assure son développement
économique et social selon la voie qu'il a librement choisie. »
A l'époque, le droit à l'autodétermination signifiait, pour les peuples opprimés et colonisés,
le droit de se séparer des puissances coloniales, c'est-à-dire le droit d'établir un Etat souverain et
indépendant. Mais, avec la fin du processus de décolonisation, le droit de sécession s'est vu de plus
en plus limité par l'obligation de respecter les frontières existantes.
Aujourd'hui, le droit de sécession est généralement rejeté, n'étant accepté que dans les cas où un
peuple se voit privé d'une partie de ses droits humains fondamentaux, ou lorsque son existence est
menacée par son maintien au sein de l'entité étatique.
Le projet soumis par le Congrès pour une Société Démocratique reconnaît de manière explicite
les frontières existantes de la Turquie, et le modèle d'autonomie qu'il propose se limite au territoire de
l'Etat turc. Il dresse une liste de huit dimensions différentes, recouvrant tous les aspects du droit légitime
à l'autodétermination.
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Le respect de l'identité ethnique d'un peuple et de sa spécificité culturelle représente une
exigence fondamentale de toutes ces dimensions du droit à l'autodétermination. Il s'agit là de préserver
les caractéristiques développées par ce peuple à travers l'histoire, caractéristiques qui incluent non
seulement la langue et la religion, mais aussi les coutumes, traditions et rituels, à condition toutefois que
ceux-ci ne limitent ou ne mettent pas en danger l'autonomie d'autres cultures.
La dimension territoriale du droit à l'autodétermination ne peut être mise en oeuvre que par
l'acceptation d'un droit collectif de peuplement du pays d'origine ; le droit à l'autodétermination
culturelle est, au sens large, également un droit collectif.
Autoriser l'usage de la langue et la pratique des coutumes aux membres du peuple en question ne
suffit donc pas pas à respecter ce droit. Les propositions visant à permettre, au niveau individuel,
l'expression de caractéristiques culturelles, ne correspond pas au droit à l'autodétermination. Seule la
reconnaissance de l'identité collective du peuple, en tant que sujet historique et autodéveloppé, constitue
l'application de ce droit.
Concrètement, cela signifie, par exemple, que le droit à l'autodétermination ne se limite pas aux
revendications défensives contre l'interférence, de la part du gouvernement et de l'administration, dans
les initiatives culturelles personnelles ; il se formule en termes de revendications de prestations de la
part de l'Etat.
Autoriser le peuple en question à établir ses propres écoles privées pour l'instruction dans la
langue maternelle ne suffit pas à préserver la tradition culturelle spécifique de ce peuple. Le droit à
l'autodétermination signifie le droit d'établir ces structures au sein des écoles publiques et du système
éducatif de l'Etat.
Les dimensions de l'autodéfense et diplomatique ne vont pas, contrairement aux apparences, à
l'encontre des frontières territoriales de la Turquie.
Toutes les nations ont le droit de protéger leur sécurité, leur identité, l'organisation de la
communauté politique et la mise en place de leur droit à la démocratie. Cela signifie la défense militaire,
mais également civile, politique et juridique de l'organisation démocratique du peuple.
De plus, le peuple kurde, en particulier, a souvent du se défendre par lui-même face à de
violentes intrusions et attaques.
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Face à ces menaces, les Kurdes doivent aussi se préparer pour le futur.
La dispersion des Kurdes sur quatre Etats détermine la direction prise par la dimension
diplomatique.
Celle-ci ne brise ni ne viole pas la souveraineté de l'Etat turc, mais permet de faciliter les
relations avec les pays voisins, tout comme les Azéris de l'ex-URSS pouvaient faciliter les relations
entre l'Iran, où vivait l'autre partie de leur peuple, et leur propre pays.
L'autonomie et l'autoadministration sont des éléments essentiels du droit à l'autodétermination.
Ce droit est absolument impératif et chaque Etat a donc le devoir d'accorder aux peuples vivant à
l'intérieur de ses frontières la dimension d'autonomie qui leur permettra d'agir en tant que partenaire égal
dans une société démocratique. A cet égard, la proposition pour un Kurdistan autonome et démocratique
est une proposition tout à fait remarquable.
Professeur Dr. Norman Paech,
Expert en droit international et ancien député
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Par le Congrès pour une Société Démocratique (DTK)
1 Rappel historique
Les Kurdes, un des plus anciens peuples de Mésopotamie, la région où se déroula, à l'aube de
l'histoire humaine, la révolution agricole, sont sous la menace d'un génocide, conséquence directe de
politiques de négation et de destruction. Les partisans de l'Etat-nation voient le Kurdistan comme une
occasion d'étendre leurs propres projets nationalistes, ce qui a conduit aux méthods de répression,
d'exploitation et d'assimilation les plus brutales qui soient. N'eussent-ils pas résisté face à ce plan
inhumain, la culture des Kurdes, qui remonte aux origines de l'humanité, aurait peut-être disparu.
Lorsque les premiers empires et civilisations étatiques apparurent en Basse Mésopotamie, c'est
tout d'abord sur le Kurdistan que ceux-ci jetèrent leur dévolu. Les Kurdes comptent donc parmi les tout
premiers peuples ayant lutté pour leur liberté. Face à la pression constante imposée par les divers Etats
et empires, les Kurdes s'organisèrent en confédérations tribales afin de créer une ligne de défense et, se
renforçant grâce à cette structure, ils développèrent une culture de l'intercompréhension et de la
coexistence, en leur sein même et avec les nations voisines. A l'intérieur même des structures étatiques,
ils parvinrent, cependant, à poursuivre leur existence en maintenant un certain niveau d'autonomie.
