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  • Adolescents difficilesadolescents en difficult

    Je vais devant ou tu vas derrire?

    Pratiques et rflexions de travailleurs de laide la jeunesse

  • Avec le soutien du Ministre de la Communaut franaise Direction gnrale de lAide la Jeunesse.

    Adolescents difficiles adolescents en difficultJe vais devant ou tu vas derrire?Un livre rdig par :Georges CAPART, Miguel CASTELA, Marc COUPEZ, Brigitte DECELLIER, RenDUYSENS, Fabienne JEANSON, Alain LEJACQUES, Diane MONGIN, Luc MORMONT,Daniel RECLOUX, Claire RENSONNET, Thrse RICHE, Denis RIHOUX, Isabel SANCHEZY ROMAN, Jean-Christophe SCHOREELS, Myriame SOREL, Jacqueline SPITZ.

    Au cours dun atelier dcriture men parRjane PEIGNY.

    Copyright 2003 : Tournesol Conseils SA ditions Luc PireQuai aux Pierres de taille, 37-39 1000 [email protected]://www.lucpire.be

    Mise en page : ELPCouverture : Delights sprl.Imprimerie : Fortemps Wandre.

    ISBN: 2-87415-351-6Dpt lgal : D/2003/6840/94

  • Adolescents difficilesadolescents en difficult

    Je vais devant ou tu vas derrire?

    Pratiques et rflexions de travailleurs de laide la jeunesse

  • Table des matires

    Quelques mots sur ce livre et sur ses auteurs 7Avant-propos 9Prfaces 11

    Pour quils rebondissent, Michel BORN 11Christian MORMONT 13

    1. Introduction 15Destin (Fiction) 15Il y a 16

    2. Difficiles ou difficiles duquer, qui sont ces jeunes? 19Cest lhistoire dun gars (Fiction) 19Aide accepte ou aide contrainte, les diffrents types de mandat 27Ce que ces jeunes nous donnent voir 28Ineptie (Fiction) 36Profil dadolescents de lextrme, Le Foyer retrouv, CAS pour garons 37Jeu de loie, jeu de lois (Fiction) 44Poupe 55Et les filles ? 56Viol collectif 58Petite desse 60De ladolescence difficile 61

    3. Les bases de notre intervention 63

  • Les fondements thoriques de nos interventions psychoducatives 63Dieu, prserve-moi de tous ces intervenants, mes problmes, je men charge (Billet dhumeur) 78

    4. Modles dintervention, Quelques exemples de nos pratiques 81

    Voyage au pays du paradoxe 81Gense dune pdagogie de la reliance 84Elle, La permanence du lien (Rcit) 94Ailleurs la qute de soi 103Voir Micheline ailleurs, Partie de ping-pong entre le secteur ducatif et le secteur thrapeutique (Fiction & analyse) 116Lle dserte aux patates chaudes (Billet dhumeur) 124

    5. Les intervenants sociaux 127Fin de journe dun ducateur ordinaire (Fiction) 127Itinraire dun ducateur devenu spcialis (Tmoignage) 128Jai maintenant lge dtre leur mre, ce qui ne fut pas toujours le cas (Tmoignage) 131Lorsquil est question de (auto)drision dans le travail(Billet dhumour) 140

    6. valuation de notre travail 143Plus dure sera la chute (Fiction) 143 la recherche dune valuation 144 toutes fins utiles (Souvenir) 149

    Conclusions 149Pour conclure 148En guise daurevoir 150

    Lexique 151Bibliographie 155

    6 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Quelques mots sur ce livre et sur ses auteurs

    Ce livre est le rsultat du travail, en atelier dcriture, dune quin-zaine de travailleurs de laide la jeunesse, invits par les ditionsLuc Pire, avec le soutien de Mme la ministre Nicole Marchal, pr-senter leurs pratiques.

    Bti en mosaque, il est le reflet du secteur dont il parle : cohrentet paradoxal, parfois drle et souvent noir.

    Ambitieux, il se veut la fois ouvrage de rfrence et rcit sen-sible, raliste et optimiste, prcis et interpellant mais surtout, acces-sible tous. Cest pourquoi, sil est possible de le parcourir dunetraite en suivant la logique thmatique propose par la table desmatires, chacun peut le dcouvrir la carte . Cest ce que je vouspropose si, comme ce fut mon cas, vous ne connaissez de ce secteurque les clichs habituellement vhiculs par les mdias en recherchede sensations fortes, dexplications simples et de coupables, et si vousnavez jamais entendu parler de ces fameux CAS et PPP. Ainsi prf-rerez-vous peut-tre commencer par une exploration sensible de celivre : vous imprgner dabord des tmoignages des travailleurssociaux, des quelques textes crits spontanment par des adolescentset des rcits de fiction composs partir de faits rels destins montrer quelques situations trs concrtes. Dans ces textes-l, peuimporte que vous ne compreniez pas encore les abrviations : vousserez dans la mme situation que nombre de jeunes et de parents, et lelexique vous aidera, le cas chant.

    Les perles, authentiques, cites en exergue de chaque chapitre,vous permettront galement de vous acclimater.

  • Les regards plus particuliers des spcialistes qui ont accept derdiger les prfaces, et les propos plus personnels des billets dhu-meur ayant termin de vous mettre laise, sans doute serez-vouscurieux de dcouvrir les courts chapitres thoriques, plus ardus ilest vrai, que vous aviez sauts dans un premier temps, et qui vouspermettront de situer la dmarche pdagogique particulire de cesprofessionnels.

    Car ces hommes et ces femmes, tout humains et sensibles quilssoient, sont de vritables professionnels. Ils partagent leur temps entregestion de situations de crise, administration, soucis financiers, inten-dance, direction dune quipe et je lespre pour eux, leur proprefamille, ce serait un comble mais noublient pas de prendrequelque recul, de se concerter, de se remettre en question. Le regardquils portent sur le secteur agit de laide la jeunesse est singulier :lucide, gnreux, courageux, respectueux. Ils nont perdu ni humourni enthousiasme.

    Cest ce regard, probablement, au-del des ralits de terrain fortdiffrentes de chacun, qui les rassemble. Et cest cela, sans doute, quecomprennent, force de temps, ces jeunes en lesquels ils osent croire,ces jeunes quils osent aimer.

    Avant de les avoir rencontrs, je me doutais bien que la problma-tique de laide la jeunesse nous concernait tous. Je suis dsormaispersuade de la ncessit que nous nous en proccupions tous.

    Bonne lecture.

    Rjane PEIGNY, animatrice de latelier dcriture.

    8 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Avant-propos

    Cet ouvrage est le deuxime issu dun atelier dcriture destin auxtravailleurs sociaux de laide la jeunesse. Je soutiens cet atelier,parce quil permet de faire connatre un secteur social trop discret etparce quil donne loccasion ces travailleurs de jeter sur la feuilletout ce quils retiennent souvent en eux sans pouvoir le faireconnatre.

    Cette anne, latelier dcriture a t consacr celles et ceux quiencadrent des adolescents dits difficiles ou en difficult. Il nest pas aisde dfinir ces ados sans leur coller une tiquette caricaturale. On pour-rait dire quils sont difficiles par leur capacit mettre leur entourage endifficult. Mais cette capacit est le rsultat dun parcours carenc,cest--dire des difficults quils ont eues subir depuis lenfance.

    Ce sont des jeunes avec qui il faut tout prix crer un lien etpouvoir le maintenir un certain temps. Et cela prend en effet du temps,car ils ne croient plus dans les adultes. Ils vont dailleurs les tester, euxqui disent leur vouloir du bien, et repousser les limites de lacceptableafin dobtenir ce quils croient devoir systmatiquement gnrer : lerejet, le renvoi, la confirmation quils nintressent ni leurs pairs, niles adultes.

  • Les travailleurs psychosociaux qui ont choisi daider ces filles etces garons doivent donc possder une dose de patience infinie, unprofond respect de lautre et une thique du refus, du rejet. Ils doiventaller chercher au fond deux-mmes, encore et toujours, la confiancedans les potentialits positives de ces ados en droute.

    Tout cela prend du temps et doit paradoxalement aboutir, aprs laconstruction dun lien de confiance trs fort, une mise distanceprogressive de ce lien, pour que le jeune devienne autonome et le pluspanoui possible.

    Louvrage confirme aussi que ces qualits personnelles, nces-saires laccompagnement de ces jeunes, enrichissent et sont enri-chies par un effort permanent de formations, de rflexions,dchanges et de conceptualisation du travail men.

    travers les situations exposes dans cet ouvrage, travers lestextes thoriques relatifs aux approches de ce travail social, on nedcouvre pas que le regard, les difficults et les bonheurs des adultesprofessionnels. On dcouvre aussi les parcours de ces jeunes, person-nalits si tt fragilises par les adultes, par la vie. On peut ensuite lesregarder dun autre il ! Cest aussi lintrt de ce livre : casser lesides reues et nous aider la comprhension, pour mieux duquer.

    Nicole MARCHAL, ministre de lAide la Jeunesse et de la Sant.

    10 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Prfaces

    > Pour quils rebondissent !Michel BORN

    Lvocation, les paroles, les explications de ces adolescents diffi-ciles nous ouvrent les portes des services et des institutions qui lesaccueillent et se targuent de les aider, voire les traiter.

    Pourquoi si peu douvrages sur lintervention auprs de jeunes endifficult et difficiles la fois? Serait-ce un sujet intraitable? Non,puisque enfin arrive ce livre qui traite la fois des jeunes et des duca-teurs, des services et des servis. Ce livre surmonte et sublime la princi-pale difficult savoir quaidants et aids, traitants et traits sontenchevtrs. Si on dcrit les jeunes pris en charge, on tombe dans lethorique et lanecdotique; si on dcrit les ducateurs et leurs pratiques,on tombe dans le subjectif, lutopie pdagogique ou les analyses froideso plus personne ne se reconnat. Seuls quelques grands noms de lor-thopdagogie ont pu parler vrai et utile : Bettelheim, Redl et Wineman.Les praticiens les ont reconnus comme de leur ct et ont dvor leursouvrages. Pourtant, tous ceux qui travaillent dans laide la jeunessesont avides de savoir, de rassurance, de soutien thorique, de cadre derfrence pour leur action. Ils courent les journes de formation, col-loques et journes dtudes. Ils sont heureux quand ils se reconnaissentdans les propos tenus; ils sont dus quand le discours plane dans lathorie. Ce ne sont pas des thoriciens, ce sont des praticiens, des gensdaction qui nous disent : Vous avez beau parler mais venez seulementvous mettre notre place, avec le groupe, avec ce jeune en crise

    Lintervention auprs des jeunes difficiles se nourrit de la pratique, delexprience, de lintuition, du savoir-faire que les ducateurs se trans-

  • mettent de gnration en gnration mais elle a aussi besoin de rfrencesaux mthodes prouves et aux tudes qui mettent en lumire ce que cesjeunes sont et ce quil est possible dentreprendre avec eux et pour eux.

