Abner Burgos - Opinion Rebelle

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  • Sadik - Le Mostrador de Justicia dAbner de Burgos 119

    Hen 37(1/2015)

    Les opinions du RebeLLe dans Le MoStrAdor de JuSticiA (MatRe de Justice) dabneR de buRgos

    Shalom Sadik, Polonsky Academy at Van Leer institute, Jerusalem

    abner de burgos, ou alfonso de Valladolid, est n aux environs de 1260 dans la ville de burgos, alors lune des communauts juives les plus impor-tantes de castille.1 pendant la priode juive de sa vie, il a fait partie du cou-rant aristotlicien de la philosophie juive et dirigeait une Yeshiva dans sa ville natale. Vers 1321, lge de 60 ans, il se convertit au christianisme, probablement aprs avoir abandonn laristotlisme pour le no-platonisme.2 aprs sa conversion, il devint le sacristain de lglise de Valladolid et se

    1 sur abner de burgos, sa vie et son uvre polmique voir entre autres: i. Loeb, polemistes chretiens et juifs en France et en espagne, reJ 18-19 (1889), pp. 63-65; Y. baer, abner aus burgos, Korrespondenzblatt des Vereins zur Grndung und erhaltung einer Akademie fr die Wissenschaft des Judentums 9 (1929), pp. 20-37; id., A History of Jews in christian Spain (philadelphia: Jewish publication society, 1961-1966), vol. ii, pp. 327-354; sh. gershenzon, A Study of teshuvot La-Meharef by Abner of Burgos (thesis for the degree of doctor of Hebrew Literature in Jewish History; the graduate school of the Jewish theological seminary of america 1984); J.L. Hecht, the Polemical exchange between isaac Pollegar and Abner of Burgos/Alfonso of Valladolid according to Parma MS 2440 (a dissertation for the degree of doctor of philosophy; skirbal department of Hebrew and Judaic studies: new York university, 1999); c.n. sainz de la Maza Vicioso, Alphonso de Valladolid: edicin y estudio del manuscrito LAt 6423 de la biblioteca apostlica vaticana (tesis doctoral; universidad complutense de Madrid, departamento de filologa espaola ii, 1989); R.W. szpiech, From testimonia to testimony: thirteenth-century Anti-Jewish Polemic and the Mostrador de Justicia of Abner of Burgos/Alfonso de Valladolid (dissertation presented to the Faculty of the graduate school of Yale university in candidacy for the degree of doctor of philosophy, 2006); id., polemical strategy and the Rhetoric of authority in abner of burgos / alfonso of Valladolid, in M. esperanza alfonso - c. caballero-navas (eds.), Late Medieval Jewish identities (new York: palgrave-Macmillan, 2010), pp. 55-76; id., the original is unfaithful to the translation: conversion and authenticity in abner of burgos and anselm turmeda, eHumanista 14 (2010), pp. 146-177; id., conversion and Narrative: reading and religious Authority in Medieval Polemic (philadelphia: university of pennsylvania press, 2013), pp. 143-173; Y. shamir, rabbi Moses Ha-Kohen of tordesillas and his Book ezer Ha-emunah: A chapter in the History of the Judeo-christian controversy (Leiden: brill, 1975), pp. 40-60; J. Rosenthal, the third Letter of abner of burgos, Studies in Bibliography and Booklore 5 (1961), pp. 42-51 (en hbreu); id. From sefer alfonso, in b.d. Weinryb - M. ben-Horin - s. Zeitlin (eds.), Studies and essays in Honor of Abraham A. Neuman (Leiden: brill, 1962), pp. 588-621; id., the second epistle of abner of burgos, in s. balkin (ed.), the Abraham Weiss Jubilee Volume (new York: shulsinger bros., 1964), pp. 483-510 (en hbreu); id., excerpts from the Hebrew Writing of the apostate abner of burgos, in Meqarim u-Meqorot (2 vols.; Yerushalayim: ben Zvi, 1967), pp. 324-367 (en hbreu).

    2 a propos des opinions philosophiques dabner voir sh. sadik, trinity and determinism in the thought of Abner of Burgos (dissertation presented to the senat of ben-gurion university, 2011) (en hbreu); id., is R. abner abner of burgos?, Kabbalah 22 (2010), pp. 331-348 (en hbreu).

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    consacra en grande partie la propagation de sa nouvelle foi parmi ses an-ciens coreligionnaires.3

    La principale uvre de polmique dabner est son livre Mostrador de Justicia, Le Matre de la Justice.4 cet imposant ouvrage5 est un dbat entre le Matre de la Justice, identifi dans lintroduction abner lui-mme, et le Rebelle juif. comme la dmontr Ryan szpiech dans ses tudes sur le Mostrador, abner expose limage littraire du rebelle juif dune manire plus crdible que la plupart des crits polmiques mdivaux.6

    dans cet article, nous allons analyser les diffrentes optiques philoso-phiques et thologiques exposes par le rebelle.7 nous rsumerons dans un premier temps quelques arguments apports par ce dernier pour expliquer quil adopte, soit une optique aristotlicienne proche de celle de Maimonide, soit une optique plus traditionaliste voire mme proche de la kabbale8, selon les cas. ensuite nous analyserons plus amplement deux sujets, la valeur du miracle comme preuve de la foi et la dfinition de la divinit, pour laquelle le Rebelle expose successivement deux opinions contradictoires. dans la conclusion de larticle, nous verrons pour quelles raisons abner a volontaire-ment cr le protagoniste juif du Mostrador de cette manire.