Lorsque le concept d'Etat-nation, directement issu de la modernité capitaliste, ainsi que son
pendant idéologique, le nationalisme, arrivèrent au Moyen-Orient, toutes les communautés, en
particulier les Kurdes, furent confrontées à de sérieux problèmes nationaux, politiques, sociaux,
économiques et culturels. Comme dans d'autres parties du monde, certains peuples, contaminés par un
nationalisme pathologique, se dressèrent contre d'autres. Les Etats-nations entreprirent une politique de
négation, de destruction et d'assimilation systématiques, afin de détruire les cultures de ces autres
peuples. En conséquence, les Kurdes perdirent l'autonomie qui existait au cours de la période
précapitaliste.
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Au début du 20ème siècle, les élites dirigeantes turque, arabe et persane, souscrivant au concept
de l'Etat-nation et contaminées elles aussi par le nationalisme, se mirent à utiliser les communautés
placées sous leur influence pour lancer des politiques de génocide physique et culturel à l'égard des
Kurdes. Suite à cela, les Kurdes ont été placés sous le joug des Etats-nations turc, persan et arabes et,
depuis un quart de siècle, c'est leur existence nationale même qui se trouve menacée. Au début des
années 1970, les Kurdes du nord du Kurdistan ont failli disparaître en raison des politiques de négation
de leur identité menées par la Turquie.
Depuis le début du 20ème siècle, ces politiques ont été conduites sur le modèle de la politique
menée par le Comité de l'Union et du Progrès, qui consistait à détruire les autres peuples et à construire
un Etat-nation basé sur la nationalisation et la turcisation des terres restantes après la chute de l'empire
ottoman. En ce qui concerne les relations kurdo-turques, ces politiques furent à l'origine de souffrances
incommensurables pour les deux peuples et posèrent également les fondations politiques et idéologiques
à la période de destruction des Kurdes. Avec la désintégration de l'empire ottoman, après la première
guerre mondiale, et la menace ayant pesé sur l'existence nationale turque, Mustafa Kemal reconnut
l'importance de suivre la tradition historique et de forger une alliance avec les Kurdes. La Turquie sortit
vainqueur de la Guerre d'indépendance et la République de Turquie fut fondée sur la base de cette
relation. Le peuple turc avait ainsi, à nouveau, compris la valeur de l'alliance avec les Kurdes. L'idée de
Mustafa Kemal d'accorder l'autonomie au Kurdistan et la décision prise en ce sens par la première
assemblée, en février 1922, dénotent la reconnaissance de l'importance des relations kurdo-turques. Bien
que les Kurdes aient beaucoup souffert des politiques menées dans les dernières décennies de l'empire
ottoman, ils ne choisirent pas, au contraire des Arabes et d'autres peuples, la voie de la séparation. Ils
décidèrent de demeurer avec les Turcs, leurs coreligionnaires, tout en conservant un certain niveau
d'autonomie.
2. Les obligations imposées par la situation actuelle et les principes généraux de l'autonomie
démocratique
Aujourd'hui, malgré l'adversité et les obstacles, la situation politique régionale et
internationale sont plus propices que jamais à une résolution de la question kurde. Au sein de la
société turque, un courant de plus en plus fort réclame cette solution, ce qui représente à la fois un
prérequis et une opportunité pour y parvenir. L'Etat turc en est arrivé à un point où il ne peut
poursuivre la même politique qu'autrefois, et le peuple kurde refuse de se retrouver à nouveau
soumis à ces conditions.
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L'autonomie démocratique est l'expression concrète des projets que nous avions
précédemment présentés pour la démocratisation de la Turquie. D'un côté, nous considérons
l'autonomie démocratique comme un dialogue avec l'Etat et, de l'autre, nous souhaitons
l'institutionnaliser sur la base de l'organisation démocratique de notre peuple et de sa lutte
démocratique.
Ce modèle est une proposition réaliste et concrète pour la résolution des problèmes
nationaux, en réponse au concept d'Etat-nation qui divise les différentes ethnies et est donc une
source de conflits et d'instabilité constante. La plupart des Etats-nations qui abritent différents
groupes ethniques en leur sein sont d'ailleurs en train de se transformer en systèmes politiques
relativement démocratiques, où coexistent différentes communautés ethniques et religieuses. Cette
acceptation des différences, sur la base de l'autonomie, permet de cheminer vers une société
pluraliste - ce sont là les tendances démocratiques fondamentales de ce siècle.
En plus de pacifier les relations entre la Turquie et les Kurdes et de résoudre la question
kurde, l'autonomie démocratique établira également une structure politique démocratique
permettant de s'atteler aux problèmes sociaux de la Turquie. Basé sur les valeurs communales et
libertaires partagées par une société démocratique organisée, c'est-à-dire une communauté morale et
politique, elle a pour but de résoudre toutes les questions, y compris les questions économiques.
Il y a actuellement un consensus, au niveau international, autour du fait que la Turquie doit
résoudre la question kurde. Cependant, l'oligarchie constituée par les partis politiques de notre pays
fait de la politique pour ses propres intérêts plutôt que pour ceux de la Turquie. Elle refuse de
trouver une solution à la question kurde, préférant continuer à appliquer des politiques qui creusent
encore plus le fossé entre les deux parties et augmentent les souffrances du peuple kurde.
Par conséquent, les Kurdes n'ont pas d'autre choix que d'utiliser leur légitimité pour établir
leur propre cadre de vie libre et démocratique. L'autonomie démocratique signifie que le peuple
kurde ne sera plus forcé de vivre en tant que peuple sans statut, dont l'existence serait menacée par
les Etats qui l'administrent. Aucune autre nation dans le monde ne se trouve dans une situation
similaire à celle vécue par les Kurdes, un peuple de 40 millions de personnes privé de ses droits
nationaux et confronté à la destruction totale de son existence nationale. L'autonomie démocratique
est le moyen qu'ont choisi les Kurdes d'exprimer leur refus d'un statut politique basé sur les
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politiques de négation et de destruction de l'Etat turc, et de signifier leur volonté d'atteindre un
nouveau statut qui leur permette de vivre librement et démocratiquement.