    Ainsi, il est trs clair que lintervention auprs des jeunes difficiles estefficace si elle arrive rendre un sens la vie du jeune, sil arrive seconstruire un projet de vie. Mme tardivement, aprs bien des dboires,des checs, des dsillusions, des ruptures, des violences, des actes dses-prs, les chemins dune vie positive, socialement acceptable peuventsouvrir. Souvent, ce projet est le fruit, un peu inespr, peu explicable, dela rencontre avec une personne qui a donn sens ce que le jeune vivait etce quil pouvait esprer. On a enfin mis sur lui, non comme une dernirechance car cest bien cela le lot de ces jeunes difficiles, cest quils ont gas-pill de multiples fois leur dernire chance. Et pourtant, aprs la dernirechance, leur vie a continu. Ils sont alls au plus bas, ils sont alls jusqula prison voire la tentative de suicide et pourtant, ils ont survcu.

    Ainsi, nous mettons le doigt sur une des principales erreurs faitesdans laide la jeunesse, cest de croire quon est au bout de ce quonpeut faire et donc, chaque fois, travailler dans la discontinuit, lapetite semaine, la petite mesure de huit ou quinze jours, du petit pla-cement au petit accueil. Comment pouvons-nous avoir la navet decroire quune mesure, toute provisoire et phmre va faire virer leTitanic de leur vie dchire? Pour changer de cap, pour rebondir, pourdevenir un rsilient, comme on dit aujourdhui, il faut non une ren-contre, une mesure magique mais un rel investissement en respect,affection, engagement, professionnalisme et en temps.

    Il faut que ces petites mesures, ces interventions modestes dechacun dentre nous prennent sens en sinscrivant dans un espoir long terme pour ce jeune en difficult. Chacun notre place, mme sinous ne voyons le jeune que quelques minutes, nous devons tre por-teurs de ce message. De mme ce message est port, dans cet ouvrage,par des petites touches successives qui donnent une grande ide dutravail accompli et accomplir.

    Michel BORN,professeur, Universit de Lige.

    12 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • > Christian MORMONT

    La prise en charge dadolescents difficiles confronte, de manireexemplaire, socit et individu, ducation et comprhension, obis-sance et autonomie, plaisir et contrainte, droits et devoirs, adultes etjeunes, contrle et impulsivit, violence et force, ralit et idologie.Et lducateur se trouve lintersection de tous ces vecteurs avec sapersonnalit, son histoire, sa comptence professionnelle, ses fai-blesses, ses valeurs. Il doit apprendre, sil ne le sait dj, que la gn-rosit et le dsir de bien faire ne suffisent pas, que lcole ne remplacepas lexprience, que la professionnalisation du mtier nen fait paspour autant un mtier routinier, que le pouvoir politique et les exi-gences administratives ne sont pas toujours en phase avec le terrain,ni mme avec la science. Et cest lui qui se retrouve, en dernierressort, seul face un jeune qui il doit apprendre ce que la socitestime bon quil apprenne. Paradoxalement, ce jeune qui na pasintgr les bases du savoir-vivre social se voit bnficier, grce auxeffets dresponsabilisants de son statut de mineur, dune quasi-impu-nit tout fait contraire aux lois lmentaires de lapprentissage. Etcest encore lui, lducateur, qui non seulement doit alors supporterles comportements, et parfois les agressions physiques, du jeune maisaussi assister quelquefois sa prvisible dstructuration. Et cest tou-jours lui qui, au quotidien, va devoir penser, appliquer et maintenirune stratgie dintervention malgr la fatigue, lusure, le manque degratifications, les horaires difficiles, le salaire insuffisant.

    Quand on reconnat sa juste mesure la pnibilit du mtier ddu-cateur, on est amen estimer aussi la dose denthousiasme, dal-

  • truisme, dabngation sans laquelle le travail serait impossible et la vievide de sens. Et cest bien du sens dont il est question dans cet ouvragecollectif : sarrter un moment, prendre de la distance, penser lesactions, confronter les expriences, les mettre en mots, leur donnerainsi une syntaxe, cest aussi chercher, formuler et mettre en lumire lesens du langage souvent aussi du non-langage du jeune, de soi, desautres, le sens de laction, et fondamentalement celui de lexistence.

    Le plaisir de faire son travail, de rflchir, dlaborer des strat-gies, de rencontrer des jeunes difficiles et en difficult, transparat audtour des anecdotes, des analyses, des fictions qui prcisment affir-ment que cela a du sens. Sur ce point, la question essentielle nest pascelle de lefficacit globale des interventions en termes de radapta-tion , de normalisation ; elle rside plutt dans la capacit daccom-pagner inlassablement le cheminement dun tre unique mme si lonsait que lon arrive trop tard, quon dispose de trop peu de temps, demoyens et que lon na pas despoir daboutir un mieux mesurable.Poser un acte de solidarit humaine tel lacte ducatif lgard dujeune a une lgitimit en soi parce quil ralise ce quil y a dhumainen celui qui le pose et augmente lhumanit brime de celui qui enbnficie, quels que soient les effets objectifs de lacte.

    Dans cette perspective de raffiliation humaine et sociale, lduca-tion dont la vise est pourtant fondamentalement conservatrice est aucur dun bouillonnement dides, dinitiatives novatrices, dexp-riences audacieuses o lon prend des coups mais o lon y gagne enme. Ce livre parle simplement de cela, cest--dire de tout ce quunadulte aimant est prt supporter, comprendre et tenter pour lebien du plus jeune, qui est la fois un enfant, lenfant que ladulte at, lenfant quil pourrait avoir, lenfant porteur davenir et desp-rance, lenfant reflet intolrable de la vilnie du monde, lenfant briset quil faut rparer, cet enfant qui nous donne aussi chacun locca-sion dtre un bon parent rparateur.

    Christian MORMONT, docteur en psychologie et professeur ordinaire lUniversit de Lige.

    14 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • 1 Introduction

    Les jeunes daujourdhui aiment le luxe. Ils sont mal levs, mprisent lautorit, nont aucun respect

    pour leurs ans et bavardent au lieu de travailler.Ils ne se lvent plus lorsquun adulte pntre dans la pice o ils se trouvent.

    Ils contredisent leurs parents, plastronnent en socit, se htent table dengloutir les desserts, croisent les jambes, et tyrannisent leurs matres.

    SOCRATE (470-399 av. J.-C.).

    Destin (Fiction)Luc MORMONT Vent Debout

    Durant toutes ces annes, ils ont cherch en vain une case o me ranger.Jtais violent, ennuyeux, bon rien, voleur, dissip, arrogant.Moi, javais envie dtre chez ma mre parce que mon beau-prefaisait du mal mes frres et mes surs et quelle, elle laissait faireet que moi, javais envie dtre auprs delle pour la protger.Et toujours, je fuyais sans mintresser aux endroits ni aux personnes.On ma fait rencontrer beaucoup de gens qui voulaient beaucoup dechoses pour moi, enfin, cest ce quils disaient mais moi je voulaistre auprs des miens.Un jour, ils mont dit quils ne savaient plus quoi faire avec moi, que mon cas ntait plus de leur comptence.Depuis, je vis dans un centre hospitalier o on me donne des mdica-ments. Ils ont dit que a me calmerait.Je ne parle plus beaucoupjattendsjattendsque mamanvienne me voir.

    ***

  • Il y aLes auteurs

    Il y a les crimes qui dfraient la presse, les situations intolrablesdenfants battus, maltraits, prostitus. Mais il y a aussi les enfantsquon refuse dcouter, les jeunes quon rejette, ceux quon vincepour leur diffrence, ceux auxquels on ne laisse aucune chance, quonbrime, quon nie.

    Laide spcialise est un droit pour tous les jeunes en difficult etpour tous les enfants dont la sant ou la scurit est en danger, dontles conditions dducation sont compromises par leur comportement,celui de leur famille ou de leurs familiers.

    Laide spcialise ainsi conue doit permettre lenfant de sedvelopper dans des conditions dgalit de chances, en vue de sonaccession une vie conforme la dignit humaine.

    Lintrt du jeune constitue le mobile essentiel de laide spcialise.

    Sommes-nous des doux rveurs pour croire encore ces valeursqui ont tendance seffriter au fil des gnrations, dans ce monde deplus en plus scuritaire ?

    Non, nous croyons en lhomme, ses capacits de faire le pire etle meilleur, ses capacits dadaptation. Nous collaborons uneaction sociale et politique.

    Dans notre socit librale et marchande, le rle ducatif de lafamille, de lcole est fragilis. Victimes de cette dynamique, des indi-vidus, des groupes sont rejets, marginaliss et isols tant physique-ment, psychiquement, socialement que financirement.

    Dj en 1987, un arrt du gouvernement de la Communaut fran-aise ouvrait la porte des conventions permettant certaines institu-tions prives de travailler autrement, avec des moyens accrus.Quelques services se sont ds lors engags dans laccueil exclusifdadolescents problmes graves et rcurrents . Suite la rformede laide la jeunesse (AJ) de 1999, un peu plus dune douzaine de

    16 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • services agrs continuent travailler dans cette voie. Ces centresdaccueil spcialiss (CAS) et ces services prsentant un projet pda-gogique particulier (PPP) ont pour mission daider les jeunes pro-blmatique lourde et leur famille se mobiliser en vue de la rsolu-tion de leurs difficults.

    Nous travaillons dans ces services qui se doivent dtre prs deuxpour les aider retrouver un espace de parole, dexpression, de libertet dinitiative, pour quils puissent accder une vie conforme ladignit humaine et tre les auteurs de leur devenir.

    Il nous faut pour cela un seuil de tolrance trs lev, tant lad-mission quen cours de cheminement avec eux. Il nous faut aussibeaucoup de patience, sachant que, le plus souvent, le temps travaillepour nous. Ce sont l les caractristiques primordiales de la pdagogieadapte et individualise des CAS et des PPP.

    Nous sommes riches. Riches dune exprience.Riches davoir chemin avec des centaines dados, garons ou

    filles, dont la prise en charge est particulirement difficile.Et cette richesse, nous avons la navet de vouloir la partager.Cest la raison de ce livre.Nous navons pas la prtention de donner des leons aux autres.Mais nous avons un tmoignage apporter.

    INTRODUCTION 17

  • 2 Difficiles ou difficiles duquer,

    qui sont ces jeunes?

    Franois aperoit sur le bureau du chef-ducateur un mmoire intitul : La rinsertion sociale du dlinquant juvnile.

    Il demande : Ce Juvnile, cest un nouveau qui va entrer?

    Cest lhistoire dun gars (Fiction)Daniel RECLOUX La Bastide blanche

    Jai envie de vous conter lhistoire dun gars. Ou plutt lhistoirede milliers de jeunes Car ce gars-l na pas vraiment exist.Pourtant, vous pouvez le rencontrer demain, qui que vous soyez, oque vous habitiez. Peut-tre dailleurs lavez-vous dj crois. Peut-tre en avez-vous entendu parler, lavez-vous vu la tl et lavez-vous jug. Peut-tre sappelait-il Freddy ou Jrme. Moi, je lappel-lerai Jacques.

    Jacques a quinze ans et, comme dautres de son ge, il en a marrede ses parents. Et ses parents ? Ils ne comprennent rien son compor-tement. Alors, ils ne le laissent pas sortir. Sa mre, depuis longtemps,le trouve difficile.

    On ne sait jamais ce quil fait, il ne dit rien. On a mme trouv duhachisch. Comment il a pu acheter a? Bien sr, on a tout jetCest ses copains qui lui ont parl, la premire fois, dune AMO.AMO Moi, je ne savais mme pas que a existait. Il ma dit L,au moins on va mcouter ! Jai rien perdre. Jacques y va. Il va aussi Infor-jeunes. Et le voil maintenant avec

    plein dinformations sur ses droits. On lui a parl dautonomie possible partir de seize ans et, la tte pleine de rves, il en parle ses parents.

