Alejandro Gómez - 1790 1886 Tesis Doctoral
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COLE DES HAUTES TUDES EN SCIENCES SOCIALES
ECOLE DOCTORALE DHISTOIRE ET CIVILISATIONS
Thse de doctorat en Histoire
LE SYNDROME DE SAINT-DOMINGUE
Perceptions et reprsentations de la Rvolution hatienne dans le Monde Atlantique, 1790-1886
par
Alejandro Enrique GMEZ PERNA
sous la direction de
Frdrique LANGUE
Membres du jury :
Carmen BERNAND
Aline HELG
Frdrique LANGUE
Annick LEMPRIRE
Jean-Frdric SCHAUB
Clment THIBAUD
Soutenue le 13 dcembre 2010
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Cette thse a t prpare dans le cadre des centres
de recherches suivants :
Centre dtudes et de recherches sur les
Mondes amricains (C.E.R.M.A.)
Mondes Amricains,
Socits, Circulations, Pouvoirs
(XVme - XXIme sicle)
(M.A.S.C.I.P.O.), UMR 8168
cole des Hautes tudes
en Sciences Sociales,
54 bd Raspail,
75006 Paris.
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Rsum
Jusqu{ la dernire dcennie du XVIIIe sicle, Saint-Domingue tait la colonie de
plantation la plus prospre du continent amricain. Ce fut prcisment dans le nord de
ce territoire insulaire que se produisit en 1791 la rbellion desclaves qui marqua peut-
tre le plus lhistoire du Nouveau Monde. Cet vnement a t suivi par des conflits civils
et militaires qui, ultrieurement, ont conduit { l'Indpendance dHati en 1804. Ds le
dbut de ce processus de nature sociale et politique, la situation des Blancs sen trouva
affecte, notamment dans les socits esclavagistes voisines qui craignaient pour leur
propre paix intrieure et salarmrent de la violence dune insurrection qui dboucha
sur une Rpublique indpendante dirige exclusivement par des Noirs et des multres.
De cette crainte collective on trouve des manifestations presque dans toute la Grande
Carabe, aussi bien de manifestations dangoisse, de peur que de panique, ainsi dans le
discours tenu sur ce point par les Blancs. Elles continurent de se manifester tout au
long du XIXe sicle, jusqu{ ce que lesclavage ft aboli dans chaque territoire, et parfois
mme au-del{. Ces manifestations mettent en vidence lexistence dun traumatisme de
porte supranationale li aux vnements survenus dans la Perle des Antilles , et la
rception de ces derniers jusqu{ constituer un syndrome collectif . Notre travail
sattache par consquent { dterminer la vritable extension et les consquences de ce
phnomne, en analysant dans le dtail et dans diverses aires culturelles du Monde
Atlantique (anglophone et hispanophone) chacune de ses manifestations, voire de ses
enjeux sur le plan politique, travers des outils analytiques inspirs notamment des
sciences cognitives.
Mots cls
Monde Atlantique, Carabes, Hati, Saint-Domingue, Venezuela, Cuba, Jamaque, Virginie,
tats-Unis, Rvolution hatienne, abolitionnisme, esclavage, peur, motions, Psychologie
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Titre en anglais
The Syndrome of Saint-Domingue: Perceptions and representations of the Haitian
Revolution in the Atlantic World, 1790-1886
Abstract
Until the last decade of the eighteenth century, Santo Domingo was the most
prosperous plantation colony in the Americas. It was precisely in the north of this
insular territory where in 1791 broke out the slave rebellion that perhaps marked
the most the history of the New World. This event was followed by civil and military
conflicts which, further on, led to the independence of Haiti in 1804. From the beginning
of this social and political process, the situation of the Whites was affected, especially in
the nearby slave societies who feared for their own inner peace and were alarmed by
the violence of an insurgency which could led to an independent Republic ran
exclusively by Blacks and Mulattos. Evidences of this widespread collective alarm can be
found almost everywhere in the Greater Caribbean, as well as expressions of anxiety,
fear and even of panic, also in the discourse held on this issue by the Whites. These
evidences continued to happen throughout the nineteenth century, until slavery was
abolished in each territory, and sometimes even later. They highlight the existence of a
supranational traumatism related to the events occurred in the Pearl of the Antilles ,
which has been described as a collective syndrome. Our work aims therefore to
determine the real extent and consequences of this phenomenon, by analyzing in detail
each of its manifestations in the various cultural areas of the Atlantic World (English and
Spanish speaking), including its political repercussions, by using analytical tools
particularly inspired in the cognitive sciences.
Keywords
Atlantic Word, Caribbean, Haiti, Saint-Domingue, Venezuela, Cuba, Jamaica, Virginia,
United States, Haitian Revolution, Abolitionism, Slavery, Fear, Emotions, Psychology
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ma famille et mes collgues
vnzuliens qui, malgr tout,
continuent se battre pour la
bonne histoire .
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Il n'y a pas de haine de races parce qu'il n'y a pas de
races. [] L'}me mane, gale et ternelle, des corps
diffrents en forme et en couleur. Il pche contre
l'Humanit celui qui fomente et propage l'opposition et la
haine des races .
Jos Mart, Notre Amrique ,
Revista Ilustrada de New York, 1871
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REMERCIEMENTS
Cette thse doctorale est le rsultat de plusieurs annes de recherches dans les
archives et bibliothques des deux cts de l'Atlantique. Un grand nombre de personnes
et dinstitutions ont contribu { sa ralisation, et je leur dois { toutes une reconnaissance
profonde. Lide dentamer les recherches dont je prsente ici le rsultat mest venue en
1998, quand jtais encore tudiant { lUniversit Central de Venezuela. En liaison avec
cette thmatique, mon parcours de chercheur a en effet commenc lors de ces premires
recherches effectues sous la direction de mon professeur et ami Ramn Aizpurua, que
je tiens { remercier tout particulirement de mavoir fait apprcier lhistoire de la
Carabe, et de mavoir montr que la Terre Ferme hispanique faisait galement partie de
cette merveilleuse Mditerrane des Amriques . Il convient galement de remercier
les professeurs Jos Rafael Lovera, Germn Carrera Damas, Mara Elena Gonzlez de
Lucca, Henry Surez, Michelle Ascencio, Bernard Gainot, Georges Lomn et Franois-
Xavier Guerra ; leurs conseils initiaux mont considrablement aid dmarrer avec un
bon vent mon projet de recherche.
Depuis mon arrive en France, jai fait la connaissance de nombreuses personnes
dont lamiti na fait que faciliter mon sjour et le bon droulement de mes recherches.
Je pense en premier lieu, ma directrice de thse, Frdrique Langue, qui a toujours t
dispose { me donner toute laide dont javais besoin, tant du point de vue acadmique
que personnel. Je lui exprime galement ma gratitude pour les encouragements quelle a
su me prodiguer pendant la dure de cette recherche, les conseils pertinents quelle ma
donns et sa patience sans mesure mon gard. Il me faut galement mentionner
Capucine Boudin, Elizabeth Burgos, Aude Argouse, Annick Lemprire, Marcel Dorigny,
Lydia Robin, Christophe Giudicelli, Mara Eugenia Albornoz, Leonardo Garca, et Juan
Carlos Garavaglia. Hors de France, Carole Leal, Manuel Barcia, Manuel Garate, Salvador
Bernabeu, Jordana Dym, Matthew Brown, Ins Quintero, Carlos J. Gmez, et Estrella
Marciano.
Les approches psychologiques mont toujours fascin, et je le dois { mon pre,
Otto Lima Gmez, qui ma transmis ses inquitudes de chercheur et directeur pendant
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plusieurs annes durant dun centre de recherches en psychologie exprimentale. Je
remercie par ailleurs trs vivement Alessandro Stella, Johanna von Grafenstein, Robin
Blackburn, Rebecca Scott, Federica Morelli, Laurent Dubois, Gilles Havard, Michel
Zeuske, Clment Thibaud, Consuelo Naranjo, et John Garrigus ; leurs conseils,
recommandations et critiques m'ont grandement aid et guid dans mes recherches. Je
dois galement beaucoup Romy Snchez, Manuel Covo, Laurie-Anne Laget, Gilles
Havard et Carmen Bernand, qui ont procd une relecture critique de certaines parties
de la version finale de ce travail.