L'autonomie démocratique a pour but d'organiser la société kurde à travers huit dimensions -
politique, juridique, autodéfense, sociale, économique, culturelle, écologique et diplomatique - et
ce, afin de générer une volonté politique permettant la création d'un Kurdistan autonome et
démocratique.
Sans autonomie démocratique, les Kurdes ne pourront développer la volonté politique
d'établir une société démocratique. En conséquence, ils ne pourront construire une société forte,
dans laquelle les besoins culturels, sociaux et économiques puissent être satisfaits. C'est avec un
enthousiasme sincère que notre peuple a accueilli le modèle d'autonomie démocratique soumis
comme solution démocratique à la question kurde par le DTK et le BDP.
L'autonomie démocratique vise à changer la mentalité endurcie de l'Etat-nation, qui ne
satisfait aucun des besoins des peuples de Turquie et constitue un fardeau de plus en plus lourd pour
la société turque, et à éliminer cet obstacle au développement politique, social, économique et
culturel des peuples, permettant ainsi de démocratiser la république. Le projet d'autonomie
démocratique doit donc être considéré comme une extension du projet de démocratisation de la
république au Kurdistan.
La société kurde actuelle est devenue une force de démocratisation, non seulement en
Turquie, mais aussi dans tous les pays de la région. Le Mouvement de Libération du Kurdistan a
permis une révolution démocratique, sociale et culturelle au sein de la société kurde et est devenu,
grâce à ses efforts pour la démocratisation de la Turquie, une force majeure de démocratisation au
Moyen-Orient. Ainsi, le processus de construction de l'autonomie démocratique conduira également
à promouvoir la démocratie dans la région.
Ce processus confronte l'Etat turc au besoin de démocratisation de la société et à une volonté
de résoudre la question kurde, ainsi qu'au processus de démocratisation et aux obligations qui
découlent de la situation régionale et internationale. Jusqu'à présent, les constitutions, les lois et
leurs modes d'application au Kurdistan ont nié au peuple kurde le droit à la justice. Par conséquent,
toutes les politiques menées au Kurdistan, que ce soit dans leurs aspects juridiques, politiques ou
administratifs, sont antidémocratiques et doivent être transformées.
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L'autonomie démocratique ne modifiera pas les frontières, mais renforcera la fraternité entre
les peuples et leur unité au sein des frontières, ce qui mettra un terme aux conflits ; le peuple kurde
et la Turquie conclueront un nouveau contrat, marquant une nouvelle ère dans les relations kurdo-
turques. Notre modèle est un modèle de démocratisation, applicable à toutes les autres parties de la
Turquie. A travers le monde, les différents Etats abandonnent d'ores et déjà le concept de
centralisation et décentralisent progressivement leurs systèmes politiques. En effet, la résolution des
problèmes est plus simple dans un système décentralisé, et ce modèle politique permet une
accélération du développement. L'autonomie démocratique implique donc que l'Etat délègue son
autorité aux institutions locales, permettant la résolution des problèmes et la démocratisation.
L'état des relations kurdo-turques lors de la fondation de la République de Turquie, et
l'approche adoptée à l'époque par l'Assemblée Fondatrice de la Turquie et Mustafa Kemal, peuvent
servir de base historique à une nouvelle approche. Nous proposons, en ce sens, un modèle
analytique visant à renouveler les relations kurdo-turques et prenant en compte le fait qu'à notre
époque, les relations entre les peuples sont basées sur l'acceptation des différentes communautés
nationales et la possiblité qui leur est donnée de s'autogouverner.
L'autonomie démocratique n'est pas une institutionnalisation de l'Etat, elle ne sera donc pas
l'objet de batailles pour le pouvoir et le contrôle de celui-ci. A cet égard, elle possède le caractère et
la capacité pour développer des relations saines avec tous les peuples et toutes les unités politiques
sur la base d'intérêts communs.
L'autonomie démocratique démontrera la capacité des masses à se compléter mutuellement
au sein de la société et renforcera leur pouvoir, grâce à une union confédérale et démocratique. Elle
établira également des relations libres et démocratiques avec les systèmes politiques des autres
parties du Kurdistan et des autres peuples de la région.
L'administration par l'autonomie démocratique est l'expression de la volonté du peuple du
nord du Kurdistan, et permettra la création de relations constructives avec les organisations
confédérales et démocratiques du Kurdistan, sans pour autant modifier les frontières des pays dans
lesquels vivent les Kurdes. N'ayant pas la mentalité étatiste issue du concept d'Etat-nation, ils ne
considéreront pas ces relations sous l'angle de leur propre supériorité par rapport aux autres. A cet
égard, l'existence d'une mentalité et de structures démocratiques jouera un rôle déterminant dans
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l'établissement de relations saines entre les Kurdes. Ce point de départ permettra d'établir le
confédéralisme démocratique entre les différentes parties du Kurdistan.
L'autonomie démocratique n'est pas un projet de construction ni de destruction d'Etat. Ce
projet guidera les Etats régionaux dans la résolution de la question kurde. Prenant en compte ces
caractéristiques, sur la base d'un compromis de principe où sont associés Etat et démocratie, la vie
commune avec les Etats-nations se révélera possible. Il s'agit d'un modèle visant la résolution de la
question nationale sur la base de compromis de principes avec toutes les forces politiques n'ayant
pas un caractère fasciste. Cette caractéristique de l'autonomie démocratique lui permettra d'établir
des relations saines avec tous les pays de la région et servira de base à sa reconaissance par ceux-ci.
En l'absence de conflits de pouvoir ou étatiques, il sera possible de créer toutes sortes de relations
politiques, sociales et économiques avec toutes les forces politiques non-fascistes.