  • Vous vous rendez compte. quinze ans : Jai trop envie de vivreseul ! Il y a plein de gens qui pourront maider : le CPAS, laide la jeunesse Et nous, alors? Il nest pas bien ici ? Mais il nepense qu lui, ce gamin. Quest-ce qui sest pass? Moi, jepleure. Mais mon mari, il snerve.Il sait crier, le pre de Jacques. Et il ajoute une punition, pour faire

    bonne mesure, pour tre la hauteur. Cest que Jacques devient agressif.Oh! Mme violent, oui. Et avec son petit frre. On ne peut quandmme pas le laisser faire. Il ne nous laisse pas le choix. Mme sonpre, il en a peur, parfois. Il la priv de sortie. Alors Jacques sestenfui. Quand il est rentr, au matin, son pre la gifl. Il lavaitbien mrit, mais il est reparti. Deux jours sans nouvelles. Puis, ily a eu le coup de tlphone. La police : Jacques titubait dans larue. Mais il ny a pas eu de poursuites, cest dj a. On sen tire bon compte. Sauf pour la honte, les voisins, et tout a.Le Parquet na pas le temps et ne le poursuit pas. Cest le retour

    la maison et le mutisme. Et a continue : lcole avertit dabsencesinjustifies ; il a encore dcouch deux fois cette semaine. Hier,Jacques a vol largent de son frre et est rentr comme hbt.

    Mais quest-ce quon doit faire? Mon mari a t menac autravail : trop dabsences pour raisons familiales. Sil perd sonemploi, quarante ans, vous vous imaginez bien quil ne retrou-vera rien, dj que moi, je suis au chmage depuis trois ans Ilparat quon doit aller au SAJ. Toutes ces lettres, on ny comprendrien. Son pre, cest le juge quil veut voirOn dit aux parents, pour faire simple, que cest presque pareil, que

    le conseiller trouvera la solution et un rendez-vous est pris. Ils ont dela chance : le poste de conseiller-adjoint vient dtre pourvu aprs unan de vacance. Avant, il y avait quatre six semaines dattente.

    Devant la conseillre, la mre, gne, dballe son quotidien, sesangoisses, son incomprhension, ses difficults, la situation, lamaison, intenable

    20 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Il va y avoir un drame si a continue! Et on na pas les moyenspour linternat. On a tout essay, il ne veut rien entendre, il ne nousparle plus Dites-nous ce quil faut faire. Le pre est daccord. Ilna pas pu venir : le travail vous comprenez, mais il est daccordOn lui a dit quil avait intrt tre daccord, sil voulait que

    quelque chose se passe, enfin. Et, en effet, une dcision va tre prise.On nous a dit que Jacques avait besoin de prendre un peu de dis-tance avec sa famille. Et dire quil y a des enfants qui nont pasde famille ! On na qu nous dire ce quon doit faire, plutt quede nous lenlever On a dit daccord parce quon nen peut plus.Cest dur. Il ira dans une espce de maison, mais pas avant unmois et demi. Et puis il faut quil russisse un test, avantLes six semaines seront ponctues de trois entretiens dadmission

    Face langoisse de la mre, la conseillre propose de chercher unaccueil durgence, en attendant. Dans la rgion, il ny a pas de place.Mais Tournai, il pourrait tre accueilli dans un Centre dAccueildUrgence (CAU) dans quatre jours. La conseillre rdige les notifica-tions, tout le monde signe pour accord et sen retourne chez soi.

    Un enfer. Les quatre jours dattente sont un enfer. On rgle lescomptes et on creuse un peu plus le foss dincomprhension et derancur. Puis, cest le dpart

    Tournai, il parat quil ne doit pas aller lcole. Elle est troploin ! Et puis, le premier rendez-vous lespce de maison est djpris, alors Bah! Au moins, il a lair tranquille. On ma dit quilsest dj fait deux copainsLes deux copains ont dix-sept ans, ils sont dj venus souvent et ils

    connaissent tout le monde. Ils ont demble propos Jacques dallerfaire un tour en ville. Sur le chemin de la gare, Jacques sera menacavec un cutter, dpouill de son argent, de ses cigarettes, de son pullde marque, et menac : sil parle, il lui arrivera les pires choses. Lanuit, il a demand tre enferm dans sa chambre. Le lendemain, sousla menace, il devra arracher un sac et remettre le butin ses nouveaux

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 21

  • amis. Ce soir, il ne rentrera pas. Mais o aller ? Il trane, sendort lagare, en est chass, marche, sans argent. Il a peur, il croit que les gen-darmes sont sa recherche. Le matin, il monte dans le train sansticket, il se cachera. Le contrleur le rveille. Il aura une amende maispeut achever son voyage. Le voil de retour dans sa ville. Il pourradormir chez un copain.

    Au CAU, on lavait dclar en fugue. Nous, on ne le savait pas.Laprs-midi, il a vol des cigarettes, le grant la vu. Jacques napas voulu lui donner notre numro de tlphone alors il a appel lapolice et cest comme a quon a t avertis. On lui a tous dit, Jacques, quil devait rentrer au CAU. Non, je nirai pas! , il criait.On lui a dit quil avait sign, quil tait daccord. Mais il sen foutIls sont tous l (le pre aussi, cette fois parce quil est malade), face

    la conseillre qui ne peut que constater la rupture de laccord :Jacques ne veut plus tre plac, il ne veut plus rentrer chez lui, sonpre ne lui parle plus Il ne parle plus personne dailleurs.

    Moi, je prends des calmants, et je le dis la conseillre, pourmontrer que cest grave, quand mme, ce quil nous fait, notre fils.Et vous savez ce quelle nous dit ? Voyez un thrapeute fami-lial. Vous vous rendez compte? Moi, je ne suis pas folle. Et lui,de toute faon, il naime pas les psy. Il a rpt quil nirait pas.Quest-ce que vous voulez faire? Il ne veut rien Je lui ai dit,moi : Madame le juge, placez-le de force, on nen peut plus. On leur explique : un conseiller nest pas un juge, il faut trouver un

    accord Mais on ncoute plus : nervement, incomprhension, leton monte, invectives, injures.La conseillre explique que le Tribunalde la jeunesse va les convoquer rapidement.

    Voil, on va aller chez le juge. Mon mari lavait bien dit. Fini derigoler, maintenant ! , quil crie. Cest de ta faute, tout a. Tuvas voir, tu vas apprendre vivre Jessaie de le calmer. Detoute faon, il ny a rien qui sert rien, avec Jacques. Pourtant, iltait comme les autres quand il tait petit. Mais que sest-il pass?

    22 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Le juge explique : Je vous reois dans le cadre dun article 39,mais le procureur me signale quil y a dj 2 PV. En vertu de sonpouvoir discrtionnaire, le parquet dcidera sil poursuit ou non. Danslaffirmative, il y aurait ouverture dun dossier 36/4, dossier dlin-quant. Pour lheure, il me faut imposer une solution puisquil ny apas daccord entre vous, mais le conseiller recherche toujours labonne solution et laccord des parties. Madame, monsieur, pouvez-vous reprendre votre fils ?

    a, on a compris. Mme que mon mari tait tonn. Il croyaitquon allait lenfermer, Jacques. Mais il faut voir comment il nousregardait, le juge. Et puis, on nous a donn un avocat. On lui aracont toute lhistoire, trs vite. Il a dit quil tait notre entiredisposition pour tout expliquer Bref. Le retour au CAU sim-pose , a dit le juge, Article 39, mineur en danger, placementpour quatorze jours. Voil. Ctait fini.Dans lintervalle, le rendez-vous lespce de maison a t manqu

    et la place envisage est pr-attribue quelquun dautre. Parfoisil y a cinq demandes pour une place disponible. Et entre-temps, uneapplication de larticle 38 a t entame, il y aura un jugement.

    Les quatorze jours au CAU se passent sans trop de problmes, lescopains du premier sjour ne sont plus l. Et Jacques a dj acquis unstatut : deuxime sjour = rcidiviste

    Retour chez le juge : o en est-on?Une place possible, dans trois semaines, la maison Machin .

    Jacques va voir. a irait.Trois semaines Retour chez ses parents ?Toujours, non !Le juge dcide : prolongation du placement (maximum 60 jours),

    article 39. Une audience est fixe dans un mois, article 38.Retour au CAU. Jacques est maintenant bien install. Programme

    pour les trois semaines venir : deux visites dadmission linstitu-tion Machin . Lcole? On verra plus tard.

    Deuxime visite, on fait affaire.Jacques pourra entrer le 27 de ce mois.

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 23

  • On croyait quon avait enfin trouv. Mais la maison Machin ,a nallait pas du tout. Il ny avait rien faire, lcole tait moche :un vrai trou. De toute faon, aprs un mois, on voulait dj le ren-voyer. On sest dit alors quon pourrait peut-tre ressayer. Il avaitgrandi. On navait pas envie de le voir passer comme a dunendroit lautre. Depuis le temps que tout le monde nous disaitquon aurait d le reprendre. Oh! Pas toujours en face, quonnous le disait. Donc on a propos de le reprendreJacques, faute de mieux, accepte. Un Centre dorientation duca-

    tive (COE) sera dsign pour laccompagnement. Retour au tribunalpour homologation du nouvel accord.

    Le jeudi, Jacques est de nouveau rentr trs tard. Jai fouill sespoches. Jai trouv plusieurs milliers de francs. Je lui demande.Silence. Puis, japprends quil sest de nouveau fait renvoyer delcole : trois jours pour absences injustifies Vendredi, il estsorti, il est rentr dimanche matin. Cest de nouveau la crise. Fautquon nous aideAppels au secours : Monsieur le juge? Dossier ferm. Monsieur le

    directeur? A transmis la conseillre. Mais on est dj alls ! Onrecommence, article 36. La conseillre rouvre le dossier, ne trouve pasdaccord. Le COE dnonce labsence du jeune et de sa famille auxrendez-vous.

    On navait pas compris. On dirait quils le font exprs, leur cha-rabia, et puis, on nous demande ce quon veut ! Quest-ce quonsait, nous? On nous propose un placement, on dit quon a djessay. Reprendre le suivi avec srieux, on tente? OK, on estdaccord. Il faut que a marche, ce nest plus possible.chec. Les parents collaborent, mais pas ladolescent. La

    conseillre dcide darrter. Pour voir venir. La situation saggrave.Violence intra-familiale, le pre met Jacques dehors. Nouvelle convo-cation chez la conseillre.

    Il parat quil vaut mieux y aller !