Ces remerciements seraient incomplets si ny taient mentionns les organismes
et institutions qui m'ont permis de raliser ce travail de recherche. En premier lieu,
l'Ambassade de France au Venezuela, qui ma accord une bourse de doctorat par
lintermdiaire dEdu-France, malgr le refus ultrieur du gouvernement vnzulien
dhonorer ses engagements { mon gard dans le cadre de ce programme de coopration
binational... Jexprime galement ma reconnaissance au C.E.R.M.A., au MASCIPO et
lcole doctorale dHistoire et civilisations de lE.H.E.S.S., qui ont contribu au soutien
financier de mes recherches. Mes remerciements s'adressent galement aux institutions
qui mont octroy des bourses de recherche, ainsi la Virginia Historical Society, le Gilder
Lehrman Institute of American History, The David Nicholls Memorial Trust, et la Escuela
de Estudios Hispanoamericanos. Je remercie galement le Centro de Estudios Histricos
BOLIVARIUM, de lUniversit Simn Bolivar, de mavoir accueilli pendant la premire
tape de mes recherches.
Enfin, mes penses vont tout naturellement et tout spcialement ma famille au
Venezuela, en particulier { mes parents, Dulce et Otto Lima, mais aussi { ma sur
Hannia, mes frres Otto et Leopoldo, ainsi que mon beau-frre Carlos, pour la confiance
et le soutien quils ont manifest durant ces longues annes de recherche. En tout
dernier lieu, je dois remercier mon fils Alejandro Jos ( qui cette thse a vol tant de
moments) et mon pouse Marianne, pour laide quils mont constamment prodigue,
ainsi que pour la patience dont ils ont fait preuve de tout au long de ce parcours. Si cette
thse a pu voir le jour, cest en grande partie gr}ce { leur soutien affectif et leur
comprhension de tous les jours.
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TABLE DES MATIERES
Introduction ...................................................................................................................................................................... 19
Partie I - Chapitre 1
Le ciel au-dessus du Cap-Franais sest illumin .................................................................................................. 41
1.1. La logique des informations officielles ..................................................................................................... 43
1.1.1. Des visiteurs informs ............................................................................................................................ 44
1.1.2. Rseaux dinformation ........................................................................................................................... 45
1.1.3. Espions, agents et autres informateurs ........................................................................................... 47
1.2. Les gouverneurs espagnols ........................................................................................................................... 48
1.2.1. Santo Domingo informe les territoires hispaniques ................................................................. 48
1.2.1.1. Une frontire chaude ......................................................................................................... 50
1.2.1.2. Massacre Juana Mndez ....................................................................................................... 55
1.2.1.3. Les reprsailles des troupes auxiliaires ............................................................................ 57
1.2.2. Personne nest mieux inform que le gouverneur cubain ....................................................... 59
1.2.2.1. un souffle de vent ............................................................................................................ 59
1.2.2.2. La mission dArango .................................................................................................................. 64
1.2.3. Le Venezuela : si loin et pourtant si proche ................................................................................... 66
1.3. Les gouverneurs de la Jamaque : un regard depuis le Sud-ouest ................................................. 70
Partie I - Chapitre 2
Les drames des rfugis blancs de La Hispaniola ................................................................................................. 83
2.1. L exode des rfugis de La Hispaniola ............................................................................................... 85
2.2. Santo Domingo: rcepteur et gnrateur de rfugis ........................................................................ 88
2.3. Les territoires daccueil .................................................................................................................................. 90
2.3.1. Cuba : le foyer des migrs saint-dominguois ....................................................................... 90
2.3.2. Venezuela : le refuge des Espagnols dominicains ....................................................................... 92
2.3.3. Jamaque : une solidarit limite ....................................................................................................... 94
2.3.4. La Virginie et le dpart massif de 1793 ........................................................................................... 96
2.4. Des calamits la premire personne ...................................................................................................... 98
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2.4.1. La ruine de la famille Rouvray ............................................................................................................ 99
2.4.2. Lodysse dun jeune planteur................................................................................................... 102
2.4.3. Une Nord-Amricaine aux Carabes ............................................................................................... 105
2.4.4. Doa Francisca et Don Arredondo ................................................................................................. 108
2.5. Des pnuries sajoutent aux horreurs ............................................................................................. 113
2.5.1. Sorties in extremis ................................................................................................................................. 114
2.5.2. Les pnuries de lmigration ............................................................................................................ 114
2.5.3. chapper la misre ............................................................................................................................ 117
2.5.4. Sparations familiales ......................................................................................................................... 118
2.5.5. Pris par des corsaires........................................................................................................................... 119
2.5.6. Pnuries en haute mer ........................................................................................................................ 120
2.5.7. La solidarit des locaux ....................................................................................................................... 122
Partie I - Chapitre 3
Calamits noir sur blanc ...................................................................................................................................... 127
3.1. Les horreurs dans la presse ................................................................................................................ 130
3.1.1. Saint-Domingue dans la Gaceta de Madrid .................................................................................. 130
3.1.2. Saint-Domingue dans la presse virginienne ............................................................................... 132
3.2. Chroniques chaud ................................................................................................................................ 139
3.2.1. Publications dans lAtlantique britannique ................................................................................ 139
3.2.1.1. Pamphlets franais traduits et publis Londres ........................................................... 140
3.2.1.2. Le rcit historique de monsieur Gros ............................................................................. 142
3.2.1.3. Ltude historique de Bryan Edwards ................................................................................. 144
3.2.1.4. L objectivit de Marcus Rainsford .................................................................................. 148
3.2.2.5. Le Toussaint de Dubroca ........................................................................................................... 153
3.2.2. Publications dans lAtlantique hispanique .................................................................................. 155
3.2.2.1. Une histoire de Santo Domingo .............................................................................................. 155
3.2.2.2. Le Dessalines de Dubroca ......................................................................................................... 156
Partie II - Chapitre 4
closion dinquitude chez les Blancs de la Grande-Carabe ........................................................................ 165
4.1. Subir et dcrire une nouvelle angoisse .............................................................................................. 166
4.2. Craintes antrieures et autres angoisses contemporaines ............................................................ 168
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4.2.1. Rbellions desclaves avant 1791 ................................................................................................... 168
4.2.2. Linsurrection { venir (ou qui ne vient pas) ............................................................................... 173
4.2.3. Lennemi interne .................................................................................................................................... 176
4.2.4. Des thmatiques et des mesures inopportunes .................................................................... 178
4.2.4.1. Le dbat abolitionniste en Grande-Bretagne ............................................................... 178
4.2.4.2. Un code et une grce drangent les Blancs espagnols ...................................... 180
4.3. La tourmente rvolutionnaire franco-antillaise se rapproche..................................................... 183
4.3.1. Les dangereux idaux rvolutionnaires franais .............................................................. 183
4.3.1.1. Le Cordon sanitaire hispanique ................................................................................... 183
4.3.1.2. La grippe galitaire qui menace les West Indies .................................................... 185
4.3.1.3. Alarme pour les dsordres dans les les du vent .................................................. 186
4.3.2. Rsistance dinspiration franco-antillaise ................................................................................... 187
4.3.2.1. L insolence des esclaves .................................................................................................. 188
4.3.2.2. Rbellions dinspiration franco-antillaise ...................................................................... 190
4.3.2.3. En semant des rumeurs ......................................................................................................... 197
4.3.2.4. Ptitions des libres de couleur ............................................................................................ 199
4.4. Individus indsirables : rfugis et prisonniers. ................................................................................ 201
4.4.1. Mfiance croissante envers les rfugis franais ..................................................................... 201
4.4.1.1. Jamais les bienvenus dans les territoires hispaniques ............................................ 202
4.4.1.2. La Jamaque sen mfie aussi .............................................................................................. 203
4.4.1.3. Lacceptation des tats-Unis ............................................................................................... 210
4.4.2. La prsence de prisonniers franais inquite ........................................................................... 213
4.5. Conspirations, rumeurs et invasions dinspiration jacobine ........................................................ 216
4.5.1. La bonne parole de la rvolution voyage par la mer ....................................................... 216
4.5.2. Une conspiration dinspiration jacobine sur la Terre Ferme hispanique ...................... 219
4.5.3. Menaces et rumeurs dinvasion ....................................................................................................... 223
