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SPÉCIAL ATTENTATS 12 LE COURRIER CAUCHOIS VENDREDI 20 NOVEMBRE 2015 C ourrier Cauchois : La Société française de médecine de catastrophe (SFMC), dont vous êtes membre associé du conseil d’ad- ministration, a-t-elle été sollicitée après les attentats de vendredi der- nier ? Jan-Cédric Hansen : Non. Mais c’est normal. La SFMC est une société scientifique. Elle n’a pas en charge l’organisation et la mise en œuvre des secours. Elle contribue à la conception des plans de réponse aux agressions, qu’elles soient natu- relles, technologiques ou, comme c’est le cas avec ces attentats, humaines. La Société française de médecine de catastrophe a été fondée en 1983 par le médecin général René Noto, ancien médecin-chef des sapeurs-pompiers de Paris, le Pr Pierre Huguenard, fondateur du SAMU 94 (Val-de-Marne), et le Pr Alain Larcan, ancien président de l’Académie nationale de méde- cine. CC : Comment s’organise le plan de secours après de si tragiques événements ? JCH : Justement, il ne s’organise pas après mais avant. Depuis les années 80, les pouvoirs publics sont sensibilisés à la nécessité de se préparer à répondre à des situations exceptionnelles, reproduisant les conditions de la médecine de guerre sur le territoire national. Dans ces situations, les acteurs sont confron- tés à un nombre important de victi- mes avec, comme à Paris vendredi, des blessures par balle ou par explo- sions. Ce sont des victimes qui ont en commun d’être criblées par des projectiles à grande vélocité. CC : Hasard du calendrier, il y avait le matin même de l’attentat un exercice de grande envergure. Comment se prépare-t-on pour réa- gir à une telle catastrophe ? JCH : On se prépare en imaginant l’improbable. J’ai participé moi- même les 3 et 4 novembre aux Entretiens du risque, dont le thème était justement : penser l’impensa- ble. C’est sur la base de ces scéna- rios, conçus par les pouvoirs publics, que l’on va bâtir les plans d’organisation des secours avec tou- tes leurs déclinaisons : plan Blanc, plan Rouge, etc. « Il faut inviter la population à se former aux gestes qui sauvent » CC : Justement, après les derniers attentats de Paris, on a entendu parler de plan Blanc. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? JCH : La réponse en cas de situa- tions exceptionnelles, elle est sym- boliquement « bleu-blanc-rouge ». « Bleu », ce sont les forces de sécu- rité (police, gendarmerie, etc.) ; « blanc », ce sont les services de santé (médicaux et paramédicaux) ; « rouge », ce sont les sapeurs-pom- piers. Concrètement, vendredi, les victi- mes ont bénéficié des plans Blanc et Rouge Alpha qui ont été déployés conjointement par le SAMU de Paris et la BSPP (Brigade des sapeurs-pompiers) sous l’auto- rité du préfet de Paris pendant que les forces de l’ordre sécurisaient les différents lieux. Les plans Blanc et Rouge servent à réorganiser les moyens existants et à mobiliser des moyens supplé- mentaires pour assurer les réponses en matière sanitaire et de secours. CC : À Paris, dans la nuit de ven- dredi à samedi, l’organisation choi- sie a-t-elle permis de sauver des vies ? JCH : La Société française de médecine de catastrophe n’a pas à juger. Elle s’intéresse au retour d’ex- périence et on n’en est pas encore là (l’entretien a été réalisé diman- che, NDLR). Ce que je peux dire, c’est que la planification permet d’identifier les ressources mobilisa- bles et les logistiques nécessaires pour faire face. Les urgences de l’AP-HP (Assistance publique des Hôpitaux de Paris) ne sont pas dimensionnées au quotidien pour accueillir trois cents victimes d’un coup. L’organisation a donc une caractéristique particulière et qui peut surprendre le grand public, c’est la notion de triage. Les pre- miers secours arrivant sur place dressent avant toute chose un bilan de la situation, du nombre de victi- mes et de la gravité des blessures. Le temps que les sapeurs-pompiers et les équipes médicales arrivent, ce sont, dans l’idéal, les personnes présentes qui devraient porter les premiers secours. C’est pour cela qu’il faut inviter la population à se former aux gestes qui sauvent. CC : Il y a eu les plans mais aussi la mobilisation des médecins, des infirmières, des paramédicaux qui