L'autonomie démocratique marquera le début d'une ère nouvelle dans les relations entre les
Kurdes et les Etats où ils se trouvent, en premier lieu la Turquie, mais également l'Iran, la Syrie et
l'Irak. Grâce à la résolution de ce problème, un des plus importants de la région, ainsi qu'à
l'établissement de cette autonomie, les autres problèmes de la région pourront également être
résolus. En effet, la question kurde y demeure une source de tensions et de conflits, ainsi qu'un
important facteur d'instabilité politique, économique et sociale. Le projet d'autonomie démocratique
pourrait ainsi également devenir un modèle global de résolution des conflits.
3- Les huit dimensions du modèle d'autonomie démocratique
Le statut du Kurdistan autonome et démocratique se déclinera à travers huit dimensions
3.1 - DIMENSION POLITIQUE
Le pouvoir politique du Kurdistan Autonome et Démocratique proviendra de l'organisation
démocratique de la société ; la communauté tirera, quant à elle, sa force de l'exercice par les
citoyens libres de leurs droits individuels, ainsi que de l'exerice de leurs droits collectifs par les
groupes concernés. Pour le bien de la société, ce pouvoir sera utilisé dans le cadre d'une politique
démocratique. Par conséquent, à l'opposé de la conception organisationnelle strictement centraliste
et bureaucratique de l'Etat-nation, il sera fondé sur l'organisation démocratique. Une politique
démocratique permettra à tous les secteurs de la société de participer au processus politique, et les
communautés organisées de manière transparente et politisée constitueront, elles, la force motrice
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du changement et de la démocratisation.
Sur le plan politique, l'autonomie démocratique prendra la forme d'une organisation
confédérale avec des communes de villages et des conseils dans les quartiers, les districts et les
villes. Toutes ces entités bénéficieront d'une représentation démocratique au Congrès de la Société.
Le Congrès Démocratique des Communautés du Kurdistan Autonome enverra ses représentants au
parlement de la République Démocratique de Turquie et participera à la politique commune du
pays. Le Kurdistan Autonome et Démocratique aura son propre drapeau et ses propres symboles.
Les différentes communautés représentées au sein de la région autonome et démocratique
utiliseront, elles aussi, leurs propres symboles.
En ce sens, l'autonomie démocratique est l'expression de la volonté du peuple kurde de vivre
au sein d'une République de Turquie démocratique. Elle représente également le futur statut
politique du peuple kurde.
L'autonomie démocratique n'est pas fondée sur une communauté religieuse, ethnique ou
géographique, mais sur les notions de démocratie et de coexistence. A partir de critères
démocratiques, elle conditionne l'octroi de droits culturels, sociaux, ethniques et religieux aux
différentes entités qui la composent. Ce modèle est applicable au Kurdistan, ainsi qu'aux autres
régions de la Turquie.
Dans le cadre de l'autonomie démocratique, les délégués de village, des conseils de
quartiers, de district et urbains exercent l'autorité décisionnelle. Les assemblées du peuple doivent
permettre à chaque communauté de s'exprimer, de débattre et de prendre des décisions. Elles sont
fondées sur une démocratie directe, populaire, plurielle et participative.
L'autonomie démocratique ne se contentera pas de restreindre l'autorité et le pouvoir de l'Etat : ce
faisant, elle mettra en avant le concept d'Etat et démocratie, assurant la vie démocratique de la
communauté et permettant à la démocratie directe, participative et pluraliste d'exister aux côtés de
l'Etat.
Toutes les communautés culturelles, ethniques, confessionnelles ou de genre pourront
s'organiser de manière autonome. Les différents peuples (Assyro-Chaldéens, Arabes, Arméniens,
Azéris, etc.) et groupes confessionnels tels que les Yézidis ou les Alévis, seront prioritairement
représentés dans le cadre de l'Autonomie Démocratique. Ceci est nécessaire à l'avènement d'une
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société politique et morale.
L'individualisme qui se sépare de la société et s'y oppose, ainsi que la négation traditionnelle
de l'individu et de ses droits, sont tout aussi inacceptables l'un que l'autre. Nous considérons les
relations entre individu et société comme des éléments interdépendants de la société dans son
ensemble. Par ailleurs, le niveau de liberté dont disposent les femmes est, pour nous, le critère de
base d'une société démocratique.
Dans les domaines politique, social, économique, culturel, artistique, sportif, éducationnel,
juridique, ainsi que pour les transports publics, le commerce, la finance et l'indutrie, des
organisations seront créées. Ceci est nécessaire pour les communautés du Kurdistan Autonome et
Démocratique. Les partis politiques, outils indispensables à la démocratie, doivent être réorgnisés
afin qu'ils n'aillent pas à l'encontre de la société politique et morale et ne visent pas à atteindre une
quelconque hégémonie idéologique ni souveraineté politique.
Les communes de villages et les conseils urbains sont les principales institutions de ce
système autonome et démocratique. Pour le bon fonctionnement d'un tel système et les besoins
moraux relatifs à la société politique, tous les secteurs de la société - à commencer par les femmes
et les jeunes - doivent participer à la politique, par le biais des assemblées de terrain. Les chefs de
villages et les assemblées de sages doivent devenir des forces démocratiques, et cesser d'être au
service de l'Etat.
3.2 - DIMENSION JURIDIQUE
Face à la négation de ses droits et de son existence par la communauté internationale et les
Etats du Moyen-Orient, la lutte de libération du peuple kurde a pour objectif d'instaurer un statut
d'autonomie démocratique. Celui-ci permettra de mettre un terme aux comportements illégaux et
inhumains et à la guerre de destruction menée contre les Kurdes, garantissant ainsi, par des
changements constitutionnels et des moyens juridiques, une union démocratique, libre et pacifique
au sein des frontières de la république turque. Nous considérons le Kurdistan et la Turquie comme
un territoire commun. La nouvelle constitution de la république de Turquie, ainsi que le droit de
l'Union Européenne, doivent reconnaître et intégrer le concept d'autonomie démocratique ; celui -ci
doit également être garanti par la signature d'accords réciproques.
