Arsac-Demonstration Et Logique Au College

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Démonstration et logique au collège : un modèle pour toutes les mathématiques ? Gilbert Arsac Colloque de Besançon, 5-6 Avril 2013 Cet exposé poursuit deux buts : - réfléchir sur le rapport entre logique et démonstration à l’occasion des modifications de programmes ; - montrer que les mathématiques du collège peuvent être source d’une réflexion approfondie sur les mathématiques en général. Autrement dit, encourager les enseignants à réfléchir de façon profonde, et je l’espère, intellectuellement séduisante, sur les mathématiques qu’ils pratiquent avec leurs élèves. Une fois n’est pas coutume, je commence par énoncer ci-dessous les affirmations que je vais essayer d’argumenter dans la suite de l’arti cle, afin de les dégager clairement du contexte dans lequel elles seront immergées dans le corps du texte. THÈSES Il y a de la logique dans la langue courante. La simple logique de la langue courante est insuffisante pour le mathématicien : il modifie donc la langue courante en une langue mathématique dans laquelle suffisamment de logique sera incorporée, y compris sous forme de règles d’usage du symbolisme (règles de calcul par exemple). Cette incorporation, historiquement évidente dans les mathématiques grecques, se fait par un  processus intern e aux mathématique s, sans utilisation d ’une théorie logique extérieure aux mathématiques. L’apprentissage des mathématiques comporte l’apprentissage du langage mathématique, donc des règles logiques qu’il contient, il n’y a pas besoin d’apprendre de la logique indépendammen t. C’est ce que soutient Thurston (1994). En revanche, l’histoire montre qu’il ne suffit pas de faire des mathématiques pour connaitre les règles du raisonnement, par exemple les règles de négation, nécessaires en mathématiques (éventuellement, ceci contredit Thurston). La compréhension des démonstrations en collège introduit à la compréhension de toute démonstration mathématique . Autrement dit, il n’est pas sans intérêt de réfléchir sur les démonstrations, même les plus simples, qu’on rencontre à ce niveau.

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  • Dmonstration et logique au collge : un modle pour toutes les mathmatiques ?

    Gilbert Arsac

    Colloque de Besanon, 5-6 Avril 2013

    Cet expos poursuit deux buts :

    - rflchir sur le rapport entre logique et dmonstration loccasion des modifications de programmes ;

    - montrer que les mathmatiques du collge peuvent tre source dune rflexion approfondie sur les mathmatiques en gnral. Autrement dit, encourager les enseignants rflchir de faon profonde, et je lespre, intellectuellement sduisante, sur les mathmatiques quils pratiquent avec leurs lves.

    Une fois nest pas coutume, je commence par noncer ci-dessous les affirmations que je vais essayer dargumenter dans la suite de larticle, afin de les dgager clairement du contexte dans lequel elles seront immerges dans le corps du texte.

    THSES

    Il y a de la logique dans la langue courante. La simple logique de la langue courante est insuffisante pour le mathmaticien : il modifie donc la langue courante en une langue mathmatique dans laquelle suffisamment de logique sera incorpore, y compris sous forme de rgles dusage du symbolisme (rgles de calcul par exemple). Cette incorporation, historiquement vidente dans les mathmatiques grecques, se fait par un processus interne aux mathmatiques, sans utilisation dune thorie logique extrieure aux mathmatiques. Lapprentissage des mathmatiques comporte lapprentissage du langage mathmatique, donc des rgles logiques quil contient, il ny a pas besoin dapprendre de la logique indpendamment. Cest ce que soutient Thurston (1994). En revanche, lhistoire montre quil ne suffit pas de faire des mathmatiques pour connaitre les rgles du raisonnement, par exemple les rgles de ngation, ncessaires en mathmatiques (ventuellement, ceci contredit Thurston). La comprhension des dmonstrations en collge introduit la comprhension de toute dmonstration mathmatique. Autrement dit, il nest pas sans intrt de rflchir sur les dmonstrations, mme les plus simples, quon rencontre ce niveau.

  • 1) Langue courante et logique. 1.1) Il y a de la logique dans la langue Explicitons cette affirmation sur un certain nombre dexemples. Exemple 1 : Il ny a pas de fume sans feu cest--dire, avec un symbolisme vident : non (fume et (non feu)), ou encore (non fume) ou feu, et on reconnait ici limplication : si fume, alors feu condition de se rappeler que limplication si A alors B est par dfinition (non A) ou B . Bien sr, tout le monde comprend cela sans faire appel au petit calcul logique prcdent, et tout le monde comprend aussi que boire ou conduire, il faut choisir , la bourse ou la vie sont des implications. De plus, toutes ces implications sont rputes vraies. Exemple 2 : la double ngation fait partie de la langue courante. 1.2) Mais la relation entre la logique et la langue nest pas si claire Reprenons ces exemples : Retour sur lexemple de limplication Au troisime sicle avant Jsus-Christ, les dbats propos de limplication taient suffisamment connus et virulents pour que le pote Callimaque crive : Les corbeaux croassent sur les toits quelles sont les implications justes . En effet lide que limplication si A, alors B soit vraie ds que A est faux nest pas si intuitive que cela. Elle nest pourtant pas ignore de la langue courante : Si je suis le roi de Prusse, alors tu es la reine dAngleterre , mais nest pas maitrise par une proportion non ngligeable de futurs enseignants (cf. Viviane Durand-Guerrier). Cependant, on trouve ds cette poque, avant lnonciation de toute thorie logique, des raisonnements subtils (sil ne faut pas philosopher, alors il faut philosopher, donc il faut philosopher). Retour sur lexemple de la double ngation. Un mathmaticien un peu au courant de la logique peut se rjouir lorsquune double ngation est employe par un journaliste ou un homme politique : en gnral ils disent le contraire de ce quils croient dire. Exemple (d un ancien ministre de lducation Nationale, en conclusion de son mandat de ministre) : On ne pourra pas dire que mon ministre na pas t celui de la rgression . Conclusion : la logique est proche de la langue, mais la relation nest pas simple : la logique est certes prsente dans la langue, mais lorsquon essaie de thoriser la logique, on ne peut en rester une simple connaissance intuitive tire directement de la langue ; cest sans doute la raison pour laquelle la logique apparait dabord comme facile puis se rvle ensuite comme un domaine o il est particulirement frquent de dire des btises et dadmettre de fausses vidences. Do la question : comment font les mathmaticiens ? Nous allons proposer quelques rponses partir de lhistoire des mathmatiques. tant donn ce que nous avons dit sur la facilit de dire des btises en logique, nous viterons de parler de logique au sens strict de thorie logique. Remarque : la logique ne saurait tre prsente de la mme faon dans toutes les langues. Par exemple, une lve de Viviane Durand-Guerrier a tudi les difficults particulires relatives

