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PAR I S
I:. GIRAUD e t 06
, Édi t e u r s1 8
, RUE DROUOT , 1 8
1 8 8 6
D U M ÊM E A UTEUR
PO ! M ES FANTASQL‘ES . (M onn i er e t C e
,
Pour pa ra i tre pr0ck a z'
zwn z en t
CONTES POUR LES VIEUX EN FANTS . 1 vol.
LE SATYRE . 1 vol.
En pr ép a r a t i o n
LE CIEL, po é: i e s .
LA LEGEND E DE LA T ERRE
A Augu s te V i tu .
LA VIE ET L A M ORT
LA LEGEN D E DE LA TERRE
L orsqu e l e Créateur eut ébauché l’espace ,
L e gran d espace morne aux champs ill imi té s ,
I l pri t s ur s on épaule un e lour de besace
Où l ’on oyai t un brui t confus d’astres heur té s .
E t,plon gean t dans le sac s e s mai ns miraculeuses ,
Comme un semeur pensi f,à pas l en ts e t pareil s
Il parcourut l’é the r aux plaines fabuleuses ,
Ensemençan t l e vide énorme de s oleils .
4 L A V IE E T L A M ORT
I l en j e ta,j e ta , par monceaux fantastiques ,
Par monceaux lumineux,par monceaux eñ
‘
rayan ts ;
Et le s sillons du ciel fumèrent,extatiques
,
Sous le s pas du semeur aux gestes flamboyan ts .
Il en j e ta,j eta , de sa dextre éperdu e ,
L argement , en tous lieux , par grands j e ts b ien rythmés ;
Et les é to iles d’or fuiren t dans l ’étendue
Comme un essaim bruyan t d’ insectes e n fiammé s .
Allez ! allez ! disai t le grand semeur de mondes .
Allez,as tres germez dans le s s tepp es des cieux !
Peuplez les champs d ’azur de v os florai son s blondes,
Al lez,chantants ! allez , vermeil s ! allez , joyeuî !
All ez , sillonn ez l’air comme des nefs de flammes
Naviguez dans le bleu sous les prop ices ven ts
Avec tout ce qu’ i l groui lle en vous de corp s e t d ’
âme s,
Avec vos cargaisons farouches de vivan ts !
L A VIE E T LA M ORT 5
Allez,b oule de feu
,dans la nui t misérable !
Et fai tes—y la j oi e ! E t fai tes—y le j ou r !
E t lancez j usqu’au fond de l’ i n commen surable
De s j e ts ver tigineux de lumière e t d ’amour !
E t que tou t sur vos flancs brille,exul te
,prospère !
Et que tout soi t conten t,soi t heureux
,soi t béni
,
E t clame A j amai s gloire au Créateur,au Père .
Au Semeur de soleil s qui p eupla l ’infini
E t les astres alors partirent , lourds de vie ,
T ourbill onnant aux p ieds du Créateur serein ,
Comme,en un désert p lat qu e jui lle t torréfie ,
D’
humble s grains de p oussi ère aux pieds d ’
un pèle ri n .
E t tous brillai en t , e t tous chantaient , e t; san s entraves ,
Gravi tan t sur leur axe inébranlable e t sûr ,
Avec leurs milliards de voix fière s e t graves
Poussaient un hosanna monstrueux dans 1’azur .
6 L A V IE E T L A M ORT
E t tout é ta i t bonheur , j usti ce , beauté , force ;
Et chaque astre entendai t s e s ê tre s radi eux
Couvrir de chan ts d’amour sa maternell e écorce,
Et tous bénir l a vi e,e t tous bénir les ci eux !
Or,quan d”
i l eut vidé sa besace d’é toi les,
Quand de globes j oyeux tout le noir fut j onché,
L e Semeur vi t,au fond du sac
,en tre deux toil e s
,
Un tou t p e ti t morceau de solei l ébréché .
Et , dis trai t , sans savo ir quell e sphère inconnue
Tournoyai t incomplè te en l ’espace vermeil,
L e Créateur , d’un souffl e
,envoya dans la un e
Rouler ce tte parcelle infime de soleil .
L A V IE ET LA M ORT
Puis,montant tout là—haut
, sur s on trône é carlate ,
Par dessus le broui llard de s mondes qu’ i l j e ta,
Comme un grand roi doré don t l ’œ i l fier s e dilate
En oyan t bruire au loin son peuple , i l é couta .