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Le statut de l'autonomie démocratique doit permettre au peuple kurde d'obtenir ses droits et
ses libertés fondamentales au sein des frontières de la république de Turquie. Ce statut est une
expression de la volonté du peuple kurde de participer à une union égalitaire et fondée sur le libre
consentement. Il doit donc être garanti par la constitution et le droit de la république de Turquie. Le
modèle d'autonomie démocratique du Kurdistan est applicable à l'ensemble de la Turquie ; il
constitue même un prérequis essentiel pour l'établissement de la démocratie directe.
L'autonomie démocratique signifie la liberté pour les Kurdes au sein des frontières des Etats
existants. Les Kurdes vivant au Kurdistan et dans les autres parties de la Turquie géreront leurs
relations avec la république de Turquie sur la base de ce statut.
Les principes fondateurs du Kurdistan Autonome et Démocratique et de l'ensemble de la
Turquie doivent être les suivants : les droits humains, la liberté de tous, sans distinction de classe,
nation, religion, genre, groupe ethnique et contre toute forme de discrimination ; les droits premiers
que sont la liberté d'expression et de pensée, la liberté d'association et d'assemblée, la liberté de
manifestation et l'éducation en langue maternelle ; les droits seconds, c'est-à-dire les droits
économiques et sociaux ; enfin les droits tertiaires, relatifs à la liberté pour le peuple de développer
ses atouts culturels, de survie et d'autogestion. Ces droits doivent être garantis par la constitution de
la république de Turquie et le droit de l'Autonomie Démocratique au Kurdistan.
Le paradigme démocratique, libertaire, écologique et sans discriminations de genre du
dirigeant kurde Abdullah Ocalan, associé aux traditions autonomistes de l'histoire humaine et,
notamment, aux solutions autonomistes qui existent actuellement en Irlande, en Ecosse, au Pays
Basque et en Catalogne, sera la base fondamentale de ce système. La constitution turque de 1921,
l'acte d'Autonomie Kurde ratifié le 10 février 1922 par la Grande Assemblée Nationale, et enfin les
discours prononcés par Mustafa Kemal à Izmir en 1924 et les pactes de l'ONU qui s'y rapportent,
seront également des éléments fondateurs.
Le système juridique du Kurdistan Autonome et Démocratique ne considère pas que seul le
droit est habilité à encadrer la société. Le système communal doit être protégé en association
éthique et politique, sans avoir à faire un choix entre « l'éthique ou le droit ». Fondé sur la croyance
qu'une société ayant perdu sa conscience est une société perdue, ce système l'éthique à la fois
comme conscience et comme coeur de la société. Sur la base du paradigme de la communauté
libertaire, démocratique, écologique et sans discriminations de genre, un système social juste peut
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être édifié.
3.3- L'AUTODEFENSE
Toutes les créatures de la nature se défendent et prennent, instinctivement, les décisions
nécessaires pour préserver leur existence. Parmi ces créatures, seul l'être humain a développé, de
manière consciente, des méthodes d'autodéfense. L'histoire de l'autodéfense est ainsi un aspect
important de l'histoire humaine. Tout au long de celle-ci, des clans aux tribus, des tribus aux nations
et aux communautés religieuses, des villages aux cités, chaque société a du exercer son droit à
l'autodéfense. L'autodéfense est, comme l'air et l'eau, une nécessité vitale ; elle permet aux
communautés de se protéger à la fois sur le plan extérieur, contre les attaques menaçant son
existence, et sur le plan intérieur, contre les dangers guettant les valeurs éthiques et politiques de la
communauté.
L'autodéfense est une politique de sécurité pour la société morale et politique. Loin de se
limiter à la seule défense militaire de la société, l'autodéfense signifie en fait la protection de
l'identité, de la politisation et de la démocratisation de la société. L'autodéfense est fondée sur
l'organisation de la communauté. Les communautés organisées sont les plus à mêmes de se
défendre. L'autodéfense est donc, pour toutes les sociétés, une condition sine qua non relative à la
protection de son existence.
Tout au long de son histoire, le peuple du Kurdistan a lutté pour se protéger des attaques
venues de l'extérieur. Depuis les premières forces d'invasion et d'occupation jusqu'à aujourd'hui, les
Kurdes se sont retrouvés en situation d'autodéfense et de devoir se protéger contre des attaques
visant leur existence même. Plus récemment, malgré tous les obstacles qu'elles ont pu rencontrer,
les révoltes kurdes des dix-neuvième et vingtième siècles constituent aussi une forme d'autodéfense.
Avec l'acceptation de l'autonomie démocratique, sous la supervision d'organes démocratiques,
l'autodéfense peut être considérée, non pas en tant que monopole militaire, mais pour les besoins
internes et externes de la société. Tous les habitants des cités, villes, districts et villages seront
conscients et réactifs face aux attaques fascistes et génocidaires, et participeront à la résistance
sociale contre ces tendances. L'autodéfense est un droit inscrit dans les conventions internationales,
notamment celles de l'ONU.
3.4 - DIMENSION CULTURELLE
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L'Etat-nation a ouvert la voie aux politiques de génocide contre toutes les langues et cultures
se trouvant au sein de ses frontières. La culture et la langue kurdes ont été une des cibles principales
de ces politiques répressives. L'usage de la langue kurde dans la vie quotidienne a été interdit, son
enseignement en tant que langue maternelle dans les institutions éducationnelles de l'Etat est
proscrit par la constitution et les différentes lois. Le but de cette politique était de créer une société
aliénée de sa langue et de sa culture originelles, afin de l'assimiler jusque dans son esprit et sa
pensée. Nous en sommes arrivés au point où un processus d'autoassimilation a débuté au Kurdistan.
Cependant, les conventions de l'ONU et les normes démocratiques de l'Union Européenne
considèrent la prohibition de la culture d'un peuple, de sa langue et l'interdiction pesant sur la liberté
de son usage comme un crime contre l'humanité, défini par le terme de « génocide culturel ». Ce
crime contre l'humanité se poursuit cependant, de manière persistante, au vu et au su de l'opinion
publique internationale.