  • lapprentissage de la ngation par des tudiants dont la langue maternelle est larabe et qui apprennent des mathmatiques en franais (Durand-Guerrier et Ben Kilani, 2004) ; la prsence de la logique dans des langues qui nont aucune quivalent de nos verbes tre et avoir , si elle est atteste, nest certainement pas du mme genre quen franais. Enfin, les essais de collaboration entre enseignants de franais et de mathmatiques ont montr les difficults dues la confusion ventuelle entre la ngation (opration logique) et la transformation dune phrase affirmative en phrase ngative (opration grammaticale). Par exemple la phrase tous les poulets sont rouges a pour ngation logique il existe des poulets qui ne sont pas rouges , souvent confondue avec tous les poulets ne sont pas rouges obtenue en remplaant sont par la forme ngative ne sont pas . Pour terminer, citons encore des exemples o la langue courante conduit des noncs ambigus. - Premier exemple : LOrganisation des Nations unies, aprs avoir obtenu un cessez-le-feu durable la Guerre des Six jours en 1967, a adopt la rsolution 242, qui requiert :

    selon sa version officielle en franais, retrait des forces armes israliennes des territoires occups lors du rcent conflit ;

    selon sa version officielle en anglais, withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict ;

    selon ses versions officielles en espagnol, arabe, russe et chinois (autres langues officielles de lONU), un texte dont le sens est le mme quen franais.

    On voit ici que le texte anglais prte une interprtation diffrente du texte franais ; on pourrait mme dire que le texte franais est implicitement quantifi universellement (quels que soient les territoires occups) alors que le texte anglais est implicitement quantifi existentiellement (il existe des territoires occups).

    Pourtant, les textes juridiques ont la mme ambition que les textes mathmatiques : ne pas tre susceptibles de plusieurs interprtations. Mais lexemple ci-dessus de la rsolution des Nations Unies, qui est pourtant un texte juridique, montre que ce nest pas si facile. Autres exemples de textes ambigus ou qui demandent tre interprts. Je ne rsiste pas au plaisir de citer quelques perles releves en prparant cet expos : Nous nacceptons plus les chques dans tous nos magasins. Depuis six matchs, il na pas marqu zro but. 2) Logique et langue mathmatique. 2.1) La langue mathmatique dEuclide et des mathmaticiens grecs. Les crits mathmatiques dEuclide ne font nullement rfrence aux recherches logiques contemporaines (Aristote, Mgariques) et leur mode de raisonnement tait certainement fix antrieurement et indpendamment de ces recherches (cf. Gardies, 1997, ch. 2). Lorsquon tudie les lments dEuclide, on vrifie quils ne comportent aucune erreur du point de vue de la logique des propositions. En mme temps, Euclide ignore manifestement certaines rgles de logique relativement lmentaires comme la contraposition. Mais une autre caractristique de louvrage euclidien est lexistence dune langue mathmatique qui sera ensuite la langue de toutes les mathmatiques grecques et dont

  • lorigine est antrieure Euclide : on en trouve les dbuts chez Autolycos de Pitane ou Hippocrate de Chio, le quadrateur des lunules. Il importe de souligner que ce que cette langue a de particulier ne rside pas seulement dans un vocabulaire dsignant les objets mathmatiques, mais aussi dans une organisation adapte au raisonnement dductif. Ltude prcise de cette langue est dveloppe dans louvrage de R. Netz (1999) dont les principaux rsultats sont rsums dans (Arsac 1999). Comme il nest pas question ici de reprendre cette tude en dtail, car nous nous intressons la dmonstration au collge, et que ce qui nous importe, cest de vrifier que ds les mathmatiques grecques, il existe une langue mathmatique incorporant des outils de raisonnement, nous citons simplement quelques caractristiques de cette langue lies la logique.

    - le vocabulaire mathmatique grec est bien fix, commun tous les auteurs. - La langue est volontairement pauvre : un mot nest jamais remplac par un synonyme,

    mme sil en existe. - En particulier, les connecteurs logiques sont toujours les mmes. - Les noncs dmontrs ne sont pas cits ensuite textuellement mais donnent naissance

    des formules fixes une fois pour toutes, analogues la rgle de trois. - Au total, comme dans un calcul, lenchainement logique est absorb dans lapplication

    de rgles fixes. Pour reprendre une expression provocante dun historien des mathmatiques, Ce nest pas du grec . Cest une langue alourdie par des rptitions constantes, mais qui prsente lavantage dune grande transparence logique : elle est comprise de la mme manire par tous les lecteurs ayant une culture mathmatique suffisante, faisant mentir au moins partiellement laffirmation suivant laquelle toute lecture est une interprtation . Ceci peut tre rapproch des travaux de Duval (1991) ; il me semble en effet que la remarque fondamentale de Duval est la suivante : du fait que le raisonnement en gomtrie semble utiliser la langue usuelle, contrairement ce qui se passe chez Euclide, la diffrence entre ce raisonnement et une argumentation courante nest pas visible pour les lves. Duval utilise un graphe pour mettre en vidence la structure logique caractristique du raisonnement. Une fois cet apprentissage ralis, llve peut revenir au raisonnement dans le langage courant. Cest bien lattention la structure logique du discours, du point de vue du calcul des propositions, que Duval cherche veiller. Lanalogie avec un calcul est bien releve et lon peut dire que le but est darriver la transparence logique en luttant contre lillusion que la langue courante est utilisable sans prcaution spciale pour le raisonnement mathmatique. Notons que cette appellation de transparence logique ne doit donc pas tre prise trop navement : il ne sagit pas dune proprit intrinsque du texte, mais dune proprit du texte par rapport un certain cercle de lecteurs : le travail de Duval montre quil faut que llve apprenne rentrer dans le cercle des lecteurs mathmaticiens. De mme, les textes juridiques ont la mme ambition que les textes mathmatiques : ne pas tre susceptibles dambigit. Et chacun sait que la lecture dun texte juridique nest pas la porte de tout le monde. 3) Dmonstration dun nonc universel, exemple gnrique, ncessit et gnralit. Un nonc universel est un nonc du type : quel que soit x, si A(x), alors B(x) quantifi universellement par quel que soit , et o A(x) et B(x) sont des proprits de x. Cest un cas trs courant parfois cach quand la quantification est implicite : les mdianes dun triangle