4.5.3.1. Des multres de Rigaud Maracaibo ............................................................................... 223
4.5.3.2. Linvasion attendue en Virginie et Cuba ......................................................................... 225
4.5.3.3. Laffaire Sasportas .................................................................................................................... 227
Partie II - Chapitre 5
Les autorits face aux rvolutions franco-antillaises ...................................................................................... 232
5.1. Les Blancs se protgent ............................................................................................................................... 233
5.1.1. Des renforts de troupes pour la Jamaque ................................................................................. 233
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5.1.2. Renforant la dfense des ctes ..................................................................................................... 237
5.1.2.1. Les dfenses de Cuba ........................................................................................................... 237
5.1.2.2. Des allis peu fiables ............................................................................................................ 240
5.1.3. Demande de renforts en Virginie .................................................................................................. 242
5.1.4. Aides aussi solidaires que pragmatiques ................................................................................... 244
5.1.5. Lgislation sur les esclaves et les libres de couleur ............................................................... 249
5.2. Polmiques autour de larmement des Noirs ..................................................................................... 251
5.2.1. Non aux Noirs arms .......................................................................................................................... 252
5.2.2. Mfiance { lgard des Noirs allis ................................................................................................ 257
5.2.2.1. Les Noirs auxiliaires Cuba ....................................................................................... 257
5.2.2.2. Des troupes coloniales en Jamaque ....................................................................... 260
5.3. Non aux Noirs franais .......................................................................................................................... 261
5.3.1. Mesures visant empcher leur entre ...................................................................................... 261
5.3.1.1. Transgressant le cordon sanitaire hispanique ................................................... 261
5.3.1.2. Virginie : un refus volutif ................................................................................................. 264
5.3.1.3. Accords et dsaccords en Jamaque ............................................................................... 268
5.3.2. Les intrusions clandestines .............................................................................................................. 274
Partie II - Chapitre 6
Saint-Domingue chez nous .................................................................................................................................. 279
6.1. Une motion [presque] insaisissable ..................................................................................................... 281
6.2. Apprhensions atlantiques au temps des rvolutions .................................................................... 282
6.2.1. Un comte cossais contre la Convention nationale ................................................................. 282
6.2.2. Des multres saint-dominguois Curaao ................................................................................. 292
6.2.3. La dcision du gnralissime ..................................................................................................... 303
Partie III - Chapitre 7
Qui craint le mauvais exemple de Saint-Domingue ? ................................................................................ 316
7.1. Une peur voile ............................................................................................................................................... 317
7.1.1. Les planteurs jamacains profitent de la conjoncture ............................................................ 318
7.1.2. Le rve d'Arango devient ralit ..................................................................................................... 320
7.1.3. Les diffrends au sujet du commerce avec Saint-Domingue et Hati ............................... 324
7.2. La Terreur, Saint-Domingue et les ides politiques rpublicaines ............................................ 328
7.2.1. Soutien la Rvolution franaise .................................................................................................... 329
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7.2.2. La grande dsillusion rpublicaine ................................................................................................ 332
7.3. Lutopie des nations blanches ou blanchies ........................................................................................ 336
7.3.1. Bolvar et la menace de la pardocratie .................................................................................. 336
7.3.2. La Nation blanche des habitants de Virginie .............................................................................. 341
7.3.3. Esclavage et libralisme Cuba ....................................................................................................... 346
7.4. Isoler ou dtruire la nation d'ex-esclaves ............................................................................................ 350
7.4.1. La rinstauration de l'ancien rgime colonial Saint-Domingue ..................................... 351
7.4.2. L'Amrique aux Amricains , et non aux Hatiens.............................................................. 355
7.4.3. Bolvar : entre les prjugs et la ncessit .................................................................................. 356
Partie III - Chapitre 8
Un argument trs convaincant ................................................................................................................................ 363
8.1. Saint-Domingue dans le Parlement britannique ............................................................................... 365
8.1.1. La rvolte de 1791 : un vnement, deux leons ..................................................................... 370
8.1.1.1. La faute aux abolitionnistes ................................................................................................. 370
8.1.1.2. L'opportunisme des esclaves ............................................................................................... 374
8.1.2. La menace latente ........................................................................................................................... 376
8.1.2.1. Trop d'esclaves comme Saint-Domingue ................................................................... 376
8.1.2.2. Le problme des nouveaux esclaves (Edward Long dixit) ..................................... 378
8.1.2.3. Scurit des Indes Occidentales britanniques ............................................................ 381
8.1.2.4. Sombre dans loublie ........................................................................................................... 384
8.1.2.5. Justifier la rvolte .................................................................................................................... 387
8.1.2.6. Un exemple alarmant ............................................................................................................. 391
8.1.3. Accuser la France et les abolitionnistes ....................................................................................... 393
8.1.3.1. Les Friends of the Blacks sont des Jacobins ............................................................ 393
8.1.3.2. Les abolitionnistes britanniques font de mme ......................................................... 396
8.1.3.3. Ils veulent dtruire les Indes Occidentales ................................................................... 399
8.1.3.4. Les abolitionnistes aux abois.............................................................................................. 403
8.1.3.5. Distinguer abolition et mancipation ............................................................................. 406
8.1.3.6. La prcipitation injustifie des abolitionnistes ....................................................... 408
8.2. Saint-Domingue dans les Cortes espagnoles ....................................................................................... 412
8.2.1. Les Cortes de Cdiz de 1810 et 1821 ............................................................................................. 414
8.2.2. Une proposition inattendue .............................................................................................................. 417
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8.2.3. L'avertissement du pre Varela ....................................................................................................... 419
8.2.4. Les ides des nouveaux abolitionnistes espagnols ................................................................. 421
8.2.5. L'exemple hatien dans les derniers dbats ............................................................................... 423
Partie III - Chapitre 9
Langoisse continue : Saint-Domingue dans la mmoire historique .................................................... 431
9.1. Mmoire et oubli de la Rvolution hatienne ...................................................................................... 433
9.1.1. La menace sternise ........................................................................................................................ 433
9.1.1.1. Cuba .............................................................................................................................................. 433
9.1.1.2. La Jamaque ............................................................................................................................... 439
9.1.2. Un silence apparent au Venezuela et en Virginie ..................................................................... 443
9.1.2.1. Un traumatisme qui en efface un autre ? ................................................................ 443
9.1.2.2. Un trou de mmoire gnrationnel........................................................................... 448
9.2. Explosion de mmoire en Virginie ................................................................................................... 450
9.2.1. La tragdie de Southampton ...................................................................................................... 450
9.2.2. Les moyens imprims du souvenir ................................................................................................ 454
9.2.3. Un exemple pour les abolitionnistes du Nord ........................................................................... 458
9.2.4. De Cap-Franais { Harpers Ferry ................................................................................................... 460
Conclusion ........................................................................................................................................................................ 469
Annexe 1 : Les lites blanches euro-amricaines .................................................................................... 491
Annexe 2 : Approche mthodologique ................................................................................................................ 494
Annexe 3 : Distribution ethno-dmographique .............................................................................................. 498
Annexe 4 : Le paradis des Antilles .................................................................................................................. 504
Annexe 5 : Liste de gouverneurs, 1790-1805................................................................................................... 506
Annexe 6 : Chronologie .............................................................................................................................................. 507
Annexe 7 : Cartes historiques ................................................................................................................................. 509
Sources et bibliographie ............................................................................................................................................. 515
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TABLE DES FIGURES
Figure 1 : Incendie du Cap. Rvolte gnrale des Ngres ................................................... 40