    3 il est intressant de souligner quabner a aussi continu, aprs sa conversion, crire des livres en hbreu sur le libre arbitre et sur des sujets scientifiques. a propos de ses opinions scientifiques voir sh. sadik, crescas critique of aristotle and the Lost book by abner of burgos, tarbiz 77 (2008), pp. 133-155 (en hbreu); id. the definition of place in the thought of abner of burgos and Rabbi Hasdai, Jerusalem Studies in Jewish though 22 (2011), pp. 233-246.

    4 a propos de ce livre voir essentiellement les tudes littraires ralises par szpiech cites plus haut.

    5 plus de 330 pages de manuscrits et plus de 800 pages dans ldition moderne: W. Mettmann (ed.), Mostrador de justicia (2 vols.; opladen: Westdeutscher Verlag, 1994-1996).

    6 Voir par exemple szpiech, From testimonia to testimony, pp. 266-289.7 il existe une importante littrature scientifique traitant de limage des juifs dans la

    littrature chrtienne mdivale. par exemple voir g. dahan, Les intellectuels chrtiens et les juifs au moyen ge (paris: cerf, 1990), surtout pp. 511-538; J. cohen, Living Letters of the Law: ideas of the Jew in Medieval christianity (berkeley and Los angeles: university of california press, 1999). a propos du rle de la philosophie dans le dbat judeo-chretien voir: d. Lasker, Jewish Philosophical Polemics Against christianity in the Middle Ages (new York: Ktav publishing House, 1977; 2nd ed.; oxford-portland, or.: Littman Library, 2007).

    8 nous ne mentionnerons pas les opinions communes tous les juifs ou la plupart dentre eux, comme par exemple le fait que le messie ne soit pas encore venu ou que la faute dadam nannule pas toutes possibilits darriver au monde futur, ainsi que certains arguments revenant trs souvent dans les rponses juives aux arguments chrtiens tel que le refus daccepter les histoires du talmud comme obligatoires. nous nous contenterons de mentionner les opinions thologiques ou philosophiques montrant lappartenance dun penseur au courant philosophique aristotlicien, un courant plus traditionnel ou la kabbale.

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    1. rsum des opinions du rebelle tires de sources diffrentes

    a) opinions du rebelle proches des vues aristotliciennes de Maimonide

    1. au dbut de louvrage, le Rebelle et le Matre dcident dun commun ac-cord quelles sources utiliser au cours de leur dbat.9 Le Rebelle ne soppose pas la proposition du Matre incluant des livres de philosophie. Les sources phi-losophiques se rvleront tre lun des principaux points de dpart des contro-verses, avec la bible, ses exgses et les citations de la littrature talmudique.

    2. Le Rebelle mentionne plusieurs fois que les vnements prouvs comme tant impossibles par les philosophes ne peuvent survenir, mme par miracle.10 par exemple, il dit quil est impossible un corps dentrer dans un autre corps ou que rien ne peut exister sans corruption et gnration.11

    3. Le Rebelle soppose tout changement de la loi juive mme lpoque messianique.12 cette opinion est conforme celle de Maimonide.13 au contraire, il existe des courants de pense traditionnels et mystiques qui prnent des changements dans les rgles de la loi lpoque messianique.14

    b) Opinions traditionalistes ou kabbalistiques du Rebelle

    1. Le Rebelle affirme que les justes comme les mchants ressusciteront pour recevoir une rcompense ou une punition lorsque leur me et leur corps seront runis.15 cette opinion correspond loptique traditionnelle, exprime entre autres par Rabbi saadia gaon.16 ce point de vue contredit celui de Maimonide, car selon lui, seules les mes des justes, ayant acquis certaines connaissances rationnelles, ressusciteront.17

    2. le Rebelle affirme, contrairement au Matre,18 que la faute dadam sest effectivement produite telle quelle est dcrite dans le sens obvie de la bible.19

    9 Mostrador i, 1 (vol. i, p. 43).10 par exemple Mostrador i, 32 (vol. i, pp. 68-69); i, 33 (vol. i, pp. 90-91). 11 cette optique correspond au dire de Maimonide dans Moreh Nevukhim iii, 15. 12 Mostrador ii, 2 et 18 (vol. i, pp. 99-101, 120-122). press par le matre, le Rebelle se voit

    oblig daccepter des changements dans la loi mais essaie de les limiter dans le nombre et dans le temps (Mostrador ii, 4; vol. i, p. 108).

    13 Mishneh torah, Hilkhot melakhim 12). 14 comme lopinion de Rabbi Josef (tb niddah 61b). sur ce sujet voir aussi g. scholem,

    elements of the Kabbalah and its Symbolism (Yerushalayim: Mosad bialik,1976, pp. 67-71) (en hbreu).