ont proposé volontairement leur aide... JCH : C’est la culture des soi- gnants mais aussi des secouristes, qu’ils soient des sapeurs-pompiers, de la Croix-Rouge, de la Croix de Malte, de la Protection civile, etc. C’est vrai pour les services publics mais aussi pour les professionnels privés : par exemple, les médecins libéraux ont arrêté leur conflit. « Le stress post-traumatique peut se révéler quelques heures mais aussi quelques mois après l’événement » CC : Qu’est ce qu’on peut et qu’est ce qu’on doit apporter psy- chologiquement aux victimes et à leurs proches ? JCH : Dès l’intervention, les secours s’intéressent aux victimes qui ne sont pas atteintes dans leur intégrité physique mais qui ont besoin d’une prise en charge psy- chologique. C’est un apport de la SFMC ces dernières années : les méthodes de prévention du stress post-traumatique. Ce dernier peut se révéler quelques heures mais aussi quelques mois après l’événe- ment, cela dépend des personnes. Il apparaît quand l’épisode devient la thématique principale du discours de l’individu et non pas seulement un élément parmi d’autres de sa biographie. CC : Comment peut-on lutter contre ce phénomène ? JCH : On lutte contre ce stress en demandant aux gens de raconter leurs émotions et non pas seule- ment leur récit de l’événement. Le psychologue ou le médecin n’est ni un journaliste, ni un policier. CC : Qui doit écouter les victi- mes ? JCH : Tout le monde peut le faire, si c’est effectué avec bienveillance. On appelle cela la psychothérapie de soutien. Pour les victimes qui ont subi un traumatisme physique et ceux qui en ont été les proches témoins, il faut que cette écoute émane également de psychologues cliniciens et de médecins-psychia- tres qui sont formés à cela. Ils inter- viennent alors dans les cellules médico-psychologiques. Ça fonc- tionne souvent bien. On n’entre pas directement dans le vif du sujet. On commence par offrir un café ou on propose à un enfant de dessiner. Le but, c’est de susciter l’expression de l’émotion qui permet la cicatrisation psychique. On s’oriente alors vers la résilience, c’est-à-dire le dépasse- ment de l’événement. « L’événement du 13 novembre fait partie de notre existence » CC : Là, on évoque les victimes directes ou les témoins. Mais com- ment prépare-t-on la population à la période qui arrive, avec les menaces d’autres attentats ? JCH : C’est le rôle et la responsa- bilité des politiques. Nous quittons là le champ de la médecine de catastrophe pour entrer dans celui des cindyniques, c’est-à-dire les sciences du danger. Ces sciences donnent aux pouvoirs publics des outils pour développer cette culture cindynique au sein de la population. CC : Comment fait-on ? JCH : En faisant prendre conscience que la vie expose aux dangers et aux risques aléatoires. Le drame de vendredi est un nouvel aléa qui fait irruption dans notre société. Il a un impact sur notre société. Mais il reste un aléa et on peut vivre avec. C’est le cas dans des pays comme le Liban, Israël ou qui connaissent des guerres civiles. Les gens se sont adaptés. CC : Ne nous a-t-on pas bercé dans une certaine illusion ? JCH : Nous étions dans l’illusion du risque zéro alors que le risque est partout dans notre quotidien. L’événement du 13 novembre fait partie de notre existence. Il y en a eu avant ; il pourrait y en avoir d’au- tres après. Il faut s’organiser. L’entraînement a une vertu. Même si son scénario ne correspond jamais à la réalité, il donne un sentiment de déjà vu qui diminue l’impact de l’événement. Il y a une triptyque fondamentale face à une catastrophe. Il faut l’affronter, la réguler et être capable de la dépasser. C’est-à-dire éviter qu’elle soit un traumatisme et la rendre, au contraire, constitutive de notre cohésion sociale. INTERVIEW RÉALISÉE GHISLAIN ANNETTA Jan-Cédric Hansen « Des conditions de médecine de guerre » Ancien médecin coordonnateur de l’hôpital d’Yvetot, désormais à Pacy-sur-Eure, le Dr Jan-Cédric Hansen est membre de la Société française de médecine de catastrophe. Nous l’avons interrogé après les attentats qui ont marqué Paris le vendredi 13 novembre. Jan-Cédric Hansen : « Susciter l’expression de l’émotion permet la cicatrisa- tion psychique » (photo d’archives) L’ENTRETIEN DE LA SEMAINE