Le peuple kurde n'a pas eu la possibilité d'exercer son droit à une vie libre et à se développer
au sein d'un environnement démocratique ; par conséquent, les effets nocifs pour la société kurde
des politiques nationalistes, prohibitrices et assimilationnistes demeurent prépondérants. En un sens,
les individus et la société sont presque dans un état de mort cérébrale. C'est pour cette raison qu'une
société et des individus sains n'ont pu s'y développer. L'absence d'éducation en langue maternelle
est responsable du manque criant d'intellectuels kurdes. Des études pionnières dans les domaines
linguistique et culturel sont nécessaires afin qu'une société kurde à la mentalité et à l'esprit libres
émerge et puisse produire des individus sains.
L'art défend la société et les individus contre la propagation des impéralismes culturels de
toute sorte, et leur permet de se lier à leur histoire, leur territoire, leur langue et leur culture. Il est
essentiel de développer une culture de base et un mouvement artistique qui permette d'impliquer
toutes les communautés, même les plus petites. Les mesures nécessaires doivent être prises afin de
ne pas réduire art et culture à de simples marchandises. « Il n'y a rien de pire pour un peuple que de
voir son histoire écrite par d'autres », dit-on. Dans le cas des Kurdes, cette maxime se révèle criante
de vérité. L'histoire du Kurdistan a principalement été écrite par d'autres peuples, et ce, en vue de
servir leurs propres intérêts ; la conscience historique kurde ne s'est pas correctement développée. Il
s'agit là d'un danger sérieux pesant sur le développement de l'identité de notre peuple, de son
existence et de son futur.
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Toutes les restrictions à l'usage de la langue kurde en public doivent être levées et la langue
kurde doit devenir la langue d'éducation, de la crèche à l'université. Toutes les dispositions
juridiques et constitutionnelles doivent être prises afin d'empêcher l'assimilation culturelle et de
donner aux Kurdes vivant dans les principales métropoles de Turquie et à l'étranger l'opportunité de
recevoir une éducation en langue maternelle.
La constitution et les lois devront garantir une protection juridique à toutes les langues
parlées au sein de nos frontières (assyrien et syriaque, arabe, arménien, etc.) ainsi qu'à leurs
dialectes ; celles-ci seront utilisées dans le système éducatif et développées aux côtés des langues
kurde et turque, langues officielles du Kurdistan Autonome et Démocratique. La langue des services
publics sera le kurde et les noms originaux des lieux-dits et lieux d'habitations seront rétablis.
3.5 - DIMENSION SOCIALE
Le but de l'assimilation était d'aliéner la société kurde de ses valeurs sociales, de son histoire
et de sa culture. A cette fin, un plan d'évacuation du Kurdistan fut mis en place par des migrations
forcées, provoquant un déchirement du tissu social et des changements dans la structure
démographique. Le peuple kurde fut la cible d'un génocide physique et culturel. De plus, dans le
cadre de la politique de guerre spéciale, les femmes et les jeunes ont été aliénés de la lutte sociale et
du sport, des arts et des évènements et activités sociales. La drogue et la prostitution ont été amenés
au Kurdistan, avec pour objectif l'effondrement moral de la société. Par la suite, des politiques
spécifiques à chaque secteur social ont suivi, dans l'optique de désorganiser le peuple kurde et de le
rendre incapable de lutter.
Les femmes kurdes demeurent sujettes à la terreur de l'Etat et à une mentalité sexiste. Dans
cette société sexiste, la famille est conçue comme un mini-Etat dirigé par les hommes, ce qui a
maintenu les femmes dans un état d'esclavage profond. Dans le cadre de cette réalité sociale, nous
n'envisageons pas de nous débarrasser de l'institution sociale de la famille, mais bien de la
transformer par une politique sociale. Par conséquent, les lois et concepts formulant la propriété sur
les femmes et les enfants selon un mode hiérarchique doivent être remplacés. A cet égard, la prise
de conscience des femmes et leur niveau d'organisation joueront un rôle crucial pour transformer la
famille et la société en entités libres et démocratiques. La société démocratique, fondée sur le libre
arbitre et la mentalité des femmes libres, prendra forme dans un Kurdistan autonome et
démocratique.
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Depuis la première structure hiérarchique, les politiques visant à provoquer la dépendance
des jeunes se sont poursuivis et renforcés. La propagande idéologique, la mémorisation et les
dogmes dont ils sont submergés, le contrôle de leur sexualité et la mentalité réactionnaire qui leur
est inculquée sont destinés à détourner leurs énergies, afin qu'ils ne remettent pas le système en
question et que l'ordre établi soit maintenu. Face à ce problème, la libre organisation de la jeunesse
joue un rôle fondamental dans l'établissement d'une société démocratique. Il est difficile de guider
la jeunesse vers la liberté. Celle-ci pose des problèmes aux systèmes dirigeants actuels, mais elle
peut aussi jouer un rôle de guide dans la construction et la défense d'une nouvelle société.
Dans une société sans classes, les propriétaires collectifs ou privés emploieront des
travailleurs libres. Il est donc primordial d'organiser les ouvriers, les paysans, les fonctionnaires et
les commerçants et d'offrir les conditions garantissant une participation active de ceux-ci à la vie
sociale. Le devoir de base de la société démocratique est de créer et de mettre en place des projets
pour le développement social et culturel de ces personnes.
La résistance et la renaissance culturelle des religions peuvent offrir un contenu
démocratique face au capitalisme et au concept d'Etat-nation. Elles représentent également des
vecteurs moraux qui ne peuvent être ignorés. Au sein d'une nation démocratique, il est important de
promouvoir le contenu progressiste de la culture religieuse en tant qu'élément égalitaire, libre et
démocratique et de lui donner une place dans la résolution des problèmes existants.