Figure 2 : Plantations incendies dans la Plaine du Nord en 1791 ........................................... 51
Figure 3 : Disposition des cadavres dans lglise de Dajabon ..................................................... 56
Figure 4: Liste de quelques noms des Blancs morts Saint-Domingue en 1804 ................ 79
Figure 5 : Incendie du Cap-Franais en 1793. ................................................................................... 97
Figure 6: Massacre de tous les Blancs Saint-Domingue. ..........................................................137
Figure 7 : The mode of exterminating the Black Army ......................................................154
Figure 8 : Revenge taken by the Black Army .........................................................................154
Figure 9 : Blood Hounds attacking a Black Family in the Woods ......................................154
Figure 10: Cristobal comandte del Exercito ..........................................................................160
Figure 11: Fue muerta y destrozada .........................................................................................160
Figure 12: Desalines huye del valor francs ..........................................................................160
Figure 13 : A real sans-culotte ........................................................................................................164
Figure 14 : Rvolte des Noirs Coromanti ..........................................................................................172
Figure 15: Libelle qui circula Caracas en 1790 ............................................................................182
Figure 16: Proclame du gouverneur Balcarres. ..............................................................................206
Figure 17: Vue de lentre { la baie de Kingston ............................................................................207
Figure 18 : Cocardes rquisitionnes Kingston en fin dcembre 1799 .............................230
Figure 19 : Un Noir dans un red coat ...........................................................................................256
Figure 20 : Balcarres, Lauffer et Miranda .........................................................................................286
Figure 21 : Capitulation des Marrons .................................................................................................291
Figure 22 : Le port de Willemstadt ......................................................................................................298
Figure 23: Des Jacobins noirs selon Gillray ...............................................................................315
Figure 24 : Lapothose dHoche ....................................................................................................398
Figure 25 : Le gnie de la France triomphe ...............................................................................403
Figure 26 : The new Union Club .....................................................................................................410
Figure 27: El Negro Santos de Santo Domingo .........................................................................422
Figure 28 : Rbellion des esclaves la Jamaque ...........................................................................441
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Figure 29 : Horrid massacre en Virginie .....................................................................................455
Figure 30 : Lincoln signe la proclamation dabolition de lesclavage .....................................465
Figure 31 : Une plantation aux Antilles ..............................................................................................504
Figure 32 : Vue du Cap-Franais. ..........................................................................................................504
Figure 34 : Plan de la ville du Cap-Franois .....................................................................................505
Figure 33 : Une place au centre du Cap-Franais ...........................................................................505
TABLE DES CARTES
Carte 1 : Routes de navigation et directions des vents aux Carabes. ...................................... 39
Carte 2 : Frontire entre Saint-Domingue et Santo Domingo ..................................................... 49
Carte 3 : Le Passage du vent .............................................................................................................. 60
Carte 4 : Circulations des rfugis de La Hispaniola, 1790-1806 .............................................. 86
Carte 5 : Fort Amsterdam et Over Zde .............................................................................................297
Carte 6 : Baies de St. Ann et de St. Michel ..........................................................................................297
Carte 7 : Littoral de la Province de Caracas ......................................................................................308
Carte 8 : Saint-Domingue .........................................................................................................................510
Carte 9 : Cuba ...............................................................................................................................................511
Carte 10 : Virginie .......................................................................................................................................512
Carte 11 : Jamaque ....................................................................................................................................513
Carte 12 : La Terre Ferme hispanique ................................................................................................514
TABLE DES GRAPHIQUES
Graphique 1: Prix du muscovado Londres et production de sucre la Jamaque .................. 318
Graphique 2 : Population cubaine, 1791-1861 ................................................................................................ 501
Graphique 3 : Population de la Jamaque, 1775-1834 .................................................................................. 501
Graphique 4 : Population du Venezuela, en 1800 et 1839 .......................................................................... 502
Graphique 5 : Population de Virginie, 1792-1861 .......................................................................................... 502
Graphique 6 : Virginie. Quantit desclaves par comt ................................................................................. 503
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LISTE DES ABRVIATIONS
AGI Archivo General de Indias
AGN Archivo General de la Nacin
AGS Archivo General de Simancas
AHN Americas Historical Newspapers
CAOM Centre d'Archives d'Outremer
CO Colonial Office
GCG Gobernacin y Capitana General
LOV Library of Virginia
JCB John Carter Brown
N.d. Non disponible
PQ Proquest
S.d. Sans date
S.t. Sans titre
SHM Service Historique de la Marine
TNA The National Archives
VHA Virginia Historical Society
WO War Office
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INTRODUCTION
Le 24 aot 1791, l'inspecteur des frontires du village de Dajabn (situe dans la
partie nord-occidentale de Santo Domingo) envoya un message dune teneur pour le
moins inquitante son gouverneur : Il y a un incendie gnral dans la colonie ,
faisant allusion de la sorte la colonie franaise de Saint-Domingue. Au loin, dans la
Plaine du Nord, plus prcisment dans la Petite-Anse, du feu tait visible et selon les
informations qui parvinrent, au moins une habitation avait t brle. Il savra que
cette ambiance de destructions tait conscutive un soulvement d'esclaves, qui s'tait
dclench la veille de lincendie relat par linspecteur des frontires. Toujours selon
l'information dont disposaient ces autorits, les esclaves soulevs faisaient de tous les
Blancs qu'ils rencontraient des victimes de leur frocit 1.
Cette missive fut la premire des nombreuses informations qui allaient concerner
les vnements violents survenant dans l'le de La Hispaniola tout au long des annes
suivantes, en particulier dans la partie franaise, et qui ne prendront fin que peu aprs
l'Indpendance dHati en 1804. La diffusion de ces informations par diverses voies fit
leffet dun cataclysme dont le Monde Atlantique en gnral se trouva tre le th}tre.
Elles mettaient en effet en vidence, devant les yeux incrdules des Europens et des
descendants des Europens dans lAncien et le Nouveau Monde, la manire la colonie la
plus riche des Amriques leur chappait peu peu dans ce tourbillon impromptu et
sanglant, au point de devenir une nation de Noirs et de multres.
la fin du XVIIIe sicle, Saint-Domingue tait en effet devenue un territoire
colonial extrmement prospre : principal producteur de caf et de canne sucre du
monde, ainsi que l'un des principaux producteurs d'indigo et d'autres produits agricoles,
la commercialisation de ses productions constituait un moteur important de l'conomie
1 Mensaje del inspector de frontera (Dexabon, 24/08/1791) , AGI, Santo Domingo, 1029, f. 1-2.
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franco-atlantique. Au total, la valeur de ses exportations annuelles s'levait cette
poque plus de 137 millions de livres, ce qui reprsentait 70 % de la somme que la
France rcoltait de la production de toutes ses possessions amricaines. Ce chiffre
reprsentait plus que ce que rapportaient les mtaux prcieux du Brsil et de la
Nouvelle-Espagne, et dpassait largement l'ensemble de la valeur de l'exportation de
toutes les autres les des Carabes runies, en incluant la riche colonie de la Jamaque.
Ceci grce la production de 790 plantations de canne sucre, 54 de cacao, 3 151
d'indigo, 789 de coton, 3 117 de cafires et 182 de distillerie de rhum2.
L'impressionnante rentabilit de cette dpendance coloniale franaise, facteur
dterminant de lenrichissement des finances royales, contribua au dveloppement de
villes portuaires mtropolitaines (comme Bordeaux, La Rochelle, Le Havre, Marseille et
Nantes), ainsi que leurs hinterlands respectifs. Ctaient en effet plus de 1 500 navires
qui, depuis ces villes ainsi que depuis d'autres ports de la faade atlantique, participaient
rgulirement au commerce transatlantique3. La cl du succs de cette colonie franaise
rsidait par consquent, non seulement dans l'essor du commerce de ces produits
locaux et le dveloppement connexe du capitalisme europen, mais galement dans
l'implantation prcoce in situ de ce quil est convenu dappeler un complexe de
plantation 4. Grce cette implantation, la fin du XVIIIe sicle, Saint-Domingue tait
devenue la colonie de plantation caribenne qui comptait le plus d'esclaves : prs d'un
demi-million, pour seulement 30 381 Blancs et 24 000 libres de couleur5. La prosprit
atteinte par la colonie ne se refltait pas seulement dans des chiffres positifs, mais
galement dans la magnificence des habitations , et dans la splendeur des villes. De
2 J. Cauna, u temps des isles { sucre : histoire d une plantation de saint-domingue au xviiie si cle,
Paris, A.C.C.T, 1987, pp. 12-13 ; D. P. Geggus, Saint-Domingue on the eve of the Haitian Revolution , in D. P. Geggus, N. Fiering, (ds.), The World of the Haitian Revolution, Bloomington, Indiana University Press, 2009, p. xi ; J. D. Garrigus. Before Haiti : Race and Citizenship in French Saint-Domingue, New York, Palgrave Macmillan, 2006, pp. 173 et ss.
3 J. Cauna, u temps des isles { sucre, op.cit., pp.12-13 ; D. P. Geggus. Saint-Domingue on the eve of the Haitian Revolution , op.cit., p. xi ; J. D. Garrigus. Before Haiti, op.cit., pp. 173 et ss.
4 Le complexe de plantation tait un ordre politique et conomique colonial mis en place dans les plantations qui se trouvaient sur le tropique amricain, sur lesquelles travaillait une main d'uvre principalement compose d'esclaves d'origine africaine, et dont la production tait destine principalement aux marchs mtropolitains. S. Mintz. Caribbean Society , in D. Silla, (d.), International Encyclopaedia of the Social Sciences, vol.II, New York, Macmillan and Free Press, 1968, p.xi ; P. D. Curtin, The Rise and Fall of the Plantation Complex : Essays in Atlantic History, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
5 D. Watts, Las Indias Occidentales, modalidades de desarrollo, cultura y cambio medioambiental desde 1492, Madrid, Alianza, 1992, p. 370.
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prospres commerants venus de diverses parties d'Europe y vivaient, de mme des
Franais nobles qui, bnficiant de concessions ou en raison d'unions maritales, s'taient
installs dans la colonie6. Cet ensemble de circonstances ne pouvait quavoir des
rpercussions sur les plans d'urbanisation et les ornements publics des villes, parmi
lesquelles se distinguait celle que ses propres habitants appelaient la Paris de Saint-
Domingue : Cap-Franais7.