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SPÉCIAL ATTENTATS12 LE COURRIER CAUCHOISVENDREDI 20 NOVEMBRE 2015

Courrier Cauchois : La Sociétéfrançaise de médecine decatastrophe (SFMC), dont vous

êtes membre associé du conseil d’ad-ministration, a-t-elle été sollicitéeaprès les attentats de vendredi der-nier ?

Jan-Cédric Hansen : Non. Maisc’est normal. La SFMC est unesociété scientifique. Elle n’a pas encharge l’organisation et la mise enœuvre des secours. Elle contribue àla conception des plans de réponseaux agressions, qu’elles soient natu-relles, technologiques ou, commec’est le cas avec ces attentats,humaines.

La Société française de médecinede catastrophe a été fondée en1983 par le médecin général RenéNoto, ancien médecin-chef dessapeurs-pompiers de Paris, lePr Pierre Huguenard, fondateur duSAMU 94 (Val-de-Marne), et lePr Alain Larcan, ancien présidentde l’Académie nationale de méde-cine.

CC : Comment s’organise le plande secours après de si tragiquesévénements ?

JCH : Justement, il ne s’organisepas après mais avant. Depuis lesannées 80, les pouvoirs publicssont sensibilisés à la nécessité de sepréparer à répondre à des situationsexceptionnelles, reproduisant lesconditions de la médecine de guerresur le territoire national. Dans cessituations, les acteurs sont confron-tés à un nombre important de victi-mes avec, comme à Paris vendredi,des blessures par balle ou par explo-sions. Ce sont des victimes qui onten commun d’être criblées par desprojectiles à grande vélocité.

CC : Hasard du calendrier, il yavait le matin même de l’attentat unexercice de grande envergure.Comment se prépare-t-on pour réa-gir à une telle catastrophe ?

JCH : On se prépare en imaginantl’improbable. J’ai participé moi-même les 3 et 4 novembre auxEntretiens du risque, dont le thèmeétait justement : penser l’impensa-ble. C’est sur la base de ces scéna-rios, conçus par les pouvoirspublics, que l’on va bâtir les plansd’organisation des secours avec tou-tes leurs déclinaisons : plan Blanc,plan Rouge, etc.

« Il faut inviter la populationà se former aux gestesqui sauvent »

CC : Justement, après les derniersattentats de Paris, on a entendu

parler de plan Blanc. Qu’est-ceque cela veut dire concrètement ?

JCH : La réponse en cas de situa-tions exceptionnelles, elle est sym-boliquement « bleu-blanc-rouge ».« Bleu », ce sont les forces de sécu-rité (police, gendarmerie, etc.) ;« blanc », ce sont les services desanté (médicaux et paramédicaux) ;« rouge », ce sont les sapeurs-pom-piers.

Concrètement, vendredi, les victi-mes ont bénéficié des plans Blancet Rouge Alpha qui ont étédéployés conjointement par leSAMU de Paris et la BSPP (Brigadedes sapeurs-pompiers) sous l’auto-rité du préfet de Paris pendant queles forces de l’ordre sécurisaient lesdifférents lieux.

Les plans Blanc et Rouge serventà réorganiser les moyens existantset à mobiliser des moyens supplé-mentaires pour assurer les réponsesen matière sanitaire et de secours.

CC : À Paris, dans la nuit de ven-dredi à samedi, l’organisation choi-sie a-t-elle permis de sauver desvies ?

JCH : La Société française demédecine de catastrophe n’a pas àjuger. Elle s’intéresse au retour d’ex-périence et on n’en est pas encorelà (l’entretien a été réalisé diman-che, NDLR). Ce que je peux dire,c’est que la planification permetd’identifier les ressources mobilisa-bles et les logistiques nécessairespour faire face. Les urgences del’AP-HP (Assistance publique desHôpitaux de Paris) ne sont pasdimensionnées au quotidien pouraccueillir trois cents victimes d’uncoup. L’organisation a donc unecaractéristique particulière et quipeut surprendre le grand public,c’est la notion de triage. Les pre-miers secours arrivant sur placedressent avant toute chose un bilande la situation, du nombre de victi-mes et de la gravité des blessures.Le temps que les sapeurs-pompierset les équipes médicales arrivent,ce sont, dans l’idéal, les personnesprésentes qui devraient porter lespremiers secours. C’est pour celaqu’il faut inviter la population à seformer aux gestes qui sauvent.

CC : Il y a eu les plans mais aussila mobilisation des médecins, desinfirmières, des paramédicaux quiont proposé volontairement leuraide...