I l entendi t l ’ immense alleluia de s choses
I l en tendi t de s chœurs de globes florissan ts
En tonner , ép erdus , de s chants d’
apothéos e s
En lui noyant le s pieds de nuages d ’
e n cen s
Il vi t l ’é terni té palp i tante d ’
extas e s ,
I l vi t,dans une intense e t profonde clameur ,
L’
orgu e de l’univers hennir d ’
arden te s phrases
Pour fê ter à j amais l e tri omphal Semeur !
Mais soudain i l pâl i t . De cet te mer astrale
Une plain te montai t sourdemen t vers le s ci eux ,
Montai t,e
‘
n flai t, croissai t , dominant de s on râl e
Toute l’ov ati on du firmament j oyeux .
L A - V IE E I‘
L A M ORT
C ’ é tai t l ’atome obscur de la sphère ébréché e
C'
é ta i e n t le s ê tres v i l s re s té s sur ce débri s,
P leuran t l’Eto i le - M ère incessammen t cherchée
Et touj ou rs introu v able en ce coin de ciel gri s .
Et la plainte disai t Anathème ! An athème !
Nous sommes le s errants que l e malheur condui t ,
L e doulour eux troupeau des vivan ts au fron t blème
Créé s pour la lumière e t j eté s dans la nui t .
Nous sommes le s bannis,la cohor te exilée
L e s seuls ê tres ayant des larmes dans les yeux
Et,s i l ’ eau de la mer sur ce globe e s t salée
,
C‘
es t p eut- etre des pleurs versé s par nos aïeux .
Anathème ! Anathème au Semeur de lumière !
A Celui que le vaste univers applaudi t !
S ’ i l ne vient pas n ous ren dre à l’Éto i le première ,
Qu ’ il soi t maudi t , par tout maudit , sans fin maudi t !
L A VIE ET LA M ORT
A lors Di eu se dressa sur son trône écarlate ,
E t,tendre , ému ,
pleurant comme nou s,i l baissa
S e s deux bras lumineux sur l ’ immensi té plate .
Et,de tou te sa voix de tonnerre , i l lança
Parcelle de soleil qui te nommes la Terre
L arves qu i gémissez sur el le Humani té ,
Chantez Je vous fai s don de la Mort salutaire
Qui vous ramènera dans l’As tre de clarté !
E t c’ es t p ourquoi,sup erbe , insensibl e aux désastres ,
L e Poète ,cré é pour les é toil es d
’
or
Dédaigneux de la terre , a les yeux sur les astres ,
Ve rs lesquel s il prendra bientô t son large essor .
L A VIE E T L A M ORT
B A R B A R I E
L‘
Homme a dû commencer. Eh bien ! s’ i l commença
S i quelque grand miasme,une nui t, l e lai ssa
Sur la terre,aussi u n qu’un ver s ur un e pomme
,
Si quelque pourri ture en fermentation
Éb aucha tout - à coup,dans la création
,
Cet te larve i nutile e t non prévue un homme ;
13
1 4 L A VIE E T L A M ORT
Quel espri t ténéb reux,quel démon
,quel bandit
,
Quel pervers a j amais haïssab le e t maudit,
En trou v ant cet te larve,a di t à sa trouvaill e
Animal , ne fais r ien comme les animaux :
Possédant tous les b iens , accable—toi de maux ,
Soi s ab surde mets—toi de s bot te s et travaill e !
Fai s de s énorm i té s co casses rase- toi !
Sors coiffé d'
un gibus comme une tour d ’un toi t !
Fais de la Poli ti que ou fai s de la Science !
Défends—tc i d ’emb rasser tout tendron qui te p lai t ,
Et,pouvant brouter l ’herbe au champ
,comme un mul e t
,
Mange ton foin dans un saladier en faïence !
Soi s le p lus idio t des ê tre s idi ots ;
Gave ta conscience e t prive tes boyaux
Soi s phi lo s0phe ,so is niai s
,soi s mariab le !
Imagine des roi s,des juges ou de s dieux ;
Soi s fourb e,abj ect , mesqui n ,
vil , i gnomini eux ,
Et,pour tout dire enfin
,civi li sé , que diable !
16 L A V IE E T L A M ORT
Quoi ! l’Homme imagina cela tout seul,vraimen t ?
C ’es t de bon gré qu’ i l p asse impe r turhableme n t
Dans des cerceaux légaux,ainsi qu’un acrobate ‘
?