Le modle de cette colonie prospre tait admir l'tranger. Le clbre
historien jamaquain Bryan Edwards, nhsita pas { lappeler le paradis du Nouveau-
Monde 8 [Annexe 4], tandis que l'lite cubaine, qui prenait ce modle pour rfrence,
transforma lle en une colonie de plantation, avec le soutien sans faille de la Couronne
dEspagne9 . De sorte que les conflits internes que connut cette colonie franaise partir
de la dernire dcennie du XVIIIe sicle jusqu'au dbut du XIXe, conflits qui dtruisirent
une bonne partie de sa capacit de production, ainsi que plusieurs de ses villes, qui
mirent fin la vie de milliers de personnes de couleur et qui firent pratiquement
disparatre la population blanche, ne pouvaient pas passer inaperus aux yeux des
Europens et de leurs descendants aux Amriques. Nanmoins, l'image qu'on eut de ces
violences ne fut pas labore en fonction de ce seul cas, aussi exemplaire soit-il, dans la
mesure o elles se manifestrent dans un contexte beaucoup plus vaste de combativit
des catgories socio-ethniques concernes, situation qui dbouchait sur une remise en
question de l'esclavage et nombre de questionnements quant au statut des afro-
6 J. Cauna. u Temps es Isles { Sucre, op.cit., pp.12-13 ; D. P. Geggus. Saint-Domingue on the eve
of the Haitian Revolution , op.cit., p.xiJ. D. Garrigus. Before Haiti, op.cit., pp.173ss. 7 Entoure des plantations les plus importantes de l'le, Cap-Franais, qui se trouvait dans la
Plaine du Nord, face l'ocan Atlantique, tait considre comme la ville la mieux situe pour le commerce avec la mtropole et avec d'autres rgions. C'tait une ville de plus de 18 850 habitants, dote de 56 rues qui formaient un ensemble de 260 pts de maisons. Elle comptait 1 400 maisons (construites en pierre, pour la plupart) et prs de 300 immeubles de deux tages, voire de trois. La ville bnficiait galement d'un aqueduc efficace qui approvisionnait les habitants en eau frache. Au centre, les quartiers des Blancs taient lgants, un thtre y avait t difi, o l'on jouait des pices rcentes, venues d'Europe, et les rues taient paves jusqu'au port. Ici, dans la Rue du Gouvernement, il y avait des boutiques o l'on trouvait les dernires marchandises arrives d'Afrique, d'Europe et d'Amrique. D. Marley, Historic Cities of the Americas: An Illustrated Encyclopedia, vol.I, Santa Barbara, ABC-CLIO, 2005, p. 113 ; L. Dubois, Avengers of the New World: The Story of the Haitian Revolution, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 2004, pp. 21-24.
8 B. Edwards, D. M'Kinnen, The history, civil and commercial of the British Colonies in the West Indies, vol.IV, Philadelphie, Printed and sold by James Humphreys, 1806, p. 127.
9 M. D. Gonz|lez-Ripoll, Desde Cuba, antes y despus de Hait : Pragmatismo y dilacin en el pensamiento de Francisco Arango sobre la esclavitud , in M. D. Gonzlez-Ripoll, A. Ferrer, C. Naranjo Orovio, [et al.], (ds.), El rumor de Hait en Cuba, temor, raza y rebelda, 1789-1844, Madrid, CSIC, 2004, pp. 41 et ss.
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descendants. Dans ce contexte sinsrent en effet la Rvolution franaise, les rvoltes et
rbellions diverses dans d'autres rgions caribennes et le dbat abolitionniste en
France et en Grande-Bretagne.
Cette conjoncture produisit des attentes diffrentes dans les divers secteurs qui
constituaient les socits esclavagistes de la Grande Carabe. De nombreux Africains et
leurs descendants de couleur prirent conscience de l'injustice de leur situation, ce qui,
en de nombreuses occasions, se traduisit par des manifestations de rsistance,
essentiellement sous forme d'insolence et de tentatives d'insurrection dinspiration
franco-antillaise10. Au sein de la population blanche, ces phases dextrme agitation
rendirent plus perceptibles les incertitudes vis--vis de l'avenir, accentuant ce que Jean
Delumeau qualifia pour la priode moderne de climat d'inscurit prexistant11. La
rbellion d'aot 1791, du fait de son importance et de son caractre unique, contribua
de manire dterminante cette intensification. Elle compta jusqu' quatre-vingt mille
insurgs, des esclaves et des Marrons, et se solda par prs de deux cents plantations
dvastes, des dizaines de Blancs et de multres, ainsi que des centaines de Noirs, morts
ou blesss. Ces faits en font la rbellion la plus importante de toutes celles qui eurent
lieu durant la priode moderne en Amrique. la fin, mme si les meneurs de la
rbellion y laissrent leur vie, celle-ci ne put tre touffe dans sa totalit, contrairement
ce qui s'tait pass tant de fois dans le pass, crant ainsi un prcdent trs
dangereux pour l'hgmonie europenne dans les colonies.
la fin du XVIIIe sicle, la crainte ressenties par les Blancs devant les
soulvements des secteurs subalternes de couleur, en particulier des rvoltes d'esclaves,
ne constituait pourtant pas une nouveaut. De fait, ces sursauts pisodiques avaient
commenc se produire au moment mme o les Noirs-Africains avaient t introduits
10 la fin du XVIIIe sicle, les esclaves et les libres de couleur qui participrent des rvoltes dans
l'aire des Carabes, souvent firent rfrence ce qui se produisait la mme poque en divers endroits dans l'Atlantique franais. Cela dnoterait d'aprs Julius Scott l'impact important produit sur ces secteurs subalternes par les conflits sociopolitiques qui cette poque-l bouleversrent la France et ses dpendances coloniales. Parmi ceux-ci, le cas de Saint-Domingue se distingue dans la mesure o il montrait la voie suivre et apportait la preuve que la rvolte tait non seulement possible, mais couronne de succs. Pour cette raison, il devint lun des leitmotivs des manifestations de rsistance violente orchestres par les secteurs de couleur. J. S. Scott, The Common Wind : Currents of afro-american communication in the era of the Haitian Revolution, Duke University, 1986 ; D. P. Geggus. Slavery, War, and Revolution in the Greater Caribbean, 1789-1815 , in D. P. Geggus, D. Gaspar, (ds.), A Turbulent Time. The French Revolution and the Greater Caribbean, Bloomington ; Indianapolis, Indiana University Press, 1997.
11 J. Delumeau, La peur en Occident XIVe-XVIIIe si cles : une cit assige, Paris, Fayard, 1978, p. 2.
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en masse dans le Nouveau Monde, aprs avoir t considrs comme des esclaves
parfaits au dbut du XVIe sicle. cette poque, les colons espagnols exprimaient dj
leur inquitude face aux manifestations de rsistance violente de ce type12 ; par
consquent, les premires mesures pour les prvenir ou les liminer commencrent
tre mises en place13. L'inquitude face { lventualit que de semblables soulvements
ne se reproduisent persista dans tous les endroits o la population de couleur tait
nombreuse et pendant toute l'poque moderne, s'tendant des territoires coloniaux
portugais et, partir du XVIIe sicle, franais, britanniques, danois et nerlandais14. la
fin du sicle suivant, suite aux vnements de La Hispaniola en particulier aprs la
grande rvolte de 1791 dans la Plaine du Nord, un changement majeur intervint :
daprs Eugene Genovese15, il tait en effet devenu manifeste, et pour la premire fois,
qu'un groupe suffisamment nombreux d'esclaves tait mme de se soulever avec
succs, et mme den finir avec une colonie aussi riche que l'avait t jusqu'alors Saint-
Domingue.
Les informations qui circulrent dans l'espace atlantique sur les conflits
rvolutionnaires dans cette colonie franaise mettaient souvent en avant les scnes
d'atrocits commises { lencontre des Blancs, principalement par des hommes de
couleur, ce qui contribua donner l'impression qu'une rvolution noire anarchique
tait en marche. Dans l'ensemble, ces nouvelles, ajoutes aux manifestations locales de
rsistance (associes ou non aux rvolutions franco-antillaises), contriburent
12 D'aprs Michel Craton et Germn Carrera Damas, il y eut principalement deux types de
manifestations de rsistance de la part des esclaves, l'une violente (insolence, dsobissance, rbellion, empoisonnement, marronnage...) et l'autre passive (avortements, infanticide, suicide, obissance feinte...). G. Carrera Damas, Huda y enfrentamiento , in frica en mrica Latina, Mxico, Siglo Veintiuno Editores, 1977 ; M. Craton, Forms of resistance to Slavery , in General History of the Caribbean. The Slave Societies in the Caribbean, vol.III, Hong Kong, Macmillan; UNESCO, 1997.