JCH : C’est la culture des soi-gnants mais aussi des secouristes,qu’ils soient des sapeurs-pompiers,de la Croix-Rouge, de la Croix deMalte, de la Protection civile, etc.C’est vrai pour les services publicsmais aussi pour les professionnels

privés : par exemple, les médecinslibéraux ont arrêté leur conflit.

« Le stress post-traumatiquepeut se révéler quelques heuresmais aussi quelques moisaprès l’événement »

CC : Qu’est ce qu’on peut etqu’est ce qu’on doit apporter psy-chologiquement aux victimes et àleurs proches ?

JCH : Dès l’intervention, lessecours s’intéressent aux victimesqui ne sont pas atteintes dans leurintégrité physique mais qui ontbesoin d’une prise en charge psy-chologique. C’est un apport de laSFMC ces dernières années : lesméthodes de prévention du stresspost-traumatique. Ce dernier peutse révéler quelques heures maisaussi quelques mois après l’événe-ment, cela dépend des personnes. Ilapparaît quand l’épisode devient lathématique principale du discoursde l’individu et non pas seulementun élément parmi d’autres de sabiographie.

CC : Comment peut-on luttercontre ce phénomène ?

JCH : On lutte contre ce stress endemandant aux gens de raconterleurs émotions et non pas seule-ment leur récit de l’événement. Lepsychologue ou le médecin n’est niun journaliste, ni un policier.

CC : Qui doit écouter les victi-mes ?

JCH : Tout le monde peut le faire,si c’est effectué avec bienveillance.On appelle cela la psychothérapiede soutien. Pour les victimes qui ontsubi un traumatisme physique etceux qui en ont été les prochestémoins, il faut que cette écouteémane également de psychologuescliniciens et de médecins-psychia-tres qui sont formés à cela. Ils inter-viennent alors dans les cellulesmédico-psychologiques. Ça fonc-tionne souvent bien. On n’entre pasdirectement dans le vif du sujet. Oncommence par offrir un café ou onpropose à un enfant de dessiner. Lebut, c’est de susciter l’expression del’émotion qui permet la cicatrisationpsychique. On s’oriente alors vers larésilience, c’est-à-dire le dépasse-ment de l’événement.

« L’événement du 13 novembrefait partie de notre existence »

CC : Là, on évoque les victimesdirectes ou les témoins. Mais com-ment prépare-t-on la population à lapériode qui arrive, avec les menacesd’autres attentats ?

JCH : C’est le rôle et la responsa-

bilité des politiques. Nous quittonslà le champ de la médecine decatastrophe pour entrer dans celuides cindyniques, c’est-à-dire lessciences du danger. Ces sciencesdonnent aux pouvoirs publics desoutils pour développer cette culturecindynique au sein de la population.

CC : Comment fait-on ?JCH : En faisant prendre

conscience que la vie expose auxdangers et aux risques aléatoires. Ledrame de vendredi est un nouvelaléa qui fait irruption dans notresociété. Il a un impact sur notresociété. Mais il reste un aléa et onpeut vivre avec. C’est le cas dansdes pays comme le Liban, Israël ouqui connaissent des guerres civiles.Les gens se sont adaptés.

CC : Ne nous a-t-on pas bercédans une certaine illusion ?

JCH : Nous étions dans l’illusiondu risque zéro alors que le risqueest partout dans notre quotidien.L’événement du 13 novembre faitpartie de notre existence. Il y en aeu avant ; il pourrait y en avoir d’au-tres après.

Il faut s’organiser. L’entraînementa une vertu. Même si son scénarione correspond jamais à la réalité, ildonne un sentiment de déjà vu quidiminue l’impact de l’événement. Ily a une triptyque fondamentale faceà une catastrophe.

Il faut l’affronter, la réguler et êtrecapable de la dépasser. C’est-à-direéviter qu’elle soit un traumatisme etla rendre, au contraire, constitutivede notre cohésion sociale.

■ INTERVIEW RÉALISÉEGHISLAIN ANNETTA

Jan-Cédric Hansen

« Des conditions de médecinede guerre »Ancien médecin coordonnateur de l’hôpital d’Yvetot, désormais à Pacy-sur-Eure, le Dr Jan-Cédric Hansen est membre de la Société françaisede médecine de catastrophe. Nous l’avons interrogé après les attentats qui ont marqué Paris le vendredi 13 novembre.

Jan-Cédric Hansen : « Susciter l’expression de l’émotion permet la cicatrisa-tion psychique » (photo d’archives)

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