  • sont concourantes , si une fonction est drivable, elle est continue . Cette quantification implicite est frquente en gomtrie. Exposons la mthode de dmonstration dun tel nonc sur lexemple suivant : toute fonction dfinie au voisinage dun point et drivable en ce point est continue . La dmonstration classique dbute ainsi :

    Soit f une fonction dfinie au voisinage dun rel a et drivable en a Ensuite vient la dmonstration bien connue, et on conclut que lon a dmontr le thorme.

    Ainsi, on part de la donne dune fonction f, on fait la dmonstration pour cette fonction, et si on na utilis aucune proprit de f autre que le fait quelle soit drivable en un point, on en conclut que la dmonstration est valable pour toute fonction ayant cette proprit. En fait, nous sommes tellement habitus ce type de dmonstration que le commentaire ci-dessus peut sembler oiseux. Nous verrons son intrt au paragraphe 4. Dans sa recherche sur les preuves spontanes dveloppes par les lves de collge, Nicolas Balacheff (1987) voit apparaitre ce type de dmarche quil caractrise comme lutilisation dun exemple gnrique :

    Lexemple gnrique consiste en lexplication des raisons de la validit dune assertion par la ralisation doprations ou de transformations sur un objet prsent, non pour lui-mme, mais en tant que reprsentant caractristique dune classe (Balacheff 1987).

    Herbrand nonce cette ide de faon tout fait gnrale : quand nous disons quun thorme est vrai pour tout x, nous voulons dire que pour chaque x individuellement il est possible de rpter sa dmonstration, qui peut tre considre seulement comme un prototype de chaque preuve individuelle (cit par Longo 2009).

    Dans notre exemple, nous pouvons remarquer que a aussi est gnrique : lnonc est implicitement quantifi en a et en explicitant toutes les quantifications, il devient : quelle que soit f et quel que soit a, si f est dfinie, etc. . Une fois lobjet gnrique fix, il reste dmontrer la proprit vise pour cet objet, ce qui se fait par un enchainement logique. Nous dirons que le caractre de gnralit est assur par le caractre gnrique de lobjet, et le caractre de ncessit par la rigueur de lenchainement logique qui prouve la proprit vise pour lobjet gnrique choisi. Nous allons examiner maintenant comment les dmonstrations au collge, en algbre et en gomtrie, rpondent ces deux conditions de gnralit et de ncessit.

    4) Le cas du calcul littral : il ny a pas de dmonstration en algbre . Cette phrase, prononce par un historien des mathmatiques, est reproduite ici titre de provocation Prcisons ici que nous entendons le mot algbre en son sens lmentaire traditionnel, pratiquement synonyme de calcul littral. Afin dillustrer le double aspect de ncessit et de gnralit, voici deux dmonstrations dun nonc darithmtique (Garuti et al, 1998).

  • nonc : la somme de deux entiers impairs conscutifs est un multiple de 4. Premire dmonstration, par un lve de cinquime : Je fais quelques essais : 3 + 5 = 8, 1 + 3 = 4, 5 + 7 = 12 ; je vois que je peux crire ces additions de la manire suivante : 3 + 5 = 3 + 1 + 5 1 = 4 + 4 = 8 (de mme pour les autres). Cest la mme chose que dadditionner le nombre pair intermdiaire lui-mme, et le double dun nombre pair est toujours un multiple de 4. Deuxime dmonstration, par un lve de seconde : Je peux crire deux nombres impairs conscutifs sous la forme 2k +1 et 2k + 3 ainsi je trouve :

    !

    (2k +1) + (2k + 3) = 2k +1+ 2k + 3 = 4k + 4 = 4(k +1) Le nombre obtenu est un multiple de 4. Examinons ces deux dmonstrations : dans la premire, llve, aprs une vrification sur trois exemples, montre en se concentrant sur le premier, 3 + 5 = 8, que lon peut prsenter le calcul de manire ce quil ait une valeur gnrale en introduisant le nombre pair intermdiaire entre deux impairs conscutifs. Remarquons que cette argumentation de gnralit est tout fait explicite tout en tant valable seulement pour le problme considr. Elle correspond tout fait la dfinition de Balacheff de lexemple gnrique rappele plus haut. Dans la deuxime, llve traite directement un cas gnral grce la notation littrale, cest lemploi de cette notation, dont lorigine remonte Vite, au seizime sicle, qui assure la gnralit : la lettre k reprsente un nombre entier quelconque, donc le calcul est gnral, mais comme cette argumentation, contrairement la premire, nest pas lie un problme particulier, et quelle est connue comme classique, elle nest pas reproduite, il ny a donc pas dargumentation explicite de gnralit. Ctait aussi le cas dans la dmonstration cite en exemple : la notation f est cense reprsenter une fonction quelconque, et ce fait connu dispense de rpter largumentation de gnralit. Cette question de la gnralit napparait explicitement dans la classe quaux dbuts de lapprentissage du calcul littral, quand lenseignant y fait allusion en rappelant traitez un cas gnral, calculez avec des lettres ! Quant la ncessit, elle napparait premire vue dans aucune des deux dmonstrations. La deuxime par exemple se rduit apparemment un calcul. Cest que le calcul nest autre quun raisonnement automatis. Si lon voulait mettre en vidence ce raisonnement, il faudrait revenir aux justifications du calcul, en commenant par crire en dtail :