13 Certaines de ces mesures prsentaient un caractre simplement prophylactique, visant viter que le nombre d'esclaves naugmente, telle que l'interdiction de 1516 d'importer des Noirs dans le Nouveau Monde. D'autres prsentaient un caractre exemplaire, telles que les ceps, le fouet, la mutilation, voire la mise mort. Au XIXe sicle encore, nous verrons comment des mesures de ce type perdurrent dans d'autres rgions esclavagistes d'Amrique. Sur cette premire interdiction, voir : J. L. Corts Lpez, Esclavo y colono: Introduccin y sociologa de los negros africanos en la Amrica espaola del siglo XV, Salamanca, Universidad de Salamanca, 2004, p. 19.
14 En ce qui concerne l'Amrique du Nord, Herbert Aptheker a montr comment d'autres types de manifestations associes la rsistance d'esclaves (allis aux indiens, ou l'ennemi europen du moment) gnrrent de la crainte parmi les colons anglo-saxons en Amrique du Nord, depuis le XVIIe sicle. H. Aptheker, American Negro Slave Revolts, New York, International Publishers, 1993, p. 19.
15 Eugene Genovese indique que la Rvolution hatienne a marqu un tournant dans l'histoire des rvoltes des Noirs en Amrique. E. D. Genovese, From rebellion to revolution. Afro-American slave revolts in the making of the modern world, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1979, pp. 87 et ss.
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convaincre les Blancs des autres socits esclavagistes de la Grande Carabe cest--
dire, celles qui se trouvaient aux Carabes et dans l'aire circum-caribenne16 que dans
les territoires o ils rsidaient une rvolution semblable pouvait clater. Du point de vue
des membres des lites euro-amricaines ou blanches de ces socits (dont les
membres constituent, avec les autorits, les acteurs de notre tude)17 [Annexe 1], la
possibilit que l'exemple de Saint-Domingue puisse tre imit par les populations de
couleur locales reprsentait une menace trs grave pour leurs vies, leurs familles, leurs
possessions matrielles, et mme pour l'ordre de hirarchisation socioethnique ou
racial 18 tabli par les Europens depuis l'poque de la conqute ou de la colonisation.
Pour les autorits, cette ventualit comportait des risques significatifs pour la scurit
des territoires dont la protection leur avait t confie par le roi (dans le cas des
colonies europennes) ou par ses reprsentants (pour les territoires indpendants).
La possibilit que leur monde s'effondrt cause des esclaves et des hommes
libres de couleur allait affecter durablement la tranquillit mentale de ces lites
blanches. Cela entraina chez leurs membres une srie d'attitudes et de comportements
qui refltaient une sensation de vulnrabilit croissante face aux masses de couleur qui
les entouraient. Du fait de la forte charge motive des manifestations qui mettent en
vidence cette modification, celles-ci ont t dcrites par l'historiographie
principalement en termes dmotions, et plus prcisment de peur19. Les historiens en
particulier n'hsitrent pas utiliser des termes aussi forts ou connots que crainte ,
psychose , paranoa , et mme horreur pour les dcrire. Un lexique motif qui
parfois ressemble celui utilis l'poque afin de dcrire des comportements
16 D. P. Geggus, D. Gaspar, (ds.), A Turbulent time: the French Revolution and the Greater
Caribbean. Bloomington; Indianapolis, Indiana University Press, 1997, p. viii. 17 F. X. Guerra, LEuro-Amrique, constitution et perceptions dun espace culturel commun , in
Les civilisations dans le regard de l'autre, Paris, Unesco, 2002. 18 Dans ce travail, on emploiera les termes race , racial , racisme , et racialiste depuis
une approche strictement analytique, afin d'viter l'emploi excessif des expressions composes associes avec la voix ethnie , ou parce que les acteurs tudis les utilisent. Ceci ne signifie pas la reconnaissance de l'existence des races ; en fin de compte, comme l'indique Andr Pichot, les tres humains ne sont ni ingaux ni diffrents, ils sont incomparables . A. Pichot, La socit pure: de arwin { Hitler, Paris, Flammarion, 2000, p. 435 [Je remercie C. Thibaud de m'avoir fait connatre cette uvre]. Voir galement : F. Ortiz Fern|ndez, l enga o de las razas, La Habana, Editorial P|ginas, 1945.
19 Parmi les niveaux affectifs, il convient de distinguer, aux cts de l'humeur et des sentiments, les motions de bases ou primaires ; celles-ci se subdivisent en six types culturels universellement reconnus, la peur, la joie, la tristesse, la colre, la surprise et la rpugnance. Ces motions se manifestent toutes sans exception par des ractions affectives dont l'intensit sera proportionnelle la force du stimulus reu. C. M. J. Braun, F. Crpeau, valuation neuropsychologique, Montral, Dcarie, 1997, pp. 330-331.
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inhabituels 20, mais qui ne concide pas ncessairement avec ce que signifient ces
expressions en termes psychologiques. Ce vice d'origine nest pas sans avoir influ sur la
formulation pistmologique de ce qui a t appel par l'historiographie des rvolutions
dans l'aire caribenne la peur hatienne .
Les chercheurs qui ont tudi de manire approfondie ce phnomne signalent
tous l'existence gnralise d'un phnomne psychologique collectif d'envergure
atlantique, comparable comme le suggrent Michael Zeuske et Clarence Munford
la Grande Peur du complot aristocratique pendant la premire anne de la
Rvolution franaise21. D'autres, considrant les similitudes que prsentent des cas a
priori diffrents mais qui mettent en vidence son existence, sy sont rfrs comme {
un syndrome . La dfinition quen propose Arturo Morales Carrin est ainsi la
suivante : la crainte que, une fois un systme esclavagiste cr, arrive le jour o les
esclaves se rebellent contre une condition dgradante, anantissent des vies et brlent
des haciendas 22. Malgr l'ingalable valeur historiographique que revt cette
interprtation, ainsi que dautres dailleurs, aucune ne repose sur une base
vritablement empirique, { mme de la justifier. Cest pour cette raison que sauf
exceptions qui ne confirment pas la rgle23 on a continu dcrire l'impact de la
20 J. Nicolas utilise lexpression comportements inhabituels pour qualifier les termes originels
utiliss au XVIIIe sicle en France, pour dcrire des comportements collectifs violents. Dans notre cas, nous lutilisons pour identifier des termes dans les sources qui pourraient voquer une raction motive relie la peur hatienne . J. Nicolas, La R ellion Franaise : Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, Seuil, 2008, p. 29. 21 Cette comparaison fait rfrence au travail classique de Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789, dportant sur la peur des paysans d'un complot aristocratique, complot parfonde de surcrot sur des rumeurs. cette occasion, et comme les historiens l'indiquent, les individus en proie cette peur n'taient pas des bourgeois ou des paysans mais des planteurs, et ceux que lon craignait n'taient pas des vagabonds ou des aristos , mais des esclaves noirs . C. J. Munford, M. Zeuske, Black Slavery, Class Struggle, Fear and Revolution in St. Domingue and Cuba, 1785-1795 , The Journal of Negro History, 1988, vol. LXXIII, n 1/4, p. 24.
22 A. Morales Carrin, Ojeada a las corrientes abolicionistas en Puerto Rico , Anuario de Estudios Hispanoamericanos, 1986, n 43, pp.295-296 ; J. V. Grafenstein. Nueva spa a en el ircuncari e - : Revoluci n ompetencia Imperial y V nculos Intercoloniales, Mxico, Universidad Nacional Autnoma de Mxico, 1997, p. 156.
23 Nous pensons ici principalement ce qu'indique C. Naranjo sur les manipulations intresses de la peur hatienne par les autorits espagnoles Cuba aux annes 1830, la problmatisation propose par Ada Ferrer galement pour Cuba, et aux ambiguts et contradictions que David Geggus relve dans le cas des manifestations qui dnotent l'impact de la Rvolution hatienne au-del de ses frontires. C. Naranjo Orovio, La amenaza haitiana, un miedo interesado : Poder y fomento de la poblacin blanca en Cuba , in M. D. E. A. Gonzlez-Ripoll, (d.), El rumor de Hait en Cuba, temor, raza y rebelda, 1789-1844. Madrid, CSIC, 2004, pp. 160 et ss. ; A. Ferrer, La socit esclavagiste cubaine et la Rvolution hatienne . Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2003, LVIII, n 2, pp. 5-6 ; D. P. Geggus, The Impact of the Haitian Revolution in the Atlantic World, Columbia, U. of South Carolina Pr., 2001, p. 247.