    24 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Personne ne parle plus personne. Impasse. Le parquet avertit,transmet au tribunal. Application de larticle 38, un placement sim-pose, le directeur sen chargera, mais pas de place disponible pour lemoment. Quatre mois, sans rsultats. Il y a peu de place et Jacques seprsente mal ou il ne se prsente pas du tout

    Alors, il y a le cadet qui a commenc poser des problmes.Heureusement, la conseillre tait malade. La conseillre-adjointeest mieux. On a accept un accompagnement familial.La conseillre-adjointe est plus svre. Le petit en a peur. Jacques,

    lui, partage son temps entre les copains, quelques apparitions lcole, la rue, quelques nuits la maison. Jacques est le matre du jeu,il les emmerde tous. Cest ce quil dit ses amis. Personne ne ragit,il va tre plac, le juge la dit

    Dimanche, Jacques a agress un jeune avec un cutter, la gare. Lejeune est bless et Jacques a t arrt avec son blouson et sonportefeuille. Il est peut-tre all trop loin. Il va de nouveau dormirau posteJacques sera prsent au magistrat. Le lundi matin, amen au

    Palais de Justice par deux gendarmes, il attend. Midi trente, le juge lereoit et lui annonce quune sanction sera prise. Cest linstitut publicde protection de la jeunesse (IPPJ). Il en a entendu parler, des copainsy sont alls : pas trop grave ! Quatre heures, sa mre arrive, le juge napas de solution : pas de place Wauthier-Braine ni Fraipont.

    Alors, il me dit, le Juge : Madame, les CAU sont pleins. On ne vapas le mettre en prison Je linterromps : a lui servirait peut-tre de leon. On nen meurt pas, quand mme. Aprs, au moins,on ne veut plus y retourner Mais lavocat ne voulait pas que jeparle. Il na srement pas un fils comme Jacques, lui. Bref, il aessay de me baratiner : Ce nest pas lesprit de larticle 53 dela loi de 1965, la maison darrt nest utilise que si aucune autresolution nest possible, dailleurs, cet article sera supprim la finde cette anne, etc. etc. Et quest-ce quil y a comme autresolution, alors? , jai demand au Juge, qui me rpond : Je

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 25

  • lengueule, je le menace, jouvre un dossier 36/4, mineur dlin-quant, les recherches en vue dun placement continuent dans lecadre de larticle 38 et vous le reprenez. Ce qui mintressait,ctait de savoir ce qui arriverait sil recommenait. Cest quandmme mon gamin Alors je lui demande Et sil recommence? On verra. Daccord , jai dit.Fatigu, Jacques restera ce soir la maison. Il est convaincu quon

    ne peut pas grand-chose contre lui.On est en septembre. Il pleut, comme par hasard, le 8, quand a lieu

    une audience au tribunal. Ce nest pas bon pour laudience, a, lapluie, personne na le moral

    a commenait de nouveau fort en charabia. Le procureur voulaitparler des dlits commis , mais lavocat la interrompu: Horssujet, on nest pas dans une procdure de 36/4. Les dlits, ce serapour une autre fois Puis le reprsentant du directeur nous ademand si on ntait pas opposs une rinsertion familiale. Lepre de Jacques a raval un petit rire nerveux. Jacques a dit : Daccord. Il promet de reprendre une formation, il estdailleurs all voir au CEFA. Il pourra commencer dans deuxsemaines. Et puis, il y a le COE qui soccupe du plus petit qui veutbien ressayerLe tribunal homologue laccord, qui sera appliqu par la

    conseillre

    bord dune voiture vole, Jacques fte son anniversaire. Depuisquatre jours dj. Il na repris ni cole, ni formation. Il fait ce quilveut, cest lui qui dcide. Il navait pas prvu que son meilleur amidu moment aurait un vrai revolver, quil tirerait sur ce libraire, quela voiture finirait sur ce poteau Il navait pas prvu.

    Jacques a maintenant 17 ans. Il bnficie dune mesure de place-ment en milieu ferm depuis un peu plus dun an, Braine-le-Chteau.

    Je ne me doutais pas que cela se terminerait devant une Courdappel.

    26 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Attendu que : les faits sont trs graves (le meilleur ami du moment est dsor-

    mais quadriplgique, le libraire souffre de squelles importantes.) ; aucun moment, le mineur na voulu profiter des mesures daide

    et de protection qui lui ont t proposes ; lexpertise psychosociale conclut une totale absence de prise de

    conscience, un sentiment domnipotence impressionnant chezun jeune de cet ge, un refus de cooprer et daccepter lesmesures prises ;

    les rapports de linstitution concluent une inaccessibilit totaleaux mthodes pdagogiques qui y sont dployes.

    Par ces motifs, la Cour lve les mesures et renvoie laffaire auministre public. Jacques va tre transfr en maison darrt, danslattente dun jugement.

    Ce nest plus le tribunal des jeunes, maintenant. Mon fils, le mien,dans une vraie prison

    ***

    Aide accepte ou aide contrainte,les diffrents types de mandatDiane MONGIN Le Toboggan

    Depuis 1991, date de cration du Dcret de laide la jeunesse,celle-ci sorganise autour de deux logiques de prise en charge totale-ment diffrentes.

    Laide demande et accepte

    Tout mineur dge (de 0 18 ans) est susceptible de bnficier delaide la jeunesse sa demande et/ou celle de ses parents. Cetteaide doit faire lobjet dun accord sign par le reprsentant du service

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 27

  • de laide la jeunesse en loccurrence le conseiller de laide la jeu-nesse , et par le mineur et/ou sa famille. Elle peut consister en uneaide sociale domicile ou un placement en institution.

    Laccord ainsi pris peut tre remis en question par chacune desparties. Il y a dans ce cas recherche dun nouvel accord. Si celui-cinest pas trouv et quil y a maintien de la demande daide par lemineur et/ou sa famille, il peut y avoir recours une aide contrainte.

    Laide contrainte judiciaireIl existe deux formes daide contrainte. La premire est fonde sur

    lintervention du tribunal de la jeunesse ou du Parquet se prononant surla ncessit de laide sans parvenir un accord avec le bnficiaire et/ousa famille (dans le jargon du secteur, il sagit de dossier Art. 37 ou Art.38). La seconde se caractrise par lintervention du juge de la jeunessesur base dun dlit (dans le jargon du secteur, il sagit de dossier Art.36.4). Dans ce cadre le juge de la jeunesse a la possibilit dutiliser tousles services du secteur de laide la jeunesse dont le suivi domicile etle placement en institution. Il peut galement user dun placement enIPPJ (institution publique de protection de la jeunesse), uniquementaccessible au jeune dit dlinquant (Art. 36.4).

    Dans les deux cas, tant lexcution des mesures que le suivi delaide contrainte sont organiss par le SPJ (service de protection judi-ciaire) et son directeur.

    ***

    Ce que ces jeunes nous donnent voirDenis RIHOUX La Pommeraie

    Impossible tche que de prsenter de manire sommaire et juste,sans drive, ce que ces jeunes nous donnent voir. Toujours, il yaura des exemples contredisant la prsentation gnrale. Mais nest-ce pas le cas chaque fois que lon veut parler des jeunes , desfemmes , des immigrs , bref, des gens ?

    28 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Autant il nous semble ncessaire de prciser de qui on parle, autantrien que le fait de les dfinir risque, dj, de tout stigmatiser Pour ces jeunes , comme partout, il nexiste aucun moule. Ce que lonrepre, ce sont certaines constantes.

    Plus particulirement, sil est impossible de prsenter cesjeunes sans un ton et un contenu quelque peu caricaturaux, cestquils sont souvent la caricature de lado.

    Voil, cest dit. Et pourtant, une gne persiste encore lcriture deces lignes. Car, si stigmatisation il y a quand mme, ne risque-t-onpas, par ce livre, de faire pire que bien?

    Bref, toutes ces prcautions prises, lanons-nous ! Et abordons ces jeunes de manire progressive.

    Les modes dentre en relation

    Selon ce qui vient dtre dit, il ny a donc pas un seul mode den-tre en relation, mais des comportements qui se retrouvent avec plusou moins dacuit chez chacun de ces jeunes.

    part quelques-uns, trs rares, qui ont prserv, voire parfois sur-dvelopp, des capacits de mise en relation, on se sent tout de suitedans le bain : cest--dire dans la difficult de la relation.

    Certains, tourns vers la dmonstration active de la souffranceintrieure, sont expressifs. Dautres, a contrario, sexpriment plus parle retrait, le repli sur soi. Avec des sursauts, quand mme, parfois,dautant plus explosifs.

    Mais quelque chose les transcende tous, ces jeunes . tre semble, ds le premier abord, difficile assumer. Comment se fondredans la masse? Masse qui cache et masse qui tache, masse qui fche.

    La dmesure et limprvisibilitCe qui frappe lobservateur, dans un premier temps, cest laspect

    perturbant de la prsentation, du contact, des attitudes, des comporte-ments, des expressions, des discours. Ils sont comme tous les ados,mais plus : en caricature, en dmesure.

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 29

  • Fringues de marques. Pas fort propsur lui . Cigarette au bec.Souvent en groupe, en tout cas pas seul. a inquite plus le quidam eta rassure lintress mal avec les autres et (surtout ?) mal avec lui-mme. Le plus souvent trs normatif en apparence. Comme tantdados, quoi. Mais leur normativit est de surface. Bien souvent,nont-ils quun ou deux jeux de ces armes de prsentation massive.

    Certains dentre eux, au contraire, exagrent certains traits. Ils sont trop : trop pute, trop voyou, trop malheureux, trop sale, trop triste,trop mchant, trop provocant

    Si, dj, la premire vue interpelle, que dire alors du premiercontact ?

    Ils entrent dans le jeu en choisissant leur rle, en limposant dem-ble, pour tre certains de ne pas avoir en endosser un autre ! Et ilschoisissent souvent entre deux grands classiques : le dfi actif(confrontation du regard) du coq et le dfi passif (repli, vitement) duhrisson. Dans tous les cas, le regard est dmesur. Mais ce qui com-plique la donne, cest que le coq devient hrisson (et mme livre tel-lement il dtale vite) et que le hrisson devient coq (de combat) enmoins de temps quil ne faut pour le penser. Et donc pour lanticiper.

    Lapproche est manipulatoire (ce nest pas un dfaut, cest unefonction je ne critique pas, je constate que cela fait partie du jeu),tous ces trop tant autant de provocations au professionnel

    Leurs attitudes prennent ensuite le relais. Sans quils aient encorerien fait et rien dit : une pose, une dgaine, et on comprend dj. Jesuis l et tu vas le sentir passer , Je te regarde mais je ne te voispas , Je te cherche, je te provoque mais je te nie , Je suis lourd,un poids que tu vas devoir porter , Rien ne me touche, je suis undur ou Ne tente pas de maider, je souffre trop et de toute faon tute planteras .

    Il faut que lautre voie qui il a faire.De grands acteurs ! Ils ont de la prsence , ils seraient proba-

    blement meilleurs dans le thtre et le cinma que dans les filiresprofessionnelles toujours les mmes

    30 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Look + contact + attitude : on sent de mieux en mieux limpulsi-vit, lagressivit, la complexit, encore latentes. Et on sent mieuxencore le malaise, le dfi, la provocation. On va crescendo.

    Et ds quils bougent : a remue ! a fait comme du courant, ouplutt, contre-courant, ou mme siphon.

    Mme inerte (car il y en a aussi), le personnage est en mouvement.Et linertie nest pas ncessairement plus facile apprhender, grer, supporter, pour les quipes pdagogiques. Comme, dailleurs, la dif-ficult de la prise en charge nest pas proportionnelle lpaisseur dudossier judiciaire. Loin de l. Il y a des comportements qui ne ferontjamais lobjet dun PV.