    (2k +1) + (2k + 3) = (2k +1) + (3 + 2k) = 2k + 1 + 3 + 2k( )( ) = 2k + 1 + 3( ) + 2k( ) = 2k + 4 + 2k( ) =2k + 2k + 4( ) = 2k + 2k( )+ 4 = 2+ 2( )k + 4 = 4k + 4 = 4k + 4.1= 4 k +1( ) . On pourrait ensuite justifier chaque galit en citant les proprits (associativit, distributivit, commutativit) auxquelles on a fait appel. Celles-ci jouent le rle dnoncs tiers au sens de Duval et permettent de retrouver, condition de dtailler assez, la structure habituelle dun raisonnement par enchainement de pas de dduction . Bien sr, personne ne fait cela, car le but des rgles de calcul est prcisment dviter davoir le faire. Ceci peut aboutir une

  • perte de sens , cest--dire qu force de faire des calculs on finit par oublier quils reprsentent en fait des raisonnements. En rsum, dans ces deux dmonstrations, la ncessit est assure par lusage des rgles de calcul, la gnralit est assure dans le premier cas par une argumentation explicite particulire, dans le deuxime par le recours une mthode, la notation littrale, universellement admise en mathmatiques, et qui nest donc plus argumente. Ainsi sexplique que dans la deuxime dmonstration, qui a la forme la plus courante, aussi bien la ncessit que la gnralit soient apparemment absentes. De l provient lide quil ny a pas de dmonstration en algbre . Effectivement, les routines de la notation littrale et du calcul algbrique font disparaitre toute intervention explicite de la logique, contrairement la gomtrie. Plus gnralement, dans une dmonstration complexe, les parties qui comportent du calcul sont celles o toute mention explicite de la logique disparait. Revenons sur cet exemple : nous avons dit un peu rapidement que dans la dmonstration classique de calcul littral, toute allusion explicite aux noncs tiers qui justifient le calcul est supprime. En ralit, il nen est pas ainsi lorsque ces rgles sont encore en cours dapprentissage : alors le professeur en exigera la mention explicite. Il pourra par exemple trouver un peu rapide lgalit (2k +1) + (2k + 3) = 4k + 4 et exiger un commentaire. On reconnait l le fonctionnement du contrat didactique et la transformation progressive du nouveau en ancien qui nest plus objet dapprentissage. La disparition apparente du raisonnement est dans ce cas un signe dun bon apprentissage Une remarque essentielle est la suivante : le fait de savoir choisir un lment quelconque en gomtrie napprend pas pour autant savoir le faire en algbre ; le recours un lment gnrique se pratique de faon fondamentalement diffrente dans ces deux disciplines, et fait appel des symbolismes, figure dans un cas, notation littrale dans lautre, bien distincts, le deuxime, dcouvert des sicles aprs le premier, est bien une invention mathmatique. Soulignons que lexpos ci-dessus na pas de prtention historique, en ce sens quil est probable que les lois de lalgbre aient t dcouvertes en quelque sorte exprimentalement et non pas comme application de rgles de la logique. Rendons enfin hommage Leibniz qui avait remarqu bien avant nous que le calcul algbrique tait du raisonnement automatis et esprait la gnralisation du calcul tous les raisonnements : Ce qui fait la strilit de la plupart des controverses, cest justement le manque de rigueur et de prcision du langage usuel, qui masque les quivoques et les paralogismes Une fois les raisonnements traduits en calculs [] il arrivera alors que tout paralogisme ne soit rien de plus quune erreur de calcul, et quun sophisme, une fois exprim dans cette espce dcriture nouvelle, ne soit rellement rien dautre quun solcisme ou un barbarisme [] Ds lors, quand surgiront des controverses, inutile dinstituer une discussion entre deux philosophes, pas plus quon ne le fait entre deux calculateurs. Car il suffira de prendre la plume la main [] et aprs avoir au besoin convoqu un ami, de se dire lun lautre : calculons ? 5) Le cas de la gomtrie. Au tmoignage de Proclus, confort par les travaux dhistoriens comme Mueller (1981) ou Netz (1999), il est clair que pour Euclide, la dmonstration gomtrique consiste dans ltude dun exemple gnrique (pour plus de dtails, cf. Netz, loc. cit. et Arsac, 1999). Daprs Netz, le caractre gnrique de la dmonstration mene sur une figure tait assur par la possibilit de la rpter volont pour toute autre figure propose. Ceci rend bien compte du plan des

