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4 LE ROMANTISME
Le romantisme est un courant qui, au XIXe siècle, touche
pratiquement tous les arts. En France, la peinture romantique,
qui est une réaction contre les règles de l’académisme et du
néoclassicisme, se développe sous la Restauration et la
Monarchie du Juillet. Elle abandonne les grands sujets de
l’Histoire, chers à David et à ses successeurs, au profit des
peintures personnelles exprimant les émotions de l’artiste
qu’il veut transmettre au spectateur. La réalité est traitée
de façon subjective, la représentation des événements de
l’époque sert souvent à exprimer les opinions politiques du
peintre, ce qu’illustrent deux œuvres célèbres : Le Radeau de
La Méduse de Théodore Géricault (1819) et Les scènes des
massacres de Scio d’Eugène Delacroix (1824). Elles témoignent
de l’attention que les artistes portent aux tragédies de leur
temps. Les peintres romantiques, qui ont besoin de communiquer
leurs sentiments, se tournent également vers les thèmes comme
le rêve, la folie, la peur et autres tourments de l’âme et du
cœur. Leur technique traduit le soucis de représenter le
mouvement, les effets de lumière sont destinés à dramatiser la
scène. C’est Géricault (1791-1824) qui, en introduisant le
mouvement, la couleur, et les thèmes réalistes dans la
peinture, montre le chemin à la nouvelle génération
d’artistes, les romantiques, dont la figure la plus
représentative en France est Eugène Delacroix, considéré comme
son héritier spirituel.
Au Salon de 1824 où Delacroix présente son tableau Les
scènes des massacres de Scio et Ingres, représentant de
l’école néoclassique, expose le Vœu de Louis XIII, se déroule
la bataille entre les anciens et les modernes. Dans ce
contexte, rappelons que les débuts du romantisme sont marqués
par des affrontements, parfois violents, comme celui entré
dans l’histoire littéraire sous le nom de la bataille
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d’Hernani qui opposait les classiques et les romantiques à
l’occasion de la première, en 1830, du drame Hernani de Victor
Hugo.
Progressivement, les artistes romantiques vont occuper le
devant de la scène artistique et imposer leurs visions.
Eugène Delacroix (1799-1863), chef de file des peintres
romantiques, puise ses sujets dans la littérature, la
mythologie, l’Orient, l’histoire contemporaine. La peinture de
Delacroix reflète sa grande culture intellectuelle et ses
différents intérêts. Ses tableaux traduisent ses recherches
sur la couleur, la lumière et le mouvement. Il participe
régulièrement au Salon où ses œuvres sont tantôt accueillies
avec admiration, tantôt violemment critiquées, souvent de
façon injuste. En 1824, il déclenche un véritable scandale
avec son tableau Les scènes des massacres de Scio. Tout comme
quatre ans plus tard avec la toile La Mort de Sardanapale
(1828) dont le sujet et sa représentation sont d’une violence
extraordinaire. On y voit ce roi assyrien assiégé dans sa
ville de Ninive qui ordonne à ses eunuques de tuer ses femmes,
ses chevaux et ses chiens avant qu’il meurt lui-même. Tout ce
qui a servi à ses plaisirs ne doit lui survivre. Le réalisme
dans la description du carnage et les extravagances de
l’imagination s’y mêlent dans des couleurs éclatantes où
domine le rouge.