En dépit de toutes les tentatives de destruction et de l'érosion provoquée par celles-ci, l'axe
de la société historique et le fondement principal de la société sont formés par les opprimés et les
exploités de toutes les nations, peuples et ethnies, les femmes, les jeunes, les communautés
villageoises et agricoles, les sans-emplois, les nomades, les diverses communautés religieuses et les
communautés ouvrières. La dimension sociale représentée par tous ces groupes sociaux a les
caractéristiques nécessaires à une vie libre et démocratique. La société démocratique est la forme
contemporaine de la société morale et politique et permet aux différences de s'exprimer en son sein.
Le groupe communal ne doit pas être forcé à adopter un seul type de culture et de citoyenneté, il
doit pouvoir vivre avec ses différences de culture et d'identité.
Par conséquent, dans le Kurdistan Autonome et Démocratique, la libre organisation du
travail, de l'éducation, de la santé et de la solidarité, notamment sous la direction des femmes et de
la jeunesse, permettront de rétablir une société fonctionnelle. Cette société aura un potentiel de
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débat et de prise de décision, de restructuration et de planification ; pour cette raison, la dimension
sociale est à la base de toutes les autres dimensions. Les femmes et la jeunesse sont les forces
directrices de l'organisation confédérale et démocratique du Kurdistan Autonome et Démocratique.
Par conséquent, le rôle des femmes est essentiel dans la vie communale et ce, dans tous les secteurs
et au sein de toutes les organisations.
Les relations entre les individus et la société doivent être établies sur la base de principes de
vie égalitaires, libertaires et démocratiques et à travers la lutte contre le sexisme de la société. Avec
son énergie et son dynamisme, la jeunesse jouera un rôle important dans le rétablissement et la
défense de la société ; elle jouera un rôle directeur dans le changement social. Les conditions
doivent être établies pour donner la priorité à l'éducation physique et psychologique des enfants et à
la promotion de leur développement. L'exploitation du travail des enfants et le harcèlement sexuel
doivent être considérés comme des crimes et traités en accord avec les conventions de droit
international relatives aux droits des enfants.
3.6- DIMENSION ECONOMIQUE
C'est au Kurdistan qu'apparurent les premières formes de vie en communauté et que la
révolution agricole du Néolithique se produisit. Malheureusement, le Kurdistan est aujourd'hui
devenu la terre d'un peuple dispersé aux quatre coins du monde à cause de la pauvreté et de la faim.
Le Kurdistan, défini dans les textes sacrés comme le berceau de la civilisation, terre paradisiaque
aux richesses énormes, se trouve actuellement dans ces conditions déplorables à cause des
occupations militaires et des colonisations économiques et politiques des pouvoirs extérieurs.
Ceux qui ont établi leur hégémonie politique sur les Kurdes ont détruit leur vie économique
au-delà de la simple colonisation économique, pour atteindre un niveau comparable à celui du
génocide. Par conséquent, il suffit alors d'un rien pour garantir la loyauté de cette communauté
affamée et dépourvue aux forces hégémoniques. Ces personnes à la volonté brisée purent être
contrôlés d'autant plus facilement. Celles et ceux qui en sont réduits à être dépendants des autres ne
peuvent être les combattants et les fondateurs d'une vie libre et démocratique.
La création d'une base économique pour la société est une dimension-clé pour parvenir à une
société morale et politique. Par conséquent, le premier aspect à développer dans la construction de
l'autonomie démocratique sera la création d'une société viable économiquement, qui réussira à
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éliminer le chômage et la pauvreté.
Aucun système social, politique ou communautaire ne peut exister sans établir son propre
système économique. L'autonomie démocratique doit établir son propre modèle économique afin
d'institutionnaliser de manière permanente un système de vie libre et démocratique pour le peuple
kurde. Si l'autonomie démocratique veut être la base de la nation démocratique, elle doit d'abord
créer un système économique.
Les problèmes économiques surviennent lorsque la société cesse d'être fonctionnelle. Il est
indéniable que le capitalisme a provoqué la crise la plus profonde à laquelle la société ait jamais été
confrontée. Afin d'exprimer cette réalité, le leader du peuple kurde, Abdullah Ocalan, a déclaré que
« le capitalisme n'est pas un modèle économique, c'est un modèle contre l'économie ». Dans son état
actuel, le capitalisme est basé sur la désagrégation de la société et de ses organisations. Les profits
tirés des transactions financières qui ne participent en rien à la production réelle sont, d'ailleurs, le
meilleur indice de cette réalité.
Historiquement, le contrôle des femmes par les hommes a marqué le début des problèmes
économiques. A cause du système de classes, de l'urbanisation et du pouvoir étatique, la société s'est
retrouvée aliénée des questions économiques et confrontée à de profonds problèmes structurels.
Socialisation et démocratie sont nécessaires à l'économie. Une économie qui remplit les besoins de
la société n'est possible qu'à travers une organisation démocratique de celle-ci. Sur cette base, la
société démocratique est également une société économique. Comme nous l'avons vu, l'économie
n'est pas qu'une simple question technique. En tant que structure fondamentale de la société, il s'agit
d'une activité qui remonte aux racines de la vie d'une société. Détacher l'être humain de l'économie
est déjà le début de l'aliénation.
En dépit du fait qu'elle ait eu l'opportunité de devenir l'une des économies et des civilisations
les plus développées du monde, la société du Kurdistan a été victime d'un effondrement et d'un
génocide économique. Ce fait montre, à lui seul, combien il est important pour cette société de
devenir viable économiquement en établissant sa vie libre et démocratique sur la base de
l'autonomie démocratique. A travers l'économie de la coopération, une nouvelle société peut être
construite et la richesse du Kurdistan peut devenir un atout économique, non seulement pour les
Kurdes, mais aussi pour tous les peuples de la région en faisant prospérer la production. Il y a
besoin d'établir un système économique dans lequel tout le monde ait sa propre entreprise et
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travaille pour ses propres intérêts, un système qui donne la priorité à l'emploi des femmes et soit
fondé sur la fonctionnalité plutôt que sur le profit, un système antimonopole et interdépendant.