  • dmonstrations dEuclide : tout dabord, Euclide nonce le thorme dmontrer, dans toute sa gnralit, sans introduire de lettres, cest ce que Proclus appelle protasis , par exemple : Si deux angles dun triangle sont gaux entre eux, les cts qui sous-tendent les angles gaux seront aussi gaux entre eux. Vient ensuite l ecthesis ; on se donne un triangle gnrique et on affirme que lon va dmontrer le rsultat dans ce cas particulier : Soit le triangle ABC ayant langle sous ABC gal langle sous ACB. Je dis que le ct AB est gal au ct AC. Ensuite seulement vient la dmonstration. Cette question de la gnralit dans les dmonstrations gomtriques est ainsi rgle depuis si longtemps quelle nest plus aborde explicitement par les mathmaticiens. Mais revenons la classe du vingt-et-unime sicle. Lorsque lenseignant insiste auprs des lves pour quils dessinent prcisment un triangle quelconque, cest--dire ni isocle, ni rectangle, il essaie dobtenir quils tracent une figure gnrique en ce sens quon ne risque pas dy lire dautres proprits que celles postules dans les hypothses du problme tudi. Cette prcaution a-t-elle un statut thorique ? A priori non : on peut parfaitement dmontrer que les mdiatrices dun triangle sont concourantes en sappuyant sur une figure qui perceptivement reprsente un triangle isocle, pourvu quon nutilise pas le fait que deux cts ou deux angles du triangle sont gaux. Ceci justifierait que lon affirme, comme parfois, que la figure na aucun rle dans le caractre de ncessit de la dmonstration : elle aurait seulement lutilit dun changement de registre permettant de mettre en valeur visuellement les hypothses, de dceler, par un travail propre son registre, les noncs faire intervenir dans la dmonstration. Quant linsistance de lenseignant sur les figures gnriques, elle naurait quun rle pdagogique : viter de lire sur le dessin des proprits parasites, montrer que la dmonstration doit tre dans une certaine mesure indpendante du dessin. En fait, cette position est illusoire car, comme on peut le vrifier sur lexemple trs simple de la somme des angles dun triangle, la trs grande majorit des dmonstrations gomtriques font appel des proprits lues sur la figure et quon ne saurait dmontrer sans sortir du cadre de la gomtrie traditionnelle (cf. Arsac, 1998). Voici un autre exemple plus simple : considrons un triangle ABC rectangle en A et la hauteur issue de A qui coupe (BC) en H. Plusieurs dmonstrations lmentaires du thorme de Pythagore, ainsi que la dmonstration dEuclide elle-mme, utilisent le fait que H est entre B et C, qui permet par exemple dcrire que :

    aire(ABC) = aire(ABH) + aire(ACH), ou bien que BC = BH + HC.

  • Si lon veut que le rsultat de ces dmonstrations ait un caractre de ncessit, il faut donc en particulier que H soit ncessairement entre B et C. Si lon renonce se placer dans un cadre de gomtrie affine, o le problme, moyennant le choix dun systme daxes, devient un problme algbrique, ce caractre de ncessit peut tre tabli de deux manires.

    - On peut se placer dans un cadre axiomatique complet , comme celui dfini par Hilbert (1899), on disposera alors dun cadre thorique dans lequel on pourra dmontrer que H est entre B et C par un raisonnement dductif ne renvoyant en aucune manire la lecture de la figure (cf. Arsac 1998).

    - Mais en gnral, comme le faisait Euclide lui-mme, on utilise cette proprit sans lnoncer. Comme le dit Netz (1999, p. 35) dans son commentaire des dmonstrations dEuclide : Les proprits que la perception extrait du diagramme forment un sous-ensemble vrai des proprits relles de l'objet mathmatique. . Dans ce cas, si lon pose explicitement la question de la vrit de cette affirmation, la rponse spontane est que cest vident. Il sagit maintenant danalyser cette vidence.

    Afin dcarter toute quivoque dans ltude de cette question, rappelons quil est classique depuis Platon de distinguer la figure trace sur le papier (ou lcran) quil est naturel de dsigner comme un dessin, de lobjet gomtrique abstrait sur lequel porte en fait la dmonstration. Alors, le problme porte bien sur le dessin : comme personne na jamais vraiment contempl lobjet idal platonicien, cest bien sur le dessin, qui en est son reprsentant, tout imparfait soit-il, que se fait la constatation du fait que H est entre B et C. Cest donc le dessin qui doit avoir un caractre gnrique et attester de la ncessit du fait que H est entre B et C. Autrement dit, il faut que dans tout dessin H soit entre B et C, et mme quon puisse affirmer que tout dessin contradictoire est faux. Mais comment sen assurer ? Nous emprunterons N. Rouche (1989) la formule suivante, concernant ce quil appelle la pense mathmatique immdiate ou les jugements dune seule venue et qui recouvre en particulier ce que nous avons caractris comme des vidences lues sur le dessin. Une double condition semble ncessaire et suffisante pour quune proposition soit vcue comme vidente, savoir a) quon en discerne vue la ralisation sur un cas particulier ; b) que la pense sengage sans accroc dans limagination de tous les cas particuliers (Rouche, 1989, p. 14). Bien sr, les remarques de Rouche constituent plus une description dun phnomne quune explication, et nous laissons la question ouverte sans savoir de quel domaine de la pense et de la recherche elle relve.

    A

    B C H

  • La dmonstration gomtrique usuelle utilise donc des constatations sur le dessin qui ne peuvent tre incorpores dans le droulement du raisonnement que parce quelles prsentent un caractre de ncessit et ce caractre de ncessit renvoie une certitude sur le caractre gnrique de ces constats graphiques. Serfati (1999, p. 151) avance lhypothse que cest lexprience du caractre invariant de ces constatations sur le dessin qui a amen chez les mathmaticiens grecs lide dun objet abstrait dont les diffrents dessins ne seraient que des reprsentations concrtes contingentes et donc finalement une conception platonicienne forte des mathmatiques . Ces constatations sur le dessin, fondes sur la familiarit avec le dessin gomtrique, constituent un stock dvidences qui sont une partie implicite de ce que lon appelle souvent dans lenseignement la boite outils. La dmonstration gomtrique classique ne peut donc tre considre comme un enchainement dinfrences qu condition que certaines de ces infrences soient du type On voit sur le dessin que D et E sont de part et dautre de A . Bien sr, ce type dinfrences o lnonc tiers est lu sur le dessin nest pas explicit en gnral. La conviction du caractre gnrique des constatations sur le dessin peut tre renforce par lemploi dun logiciel de gomtrie dynamique, mais il reste toujours le problme de la sparation entre ce quil est lgitime de lire sur le dessin et ce quil nest pas lgitime dy lire, la conclusion en particulier (pour une tude plus dtaille, cf. Arsac 1999). Ce problme relve la fois de la transposition et du contrat didactique. Par ces dernires remarques, lies la prise en compte du problme de la gnralit, lanalyse ci-dessus diffre de celle de Duval. Mais cette diffrence porte sur la dimension pistmologique de lanalyse sans remettre ncessairement en cause son aspect didactique, ceci pour deux raisons :

    - tout dabord, lanalyse de Duval se situe un niveau o lon peut supposer que lapprentissage des vidences graphiques ou des jugements dune seule venue , est dj ralis. Nos remarques soulignent simplement que cet apprentissage pralable doit tre acquis pour que lanalyse cognitive de Duval sapplique.