    15 Mostrador iii, 2 (vol. i, pp. 168-169). 16 Le livre des croyances et des opinions vi (ditions du texte Judo-arabe avec traduction

    hbraque Jrusalem 1970).17 Voir par exemple Mishneh torah (Hilkhot yesode ha-torah 4; Hilkhot teshuvah 8);

    Moreh nevukhim iii, 54. nous ne rentrerons pas dans le dbat concernant la vritable position sotrique de Maimonide sur ce sujet.

    18 Qui rejette cette accusation et affirme que son interprtion du sens cach du texte ne veut pas dire quil rejette son sens obvie.

    19 Mostrador iv, 17 (vol. i, p. 206).

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    a loppos, dans ses deux interprtations, Maimonide20 ne parle que du sens profond du texte et le commente de faon impersonnelle, ce qui signifie que la faute dadam est une parabole et na pas eu dexistence historique. il est de plus intressant de remarquer que le rebelle affirme clairement dans ce paragraphe lexistence de la cration du monde et affirme que la croyance dans lternit du monde est hrtique.

    bien que Maimonide ait lui aussi reconnu la cration du monde et rfut la doctrine de lternit, la plupart des penseurs appartenant au courant radi-cal de la pense philosophique juive mdivale ont interprt les explica-tions de Maimonide comme faisant partie de la couche exotrique du guide. selon loptique de ces philosophes, la vritable opinion de Maimonide est conforme celle daverros prnant lternit du monde.21

    3. Le Rebelle mentionne la possibilit de la mtempsychose (rrebolui-miento dans loriginal espagnol).22 cette thorie est rejete par presque tous les philosophes, y compris les penseurs modrs comme Rabbi saadia gaon.23 au contraire, elle est lune des thories de base du courant kabbalistique.24

    4. Le Rebelle affirme quau temps messianique auront lieu des miracles qui changeront les lois de la nature.25 cela contredit la thse expose par Mai-monide selon laquelle la seule diffrence entre notre temps et celui du Messie est loppression des juifs par les nations.26

    5. Le Rebelle dit que se trouve un lment impur dans les btes impures27 il rejette expressment lopinion de Maimonide selon laquelle les lois ali-mentaires existent pour apprendre lhomme dominer ses passions ainsi que pour des raisons mdicales28 et non cause dune impuret spirituelle rsidant dans lanimal.

    20 Moreh nevukhim i, 2; ii, 30. sur ce rcit, voir s. Klein-braslavy, Maimonides interpreta-tion of the Adam Stories in Genesis: A Study in Maimonides Anthropology (Yerushalayim: R. Mas, 1986) (en hbreu); Z. Harvey, Maimonides on Genesis 3:22, daat 12 (1980), pp. 15-22 (en hbreu); L.V. berman, Maimonides on the Fall of Man, AJSr 5 (1980), pp. 1-15; J. stern, the Maimonidean parable, the arabic Poetics, and the garden of eden, Midwest Studies in Philosophy 33 (2009), pp. 209-247.

    21 Rabbi issac pulgar, llve dabner rest juif, affirme lternit du monde (ezer ha-dat, tel-aviv 1984) fin de la deuxime partie. a propos de ce dbat sur lopinion de Maimonide voir le livre dabrabael Mifalot elohim (ditions Lemberg 1863).

    22 Mostrador vii, 38 (vol. ii, p. 190).23 Le livre des croyances et des opinions 6 (voir note 16).24 Voir par exemple nahmanide, commentaire sur la Gense 38:8. sur ce sujet voire g.

    scholem, elements of the Kabbalah and its Symbolism, pp. 308-332. 25 Mostrador ix, 44, 46 (vol. ii, pp. 318, 320-321).26 Mishneh torah, Hilkhot melakhim 11. il existe un dbat sur sujet dans t berakhot 34b.

    plusieurs penseurs mdivaux affirme eux aussi quil yaura des miracles au temps messianique (voir par exemple Rabbi abraham fil de david dans ses critiques de ce chapitre dHilkhot melakhim ou le commentaire de nahmanide sur le Levitique 26: 6).

    27 Mostrador x, 8 (vol. ii, p. 408).28 Moreh nevukhim iii, 48.

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    Le Rebelle construit par abner adopte donc certaines opinions philoso-phiques en plus des vues traditionalistes, provenant parfois de la kabbale. sur certains sujets, ses opinions pourraient thoriquement former un ensemble rationnel. par exemple, le Rebelle affirme dun ct le changement futur des lois de la nature lpoque messianique, alors quil soppose tout change-ment dans les obligations de la loi. ces deux penses ne sont pas forcment contradictoires. en effet, il est possible que, malgr les miracles de lpoque messianique, les lois ne perdent pas leur autorit. nanmoins les opinions opposes ont le bnfice dtre plus cohrentes du point de vue philoso-phique et thologique. en effet, lannulation de la loi ou de certains de ses dcrets est habituellement une consquence des changements de la nature lpoque messianique. au contraire, les penseurs qui, comme Maimonide, proclament lternit des lois de la tora, estiment gnralement que cette ternit est en relation avec lternit des lois de la nature car lun des buts essentiel de la tora est dtablir une loi humaine en accord avec les lois de la nature.29 celui qui affirme que les rgles de la tora restent en vigueur malgr les changements eschatologiques du monde devra donc expliquer la raison de cette diffrence, explication qui nest pas donne par le Rebelle.