    On sent la mfiance et linadquation. Cest dmolir ce queladulte construit (avec ou sans lassentiment, tacite, du jeune) : lesrelations, la structure, les biens, les programmes ducatifs, les prisesen charge psy, les programmes de dtente, les rgles de vie, la viecommunautaire, etc. Jusqu ladulte lui-mme, slectivement ou sys-tmatiquement, de manire prvisible ou au contraire, imprvisible,ds le dpart ou au dernier moment alors que lon croyait, naf (et luipeut-tre aussi), que la partie tait gagne.

    Car limprvisibilit est une autre caractristique, un symptmepartag. Cest pour le jeune une douleur et/ou un outil quil utilisequand cela lui sert.

    Lhumeur est changeante, trs vite et trs fort. Ce qui comporte desrisques pour les intervenants. Par exemple, un appel laide lors dunmoment de violence tourne vers soi-mme peut subitement et sansaucun pravis se transformer en violence sur lautre. Sans parler de laprise de produits divers, qui exacerbe ce trait.

    Comportements violents, ou alors : inertie, vide, confinement dansle non-sens (absence de sens et non pas contre-sens) et dans la non-construction. Dtruire est difficile supporter, ne pasconstruire lest tout autant. La composante dpression est trsprsente, statistiquement. Et que dire de ces jeunes qui sont constam-

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 31

  • ment en rvolte et en confrontation mais qui restent, alors que lesportes sont ouvertes?

    Tous ces comportements peuvent prendre des proportions inqui-tantes, et parfois nos services sont au-del de leurs possibilits ou flir-tent avec leur seuil dincomptence. Certaines situations ncessite-raient dautres formes (temporaires, en tout cas) de prise en charge :milieu ducatif ferm ou semi-ouvert, milieu psychiatrique ferm ousemi-ouvert, voire dautres outils construire, des formules non ins-titutionnelles adaptes aux situations particulires.

    Les discoursIls sont convaincus ou se convainquent de vivre dans une

    JUNGLE. La loi y est celle du plus fort, ce que nombre de phno-mnes socitaux leur prouvent.

    Ils sont convaincus ou se convainquent dtre les tendardsdune nouvelle gnration qui serait en opposition totale et agressiveavec les prceptes ducatifs et moraux du pass, que nous reprsentons.

    Lado en gnral a pour fonction de crer le conflit de gnrationet de valeur pour se construire mais, gnralement, il cherche trans-former le pass nul en un futur meilleur pour tous, o chacun sera res-pect et libre. Pas ici. Dans cette jungle, le plus fort est libre de fairece quil veut, sans tenir compte des besoins de lautre. Il ny a pas demeilleur recherch, si ce nest pour soi-mme.

    Ils ont LA HAINE, LA RAGE. Et ils ont gnralement de quoihar, avoir la rage.

    Les adultes censs offrir et garantir la rponse aux besoins fonda-mentaux de ltre en construction ds la naissance puis en fonctionde son ge ont rarement t bienveillants ; soit structurellement soiten rponse aux comportements drangeants du jeune lui-mme. Face tout cela, il y a la soumission ou LA HAINE, LA RAGE, LALUTTE. Mais aussi LADAPTATION, contre vents et mares.

    32 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Au-del de ce discours presque omniprsent, quelques jeunes seconfient plus. Mais il faut gnralement que la relation de confiancesoit dj bien solide. Le discours devient alors plus nuanc, ou plusexplicite : jai LA HAINE parce que Un travail est alors possible.Mais il faudra souvent quil joue au Tarzan des temps modernesjusqu se casser la gueule pour comprendre que, sous nos discours etnos attitudes, il y avait un sens.

    Pour conclure. Tout le monde connat la clbre phrase de Taylor : the right man in the right place (la bonne personne au bon endroit).Pour eux, ce serait plutt : never there where he/she should be (jamais l o il/elle devrait tre).

    Les ruptures et checs rptition

    Beaucoup de choses ont t tentes dans le pass de ces ados. Etrates. Ceci sans jugement de valeur : comme un constat, voire unelapalissade, sinon ils ne seraient pas arrivs chez nous. Les parcourssont chaotiques et riches en rebondissements, en virages, en pannes,en chutes. Trs rares sont les situations qui clatent sans prvenir, telun clair dans un ciel bleu. Mais rares aussi sont aussi les ciels vrai-ment bleus.

    Le background est donc charg et trs complexe. Cest une despremires choses que lon constate ou que lon nous dit lorsque lejeune nous est prsent. Il est en rupture avec chacun de ses parents,elle est vire de plusieurs coles, les contrats de stage ne marchentjamais, il a t renvoy de linstitution X, les IMP nacceptent pas laprise en charge, la psychiatrie nen veut pas/plus, elle a tout bousill,il nest pas en ordre de mutuelle/allocation familiale/carte didentit/domicile/vaccination/soins divers, etc.

    Cest la rupture dans toute sa splendeur et dans toutes, ou presque,les sphres denracinement social. Pire, les ruptures, rptes et rp-titives, comme si elles faisaient schma: on se sent protg puisquecest ce que lon connat, et on le rpte donc, comme pour se rassurer.

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 33

  • La premire sphre avec laquelle il y a rupture est la sphre fami-liale. Leur histoire tous est jalonne de plus ou moins dchecs, derejets avec tout ou partie de la famille, directe ou largie. La situationa tellement pourri, parfois, que la rupture est totale, que des jeunes seretrouvent RELLEMENT seuls.

    Parce quil est fondamental pour la construction didentit, laxefamilial est travaill en priorit dans la plupart de nos services. Onclarifie, on trace des lignes, on met des mots, on permet louverture un avenir, on ouvre la paix possible, on fait merger des nouvellespistes (souvent prexistantes mais qui navaient pu merger aupara-vant), on parvient r-enclencher ce qui paraissait totalement et dfi-nitivement dbranch. Mais comme on arrive souvent une guerre enretard, cet axe familial ne peut pas tre travaill autant quon le vou-drait. Le temps, toujours le temps.

    La rupture, par ailleurs, atteint les sphres scolaire et profession-nelle. La majorit de ces jeunes nous sont confis parce quils ne fontplus rien, quils sont hors circuit, peine dedans ou mal embarqus.Le niveau scolaire est en moyenne trs faible, comme lintrt etlenvie dailleurs, le retard important, voire impressionnant : desannes de galre scolaire, de nombreux tablissements scolairesvisits, rien dachev ou mme de rellement commenc

    Il faut dabord reconstituer le chemin parcouru. valuer, aveclaide de tiers (Centre PMS), les possibilits. On en trouve presquetoujours. Et puis chercher ltablissement le plus adapt ou le patron,un peu fou, qui tentera de relancer le jeune dans un projet profes-sionnel et qui, si possible, tiendra le coup !

    Face ce symptme caractristique du dcrochage scolaire, nousdevons dvelopper notre crativit, assouplir nos modes de prise encharge, nous adapter. Il ny a aucune recette. Le dcrochage scolaire(temporaire ou massif) bouscule le cadre, il demande rigueur et sou-plesse, inventivit, confrontation, dbauche de moyens (humains,

    34 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • financiers, de rseau), recherche dadaptation rciproque du jeune(qui a bien compris les limites du systme) et de linstitution (qui estle dernier pion du systme).

    Ceci sans compter sur les inscolarisables. Cela existe ! Mais on nepeut pas faire cole , en plus, on bricole, avec le plus dingniositpossible.

    Le milieu institutionnel lui-mme reprsente une troisime sphreavec laquelle la rupture est souvent consomme. Le jeune a dj faitlobjet de mesures antrieures, parfois nombreuses. Certains connaissentmme mieux que les travailleurs le secteur de laide la jeunesse et lessecteurs proches (IMP, psychiatrie). Ils arrivent chez nous soit parce queles actes poss ncessitent une quipe renforce et un projet adapt, etquil est impossible de les intgrer dans une autre structure de laide lajeunesse, soit aprs avoir fait le tour de tout ce qui existe (rellement oulors des demandes daccueil) et stre vu refuser partout.

    Il arrive, plus souvent quon ne le pense, que le jeune soit en rupture administrative . Pas ou plus de carte didentit, de protec-tion sociale, dallocations familiales, de domicile. Ou bien ses dossierssont en ordre, mais sans lien avec la ralit (le domicile est celui dunepersonne avec laquelle le jeune est en rupture, il na plus de contactavec la personne qui ouvre le droit aux allocations familiales).

    Javais crit dans lintro : perturbant, drangeant, provoquant,inquitant. In fine, jajouterais : le sans-place, le rvolt, le combat-tant, le dys-affectif.

    ***

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 35

  • Ineptie (Fiction)Luc MORMONT Vent Debout

    Deux adolescents se rencontrent dans un parc : P. : Salut. A. : Salut, man. P. : Tes revenu en ville ? A. (souriant) : Oui, je suis sorti la semaine dernire. P. (soucieux) : On mavait dit que tu en avais pour plusieurs

    mois. Tavais pas bless la vieille ? A. (toujours souriant) : Si, elle a bien morfl Mais en fait, cet

    arrachage, ctait une rcidive, et mon juge ma plac dans un centreferm. Je suis trop violent Je passe lacte, comme ils disent. Jesuis entr l il y a deux mois

    P. (curieux) : Et tu es dj en sortie autorise? A. (de plus en plus souriant) : Non! Je me suis fait virer ! P. (interloqu) : Vir dun centre ferm? A. (triomphant) : Jai frapp un duc. Ils mont dit que ctait

    un cas dexclusion. Et je me suis retrouv dehors. P. (perplexe) : Et ton juge? A. (souverain) : Ce bouffon? Il ma engueul. Il ma menac

    dune mesure plus grave. Il ny avait plus de place dans aucun centre,alors il ma donn des heures de travaux faire. Je commence lundiprochain.

    P. (dsaronn) : O vas-tu? A. (ricanant) : Dans un home pour personnes ges. P. (mi-figue mi-raisin) : Gnial ! Comme a, tu seras la

    source !

    ***

    36 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 37

    Profil dadolescents de lextrme, Le Foyer retrouv, CAS pour garonsJean-Christophe SCHOREELS Le Foyer retrouv

    Le Foyer retrouv a t cr en 1946 pour accueillir les orphelinsde guerre. La capacit initiale de 45 lits sest rduite au fil du temps.Suite la rforme du secteur de laide la jeunesse, le service estdevenu un CAS depuis le 1er janvier 2002.

    Cette nouvelle appellation nest en fait que la reconnaissance offi-cielle dune exprience vieille de 15 ans. En effet, pionner dans le cadredu travail avec des adolescents difficiles (tout comme la Bastide blanche,le Toboggan et la Maison heureuse), le Foyer retrouv tait, depuis le1er fvrier 1988, conventionn pour ce type de prises en charge.

    La maison accueille actuellement 15 garons, gs de 15 18 ans.La mission dbute par une priode dhbergement pouvant dbou-

    cher sur un suivi extrieur soit en logement supervis soit en famille.

    Lintervention du Foyer retrouv est gnralement conscutive linteraction dun ensemble de caractristiques qui, de par leurampleur, leur cumul et leur intensit, contribuent rendre lourde la prise en charge de ce type dadolescents.

    La description qui suit peut paratre mthodique, technique, froide,voire dure et implacable. Elle est pourtant indispensable dans la mesure oil est des plus malais, mme pour les professionnels du secteur, moinsdune immersion prolonge dans notre quotidien, de se rendre rellementcompte de ce quest le travail de terrain avec ce type dadolescents.