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Rvolution hatienne sur les Blancs des autres socits esclavagistes en termes de peur,
en contournant d'autres manifestations plus ou moins motives.
Nous reconnaissons certes les avantages mthodologiques que comporte la
notion de syndrome en tant que catgorie analytique, nous y recourrons par
consquent pour tudier les diffrentes manifestations de ce que dsormais nous
dnommerons le syndrome de Saint-Domingue . Demeurant toutefois un concept
rarement appliqu au terrain de l'analyse historique, il nous semble indispensable de
procder, au pralable, de brves considrations thoriques : un syndrome ne
renvoie pas un cas d'application psychologique mais une situation clinique. De fait, il
constitue une altration pathologique caractrise par une srie de symptmes qui se
rptent toutes les fois qu'il se prsente24. Dans le cas d'un syndrome collectif nous
nous appuyons ici sur le travail de Henri Rousso propos du syndrome de Vichy 25
ces phnomnes sont la consquence d'une situation traumatique subie par une
communaut, soit de manire directe en tant prsent sur les lieux de l'vnement, ou
distance travers les informations transmises par les moyens de diffusion du moment.
Dans la perception d'un vnement traumatique, la relation imaginaire tablie
avec les victimes directes joue un rle fondamental pour la formation du traumatisme
collectif 26. Dans le cas qui nous occupe, cette relation a pour cadre non pas une
communaut nationale ou culturelle, mais bien une identit ethnique. Dans les socits
esclavagistes de la Grande Carabe, elle seffectue pour lessentiel en termes dides et de
valeurs raciales partages par les Blancs, dont le soutien { lesclavage et le mpris {
lgard des afro-descendants en taient les principales expressions. Ainsi, bien que ceux-
ci ne rsidassent pas Saint-Domingue, les terribles expriences prouves par leurs
homologues de la colonie franaise eurent sur les premiers un impact psychique
considrable. En fin de compte, { linstar des Blancs saint-dominguois, ceux qui
rsidaient dans les territoires environnants taient galement des Europens ou des
24 J. Quevauvilliers, A. Somogyi, A. Fingerhut, Dictionnaire mdical, Paris, Elsevier Masson, 2007,
p. 889. 25 Dans cet ouvrage, H. Rousso dfinit son objet d'tude comme lensemble htrogne de
symptmes, des manifestations, en particulier dans la vie politique, sociale et culturelle, qui rvlent lexistence du traumatisme engendr par lOccupation nazie et les consquences que ce fait engendra en France : le rgime collaborationniste du gnral, Vichy, la dportation des Juifs dans les camps d'extermination, etc. H. Rousso, Le syndrome de Vichy, de 1944 nos jours, Paris, Seuil, 1987, pp. 18 et ss.
26 J. C. Abric, Pratiques sociales et reprsentations, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, pp. 15-18.
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descendants d'Europens. Do la formation dun traumatisme collectif de porte
grande caribenne, rsultant des informations qui leur parvenaient sur les vnements
violents de La Hispaniola27, ainsi que d'autres situations similaires survenues au-del
des frontires gographiques et temporaires de la Rvolution hatienne.
Mme si certains lments nous permettent de situer le dbut de la rvolution
la fin des annes 1780, concidant plus particulirement avec les activits politiques
effectues par les dputs blancs et multres en France partir de 1788, ou encore avec
une rbellion importante de multres en octobre 1790, l'historiographie spcialise la
fait commencer avec l'insurrection esclave d'aot 1791. Cette insurrection ne fut
cependant pas inspire par les ides et les faits rvolutionnaires qui, cette poque,
agitaient tout l'Atlantique franais, mais surtout par la rsistance traditionnelle
l'esclavage. Aprs le dbut de la guerre de la premire coalition de puissances
europennes contre la Rpublique franaise en 1793, la colonie de Saint-Domingue est
en effet envahie par les forces espagnoles et britanniques. Les agents rpublicains se
voient dans lobligation dabolir l'esclavage afin de renforcer leurs troupes, mesure qui
fut ratifie par la Convention nationale en fvrier de l'anne suivante. Aprs que les
forces britanniques se soient retires en 1798, le leader noir, Toussaint Louverture,
aprs sa victoire dans une guerre civile contre les multres de l'le (Guerre du Sud), fait
approuver une constitution pour la colonie qui fait de lui le gouverneur vie et qui
confirme labolition de l'esclavage.
En 1802, une puissante arme arriva de France sous le commandement du
gnral Leclerc, envoy par Napolon qui, profitant de la signature de paix avec la
Grande-Bretagne, prtendait rinstaurer Saint-Domingue et dans les autres les
franaises l'ancien rgime colonial, esclavage compris. Louverture fut arrt et envoy
en prison en mtropole o il dcda quelque temps plus tard. Lorsque les multres et les
Noirs prirent conscience des intentions du premier consul franais, ils s'engagrent
aussitt dans une sanglante guerre ethno-civile. Alors que les Franais russirent
s'imposer en Guadeloupe et en Martinique, Saint-Domingue la lutte se poursuivit sans
rel}che. Cette rsistance inattendue sajoutait aux normes pertes que connut le
27 Les recherches sur l'impact psychologique des attentats du 11 septembre sur la population des
tats-Unis ont montr qu'il n'tait pas ncessaire d'tre prsent sur les lieux des vnements pour dvelopper des dsordres post-traumatiques. J. A. Updegraff, R. C. Silver, E. A. Holman, Searching for and finding meaning in collective trauma : results from a national longitudinal study of the 9/11 terrorist attacks , Journal of Personality and Social Psychology, 2008, vol. XCV, n 3, pp. 710 et ss.
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contingent en raison dune part de la fivre jaune, et dautre part de la reprise des
hostilits avec la Grande-Bretagne. Les troupes mtropolitaines durent battre en retraite
la fin de l'anne suivante. Le 1er fvrier 1804, le leader noir Jean-Jacques Dessalines
dclare l'indpendance du territoire, sous le nom de Rpublique d'Hati.
De tous les vnements qui, dune manire ou dune autre, donnrent forme et
consistance la Rvolution hatienne, seuls quelques-uns peuvent tre considrs
comme { lorigine du syndrome que nous avons mentionn et de ses manifestations
diverses. Il sagit principalement de situations dans lesquelles les Blancs furent victimes
des multres ou des Noirs, comme la rbellion de 1791, l'incendie de Cap-Franais en
1793, l'occupation de Santo Domingo par Toussaint Louverture en 1801, la dfaite des
forces napoloniennes en 1803, le massacre des Blancs orchestr par les adeptes de
Jean-Jacques Dessalines en 1804, et enfin, l'invasion de cette colonie espagnole par le
mme leader noir en 1805. Cette conjonction de tensions fait apparatre une dynamique
temporelle qui lui est propre et qui ne concide pas totalement avec la chronologie mise
en exergue par lhistoriographique du processus rvolutionnaire .
En effet, et au moins jusqu'en 1805, des vnements violents continurent de se
succder, entranant l'apparition de nouvelles manifestations du syndrome cit. Ces
vnements ne se limitrent pas davantage, d'un point de vue gographique, l'espace
de la colonie franaise de Saint-Domingue : dautres violences se produisirent en effet
dans la partie espagnole de l'le, ainsi lors des invasions de 1801 et 1805. Parfois, nous
trouvons mme des manifestations associes des vnements hors de La Hispaniola,
essentiellement dans d'autres colonies franaises telle la Guadeloupe, qui connut un
processus similaire celui de Saint-Domingue, mais sans pour autant parvenir
l'indpendance.
Cette conjonction de situations traumatisantes ne fut pas perue de manire
homogne dans tous les territoires esclavagistes de la Grande Carabe, do les
modalits extrmement varies de limpact de ces informations sur les populations
blanches. Ces diffrences furent en effet subordonnes la manire dont elles se
prsentrent, selon les niveaux d'accs et du type d'information diffuse en chaque
lieu. Ainsi, les diffrentes impressions qui en rsultrent ne refltrent pas avec une
parfaite exactitude les vnements de La Hispaniola, mais bien plutt ce que les acteurs
sociaux imaginrent ou furent amens imaginer en fonction des informations dont ils
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disposaient. Ultrieurement, cette dpendance par rapport { lorigine et la fiabilit des
sources dinformation fut compense par des canaux mnmoniques , qui permirent
prcisment aux nouvelles gnrations de l'lite blanche de reconstruire la mmoire
des vnements survenus dans cette le (principalement dans la partie franaise)
pendant les annes de la rvolution, lorsque la ncessit de se les remmorer se faisait
sentir28.