    - Dautre part, personne ne songe (ou ne songe plus ?) enseigner une gomtrie sur une base axiomatique rigoureuse, la Hilbert, ce qui ntait dailleurs pas le projet de Hilbert lui-mme, lequel sattache lanalyse de notre intuition de lespace . Cette analyse consiste pour lui dcouvrir, en particulier, les relations logiques entre les divers noncs gomtriques vrais, y compris ceux considrs alors comme vidents, mais le but nest pas dinventer une nouvelle faon de faire ou denseigner la gomtrie plane (Arsac, 1998).

    Au total, notre analyse propose donc de complter celle de Duval en soulignant que la dmonstration en gomtrie au collge ne se rduit pas laspect raisonnement dductif ; il ne sagit pas dune rfutation des rsultats de Duval. Il resterait videmment complter notre propre analyse par une tude prcise des modifications apporter compte tenu de lemploi des logiciels de gomtrie dynamique ! Nous avons mentionn le fait que lon distingue parfois dans une dmonstration gomtrique diffrents cas de figure. On peut remarquer que cette distinction entre deux ou trois cas et son caractre exhaustif ne sont en gnral fonds que sur des vidences graphiques. Lorsquon admet, souvent implicitement et toujours sans argumentation explicite, quil ny a quun seul cas de figure, ce qui prcde montre que lon admet en fait que le dessin que lon a trac a un caractre gnrique !

  • Ce genre de question nest pas abord en didactique, sans doute parce queffectivement on sait depuis longtemps que la dmonstration gomtrique classique assure la gnralit de ce quelle dmontre, ce qui revient la rduire au seul aspect de la ncessit. Cet escamotage du problme de la gnralit est ncessaire si lon veut viter les redoutables problmes dus la lecture sur le dessin de certaines informations ncessaires la dmonstration. Cependant la prise de conscience du fait que cest le dessin, et non lobjet gomtrique abstrait, qui doit avoir un caractre gnrique a les avantages suivants :

    - elle montre que lon peut faire de la gomtrie, sans rsoudre le problme philosophique du statut de lobjet gomtrique (Arsac, 1999, p. 363 et 385-87), que chacun peut rsoudre sa manire sans que cela influe sur la pratique de la dmonstration gomtrique.

    - Elle rappelle lenracinement de la gomtrie dans la perception, et souligne, du point de vue pdagogique la continuit entre la familiarisation avec le dessin gomtrique qui remonte lcole primaire et la dmonstration gomtrique. Elle fait le lien entre le point de vue de Rouche et celui de Duval.

    En ce qui concerne la dmonstration elle-mme, nous pouvons tirer les conclusions suivantes de cette brve tude : en gomtrie, le problme de la gnralit nest pas soulev, la dmonstration utilise des prmisses lues sur le dessin, mais pratiquement toujours de faon implicite. Ainsi ce qui reste visible, cest un raisonnement dductif, essentiellement en langue naturelle, ce qui explique que lexemple de la dmonstration gomtrique soit privilgi pour son apparente transparence logique. Une dernire remarque concerne ce que lon peut appeler la figure complte , cest--dire dans laquelle ont t ajoutes la figure initiale toutes les constructions ncessaires la dmonstration ; autrement dit, cest la figure complte par les introductions dobjets ncessaires la dmonstration. Aussi bien pour les Grecs que pour Hilbert, cette figure complte peut tre considre elle seule comme la dmonstration. Ceci souligne nouveau le rle fondamental des introductions dobjets et le fait que la dmonstration ne se rduit pas dabord, pour les mathmaticiens, un enchainement logique. 6) Donne ou hypothse. Du fait que la dmonstration dun nonc universel se fait en considrant un lment gnrique, elle commence par la donne dun tel lment. Ainsi, pour dmontrer que dans tout triangle les mdianes sont concourantes, on commence par la donne dun triangle quelconque, ce qui explique quil soit plus naturel de parler de donne que dhypothse. Parfois, lnonc du thorme prfigure et met dj en place cette mthode de dmonstration : soit f une fonction continue sur un segment [a, b], alors f est minore et majore sur [a, b] . La dmonstration commencera par soit donne une fonction f continue sur un segment [a, b] ; la donne de cette fonction continue tient lieu dhypothse, la conclusion restant alors f est majore et minore sur [a, b] . Quant lnonc complet quantifi, il serait quels que soient les nombres rels a et b, et la fonction f, si a < b et si f est continue sur [a, b], elle est majore et minore sur [a, b] . Cette forme lourde, dans laquelle on distingue et quantifie les donnes a, b, f et lhypothse (la fonction f est continue), est rarement explicite. De mme, lnonc classique du thorme des accroissements finis dissimule galement une quantification universelle implicite. En algbre, comme on vient de le voir, cest la notation littrale qui permet de travailler sur un nombre quelconque ; par exemple, pour dmontrer que pour tous rels a et b, on a (a + b)2 = a2 + 2ab + b2 , on commencera

  • par soit deux rels a et b , en ajoutant ventuellement quelconques . La donne est ici celle de a et b. Ainsi, la dmonstration dun nonc universel commence par une introduction dobjet, mais qui est en quelque sorte automatique pour le mathmaticien suffisamment expriment, et donc distincte de lintroduction dobjets qui, comme la parallle la base dans le cas de la preuve relative la somme des angles, reprsentent les ides qui font tout marcher. Mais bien entendu, comme les lves ne sont pas en gnral des mathmaticiens expriments, il y a ici matire apprentissage, tout au moins partir du moment o une part suffisante dinitiative leur est laisse. De plus, dans certains cas, cette introduction dobjet gnrique est moins vidente. Considrons par exemple lnonc lensemble des nombres premiers est infini . Du point de vue dun mathmaticien contemporain, on peut introduire la donne ensemble des nombres naturels premiers , ce qui ntait pas concevable pour un mathmaticien grec car il sagit dun ensemble dont on va montrer quil est actuellement infini. Pratiquement, on revient lquivalence infini = non fini et on dmontre en fait : quel que soit lensemble fini de nombres naturels que lon considre, il ne contient pas tous les nombres premiers. Alors la donne est celle dun ensemble fini de naturels premiers