    Ces durs des durs , ces affreux jojos , ceux dont plus per-sonne ne veut entendre parler ne reprsentent quun infime pourcen-tage de la population de laide la jeunesse. Mais ils existent, nous lesrencontrons, nous avons appris les connatre et ils mritent que nousleur tendions la main

  • 1. Une dlinquance rcurrente dune certaine ampleur

    Les jeunes nayant jamais commis de faits dlictueux sont lex-ception. Une majorit de nos pensionnaires (60 70 %) sont placspar les juges de la jeunesse sur base dun dossier ouvert par le parquet,suite la survenance de faits qualifis infractions (36.4).

    Les actes sont de nature varie et diversifie. Ils embrassent laquasi-globalit du champ des infractions pnales (vols simples, volsde voitures, vols dans les magasins, vols dans des proprits prives,trafics de stupfiants, consommation et vente de drogues, dtentionsillgales darmes, incendies volontaires, attentats la pudeur, viols,dgradations et destructions de biens, coups et blessures volontaires etinvolontaires, faux et usages de faux) Il nous arrive de compterparmi notre population des auteurs de meurtres ou dassassinats.

    En thorie, les prises en charge en provenance des services daide la jeunesse (SAJ : 10 15 % de la population) et des services de pro-tection judiciaire (SPJ : 20 25 % de la population) sont exemptes dela composante dlinquance . Sur le terrain, force est de constaterque le phnomne est bien prsent. Le jeune a commis un ou plusieursfaits rprhensibles mais soit il ne sest pas fait prendre, soit les vic-times nont pas port plainte, soit il na pas fait lobjet de poursuitedevant le tribunal de la jeunesse.

    Plus encore que pour les majeurs, la dlinquance cache est consi-drable chez les mineurs dge. La visibilit de leurs actes est moindre.Ce qui contribue renforcer un sentiment dimpunit bien ancr, quitend senraciner de plus en plus profondment au fil du temps.

    De faon schmatique (la dlinquance juvnile ne se rduit pas cette simple dualit. Cette notion ncessiterait une analyse plus com-plte et fouille), la nature des faits dlictueux accomplis par lesjeunes se rattache deux types de dlinquance.

    Une dlinquance classique : le mineur enfreint la loi, ralisedes coups en vue den retirer des bnfices, de se procurer de largent.

    38 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 39

    Il prend des risques mais le jeu en vaut la chandelle. Jusqu dix-huitans ( lexception du dessaisissement), il sait quil ne sexpose pas grand-chose. En institution, ce jeune ne pose gnralement gure deproblmes comportementaux. Assez mature, il adopte un mode rela-tionnel proche de ladulte. Laxe de travail majeur consiste tenterdenrayer le phnomne dlinquant.

    Une dlinquance pulsionnelle : le jeune enfreint la loi invo-lontairement, sans sen rendre compte, sans recherche de profits. unmoment donn, il ragit impulsivement une frustration, un refusou lautorit. La dlinquance est ici la consquence de troublesdordre comportemental. Cette prise en charge est nettement pluslourde que la premire, il sagit dune gestion permanente qui nces-site une dpense dnergie considrable.

    Le dlinquant classique va tre lauteur de cambriolages, debraquages, de vols de voitures, de faux et usages de faux Le dlin-quant pulsionnel sera lorigine de coups et blessures, de dgrada-tions et destructions de biens

    2. Un comportement destructur

    Les jeunes placs dans notre tablissement sont mal dans leur peauet dans leur tte. Depuis la naissance, ils nont jamais connu la stabi-lit. checs et ruptures ont trop souvent fait partie de leur quotidien.

    De l sont induits des sentiments de rejet, de ne pas exister, de nepas tre reconnu quils expriment par des comportements agressifset violents, des passages lacte (certains jeunes reprsentent de relsdangers) ou encore des attitudes de repli. Autant de traductions dunquilibre psychologique passablement perturb.

    Certains traits psychologiques (voir J. Pinatel) se rencontrent plusque dautres :

    Une agressivit verbale et physique : ladulte tant gnralementconsidr comme un agresseur, il convient de laborder de cette faon.Le non , lautorit, lattente engendrent des frustrations qui se tra-

  • duisent par une agressivit verbale, voire physique. Nombre de jeunesnentrevoient la relation avec autrui quen termes de rapports de force.Dans leur esprit, le pouvoir est dtenu par le plus fort physiquement.

    Lgocentrisme, cest--dire la tendance vouloir toujours toutrapporter leur personne.

    Lindiffrence affective. Le sentiment de culpabilit est minime.Les garons ont dj vcu tellement de choses dans leur vie quepresque plus rien ne semble les toucher. Pour eux, il est banal de com-paratre devant le Juge de la jeunesse, dtre arrt ou encore depasser une nuit au poste de police.

    La labilit. Beaucoup vivent au jour le jour sans penser au lende-main. Ils ne se soucient pas de lavenir et ne saisissent pas les cons-quences que peut avoir un acte prsent.

    De manire gnrale (faute de pouvoir entrer dans de plus amplesdtails), on remarque chez nos rsidents un important dficit social etducatif, le sentiment quils nont pas leur place dans notre socit,do le phnomne de sous-cultures dlinquantes o ils ont un statutet o ils sont reconnus. Nos jeunes ont une vision ngative deux-mmes, fortement renforce par le processus de stigmatisation dont ilssont victimes. cela sajoute le phnomne de dviance secondaire, savoir, quen rponse cet tiquetage , ils se comportent confor-mment limage que lon donne deux.

    3. Comportements dviants ou conduites risques

    Par une srie de conduites risques ou autres comportementsdviants rgulirement prsents, le jeune reprsente non seulement undanger pour lui-mme mais galement pour son entourage immdiat.

    La consommation de produits psychotropes. Rares sont les jeunesqui ne fument pas de joints. des degrs variables et en fonction dessituations, on peut rencontrer un usage de drogues dures (LSD, amph-tamines, cocane, hrone, etc.), de mdicaments, de colles et de dta-chants. Le Sassi, par exemple, provoque des ravages pouvantables.

    40 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • La consommation de boissons alcoolises. La frquence et largularit sont moindres que pour les joints mais lintensit est gn-ralement considrable.

    Ces diffrentes substances , lorsquelles sont combines, produi-sent un cocktail explosif. Les risques de passage lacte sont rels.

    Le jeune en fait rarement un usage raisonnable. Sil dispose dunebarrette de shit, il fume joint sur joint tant quil a de la matire sadisposition. Sil a en mains une bouteille dalcool (souvent lie unvol), il vide le contenu en un minimum de temps.

    Les tentatives de suicide et les suicides. Il sagit majoritaire-ment de tentatives de suicide, appels laide de jeunes en srieusedtresse. Les suicides sont plus rares mais les risques sont rels danscertaines situations.

    Les automutilations. On peut remarquer chez certains mineursdes traces de mutilations volontaires telles que des brlures, desmorsures, des luxations, des fractures, des plaies laide dobjetsdivers, tatouages ou piercing sauvages

    Les fugues. Certains jeunes sont de vritables spcialistes de lafugue. Celle-ci peut prsenter de multiples dimensions et significa-tions. Il convient de distinguer la vritable fugue (souvent de longuedure) de lescapade temporaire. Le retour est un moment crucialauquel il faut apporter la plus grande attention.

    Enfin, l absence de conduites est galement remarquable danscertaines situations. Nous ctoyons des jeunes au potentiel dinertie hal-lucinant. Ils errent et glandent longueur de journes. Tout ce qui estpropos pour rompre une vie vide de sens est systmatiquement rejet.

    4. Rupture avec le milieu familial

    Nos pensionnaires sont, pour la plupart, en rupture avec leurmilieu familial. Il est momentanment ou dfinitivement impossiblepour eux de vivre avec les leurs, tant les difficults sont multiples.

    Le schma de base de la cellule familiale se caractrise, dun ct,par une maman paume, seule et dpasse par la problmatique de sonfils et de lautre, par un papa absent.

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 41

  • 42 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

    Certains garons nont plus aucune attache familiale. Leurs parentssont dcds, dchus de leurs droits, disparus, parfois inconnus ou ilsse dsintressent totalement de lexistence de leur progniture.

    Le rle du pre dans le processus de dveloppement et de matura-tion dun enfant est essentiel. Symbole dautorit et dinstance dinter-diction, il contribue apporter tout jeune les structures indispensables sa bonne volution. Une carence paternelle durant lenfance peut trela cause de dysfonctionnements au moment de ladolescence. Il estincontestable que nombre de situations ne se seraient pas dtriores ce point si le papa avait pleinement assum la fonction paternelle.

    5. Un pass institutionnel charg

    Une orientation vers le Foyer retrouv est rarement une premiremesure dhbergement hors du milieu familial prise par linstance dedcision. Les jeunes qui nous arrivent ont connu plusieurs placementsantrieurs. Pour certains, le cap de la dixime institution est allgre-ment franchi. Bien souvent, il sagit de lultime action ducative envi-sage avant le renoncement.

    Les adolescents ont transit par les diffrentes formes institution-nelles existantes : services rsidentiels traditionnels, centres depremier accueil, instituts mdico-pdagogique (IMP), hospitalisation,centres daccueil durgence (CAU)

    On remarque en outre un ou plusieurs passages (ce qui est plussouvent le cas) en IPPJ, toutes sections confondues (premier accueil,orientation, ducation), y compris des sjours prolongs en sectionferme (Braine-le-Chteau, SOORF Fraipont).

    Jusqu labrogation de larticle 53 de la loi de 1965 sur la protectionde la jeunesse (possibilit pour le juge de la jeunesse de placer un jeunede plus de 14 ans en prison pour une dure de 15 jours) en 2002, nousprenions en charge des jeunes ayant connu un, voire plusieurs sjours enmilieu carcral. A prsent, un passage par le centre fdral fermdEverberg peut faire partie du parcours antrieur du mineur dge.

  • 6. Retard pdagogique important

    Le parcours scolaire de nos rsidents est particulirement chahut.Les changements dtablissement, les renvois et les annes rates sontlgion. Rares sont ceux qui suivent lenseignement traditionnel et quise trouvent niveau. Ils sont pratiquement tous dscolariss lorsquilsnous arrivent. Pour une minorit, on peut mme estimer quils sont ins-colarisables. Le quotient intellectuel se situe souvent en dessous de lamoyenne. Les capacits dapprentissage sont faibles. Les difficultspour se situer dans lespace et dans le temps sont relles.

    7. Dcrochage social et administratif

    Nos jeunes sont marginaliss. Ils se trouvent en dehors de prati-quement toutes les sphres sociales. Ils ne sont intgrs rien : clubssportifs, loisirs, patro, scouts dont ils ont t exclus.

    Mme chose du point de vue administratif. Quand ils entrent auFoyer, ils ne sont en ordre ni de carte didentit, ni dallocations fami-liales, ni de mutuelle. Certains sont mme sans domicile.

    Ces aspects purement matriels, a priori sans importance, ne sontpas ngliger en terme de construction et de qute didentit.

    8. Caractre imprvisible de lvolution

    Lvolution de nos pensionnaires est souvent imprvisible. Celapeut bien se passer pendant des mois et puis du jour au lendemain toutscroule. tout moment, nous pouvons tre amens grer une crisede violence, une tentative de suicide ou encore une surconsommationde drogue. De mme, tout instant, nous pouvons tre avertis que plu-sieurs de nos rsidents ont commis une infraction.