    de la mme manire, le Rebelle affirme que les preuves avances par les philosophes sont une source fiable de connaissances et que ce qui est prouv comme impossible ne peut devenir possible miraculeusement. dun autre ct, il expose de nombreuses opinions considres comme impossibles par les philosophes telles que la mtempsychose ou le maintien du sens obvie de lhistoire de la faute dadam. ses opinions peuvent tres cohrentes, mais il manque les commentaires expliquant comment ces thses, rejetes par la plupart des philosophes peuvent saccorder avec la science

    il est intressant de noter la diffrence entre le Matre et le Rebelle. Le Matre soutient, lui aussi, la fois la fiabilit des ouvrages philosophiques30 et des opinions considres comme inconcevables par ces mmes philo-sophes telles que la possibilit pour deux corps dentrer lun dans lautre. Mais le Matre consacre de longues explications dmontrer que ces deux opinions peuvent cohabiter31 alors que ces claircissements font dfaut dans les thses du Rebelle.

    abner a donc construit sciemment son protagoniste juif comme moins cohrent que lui-mme. pour ce faire, il attribue au Rebelle des opinions tires tour tour de courants diffrents de la pense juive mdivale. cette situation devient encore plus flagrante lorsque que le Rebelle exprime des opinions divergentes sur un seul et mme sujet.

    29 sur les relations entre les lois de la torah et celles de la nature voir e. Hadad, torah and Nature in Maimonides Writings (Yerushalayim: the Hebrew university - Magnes press, 2011) (en hbreu).

    30 Mostrador i, 1 (vol. i, p. 43). 31 par exemple, il explique la possibilit quun corps sans dimension existe et que ce mme

    corps puisse entrer dans un autre corps. Voir Mostrador vi, 34 (vol. ii, pp. 91- 99). sur ce sujet voir sadik, crescas critique of aristotle.

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    2. opinions divergentes du rebelle sur un mme sujet

    abner attribue donc au Rebelle des opinions tires de sources philoso-phiques discordantes sans prendre la peine de les rendre cohrentes. de plus, certains passages du Mostrador montrent que le protagoniste juif nonce des opinions contradictoires sur deux sujets: la dfinition de dieu et la valeur du miracle comme preuve de la foi.

    a) La dfinition de dieu

    Le cinquime chapitre du Mostrador est consacr au dbat sur la division de la divinit en trois personnes. Le Rebelle mentionne plusieurs arguments grce auxquels il est possible de comprendre quelle est sa dfinition de la divinit. au dbut de ce chapitre, le Rebelle attaque la position du Matre selon laquelle la personne du Fils est le nom donn laction de la divinit dans le monde:32

    Le Rebelle dit: comment peux-tu dire que dieu cre33 toutes les uvres singulires34 qui sont dans le monde (et) est appel de cette faon, pour cette partie (de son essence), (la) personne du Fils. car selon lopinion communment accepte par les philosophes, dieu ne cre que la premire intelligence; qui est dite la premire ncessit. et cette intelligence pre-mire cre lintelligence seconde e sa propre sphre,35 et la seconde intel-ligence cre la troisime intelligence et la deuxime sphre [...].36

    dans ce passage nous voyons que le Rebelle adopte la dfinition de la divinit commune aux philosophes aristotliciens. selon cette dfinition, dieu ne cre pas directement toutes les cratures mais uniquement la pre-mire intelligence spare,37 de cette intelligence dcoule la premire sphre

    32 dans le quatrime chapitre du Mostrador, abner dveloppe lessentiel de sa philosophie no-platonicienne selon laquelle la divinit est prsente dans tout le monde divers degrs de puret. Le fils est, selon abner, le nom de lessence divine en contact avec la matire corporelle. sur ce sujet et sur les deux degrs de la dfinition du fils dans les crits dabner voir sadik, trinity and determinism, pp. 41-99.

    33 Jai traduit ainsi le verbe espagnol obra. une traduction plus littrale serait agie. 34 par opposition luvre gnrale comme le genre humain. Lopinion du Matre est

    effectivement que dieu agit dans toutes les uvres singulires et pas uniquement par lintermdiaire des universaux.

    35 La premiere sphre. 36 Mostrador chapitre v paragraphe 1 (page 222). original espagnol: dixo el Rrebelle:

    e cmo puedes t dezir que dios obra todas las obras proprias que son en el mundo en guisa que le llames por esta parte persona del Fijo? ca segunt que los filosofos concuerdan, non obr dios sinon la intelligencia primera; aquellas es la que ellos dizen necesario primero. e esta intelligencia primera obr a la intelligencia segunda e a la espera ms susana, e la intelligencia segunda obr a la intelligencia terera e a la espera segunda....