    !

    n1,n2,...,np . Aprs lintroduction de cet objet gnrique vient celle de lobjet qui reprsente lide de la dmonstration, le nombrem = n1n2...np +1 . Cette dmonstration simple a donc une structure logique assez complexe si on ne se limite pas lanalyse en termes dnoncs. En revanche, partons de lnonc dEuclide (livre IX, proposition 20) qui vite linfini : Les nombres premiers sont plus nombreux que toute multitude de nombres premiers propose. Ici, lintroduction de la multitude propose

    !

    n1,n2,...,np simpose comme la donne de dpart. Mais on pourra trouver au chapitre 1 de Aigner et Ziegler (1998) six dmonstrations diffrentes du fait que lensemble des nombres premiers est infini : pour chacune de ces dmonstrations les donnes changent suivant les stratgies adoptes pour rsoudre le problme. Ce lien entre le choix des hypothses et des donnes et celui de la stratgie de dmonstration renvoie nouveau au concept dunit cognitive (cf. par ex Pedemonte 2005) : la rdaction de la dmonstration finale nest pas indpendante du processus de recherche qui la prcde. Quand on se donne un triangle ABC, lhypothse, qui consiste dans le fait que A, B et C ne sont pas aligns est souvent mange par le dessin, cest ainsi que lon tracera la parallle en A (BC) sans mentionner que le point A nest pas sur (BC) ou que pour dmontrer que les mdiatrices dun triangle sont concourantes, on considrera le point dintersection de deux mdiatrices, sans dmontrer quil existe. Dans ces deux cas, on nutilise pas les hypothses alors quil sagit souvent des premires dmonstrations proposes aux lves !

    7) Prmisses, invention et rdaction dune dmonstration. Nous allons maintenant aborder un aspect de la dmonstration indpendant du domaine mathmatique tudi, mais qui mettra en vidence les variations suivant le niveau mathmatique et le public vis, ce quon peut rsumer en parlant de dpendance par rapport linstitution de production et de destination de la dmonstration. On affirme parfois que la dmonstration consiste en une suite de dductions logiques permettant daller de lhypothse la conclusion, en ajoutant toutefois quon peut aussi remonter de lhypothse la conclusion en raisonnant par conditions suffisantes, ce que

  • lon dnomme alors chainage arrire pour le distinguer de la premire dmarche chainage avant . Cette affirmation doit tre complte et nuance, en ce sens que cette chaine de dductions utilise non seulement les hypothses et donnes particulires dont on dispose, mais aussi les noncs de la boite outils, et surtout des objets introduits par des constructions auxiliaires justifies par lensemble des connaissances mathmatiques antrieures ; celles-ci ninterviennent donc pas seulement comme un rservoir dnoncs tiers. Considrons par exemple la dmonstration classique relative la somme des angles dun triangle ABC qui consiste tracer en un sommet la parallle au ct oppos puis appliquer le thorme des angles alternes-internes. Cest la construction de cette parallle qui permet de mettre en branle le processus dductif, car on dispose alors de la configuration ncessaire (au point de vue gomtrique), cest--dire des conditions dentre indispensables lapplication du thorme des angles alternes-internes. Cette prmisse est donc la cl de la dmonstration. De mme, dans la dmonstration, que nous avons rappele, de linfinitude des nombres premiers, la cl est lintroduction du nombre m. Dans les dmonstrations lmentaires on peut en gnral introduire toutes les prmisses indispensables au dbut, mais dans les dmonstrations complexes, linjection de prmisses se fait tout au long du raisonnement, en brisant la chaine dductive. Il est certes possible de rtablir la continuit logique en citant intgralement les thormes qui autorisent lintroduction des prmisses. Par exemple, dans le cas de la somme des angles du triangle : comme ABC est un triangle, le point A nappartient pas la droite (BC), par consquent, comme par tout point extrieur une droite il passe une parallle unique cette droite, il existe une parallle (BC) passant par A Ce pas de dduction rtablit la chaine logique. Mais cette solution nest pas satisfaisante, ni du point de vue de llve, ni de celui du mathmaticien. Du point de vue de llve, lexistence de la parallle est atteste par le fait quon peut la tracer la rgle et au compas, ou excuter une commande sur un logiciel de dessin gomtrique, opration qui pour lui na pas a priori daspect logique. Dune manire gnrale, quand il sagit de gomtrie, lintroduction des prmisses apparait comme une opration de complmentation de la figure, confine au registre graphique, qui relve de la recherche de problme, de lheuristique, non dune tche dorganisation logique. Du point de vue du mathmaticien, la situation est en fait la mme. Cest dailleurs ainsi que le comprend Euclide qui spare soigneusement cette phase de constructions ncessaires la dmonstration de la dmonstration proprement dite. Plus gnralement, les objets mathmatiques introduits sans justification explicite, alors que celle-ci est en gnral possible, sont ceux qui doivent tre prsents, disponibles dans lesprit du mathmaticien, comme ils le sont pour llve, ventuellement comme primitives dans un logiciel, pour que la dmonstration puisse tre trouve, et qui doivent ltre dans lesprit du lecteur pour quelle soit effectivement comprise. Lorsquun mathmaticien introduit un objet ou lit une proprit sur le dessin, au cours dune dmonstration gomtrique, il na pas prsente lesprit une axiomatique de la gomtrie ; a fortiori sil dcide de considrer lensemble des objets qui vrifient une certaine proprit, il na pas prsent lesprit laxiomatique de la thorie des ensembles qui lui permettrait de justifier lexistence de celui quil vient dintroduire. On retrouve ici la distinction entre forme et rle dune dmonstration : une soumission totale, une rduction la pure logique serait contradictoire avec le rle de comprhension et de communication de la dmonstration. En effet, comme le souligne Poincar (1889), cest par la logique quon dmontre mais cest par lintuition quon invente : les introductions dobjets relvent plutt de lintuition et de la dcouverte et ne doivent pas tre dissoutes dans