    Une lecture brute de ce profil dadolescents de lextrme peutinduire chez le lecteur le sentiment que toute action ducative est illusoireet immanquablement voue lchec. Vous nous direz alors: quoibon svertuer rcuprer lirrcuprable! Pour notre part, nous nous

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 43

  • refusons jeter lponge. Car, derrire ces jeunes qui drangent et qui fontpeur, se cachent des potentialits non explores qui leur permettront de sefaire une place au sein de la socit. Une de nos missions consiste lesdceler et aider les jeunes les exploiter de faon positive.

    Si notre action ducative veut tre efficiente, il est indispensablede mettre en uvre une pdagogie adapte, alternative et individua-lise CHAQUE situation prise en charge.

    ***

    Jeu de loie, jeu de lois (Fiction)Myriame SOREL et Thrse RICHE Altitude 500 LOre

    Souvent, il nous est demand dvaluer notre travail. Aprs plus de25 annes dans linstitution, nous croyons pouvoir dire que nousnavons pas perdu notre temps. Bien sr, il y eut des checs. Certainsnous ont dus. Dautres nous ont pats. Nous disons souvent que sinous avons des graines de pissenlits, nous ne pouvons faire pousserdes roses. Mais il y a de si beaux pissenlits.

    Nous aimons notre travail et sommes loin dtre dmotivs.Si nous regardons dans notre rtroviseur, nous sommes heureux de

    compter parmi les anciens, une grande majorit dadultes qui gardent deleur passage chez nous le souvenir dune tape importante de leur vie.

    Certains venus dhorizons diffrents ont cr des liens solides partir de leur vcu commun.

    Jules est un peu de ceux-l, un peu de chacun deux

    Jules

    Je suis n le vendredi 28 novembre 1980.Ma maman souffre dun coup de dprime et, six mois, je suis

    amen par une assistante sociale la pouponnire.

    Maman moublie.

    44 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 45

    Je reois une premire visite pour mon premier anniversaire.Je me plais bien. Mon ducatrice soccupe de moi merveille. Jai

    douze autres copains et copines. Je marche. Je balbutie. Je dcouvrepetit petit mon environnement.

    Le calendrier a dit que jallais avoir deux ans.Je vais devoir dmnager.Demain, en route pour la petite maison familiale. Je vais y passer

    trois ans. Cest un peu comme lcole gardienne.

    Il parat que je ne suis pas facile grer. Je ne fais gure defforts.Je ne reste pas en place deux minutes. Je me montre agressif avec lesautres enfants. Je veux tout pour moi. Il parat

    Mai 1985 Extrait dune lettre de lassistante sociale la mamande Jules : Je me permets de prendre contact avec vous afin de vous signalerque votre fils Jules se trouve chez nous depuis le 29 novembre 1982.Vu votre souhait de reprendre contact avec vos enfants, nous souhai-tons vous rencontrer pour claircir votre demande de revoir Jules.

    Lassistante sociale a fait des dmarches et coucou revoil mamaman. Elle va beaucoup mieux. Elle a un nouveau copain. Elle a repriscontact avec mes trois surs places en institution. Elle ne comprend paspourquoi autant de temps sest coul sans avoir de mes nouvelles.

    Ils ont fait une enqute. Je suis autoris rentrer chez ma mre.Dabord certains week-ends. Et des congs scolaires. Et toutes les

    grandes vacances. Mes surs restent en institution. Les contacts avecmaman ne sont pas autoriss.

    Voil, je suis replac en famille. Ma maman minscrit en premireprimaire. Lcole est dans notre rue.

  • Le copain de maman me trouve trop difficile. Il me frappe. Ilpropose de me laisser la garderie.

    Les institutrices trouvent que je ne suis pas en bonne sant. Lemdecin constate des coups et informe lAS du PMS. Cest la damequi visite les familles. Quand elle vient, Maman lui dit que je suis trsdifficile. Elle est enceinte de trois mois et elle prfre que je retournedans la maison familiale.

    Pas de place avant la fin de lanne scolaire. Il faudra trouver uneautre solution. Je ne peux pas continuer lcole

    Extrait dun rapport de lcole :- Jules na jamais son quipement- Jules na pas envie de travailler- devoirs et travaux non faits- punitions non rendues- utilisation de projectiles- Jules mange pendant les cours- Jules est impoli- Jules embte les autres (vole les objets, les casse)- Jules vole la cantine- Jules naccepte pas les remarques- Jules fume en cachette- racketLe conseil de classe et la direction, en date du 15 dcembre 1987,analysent le comportement de Jules et constatent avec regret que soncontrat nest pas du tout respect.Il prend la dcision unanime de prononcer le renvoi dfinitif de Julespour prserver la rputation de lcole.

    Le PMS et linstitutrice de lcole ont dit que jtais un type 8 ! Ilparat quil y a des coles spciales pour a.

    Comme jai 7 ans, je suis admis dans un IMP. Cest une sortedinstitut : une cole avec un internat, une maison pour ceux qui ilmanque une case.

    46 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 47

    Les dbuts se passent bien : nouveaux copains, ducateurs sympas,beaucoup dactivits.

    Pas de retours en famille.

    Extrait du cahier de soire :Samedi 13 dcembre 1987Au cours de laprs-midi, Jules se montre preneur de beaucoup dacti-vits, il a aid la vaisselle sans quon lui demande, a rang sa chambresans rouspter, a propos daller au terrain de foot avec les autres.Le soir il va en chambre sans problme et coute sa musique calmement.Malgr tout il est temps de penser des sorties de w-e car il ne peut treenvisag de rester tout le temps dans linstitut.Discussion avec Jules : Oui je te jure mon pre sest cass enEspagne. Jai fait des dmarches au consulat de Belgique Tenerife car Jules medit que son pre est parti vivre l

    Mon pre est retrouv. Il parat quils ont d beaucoup enquter.Il vient de refaire sa vie. Avec sa compagne, ils sont revenus en

    Belgique. Ils ne sont pas opposs me rencontrer. Mais les dmarchesne sont pas simples : je ne porte pas son nom, il nhabite pas tout prs.a prend beaucoup de temps.

    Lettre du pre de Jules son fils :Mon gamin,Comme pour toi le temps ma paru long sans avoir de tes nouvelles, jaifait des recherches qui nont pas abouti et je me suis dcourag.Je suis impatient de te voir et de te connatre mais je dois tavouer quedepuis notre premier contact le 19 mars 1988, beaucoup de choses ontchang, Lona ma nouvelle compagne qui se rjouit de devenir ta nou-velle maman, est tombe enceinte et a du mal sacclimater en Belgique.Je pense quau moins une fois par mois, il nous sera possible de tac-cueillir et tu pourras mme loger une nuit trs bientt, ton papa qui taime beaucoup.

  • 48 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

    On fait de nouveau appel ma maman.Elle a eu deux autres enfants et elle a chang de compagnon. Elle

    est daccord de me reprendre un week-end par mois.Mon pre, lui, nest pas disponible. Alors, on fait aussi appel ma

    grand-mre qui avait repris contact une fois que jtais chez lui. Unweek-end par mois, je retourne chez elle la place de chez mon pre.

    a ne dure pas trs longtemps.Tent par 125 euros dans le sac de ma grand-mre, jai sign mon

    ticket de sortie. Il parat que je suis aussi voleur que ma mre et on a peurque je ne contamine le futur bb. On ne souhaite plus me recevoir.

    Comme on manque de pistes pour le week-end, comme ma famillene collabore pas, lIMP ne peut plus me garder. Toutes ces aventuresme rendent de plus en plus difficile. Il parat que je deviens ingrable.

    Extrait du rapport du psychologue :Jules a du mal sadapter ; il lui faut longtemps quand le cadre derfrence se modifie pour quil y trouve sa place et tout nouvel effortdadaptation requiert une dpense dnergie psychique qui hypo-thque son insertion.Lui imposer des retours plus frquents en famille ne ferait quaccen-tuer les troubles dj relevs conscutifs un vcu trop lourd et surlequel ladolescent na eu que trop peu de prises. Ce serait le posi-tionner encore plus comme un objet sur lequel ladulte a du pouvoir.

    Extrait de la runion de synthse :Prsents : la conseillre, la dlgue, le directeur de lIMP, son rf-rent, sa grand-mre, le psy de lIMP, le titulaire de sa classe, une sta-giaire et Jules :La conseillre: Jules, il est grand temps de faire le point sur ta situationqui pose de plus en plus de problmes aux personnes qui vivent avec toi.Jules : Moi, je trouve que a va bien.

  • Le directeur : Tu dois savoir que dans notre institution tous les pen-sionnaires doivent retourner au moins deux week-ends par mois enfamille, ce qui pour toi nous pose problme.La grand-mre : En tout cas, pour moi ce nest plus possible de lereprendre ; son pre nen veut plus car il y a Roberto qui ne passe pasencore ses nuits ; moi, je ne sais plus de chemins avec Jules, il fumeet depuis quil a vol, je nose plus le laisser tout seul.Jules : De toute faon, vous nen avez rien cirer de moi.Le rfrent: Jules me dit souvent que lendroit o il se sentait le mieuxctait la maison familiale. Ne pourrait-on pas envisager de lescontacter pour savoir si un nouvel accueil de Jules serait possible?La dlgue : Si Madame la conseillre est daccord je veux bien lescontacter pour savoir sil y a de la place.

    On a dit quune solution plus familiale me conviendrait mieux. Jaibesoin dtre entour dans un milieu plus stable et chaleureux.

    Coup de bol, il y a une place la maison familiale. Jy suisradmis. Tout baigne. Je retrouve la cuisinire qui me gtait, lachambre dans laquelle je dormais quand jtais petit.

    Le mardi 8 fvrier 1994, je suis accus dattouchements sur lesplus jeunes. Jai pas fait a : je ne connais mme pas ce mot-l. Maisvoil, je suis redevenu le vilain canard. Je dois quitter linstitution auplus vite. Momentanment. Pour leur permettre un temps de rflexion.Pour quils dcident si on me garde ou pas.

    Coup de tlphone de la dlgue au centre daccueil durgence(CAU)Ordonnance de placement 9 fvrier 1994 Dlgue : Avez-vous une place pour un gamin de 13 ans? CAU: Oui.

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 49

  • Je suis plac en CAU. Il parat que cest bien. On ne doit pas aller lcole, on a des activits. Cest comme les vacances.

    Dabord, je suis l pour 20 jours, au terme desquels mon admissionsera rengocie la maison familiale. Moi, je ne veux pas y retourner :je suis accus tort.

    Je suis prolong pour 20 jours. Le CAU contacte ma famille. Magrand-mre accepte de reprendre contact avec eux. Et de maccueillir nouveau si un service daide en famille me suit.

    Je suis plac en COE. a veut dire quon peut rester dans samaison. Moi, cest chez ma grand-mre. Il y a des gens qui viennentvoir si tout va bien.

    Je vais dans une cole professionnelle tout prs de chez ma grand-mre. Je suis inscrit en accueil. Cest cool.