    37 daprs certaines descriptions, y compris celle de Maimonide dans le premier chapitre

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    et la deuxime intelligence, de cette dernire la troisime intelligence et la deuxime sphre et ainsi de suite jusqu la sphre de la lune de laquelle proviennent les quatre lments composant le monde corporel.38 La dfini-tion dune telle divinit est forcment proche de la dfinition aristotlicienne, cest dire un intellect autosuffisant se pensant lui-mme et par le seul acte de cette pense amenant tout le reste du monde lexistence.

    au dbut du septime paragraphe de ce mme chapitre, le Rebelle conti-nue de critiquer les doctrines de la trinit et de lincarnation laide de cette dfinition aristotlicienne de la divinit:

    Le Rebelle dit: dans ce que tu dis que la personne du Fils sunit avec le christ tu nchapperas pas lune des deux possibilits39: ou que seu-lement le Fils sunit avec lui, ou que sunissent aussi le pre et le saint esprit, de faon que tous les trois soient en lui. et si tu dis que toutes les trois personnes sunissent lhumanit de ce christ, tu nchapperas pas aussi ces deux autres possibilits: ou que toute la divinit sera en lui ou que toute la divinit ne sera pas en lui, mais juste une partie, et quil yaurait ou une quatrime ou une cinquime personne qui ne soit pas unie lui. Mais tu ne peux pas dire que seulement la personne du Fils sunit avec lui, ni seulement une partie de la divinit, car il est dit que la divinit nest pas sparable.40

    comme dans le premier texte, nous voyons galement que les arguments du Rebelle dcoulent de sa vision aristotlicienne de la divinit. au dbut de ce passage, le Rebelle utilise des arguments logiques pour contredire le dogme de lincarnation. selon lui, la divinit doit logiquement tre, soit to-talement, soit partiellement unie au christ. or, elle ne peut tre unie lui incompltement car elle ne se divise pas. Le Rebelle prend donc comme principe de sa critique les preuves apportes par les philosophes concernant lunit divine, preuves venant elles aussi de la philosophie aristotlicienne.41

    de Mishne tora, les cratures ne sont pas cres par dieu mais sont une conclusion de son existence mme. Le Rebelle ne rentre pas dans cette discussion et utilise le verbe uvre qui peut tre compris de diverses manires.

    38 Le Rebelle continue dexpliquer cette vision du monde dans la suite du passage cit. 39 cause dans loriginal. 40 Mostrador v, 7 (vol. i, p. 232). original espagnol: dixo el Rrebelle: en lo que dizes

    que la persona del Fijo se ayunt con el christo non escapa[s] de una de dos cosas: o que el Fijo solamiente se ayunt con l, o que se ayuntaron otrosi el padre e el spiritu santo, en guisa que todas tres fueron en l. e si dixieres que todas las tres personas se ayuntaron en la humanidat deste christo, non escapa[s] otrosi de las otras dos cosas: o que era en l toda la divinidat o que non era en l toda la divinidat, sinon una partida, e que finc o perssona quarta o quinta que non se ayunt con el. Mas non podedes dezir que la persona de Fijo solamientre se ayunt con l, nin partida de la divinidat solamientre, porque ya dixiste que la divinidad non es partible.

    41 a propos de ses preuves voir Mishneh torah, Hilkhot yesode ha-torah 1 et Moreh nevukhim ii, 1.

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    nous avons donc vu que dans ces deux paragraphes le Rebelle fonde ses arguments sur une optique proche de celle de Maimonide.42

    Le changement de largumentation du Rebelle se prsente dans la suite de ce mme paragraphe. un philosophe aristotlicien aurait dit que la deuxime hypothse, savoir que toute la divinit soit unie au christ, est impossible car dieu ne peut tre associ un corps.43 Les preuves que dieu ne peut avoir un corps suivent habituellement celles dmontrant son unit, il aurait donc t normal que le Rebelle les utilise dans la suite de ce paragraphe. Mais au contraire, il expose un argument totalement diffrent:

    et si tu dis que dans le christ seraient toutes les trois personnes et (que) toute la divinit y serait localise, tu contredis tes (propres) paroles en ce que tu dis que seule la personne du Fils est unie au christ. et en plus, fais moi savoir quand sera ce christ sur la terre, si alors (il) sera dans le ciel ou sur la terre ou sur les montagnes, ou septentrional ou mridional, ou en orient ou en occident, car sa stature ne sera pas plus grande que celle de tout autre homme de la terre. et pour (cela) comment peux-tu dire de lui (le christ avec toute la divinit en lui-mme) quil sera dieu qui remplit tout le monde, selon ce quil est dit: Les cieux et la terre je les remplis.44 et comment il sera enferm et confin dans le ventre dune femme.45

    Largumentation du Rebelle dans ce passage ne tire pas ses justifications de la vision aristotlicienne que nous avons vue plus haut mais dune optique plus traditionaliste, voire mme kabbalistique. daprs le Rebelle, dieu est prsent dans tout le monde et il ne peut donc tre confin dans le corps de Jsus. ce principe nest pas seulement diffrent de loptique aristotlicienne selon laquelle dieu ne peut tre en relation avec un corps, il le contredit de manire flagrante. Maimonide mentionne expressment que dieu ne peut tre dcrit par lattribut de place (). selon lui, il nest donc pas possible que dieu soit prsent dans un corps quelconque, fut-il lunivers entier ou le corps de Jsus.

    42 Le Rebelle soppose dans dautres paragraphes cette mme vision de la divinit. par exemple, dans la suite de ce chapitre (Mostrador v, 21; vol. i, p. 267) le Rebelle affirme quon ne peut attribuer dieu des attributs de relation car toute relation est un accident. sur cette opinion voir Moreh nevukhim i, 52.