3.7- DIMENSION ECOLOGIQUE
Les raisons de la crise écologique, aggravée par la crise sociale, remontent aux origines de la
civilisation. Les pouvoirs étatiques et les hiérarchies dirigeantes ont toujours nié le lien
communautaire à la base de la création de la société, remplaçant celui-ci par une autre perspective,
qui fait également fi du lien entre la nature et la vie. Depuis les débuts de la civilisation, toutes les
évolutions n'ont représenté qu'une aliénation progressive de la nature, endommageant
l'environnement et accentuant la tendance vers la création d'un monde où toute vie serait devenue
impossible.
Les crises économiques et sociales actuelles sont liées. Dans une optique de profits,
personne ne s'interroge sur ce que la planète peut supporter en termes de villes, de population,
d'usines, de véhicules de transport, de matériaux synthétiques, de pollution de l'air et de l'eau.
L'expansion des villes, la pollution de l'air, les dommages à la couche d'ozone, la diminution
significative des variétés d'animaux et de plantes, la destruction des forêts, la contamination des
cours d'eau, les montagnes d'immondices omniprésentes, le manque d'eau potable, l'augmentation
démographique anormale ; tout ceci provoquera peut-être des désastres irréversibles.
Tout système de société qui n'est pas intégré à la nature ne peut être défendu en tant que
système moral et démocratique. Il existe une relation dialectique entre les catastrophes naturelles et
le chaos auquel le système capitaliste se trouve confronté. Le résultat de la course aux profits et du
système du capital, basé sur la maximalisation du profit et l'expansion industrielle au détriment de
l'écologie, détruit la société de nombreuses façons (conduisant à l'immoralité, le chômage,
l'inflation, la prostitution, etc.) et menace également l'écologie et tous les êtres vivants. Ces
exemples montrent clairement que le monopole va à l'encontre des intérêts de la société. D'autre
part, la société écologique nécessite une transformation morale. L'approche écologique peut
permettre de changer l'aspect amoral du capitalisme. Cela ne peut fonctionner qu'avec une
interprétation écologique accrue. Cette question ne peut être résolue par une approche uniquement
environnementaliste.
Les difficultés pratiques de la vie écologique sont à l'ordre du jour dans le monde entier, et
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en particulier dans notre région. Au Kurdistan, en effet, la destruction écologique menée au nom de
raisons économiques, politiques et militaires a sérieusement endommagé la région et sa structure
sociale. De nombreux villages et forêts ont été détruits à cause des projets de barrages, et d'autres
projets de développement menacent des monuments historiques, sans oublier l'inondation des
pâturages. Privés d'eau, nombre d'entre eux se sont changés en désert. Des milliers de mètre carrés
de terres agricoles ont été truffés de mines, rendant la pratique de l'agriculture impossible.
L'interdiction de pénétrer dans les hautes terres a, de même, pratiquement tué l'élevage. Des déchets
toxiques sont entreposés au Kurdistan. Toutes ces pratiques ont modifié le climat, la faune et la flore
du Kurdistan et conduit à l'instabilité. Toutes ces attaques contre la région du Kurdistan ne peuvent
être résolues qu'avec une révolution écologique. Ces catastrophes environnementales ne se limitent
pas à notre région ; elles ont un impact sur le monde entier. Avec le Kurdistan, c'est la planète qu'on
brûle, qu'on dévaste et qu'on empoisonne.
La conscience écologique, l'amour pour son pays et pour la planète sont interconnectés. Par
conséquent, afin de vivre une vie sociale saine dans un environnement sain, il faut une conscience
communautaire des mesures écologiques à mettre en place et de la lutte active qui doit être menée.
Il est nécessaire de s'opposer à l'urbanisation qui endommage l'équilibre écologique, à la
construction de barrages qui modifient la flore et à l'immersion de sites historiques qui ont pour
résultat d'éradiquer le patrimoine du peuple kurde.
3.8- DIMENSION DIPLOMATIQUE
La diplomatie est généralement une activité développée par le peuple, les sociétés et les
différents groupes ou Etats pour leurs propres intérêts. La diplomatie fondée sur la modernité et le
concept d'Etat-nation ne vise qu'à l'accroissement du pouvoir. La diplomatie des Etats-nations est
ainsi menée afin de coordonner entre elles les activités des différents Etats-nations à travers le
monde. En l'absence de reconnaissance par les autres Etats-nations, un Etat-nation isolé ne peut
survivre, ne serait-ce que 24 heures. La raison à cela se trouve dans la rationnelle du système
capitaliste mondial elle-même. Sans l'aval du peuple, aucun des Etats-nations ne peut perdurer bien
longtemps.
Selon le paradigme de la modernité démocratique, la dimension diplomatique du Kurdistan
Autonome et Démocratique est fondée sur la solidarité mutuelle et les intérêts partagés par les
peuples et les différents groupes et sociétés.
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Si l'on prend en compte les caractéristiques historiques et sociétales de la question du
Kurdistan, et notamment le fait que le pays a été divisé en quatre parties, la diplomatie du Kurdistan
Autonome et Démocratique aura un impact important sur les sociétés et pays voisins, ainsi que sur
les autres parties du Kurdistan.
Celle-ci devra jouer un rôle dans la promotion de la paix et de la fraternité dans la région,
encourager le développement et l'augmentation du niveau de vie et de richesse. Les relations
diplomatiques avec les nations et peuples sans Etat, ainsi que les groupes et sociétés luttant pour la
liberté et la démocratie, seront établies dans un cadre de confiance et de solidarité réciproque. La
diplomatie protègera les intérêts nationaux du peuple kurde et de la communauté kurde dans la
diaspora et les grandes métropoles.
TRADUIT PAR ASSOCIATION ARJIN Merci à Simko Destan