    Avec ma bande de potes, un soir, on dcide de se faire la malle. Onemprunte une voiture chez les voisins et on se fait caler par la gen-darmerie. Je ne vois pas dans quelle langue ils veulent que je parle. Ilsme cassent la tte. Ils vont pas me faire chier longtemps. Je vais metailler. Ils me disent que mes copains ont tout avou. a pue lentour-loupe. Si a tombe, ils ont rien dit. Mais je suis pas assez con pour mefaire piger. Jai la rage

    Aprs laudition, je suis amen au cabinet du juge de la jeunesse. Onma menott. Le juge dcide de mexpdier en IPPJ, service ducation,pour deux ans. En fait, cest la prison. Mais on ne peut pas le dire.

    Ma famille est nouveau contacte mais je refuse de les voir. Je neveux plus en entendre parler.

    Des contacts sont alors pris avec Beauplateau, un CAS-PPP. Il fautque jaille me prsenter. Mais il parat quil faut que jaie un projet !

    50 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Mon projet est le suivant : Pouvoir reprendre lcole en mca-nique temps plein et me prparer vivre en kot.

    Dbut septembre, je suis inscrit en mcanique.

    Fin septembre, je me rends compte que ce nest pas ce que je veuxfaire. Je sche les cours. Jaimerais mieux boulangerie.

    En octobre, je suis inscrit en boulangerie.

    Les cours ne correspondent pas ce que je croyais. Il ny a pasassez de pratique et quand il y en a, les cours ne sont pas bien donns.

    Rflexions de lducateur rfrent, lors dune discussion : la rflexion, je me suis demand si ce nest pas moi, plus que Jules,qui avait besoin dun nouveau projet. lanalyse, cest peut-tre moiqui ai induit lide de la boulangerie. Je me rappelais un ancien quiavait mordu ce projet. Et Jules, tout content de ne plus devoir rfl-chir, est mont dans mon train. Il faudrait que je mabstienne de sug-grer mes ides. Mme si le projet met plus de temps se concrtiser,il faut tout prix que ce soit Jules qui bouge

    Jabandonne lcole.Je voudrais moccuper des autres.

    Un mois de farniente.

    Avec mon rfrent, je fais encore un nouveau projet.Je suis inscrit en aide aux collectivits de personnes.

    Au mois de janvier, il faut dj trouver un stage. Cest pas raison-nable vu mon manque de formation. Cest a qui me dmotive.

    Jai atteint les 30 demi-jours dabsence. Je deviens enfin lvelibre. Il nest mme plus utile de frquenter lcole trop souvent

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 51

  • Jai seize ans. Je suis dans les conditions pour minscrire au CEFA.Enfin je vais pouvoir faire la vente. Deux jours de cours par semaine.

    Comme lcole ne me trouve pas de stage, je suis oblig, lajourne, de participer aux activits de linstitution. a me convient. Jesuis entour. Et puis, on ne men demande pas trop.

    a na pas dur. Une runion de mise au point est prvue chez monjuge, avec mon dlgu. Il parat quune valuation srieuse de monprojet simpose.

    Jai envie de rver, de quitter les institutions. Et si ctait moi, cettefois-ci, qui dcidais? Dautres jeunes du home lont fait. Partir Etpourquoi pas lAfrique? Tout se bouscule : pour y faire quoi? avec qui?combien de temps? combien a va coter? qui pourrait maccueillir?

    Je prends contact avec une institution au Burkina Faso. Il faut direque les adultes autour de moi mouvrent des portes. Mon projet seconstruit. a me parat trop beau. Je commence vachement pani-quer. Jamais je naurais pens cela possible.

    Je tiens le coup ! Pendant plusieurs mois, avec les adultes, jessaiede construire le projet. Cest gnial

    Largent narrive pas assez vite. Dcouragement. Jai un petitboulot, je labandonne. Mon ducateur men trouve un autre. Je cor-responds avec linstitution qui va maccueillir. Les dmarches sen-clenchent pour mon billet davion. Il me faut penser aux vaccins, aupasseport, au visa. a cote cher. Je ny arriverai jamais.

    Tout le monde me parle dAfrique ! a me casse la tte ! En mmetemps, je ne me sens plus capable de reculer. Je ne peux pas me payerla gne.

    Le 3 novembre.

    52 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 53

    Voil. Je suis dans le hall de Zaventem. Mes sacs, ma trouille, monducatrice et ma responsable de groupe sont l. Je suis content, maisje voudrais les voir partir plus vite. Jangoisse. Je vais me retrouverseul avec mon dfi. Mais je ne peux pas craquer. Jai besoin de mesentir exalt et je ne veux en aucun cas perdre la face. Je suis, seul,responsable de moi-mme.

    8 heures plus tard. Je suis Ouagadougou.38.Tout des Noirs.Ils parlent franais, mais pas le mme que nous.Jai envie de faire demi-tour.Un homme minterpelle. Cest Ousmane. Il est ducateur

    Orodara. Il vient me chercher. Je ne sais pas quoi dire.Ma grande aventure commence. Jen garderai les dtails pour

    moi

    Trois mois, dj.Je garde des contacts avec linstitution et les ducateurs prennent

    contacts entre eux galement.

    Dbut fvrier.Retour dans le froid.Avec mon ducatrice, on me recherche un kot. Jai dix-huit ans. Je

    ne veux pas de prolongation. Je veux voler de mes propres ailes.

    a y est. Jhabite Bruxelles. Jai trouv un kot par le biais dunancien du home, dans son immeuble, pas trop cher. Jai fait ce quilfallait pour minscrire au CPAS et avoir mon revenu dintgration.

    Jai t minscrire lagence dintrim.

    La solitude me pse. Je vole. Cest pour macheter ma consomma-tion dherbe. Les temps sont durs.

  • Je rencontre des Africains et on se lance dans un groupe demusique et danimation. a me motive. Je minvestis dans le groupe.Lan prochain, je participe un projet au Burkina. Enfin, jespre

    Jai rendez-vous avec deux ducatrices qui voudraient que je leurtransmette mon rcit de vie Elles la connaissent mieux que moi, mavie. Mais bon, jaccepte.

    Cest pour un bouquin ! Ma vie dans un bouquin ! Il parat que des gens ont dit que mes sentiments napparaissaient

    pas dans mon histoire. Moi, je dis que cest normal : cest toujours lesadultes qui ont tout dcid pour moi. Comme pour un objet. Un objetne parle pas de ses sentiments. Je regrette souvent de ne pas avoir dephotos de moi, enfant. Mais je ntais pas considr comme une per-sonne, avec de laffection prendre et donner. Plutt comme un cas placer. Et dplacer Jai grandi trop vite. Je ne me souviens pasdavoir jou. Mais je me rappelle bien des runions interminables, oon parlait de moi. Jassistais en spectateur en essayant de comprendrece que tous ces gens me voulaient. Il ne faut pas croire que cela ne metouchait pas. Dailleurs, le soir, je pleurais, dans mon lit. Jessayaispour mendormir de me souvenir du nom des gens de ma famille :Jolle, Marc, Agns Dimaginer o ils taient

    Bruxelles, nous nous retrouvons plusieurs anciens deBeauplateau. Mme si nous ntions pas placs en mme temps, on abeaucoup de souvenirs en commun. Nous formons un rseau et notrelien est davoir tous ts placs en Ardenne, mme si toutes nos his-toires sont diffrentes

    ***

    54 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • PoupeTexte anonyme

    Javais mal aux dentsJe lai dit ma mamanmais elle ne ma pas couteelle tait en train de tlphoneralors je lai dit mon papamais il ne ma pas coutey avait du foot la tl.Je lai dit ma poupeMais elle a gard ses yeux ferms

    Jai vu un gros loup blancAlors je lai dit ma mamanMais elle sest mise crierElle ne ma pas couteJe laurais bien dit mon papaMais jai eu peur quil ne me croie pasJe lai dit ma poupeMais elle a gard ses yeux ferms

    Je suis tombe du tobogganJai couru vers ma mamanelle ma flanqu une bonne fesseFaut dire que jai tach sa robe dtJespre quelle dira rien mon papaJai pas envie quil cogne sur moiJe le dirai peut-tre ma poupeMais a mnerve, ses yeux ferms

    Jai mal dans mon cur en dedansMais je le dis pas ma mamanElle passe sa vie sangloterEt je veux plus la fatiguer

    DIFFICILES OU DIFFICILES DUQUER 55

  • Et puis, je peux pas le dire mon papaOn la pas vu depuis des moisJe peux pas le raconter ma poupeJe lai enterre sous le cerisierCest tout de sa faute ce qui est arrivElle avait qu pas tenir ses yeux ferms.

    Maintenant, jai plus personne pour mcouterCest peut-tre pour a que je peux plus parler

    ***

    Et les filles?Jacqueline SPITZ La Maison heureuse

    La rflexion et la discussion sur les particularits des conduites etdes rles sociaux des filles et des garons gardent toute leur actualit.Il est ds lors judicieux de se demander comment se prsentent lesfilles qui nous occupent, dobserver les caractristiques quellesmettent en avant.

    De manire un peu caricaturale, lors de la premire rencontre, cer-taines adolescentes donnent limage de la super nana sre delle etpour le moins provocante, dautres adoptent lattitude du cad qui doit en donner voir , dautres encore sont plutt replies sur elles-mmes et fermes au contact comme une hutre . Mais toutes pr-sentent, dans cette premire image quelles donnent voir, les signesde leur profonde souffrance.

    Dans la vie quotidienne, ces adolescentes transgressent rgulire-ment les rgles de vie, fuguent, consomment des substances toxiques,se mutilent. Elles ne trouvent plus gure leur place lcole car ellesont accumul du retard ou leur comportement y est peu adapt.

    56 ADOLESCENTS DIFFICILES ADOLESCENTS EN DIFFICULT

  • Loisivet, labsence de motivation simpliquer dans une activitsont frquentes chez la plupart dentre elles.

    Les adolescentes que nous ctoyons suscitent souvent un dsarroiimportant autour delles, dsarroi limage de leur propre dtresse.Leur vie est marque par les ruptures, les checs ou les abandons. Larelation avec elles devient difficile tablir tant leurs dfenses occu-pent lavant-scne et sintensifient au cours du temps. Penser un projetne semble pas ou plus ou pas encore faire partie de leurs proccupa-tions. Elles ont une pitre image delles-mmes et ne peroivent pasleurs comptences et leurs ressources. Elles rvent certes dune totalelibert mais en mme temps elles cherchent implicitement un engage-ment solide des quipes ducatives. Elles ne trouvent pas les mots pourdire leur souffrance, narrivent pas sadresser ceux et celles qui lesont fait souffrir et cherchent le premier bouc missaire sur qui dverserleur rancur. Plutt que de parler, elles agissent. Un certain nombredentre elles commettent des dlits de manire rcurrente. Leur enga-gement dans la dlinquance reste toutefois moins frquent et moinsgrave que celui des garons. Mais il suscite par contre des ractionsplus marques des familles et des instances judiciaires : ces adoles-centes sont davantage contrles et sanctionnes.

    Le contexte familial de ces adolescentes apparat souvent trsconflictuel et trs dtrior. Elles ne trouvent pas ou peu de soutienauprs des leurs, elles ont connu des expriences de victimisation(physique, motionnelle, sexuelle). Elles cherchent alors fuir dessituations familiales difficiles, o elles ne rencontrent gure dempa-thie, o les besoins de maturation affective ne sont pas satisfaits, oles besoins dautonomie ladolescence ne sont pas pris en compte.

    Cest ce bagage que les adolescentes apportent il est souventplus vol