    43 ses preuves se basent dhabitude sur la finitude du corps qui entranerait une limitation la force divine.

    44 Jrmie 23:24. Jai traduit selon le texte espagnol dabner et non selon loriginal hbraque.

    45 Mostrador v, 7 (vol. i, p. 232). original espagnol: e si dixeras que en el christo fueron todas las tres personas e toda la divinidad luego, quebrantaras tus palabras en lo que dixiste que se ayunt en el christo la persona del Ffijo solamientre. e ms, fazme saber de qundo estava este christo en la tierra, si estava entonce en el ielo o en la tierra o en los montes, o en setentrion o en meridion, o en oriente o en oscidente, ca non era su estado tan grande sino como estado de otro omne en la tierra. e pues cmo podedes dezir dl que era dios que inche todo el mundo, segund que dixo el viesso Los ielos e la tierra yo los inchos. e cmo sera encerrado e ascondido en vientre du una muger?.

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    abner met donc dans la bouche de son protagoniste juif deux sortes dar-guments provenant de visions diamtralement opposes de la divinit sans essayer de les rendre cohrentes. il est important de souligner que dans sa rponse, le Matre se sert de cette contradiction interne dans lopinion du Rebelle et place la prsence spirituelle de dieu dans tout le monde et par-ticulirement dans certains corps comme une sorte de juste milieu entre les diffrents arguments du Rebelle. abner attribue donc au Rebelle juif non seulement des opinions contradictoires sur certains sujets mais encore des opinions divergentes et inadquates sur un seul et mme sujet.

    b) Les miracles sont-ils un argument fiable de la foi?

    Maimonide rejette totalement le rle du miracle en tant que preuve de la crdibilit dun prophte.46 selon lui, les miracles ne peuvent servir dargu-ments pour tayer les dires de ceux qui parlent au nom de dieu car les pro-diges peuvent tre luvre dun charlatan ou dun sorcier.47

    au dbut du sixime chapitre du Mostrador, le Rebelle prsente une thse semblable celle de Maimonide:

    dit le Rebelle: nous voyons pourquoi tu as pris Jsus de nazareth pour dieu et tu crois en ceux disant quil est dieu: pour la raison quil a fait des miracles, selon ce que vous affirmez. (cet argument est sans valeur) car il fut beaucoup de prophtes qui ont fait des miracles dune ampleur semblable la sienne, ou plus grands, et ne se sont pas appels dieu. et ils se sont appels divins, car ils ont acquis les coutumes de la divinit, com-me sont appels logiciens ceux ayant acquis la science de la logique. pour cela ils ne sont pas appels dieu, qui est le nom du premier matre de la substance, et non des drivs (de ce nom). et ils ne sont pas crdible ceux qui affirment dans vos livres que saint silvestre a rpondu ce eviatar, le juif avec qui il a dbattu devant lempereur constantin ce que saint sil-vestre a dit: que si Jsus ntait pas dieu, comme il la dit, dieu aurait t en colre contre lui et naurait pas ressuscit les morts par lintermdiaire48 de ses mains. car cette raison de silvestre ne vaut rien, car il est arriv que les mages et les ftichistes fassent des miracles comme les prophtes, et parfois dieu ne montre pas sa colre contre eux.49

    46 Mishneh torah, Hilkhot yesode ha-torah 8. dans ce chapitre Maimonide affirme que le peuple juif na pas cru en Moise cause de ses miracles et que ces derniers nont t raliss que pour des besoins spcifiques du peuple. Rabbi issac pulgar, lancien lve dabner, expose une position semblable dans sonezer ha-dat i, 5 (tel-aviv 1984).

    47 Loptique de Maimonide est proche de la description du faux prophte faisant un miracle dans le deutronome chapitre 13. a propos de lopinion de Maimonide sur la prophtie voir H. Kreisel, Prophecy. the History of an idea in Medieval Jewish Philosophy (dordrecht: Kluwer academic publishers, 2001), pp. 148-315.

    48 Littralement aprs. 49 Mostrador vi, 3 (vol. ii, p. 9). original espagnol: dixo el Rrebelle: Veamos por qu

    tomastes a Jhesu nazareno por dios e creyestes a lo que dixo que era dios: por rrazon que

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    Le Rebelle affirme avoir trouv la raison de la foi du Matre en la divinit de Jsus, en effet, ce sont les miracles de Jsus qui prouveraient la prsence de la divinit en lui.50 Le Rebelle avance trois arguments dans le but de mon-trer que ces miracles ne prouvent pas que Jsus ait t dieu.51 premirement, de nombreux prophtes ont ralis des miracles semblables ou suprieurs Jsus sans se faire appeler dieu. ils ont t appels divins grce lacqui-sition de la qualit divine, probablement leur connaissance de dieu, leur zle le servir et amener dautres personnes faire de mme. ensuite, dieu est dfini mtaphysiquement, comme le premier matre de la substance52, et non par des miracles. ces deux arguments ont pour but de dmontrer que des miracles ne peuvent tre la preuve de la prsence de la divinit en une personne. Le troisime argument, encore plus critique, concerne lautorit quune personne peut tirer dun miracle:

    commentant une partie du dbat littraire entre saint silvestre et le juif eviatar, le Rebelle affirme, contrairement largument avanc par saint sil-vestre, que lexistence dun miracle ne peut rien prouver car des mages et dautres charlatans ont galement ralis des prodiges. de plus, ces derniers nont pas toujours t punis par dieu pour avoir fait des miracles dans le but de prouver des opinions fausses.