E t,pouvant vivre l ibre e t dans l’ i n acti on ,
I l endosse ce bât ci v i l i sat ion,
E t s’attache des tas de codes à la patte ?
C ’
es t b ien v ra i . j u s te s cieux ? . Oh ! bête s des massi fs !
)h ! sainte oisi v eté des grands l i ons p ensifs
Étirant au s ole i l leurs de s soup les e t calmes !
Oh ! vi e aven tur euse et fière des pampas,
Où l es ê tres vont seuls e t grave s , —à l en ts pas,
Sous l’ ombre sol ennelle e t mystique des palmes !
Féroci té sublime ! Ego rsme loyal !
T igres insoucieux ouvr an t d ’un cre e royal
Des ventres palp i tants e t gratu i ts de chamelles !
Existe nce de tou t ce qui vi t noblemen t
Et qui , hurlant d’amour s ous le cla ir firmament
,
Féconde sans merci des troupeaux de femelle s
L A V IE E T L A M ORT 17
Homme s,Homme s ! pourquoi
,nous , tigres mal domp tés ,
Avons -nous ces ins tinc ts e t non ces liberté s ?
Oh ! qui nous a ravi l ’ indépendance al ti ère ?
Bonzes par nous revés Dieux,Bouddhas et
'
V i chn ou s,
Quel crime monstrueux e t sombre exp ions—nous ,
Pour ê tre seuls cap tifs , dans la nature enti ère ?
Ah ! gravi tez,solei ls ! envolez—vous
,oise aux !
A spirez,6 li e n s
,par vos larges naseaux
,
L’air l ibre des déserts sans loi s e t sans muraille s !
V ivez,
fi ers , amoureux ,fauves , indépendants ,
E t j e tez,en longs cri s de gloire
,aux cieux ardents
,
L’hymne de l iberté qui gonfle vos entrai l les !
L’
Homme mesquin vous voi t e t n e vous comprend pas ;
L’
Homme e s t un organisme incomple t i ci—bas ;
L’
Homme n ’es t pas encor mûr pour la Barbari e !…
Mais le Poè te auguste a le spleen devant vous ,E t pousse aussi , dans l
’ombre,en vers ivres e t tous
L e fier rugissemen t de sa sauvagerie
C HEF D’
OEUVRE D E D I EU
A M adame Edmon d Adam .
LA V IE E T L A M ORT “
2 1
LE C HE F D’
OEUVRE D E D I EU
Quand i l eut tou t créé ci eux clairs,o iseaux s i ffle u rs
,
Arbres chan tants , soleil s rieurs , dolentes ondes ,
Quand du bout de son doigt,i l eu t brodé les fleurs
,
Et du bout de s on pi ed donné l e branle aux mondes,
D ieu fi t l’Homme e t,voulant lui montrer l’univers
Pri t sa ché tive main dans sa main grandiose“
Pui s l’emme na,par les champs blonds , par les boi s ver ts ,
C omme un grand aïeu l doux menant un enfant rose .
2 2 LA VIE ET LA M O RT
Or , lHomme vi t soudain , dans le matin j oyeux ,
Des roses au cal i ce é tincelant de gouttes .
Oh ! si chères au cœur ! Oh ! s i chères aux yeux
Qu ’on eût voulu mourir en les emb rassant toutes !
Oh ! comme c ’e s t j oli ! di t—i l, j oignant le s mai ns .
Et,tombant
‘
a genoux,comme un enfant qui n
’o se ,
L’
Homme , pour s’
embaume r le long des noir s chemins ,
M i t ses doigts dans les fleurs e t cue il li t une rose .
Pu i s Dieu l’emm e n a l oin , parmi des monts géants ,
E t lui montra l a neige , à. l eurs p ics fantastiques .
Si blanche ! que l e s yeux se dila taient , b éan ts ,
Comme ivres de lumière e t de splendeu rs myst iques .
Oh ! comme c’ est j ol i ! di t l’Homme radieux .
E t,voyan t s ’
é croule r une grande avalanche ,
Pour s ’
égayer en route e t s e charmer le s yeux ,
I l pri t sur la montagne un peu de neige blanche .
”4 LA V IE E T L A M ORT
Voulant qu ’ i l fût heu reux , voulan t qu’i l fû t j oyeux
,
Voulant qu ’ i l n ’eut p lus rien à dé sirer au monde ,
Qu’i l ne regre ttâ t p lus le s anges ni les cieux,
M ais qu ’ i l v écût v ibrant dans l’extas e profonde ,
Dieu pri t é toiles, neige e t rose en ses doigts saints ,
E t,rêvant un chef—d ’
œu vre avec cet amalgame ,
Fit de la ro se un front,de la neige deux seins ,
Des é toile s d eux yeux,e t du tout une Femme .