La diffusion des informations et lexercice de mmoire constituent des lments
essentiels afin de comprendre le dclenchement des ractions voques. Cependant, ces
mmes lments seraient dpourvus de sens si leur analyse ntait complte par ltude
des circonstances mmes et de la manire dont les faits transmis furent valus et
interprts. Nous sommes donc amens prciser les traits psychoculturels des acteurs,
lesquels dpendent en grande partie de leur exprience de vie et de mcanismes
mmoriels. Depuis la philosophie de l'histoire, Reinhardt Koselleck a dgag
l'importance de cette variable, quil qualifie d espaces d'exprience (cest--dire
marqus par la prsence consciente ou inconsciente d'une ralit passe dans le
prsent ), afin de comprendre les attitudes futures des individus situs en fonction
d horizons d'attente : un futur fait prsent, dans lequel s'expriment leurs espoirs,
leurs inquitudes, leurs dsirs et, bien entendu, leurs craintes29.
Nous combinerons ces outils thoriques avec d'autres instruments danalyse
emprunts aux sciences cognitives lesquelles ont connu un essor certain voire une
vritable rvolution depuis un demi-sicle le principal aspect tant la prdilection
manifeste en faveur de lapproche mentaliste au dtriment du behaviourisme 30.
En nous fondant sur la psychologie cognitive et la psychologie sociale, nous serons par
consquent amens prter attention aux facteurs influenant la perception de nos
acteurs confronts une ralit locale et aux vnements de La Hispaniola. Nous
insisterons tout particulirement sur les motions et leurs rpercussions sur lapproche
28 En ce sens, L. Valensi suivant M. Halbwachs affirme que le contenu des souvenirs rpond
la pression collective et aux sollicitations du prsent, la mme srie dvnements connatra inflexions et transformations au cours du temps. L. Valensi, Fables de la mmoire : la glorieuse bataille des trois rois, 1578 : souvenirs d'une grande tuerie chez les chrtiens, les juifs & les musulmans, Paris, Chandeigne, 2009, p. 18.
29 R. Koselleck, Futuro pasado. Para una semntica de los tiempos histricos, Barcelona, Paids, 1993, pp. 333-357.
30 H. Gardner, Histoire de la rvolution cognitive : la nouvelle science de l'esprit, Paris, Payot, 1993 ; J. Dortier, La rvolution cognitive , in : J. Dortier, (d.), Le cerveau et la pense. La rvolution des sciences cognitives, Paris, ditions Sciences humaines, 2003, pp. 35-42.
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rationnelle des vnements (essentiellement dans le cadre dactions individuelles), et
galement aux reprsentations sociales en tant que filtres de la cognition, afin
dexpliquer principalement les prdispositions ou les sensibilits de ces acteurs [Annexe
2].
Les expriences antrieures qui ont t { lorigine de prdispositions des acteurs
sociaux pris de court par lembrasement de lle, renvoient en fait { des manifestations
de violence locales mettant en scne des individus de couleur. Parmi elles, et compte
tenu de leur frquence et de leur intensit, les rvoltes d'esclaves occupent une place
privilgie. Ce type de tensions continua en effet dexister et de se manifester jusqu{
labolition de l'esclavage, gnrant comme l'indique Herbert Aptheker une peur
endmique, indpendamment que du fait que se produisent ou non de nouvelles
rvoltes31. Le fait d'assister { ces vnements, den tre le spectateur, modela en effet
l'opinion que les Blancs se forgrent des individus de couleur, les prsentant comme
potentiellement dangereux. Leur opinion du moins en ce qui concerne les membres
les plus illustres de l'lite blanche ont galement t sous influence , et leur
volution rythme par les avertissements annonciateurs de nouvelles catastrophes, et
ce, depuis la moiti du XVIIIe sicle, et dans lhypothse o lintroduction desclaves dans
les colonies europennes des Carabes se poursuivrait.
Parmi ces avertissements, celui de Abb Raynal acquiert une signification
particulire : dans son Histoire des deux Indes (un ouvrage lu dans tout le monde
atlantique) se trouve en effet annonce lapparition probable d'un Spartacus noir , qui
conduirait ses semblables la vengeance et au carnage 32. Au sein mme des socits
esclavagistes, des voix slevrent, comme dans le cas d'un pamphlet anonyme qui
circulait en Jamaque en 1743, prdisant que si l'on ne mettait pas un terme dfinitif au
trafic desclaves l'le serait prise d'assaut et dvaste par ses propres esclaves 33.
Nanmoins, comme aucune rbellion, aussi violente et sanglante ft-elle, ne put se valoir
dun succs vritable ou marquer durablement les esprits, il ne sensuivit pas de
situations assez traumatiques pour que les lites modifient leurs positions sur
31 H. Aptheker, American Negro Slave Revolts, op.cit., p.19. 32 G. A. Raynal, Histoire philosophique et politique des tablissemens et du commerce des Europens
dans le deux Indes, vol.VII, Paris, A. Costes, 1820, pp. 226-227. 33 Anonyme, An essay concerning slavery, and the danger Jamaica is expos'd to from the too great
number of slaves, Londres, Charles Corbett, 1746, p. 18.
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l'esclavage ou sur la traite. Leur opinion sur la population de couleur nen fut pas
davantage plus altre : les lites continurent de considrer les esclaves comme des
tres plus ou moins dociles, infrieurs du point de vue racial, et incapables de mener {
bien leurs insurrections. Par consquent, la discrimination pratique { lencontre des
libres de couleur et lexploitation des esclaves pouvaient se poursuivre avec un niveau
acceptable de scurit. La persistance dans le temps de cet tat de vulnrabilit
tolrable tait lie dans une trs grande mesure, comme lavaient soulign les
prdictions les plus pessimistes ou les plus ralistes , la configuration ethno-
dmographique de chaque rgion. Un pourcentage ou une concentration levs de
personnes de couleur (libres ou esclaves) dans une population donne tendait crer un
paysage humain particulier, et constituait un facteur d'inscurit pour les Blancs qui
rsidaient sur place ou taient amens visiter les lieux.
Ces considrations historiques et thoriques mises { part, lhypothse majeure
sur laquelle nous avons fond notre analyse, est en effet la suivante : les informations
qui ont circul dans les espaces considrs propos des violences enregistres La
Hispaniola entre 1791 et 1805, auraient jou un rle de catalyseurs, ces stimuli
traumatisants altrant considrablement la sensation de scurit dont jouissaient
traditionnellement les Blancs des autres socits esclavagistes. L'imaginaire social issu
de ce vritable tournant motif, mme s'il a pu varier d'un lieu l'autre (selon la nature
de l'information laquelle chaque individu ou communaut eut accs), fut en gnral
associ partir de cette poque ce territoire insulaire, et plus particulirement sa
partie francophone. Les diffrentes dnominations adoptes sont explicites sur ce point
et selon laire linguistique : St. Domingo ou San Domingo, pour les anglophones ; et
Guarico, ou simplement, Santo Domingo franais, pour les hispanophones, synonymes
d' horreur ou mauvais exemple . Cette smantisation des imaginaires et des
reprsentations sociales en fonction dvnements particuliers nous autorise en ce sens
parler d'un syndrome collectif, d'extension principalement grand-caribenne, mais
galement atlantique.
Do lintrt que dapprhender ce phnomne dans une perspective compare,
et en considrant les comportements des acteurs sociaux comme des units
comparatives qui permettront dvaluer et de mesurer au fil du temps l'incidence
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individuelle et collective d'un ensemble d'informations traumatisantes34. En ce qui
concerne le niveau d'analyse , il convient de souligner que les rgions o les
manifestations de ce syndrome ont t le plus frquentes partageaient en fait une sorte
d entrelacement historique et de circonstances communes35. la fin du XVIIIe sicle,
ces socits esclavagistes de l'aire grande-caribenne disposaient, { linstar de Saint-
Domingue, dune structure ethno-dmographique trois niveaux (Three-tier
structure), en dautres termes dune population compose essentiellement de Noirs,
Blancs et libres de couleur36. Nous insisterons cet gard sur les cas de Cuba, de la
Jamaque britannique, de l'tat esclavagiste nord-amricain de Virginia, et du Venezuela
de la priode coloniale puis de lIndpendance37. Dans presque tous les cas, la
distribution ethnique y tait en effet