    Le Rebelle ne rfute pas uniquement la thse selon laquelle les miracles apportent la preuve de la divinit, mais il affirme galement quils ne prouvent rien car ils peuvent tre luvre de mages ou de charlatans.

    Le rebelle adopte donc une position semblable celle de Maimonide quant la valeur du miracle comme preuve de la foi. selon ce passage, le miracle ne peut en aucune manire servir de signe de la vrit de la foi. La foi vritable doit tre base, non sur des miracles, mais sur des preuves mtaphy-siques. il est important de souligner que le Rebelle ntait pas oblig de reje-ter toute lautorit religieuse des miracles pour repousser les miracles faits par Jsus. il aurait aussi bien pu affirmer que Jsus tait un charlatan ou un

    fizo miraglos, segund que vos tenedes. ca ya fueron prophetas muchos que ffizieron miraglos tamannos como l, o mayores, e non sse llamaron dioses. e se llamaron divinales, porque ga-naron constunbres de divinidat, como sse llamaron lgicos, porque ganaron sciencia de logica. por esso non se llamaron dioses, que es nombre primero mostrador de la sustancialidat, e non dirivado. e non abonda lo que tenedes escripto en vuestros libros que ssant silvestre rrespon-di en esto ebiatar, el judio que disputava con l ante constantin cesar, en que dixo ssant sil-vestre que ssi Jhesu non fuera dios, como el dizia, oviera dios sanna dl e non rressucitara los muertos despues por su mano. ca aquella rrazon de silvestre non es nada; ca ya fallamos que los magos et los ffechizeros ffizieron miraglos como los prophetas, e a las vezes non mostrava dios ssanna contra ellos.

    50 cest aussi lopinion de Rabbi issac pulgar, llve dabner, dans son ezer ha-dat i, 5. 51 il est intressant que le rebelle ne mette pas expressment en cause la viabilit des

    tmoignages concernant les miracles de Jsus.52 La signification de cette dfinition chez abner est que la substance divine est la base

    commune de toutes les substances des diffrentes cratures. sur ce sujet voir sadik, crescas critique of aristotle.

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    sorcier,53 ou encore plus simplement, que les histoires concernant ses miracle ntaient pas crdibles.54 une telle explication lui aurait permis de rejeter lautorit des miracles faits par Jsus tout en reconnaissant les miracles faits par dautres prophtes juifs. Mais le Rebelle a prfr annuler toute autorit religieuse tire du miracle suivant lopinion de Maimonide.

    dans dautres passages, le Rebelle expose une position contradictoire et utilise les miracles raliss pour les juifs comme preuve fiable de la foi juive. par exemple, au dbut du Mostrador, le Rebelle sappuie sur les miracles faits par les sages du talmud pour prouver quils taient des justes et ne pouvaient avoir tort:

    dit le Rebelle: Je mtonne beaucoup de toi comme tu peux tre tel-lement effront en tenant pour mauvais les sages du talmud, tant ceux qui nous ont montr toutes les bonnes choses du monde, et quils ont fait beaucoup de miracles au nom de dieu, selon le tmoignage des livres du talmud.55

    ici56, le Rebelle, contrairement loptique de Maimonide vue plus haut, se sert des miracles attribus par le talmud ses sages pour tablir la vracit de leurs opinions. Le Rebelle affirme donc dun ct que les miracles raliss pour les juifs sont la preuve de la vracit de ses opinions et de lautre, il dnigre toute valeur de preuve aux miracles dans le but de renier la divinit de Jsus.

    Lacceptation des miracles raliss par dieu pour les croyants de lune des deux religions et le rejet des prodiges censs tre accomplis pour les tenants de lautre sont trs courants dans le dbat judo-chrtien. Mais pour rendre cohrentes ces deux affirmations contradictoires, il est ncessaire dapporter certains arguments permettant de faire la diffrence entre les miracles des

    53 ces arguments existaient dans la littrature juive polmique, voir par exemple toledot Yeshu.

    54 cest par exemple la stratgie employe par Rabbi Yehuda Halevi dans le Kuzari i, 5 (original judo-arabe Jrusalem 1977). dans le Kuzari les miracles raliss pour les juifs sont la preuve principale de la vracit du judasme (voir par exemple Kuzari i, 41). pour faire une diffrence entre les miracles raliss pour les juifs et ceux raliss pour les chrtiens, il doit donc sattaquer la crdibilit des miracles attribus par les chrtiens Jsus.

    55 Mostrador i, 18 (vol. i, p. 54). original espagnol: dixo el Rrebelle: Yo me maravillo mucho de ti cmo eres tan desvergonado en tener por malos a los ssabios del talmud, seyendo ellos los que nos mostraron todas las bondas del mundo, e que les ffueron ffechos muchos mi-raglos de parte de dios, ssegund que los libros del talmud dan testimonio dellos. Le Matre critique uniquement le fait que le Rebelle se base sur une partie de la littrature juive pour prouver son argument. il ne critique pas le fait que le Rebelle veut prouver les bases de la foi par des miracles.