  • la chaine logique. Du point de vue didactique, ceci soulve le problme du lien dans lapprentissage entre dcouverte et rdaction dune dmonstration. Faut-il faire apprendre simultanment dcouvrir et rdiger une dmonstration, ou faut-il sparer ces deux tches ? Du point de vue mathmatique, ceci explique un certain mpris des mathmaticiens vis--vis de lcriture et de la structure logique de la dmonstration. Ce qui est fondamental, cest linvention, cest--dire la fabrication des prmisses, la dcouverte des objets dont lintroduction permettra de mettre en marche le processus dductif. On retrouve ici lunit cognitive (Boero, Garuti, loc. cit., Pedemonte, 2002) entre la recherche et la rdaction de la dmonstration : si lon numre les domaines dans lesquels on peut reprer cette unit, il faut ajouter la liste de Pedemonte (2002) la liste des objets introduire ; cette liste peut dailleurs avoir un sens en dehors de la dmonstration au simple niveau de la comprhension du problme. Plus ces objets sont nombreux, plus ils se situent dans des domaines a priori loigns de celui de lnonc, plus leur introduction est originale par rapport aux mthodes classiques de dmonstration, plus la dmonstration sera difficile trouver. Dans certains cas, au contraire, cette introduction dobjets est relativement naturelle, et pourra tre obtenue simplement par lanalyse des Anciens, cest--dire en supposant le problme rsolu. La prpondrance des objets sur le raisonnement se retrouve en gomtrie, aussi bien chez Hilbert que chez Euclide. Pour toute dmonstration gomtrique, appelons figure complte (Arsac, 1999) la figure initiale complte par toutes les constructions dobjets ncessaires la dmonstration. Il semble bien attest historiquement que pour les Grecs, cette figure complte pouvait tre considre comme une mtonymie de la dmonstration. Or, Hilbert adopte le mme point de vue. Cest ainsi quil crit (Hilbert, 1899) La dmonstration bien connue, due Euclide et illustre par la figure ci-contre, conduit au thorme :

    Thorme 44 : deux paralllogrammes de mme base et de mme hauteur sont quicomplmentaires . Dans la suite, Hilbert utilise nouveau la figure complte comme mtonyme d'une dmonstration, y compris dans des cas o la reconstitution de la dmonstration partir de la figure n'est pas vidente. Ainsi, mme en gomtrie, la dmonstration ne se rduit au raisonnement que si lon carte les problmes qui demanderaient un trop grand appel au dessin1, ou dont la longueur

    1 Il en est ainsi du problme suivant : soit dans un plan deux cercles extrieurs lun lautre (la somme des rayons est strictement infrieure la distance des centres), existe-t-il des points M dans le plan, extrieurs aux deux cercles, tels que toute droite passant par M coupe au moins un des deux cercles ? Il nest pas trop difficile de rsoudre le problme graphiquement, mais il est pratiquement impossible de rdiger une dmonstration de la solution fonde sur autre chose que des vidences lues sur le dessin.

  • ncessiterait des cassures du raisonnement pour introduire de nouveaux objets. Cette restriction de la difficult est certainement invitable dans une phase dinitiation. Yves Chevallard avait identifi deux diffrences essentielles entre les dmonstrations savantes et les dmonstrations scolaires : une dmonstration savante est juste ou fausse, il ny a pas de milieu, alors quune dmonstration scolaire peut valoir 10/20 ; une dmonstration savante a pour fonction de prouver, une dmonstration scolaire vise montrer le niveau de son auteur. Ces diffrences portent sur la fonction de la dmonstration. En ce qui concerne son contenu, nous pouvons ajouter que lon cherchera au niveau scolaire rduire la complexit par deux mthodes : diminution du nombre de pas de raisonnement, diminution du nombre dobjets introduire. 8) Pour conclure sur lintrt des mathmatiques du collge.

    1) On trouvera dans Arsac (1998) une tude systmatique des implicites lus sur le dessin dans les dmonstrations de gomtrie plane.

    2) On trouvera dans le premier chapitre de Aigner et Ziegler (1998) six manires diffrentes de dmontrer que lensemble des nombres premiers est infini qui permettent de voir combien le choix des prmisses anticipe dj la dmonstration. Ce livre, Raisonnements divins, est une collection de dmonstrations choisies pour leur beaut, souvent complexes, mais nutilisant gure que des outils enseigns dans les deux premires annes de luniversit. Cest un bijou recommander tous ceux qui sintressent la dmonstration et en tout cas faire acheter par toutes les bibliothques dtablissement. Et je vous recommande ltude de la deuxime dmonstration propose, celle du postulat de Bertrand qui affirme que pour tout entier n, il existe toujours un nombre premier entre n et 2n. Parmi toutes les lectures que lon peut faire dune telle dmonstration, la lecture centre sur la logique, dbusquant les implicites, les introductions dobjet, les introductions dobjets gnriques (il nest pas toujours facile, et parfois un peu arbitraire, de distinguer ces deux catgories), peut montrer que ces catgories, qui apparaissent dj dans les dmonstrations du collge, restent pertinentes pour analyser une dmonstration qui est dj dune grande complexit, cette dernire se traduisant en particulier par un nombre trs lev dintroductions dobjets, traces des ides remarquables qui ont permis ce rsultat.

    Aigner M, Ziegler GM, 1998, Proofs from THE BOOK, Springer, Berlin. Traduction franaise par N. Puech et J.-M. Morvan, Raisonnements divins, Springer, Paris, 2002. Arsac G, 1998, L'axiomatique de Hilbert et l'enseignement de la gomtrie au collge et au lyce. Alas, Lyon, 125 pages. Arsac G, 1999, Variations et variables de la dmonstration gomtrique, Recherches en didactique des mathmatiques, 19/3, p. 357-390. Balacheff N, 1987, Processus de preuve et situations de validation, Educational Studies in Mathematics, 18, n 2, Mai 1977, p. 147-176.

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