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La Mort de Sardanapale
L’emblématique tableau de Delacroix, La Liberté guidant
le peuple est présenté au Salon de 1831 sous le titre Scènes
de barricades. Le peintre s’inspire d’un sujet d’actualité qui
est la révolution de Juillet en 1830. Cette révolution se
déroule sur trois journées – les 27, 28 et 29 juillet – que
l’histoire retient sous le nom des « Trois Glorieuses ». Le
dernier roi Bourbon, Charles X, est renversé, et le duc
d’Orléans est proclamé « roi des Français » (non pas « roi de
France »). Il portera le nom de Louis-Philippe Ier. La révolte
populaire de 1830 ne met donc pas en place une république mais
une monarchie constitutionnelle, et le drapeau tricolore est
le symbole de la réconciliation entre les monarchistes
éclairés et les républicains. La conception du tableau réunit
les éléments du réalisme et de l’allégorie. La scène peinte
par Delacroix se déroule sur les barricades de Paris avec en
arrière-plan la cathédrale Notre-Dame. Le premier plan est
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occupé par des cadavres et des blessés ce qui n’est pas sans
rappeler les naufragés du Radeau de La Méduse de Géricault,
artiste pour lequel Delacroix avait beaucoup d’admiration. Sur
le côté gauche, le groupe d’hommes est constitué de
représentants de plusieurs couches sociales. L’ouvrier, le
bourgeois et le paysan se distinguent par leurs vêtements. Au
centre de la toile, une jeune femme, qui a les traits d’une
paysanne, mène les insurgés en brandissant le drapeau
tricolore et une baïonnette. Le garçon armé de pistolets
incarne le « titi parisien », cet enfant des rues, livré à
lui-même, qui est présent dans la littérature et l’art du
milieu du XIXe siècle. Il semblerait que Victor Hugo se soit
inspiré du tableau de Delacroix pour la description de la
barricade dans Les Misérables, et que l’image du jeune garçon
ait incité le romancier à créer le personnage de Gavroche. La
jeune femme, dont les proportions sont bien plus importantes
que celles des autres personnages, est devenue le symbole de
la liberté. L’aspect allégorique et la portée politique de
cette toile de Delacroix en font le symbole de la République
française. De 1978 à 1995, elle a illustré le billet de banque
de cent francs français.
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La Liberté guidant le peuple
En 1832, Delacroix entreprend un voyage qui le conduit au
Maroc et à Alger. De son séjour dans ces lieux exotiques qui
l’ont enchanté il rapporte une grande quantité de dessins,
d’aquarelles et d’esquisses. La découverte de l’Orient marque
profondément sa peinture et est à l’origine de la création
d’une multitude de tableaux dont nous avons choisi celui
intitulé Femmes d’Alger dans leur appartement. Baudelaire,
subjugué par cette œuvre, a déclaré à son propos que c’était
un « petit poème d’intérieur, plein de repos et de silence,
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encombré de riches étoffes et de brimborions de toilette ».
Selon Renoir « il n’y a pas de plus beau tableau au monde ».
Cette scène de harem représente un univers qui fascine les
Occidentaux par son luxe, ses mœurs, son érotisme.
Femmes d’Alger dans leur appartement
L’œuvre de Delacroix est riche en genres et en sujets
traités. C’est, entre autres, un très bon portraitiste, auteur
de quelques autoportraits (par exemple le saisissant
Autoportrait en gilet vert de 1837) et de portraits de
plusieurs personnalités de son époque, comme la romancière
Georges Sand et le musicien romantique Frédéric Chopin qui
vivent, pendant quelque temps, une liaison amoureuse.
Delacroix appartient également aux plus grands
décorateurs du XIXe siècle. Ses peintures ornent le Salon du
roi et la bibliothèque au Palais Bourbon (l’actuel siège de
l’Assemblée nationale), la bibliothèque du Palais du
Luxembourg (siège du Sénat), et la chapelle des Saints Anges à
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Saint-Sulpice, la deuxième église de Paris après Notre-Dame.
Dans la première chapelle à droite, Delacroix peint entre 1849
et 1861 de splendides fresques, pleines de fougue et de
vigueur romantique dans lesquelles il interprète, de façon
tout à fait originale, les thèmes de Héliodore chassé du
temple et de la lutte de Jacob avec l’ange. La voûte est
réservée à Saint Michel terrassant le dragon. Dans la
chapelle, on peut lire un commentaire expliquant la
représentation, par l’artiste, de l’unique thème de la Bible
où un mortel se bat avec un être venu du cieux : « Dans
l’interprétation de Delacroix, l’ange soutient avec sérénité
les efforts desordonnés de l’homme qui ne veut pas se
soumettre. C’est la traduction de notre combat intérieur
quotidien où nous devons découvrir que Dieu n’est pas
contrainte, mais liberté et que c’est de nous-mêmes que nous
devons triompher ».28
La lutte de Jacob avec l'ange
Suggestion aux visiteurs de Paris : au 6 de la rue de
Furstenberg, tout près de la belle église romane de Saint-
28 https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Paris/Paris-Saint-
Sulpice.htm [11.5.2017]
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Germain-des-Prés, dans la maison où Delacroix meurt en 1863,
on peut visiter le musée dédié au peintre qui repose au
cimetière du Père-Lachaise.