    56 Le Rebelle se sert plusieurs fois de miracles comme preuves de la foi. par exemple Mostrador vi, 18 (vol. i, p. 426). il rapporte lhistoire de chrtiens ayant demand des juifs de prier pour la pluie, la prire des juifs a t accepte aprs que celle des chrtiens ait t refuse. dans un autre passage (ibi, vi, 22 [vol. i, pp. 431-433]), il affirme que le miracle de la survie des juifs dans lexil prouve que dieu ne les a pas abandonns.

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    deux religions. Le Rebelle cre par abner napporte aucune justification de ce genre. au contraire, il soutient deux opinions se contredisant de manire flagrante, la premire tire de luvre de Maimonide et la seconde plus proche des thses de Rabbi Yehuda Halevi.

    3. conclusion

    abner a donc cr le protagoniste juif du Mostrador dune manire inco-hrente. Le Rebelle dabner est dune part un personnage rel car il navance que des arguments effectivement tenus par les juifs, mais de lautre, ses dif-frents lments appartiennent des courants diffrents du judasme. Loin de se complter, ses thses se contredisent. il ne fait aucun doute quabner, qui avait vcu comme un rabbin juif et avait lui-mme pris parti, mme aprs sa conversion,57 aux dbats internes de la communaut juive, tait conscient de lamalgame incohrent des arguments quil attribue au Rebelle du Mostra-dor. dans quel but a-t- il donc cr le Rebelle de cette manire?

    Le mlange darguments provenant de courants juifs opposs sert la pol-mique voulue par abner de deux manires distinctes. premirement, la des-cription du juif comme inferieur au chrtien, ou le contraire si lauteur du livre est juif, est partie intgrale de toute la littrature polmique. Le but de cette littrature tait damener la conversion du membre de la religion adverse58 ou de renforcer la foi en la supriorit de sa religion chez le core-ligionnaire de lauteur du livre. il est donc tout fait normal que le matre chrtien soit dcrit de manire plus convaincante que le rebelle juif. Le m-lange darguments se contredisant nlimine pas compltement la crdibilit du rebelle comme reprsentant du judasme, car chacun de ses lments a effectivement t avanc par des juifs. Lutilisation dun tel assortiment dar-guments permet donc abner de dcrire un juif crdible dun point de vue historique mais infrieur au matre chrtien du point de vue philosophique.

    ensuite, lassemblage des thses avances, tant par les juifs rationalistes que par les traditionalistes, permet abner de rpondre tous les arguments. si le rebelle avait reprsent seulement un courant du judasme, les tenants des autres tendances nauraient pu tre convaincus par le Mostrador.

    57 Voir son livre ofrenda de Zelos (d. Mettman; opladen: Westdeutscher Verlag, 1990), dans lequel il critique loptique philosophique de son ancien lve Rabbi issac pulgar concernant la connaissance divine. ce livre, crit bien aprs le Mostrador, ne contient quune phrase, vers la fin, montrant que son auteur est devenu chrtien.

    58 Le fait que le livre tait crit dans une langue mconnue des membres de la religion adverse, latin ou hbreux, ne prouve pas que le but de cette littrature soit essentiellement interne. au moyen-ge, les livres taient des objets trs chers et les chances quun juif ou un chrtien achte un livre polmique de lautre religion taient infimes. Le meilleur moyen pour un polmiste chrtien de voir ses arguments arriver la connaissance des juifs tait dcrire des livres en latin, afin quils soient achets et lus par des chrtiens, et utiliss par la suite lors de dbats oraux avec des juifs.

  • Sadik - Le Mostrador de Justicia dAbner de Burgos 131

    La mosaque darguments dorigines diffrentes permet donc abner de crer un protagoniste juif crdible, reprsentant tous les courants du judasme et inferieur du point de vue philosophique au matre chrtien. ce juif imagi-naire tait donc ladversaire idal dabner dans le Mostrador et ce dernier sest servi de sa vaste connaissance des diverses courants du judasme pour le construire.

    abstRact

    Abner of Burgos (ca. 1260 post 1347, became christian in 1321) was one of the prominent Jewish rabbi apostates in the beginning of the 14th cen-tury. in his principal polemical book Mostrador de Justicia (Master of Jus-tice), he describes a religious debate between the christian master and a Jewish rebel. this article examines the different opinions taken on by this Jewish role. We see that despite the fact that the rebel uses only Jewish opi-nions in philosophy and theology, he contradicts himself many times. the main reason for these contradictions is that the rebel uses in the same subject philosophical opinions. For example, the rebel uses simultaneously Aristo-telian and traditional definitions of the divine. He also claims, (like Maimo-nides) that miracles cannot prove the truth of belief and at the same time try to prove the authority of the talmud through the miracles that the sages of the talmud performed. Abner therefore builds the rebel as a perfect Jewish protagonist. the rebel gathers the opinions of the major trend in the Spanish Jewish community of his time. However, this gathering lacks any coherent explanation of how these different opinions can stand together. this lack of coherence makes the work of the christian master easier.