La rue de Furstenberg
Le plus illustre représentant de la sculpture romantique,
François Rude (1784-1855) est universellement connu grâce à
son haut-relief ornant l’Arc de Triomphe de l’Étoile à Paris
dont le titre officiel est Le départ des volontaires de 1792,
mais qui est entré dans la mémoire collective sous le nom de
La Marseillaise.
L’œuvre de ce Dijonnais reflète la transition entre le
néoclassicisme et le romantisme. Les événements de l’époque et
ses convictions politiques l’obligent à s’exiler à Bruxelles
où il exécute des sculptures fidèles à la tradition
néoclassique dont le magnifique buste en marbre de Louis
David, l’une des plus grandes figures de la peinture du XIXe
siècle, aujourd’hui exposé au musée du Louvre. Rude rentre à
Paris en 1827 où il attire l’attention des critiques avec son
Jeune pêcheur napolitain qu’il présente au Salon de 1833. Ce
marbre pittoresque, représentant un jeune garçon qui joue avec
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une tortue, fait de Rude l’un des chefs de file d’une nouvelle
école que l’on appellera plus tard « romantique ».
Sa sculpture monumentale La Marseillaise s’inscrit dans
le programme politique de Louis-Philippe, roi des Français,
qui entend rassembler tous les Français : bonapartistes,
royalistes et révolutionnaires. L’Arc de Triomphe de l’Étoile,
dont la construction commence en 1806 et qui, selon le vœu de
Napoléon Ier, devait être un hommage à la Grande Armée, n’est
terminé qu’en 1836. Son décor est exécuté sous la Monarchie de
Juillet et Rude y travaille entre 1833 et 1836. Son haut-
relief comprend deux parties. Sur la partie inférieure, on
voit des soldats, jeunes et vieux, partant au combat,
entraînés par cette grande figure féminine, très expressive,
qui occupe la partie supérieure. Avec ses ailes et son casque,
on dirait une déesse antique, celle de la victoire. Ses yeux
exorbités, sa bouche grande ouverte, déformée par un cri,
l’épée dans sa main droite tendue vers l’ennemi, toute cette
mise en scène théâtrale sont des traits caractéristiques du
style romantique. Allégorie de la Patrie ou celle de la
Liberté, cette image est largement exploitée par les partis
politiques de tous bords.
Le départ des volontaires (La Marseillaise)
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Les autres œuvres de Rude sont peut-être moins connues du
public, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne méritent pas notre
attention. Bien au contraire. Rude a réalisé quelques statues
religieuses et mythologiques, comme la Vierge dans l’église
Saint-Gervais à Paris, Le Baptême du Christ dans l’église de
la Madeleine à Paris, Hébé et l’Aigle de Jupiter au Musée des
beaux-arts de Dijon, de nombreuses statues de grands hommes,
ainsi que des sculptures funéraires. Il a immortalisé le
Maréchal Ney dont la statue en bronze se trouve sur l’avenue
de l’Observatoire à Paris, et l’empereur Napoléon Ier. La
sculpture, également en bronze, qui porte le titre de Napoléon
s’éveillant à l’immortalité est installée dans le parc du
Musée Noisot à Fixin en Côte-d’Or.29 Sa Jeanne d’Arc écoutant
ses voix30, sculpture commandée pour prendre place dans la
série des Femmes illustres au Jardin du Luxembourg, jugée trop
fragile pour rester en plein-air, est transférée au Louvre en
1872. Au cimetière de Montmartre, l’impressionnant gisant de
Godefroy Cavaignac (journaliste, l’un des opposants à la
Monarchie de Juillet) qui se trouve à proximité de l’entrée et
que l’on voit depuis le pont survolant le cimetière, ne peut
pas échapper à l’attention du visiteur. Au Père-Lachaise, le
monument de Cartellier, sculpteur néoclassique, un bas-relief,
la Bonté, est dû à Rude.
29 Nous recommandons à nos lecteurs de lire le texte suivant :
https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/objets/napoleon-seveillant-
a-limmortalite/ [17.5.2017] 30 Selon ses dires, Jeanne d’Arc a entendu les voix de saint Michel, sainte
Catherine et sainte Marguerite qui lui ordonnaient d’aller délivrer la
France des Anglais.
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Le gisant de Godefroy Cavaignac
L’œuvre de François Rude est une source d’inspiration
pour les futures générations de sculpteurs, comme Carpeaux
(son élève), Rodin ou Bourdelle. Il reste l’un des grands
génies de la sculpture française du XIXe siècle.