REVE
A Em i le Gou deau .
L A V I E E T LA M ORT 2 7
R E V E
Je sens . quoi donc Je sens comme un grand as tre chaud
Un astre quim’
aborde,un astre qu i m
’embrasse .
Et,sous lui
,j e me voi s deven ir large e t hau t
,
Et j’
e n fle comme un frui t qu e l e sol ei l harasse .
Je quoi donc ? Je sens , dans un vas te fri sson .
Qu e j’acquiers len tement de s ampleurs inconnues ;
Et que mon bras énorme enserre l’hori zon ;
E t que mon front vainqueur rayonne dans le s nues .
28 L A V IE E T L A M ORT
Je quoi donc ? J e sens que mon corp s v éhément
Ab sorhe d ’autres corps en s a géante e n flur e ;
Que la terre de v i ent ma chair,e t
,vaguement
,
Que les arbre s des boi s forment ma chevelure !
Et que j e m ’
as s imi le,en passant des rochers ;
E t que mon cœur s ’
adj o i n t pour veines les riv i eres ;
Et que,plaine infinie où pointen t des clochers
,
Mon derme monstrueux s e fleuri t de bruyères !
E t qu e tous les condors , que tous le s alcyons ,
Dans mon cerveau qui chante,ouvrent leurs ai les gri ses !
E t que mon œi l absorbe au cie l tous les rayons !
E t que mon souffle absorbe en l ’air toute s l es bri ses !
Hosanna ! j e grandis ! l e tonnerre est ma voix ;
L’aurore
,mon espoir ; l
’ou ragan ,mon alarme ;
Et j e me ressouviens que j ’ai fai t autrefois
L e prin temps d ’un sourire e t la mer d’une larme
LA V IE E T L A M ORT
Hosanna ! j e grandi s ! j e sui s un glob e ardent ;
Ma vie e s t fai te avec de s m i ll iards de vies,
Et,gigantesqu e e t lourd
,j e trône
,en regardant
Tour ner autour de mo i les lunes asservi es !
Hosanna ! j e grandis ! j e grandis ! e t j ’ai fai m !
E t j’
e nglou ti s des vols d’é toi le s minuscules :
Et j e deviens un corps immense , un corps sans fin ,
Un corps dont les sol ei ls forment les molé cules !
Et ma pensée altœre e s t un brasi er de feux ;
Et mon souffle e s t la loi qui fai t tourner les mondes ;
E t de mon fron t augus te , éblouissants cheveux ,
Partent pompeusemen t de s j ets d ’é toiles blondes !
Hosanna ! Hosanna ! j e suis grand e t béni !
Je sens en moi tout naî tre,e t mourir , e t renaî tre !
Je peuple tout l e ciel,j e peuple l’ infini !
Je suis Seul,j e sui s T out , j e sui s Di eu , j e suis l
’Ë tre !
2 9
30 LA V IE ET L A M ORT
Mai s,soudain
,j e quoi ? dans l’ espace houleux
Deux mains de feu,deux mains larges
,plates
,immondes
,
Deux vastes mains pesant de leurs doigts fabuleux
Sur tou tmon co rps ,s ur toutmon c i e l,su r tousmesmondes !
Et j e oh ! Quoi donc ? Que mon ê tre s e fond,
Rapeti sse,décroî t sous le s deux mains de flamme
Et qu’à grands coups de poing ces deux mains —làme font
Rentrer de lourds monceaux d’ astres bri sé s dans l’ âme !
Et j e deviens pe ti t,de plus en plus pe ti t !
Et j e hurle,e t j e sens la paume impi toyabl e
Des mains qui me tri tur e e t qui s ’appe san ti t,
Pé tri ssant dans mon corp s l ’uni v ers effroyable !
32 L A V IE ET L A M ORT
V a,chante les printemps ! Va
,célèbre le s ci eux
,
Tantô t j oyeux,tantô t plain tif
,tantô t farouche !
Et que l ’homme en oyan t ton verbe harmoni eux
Croie en tendre crouler des astres de ta bouche !
Que ton front resplendis se ain si qu ’un firmamen t !
Que ta paro le embaume ainsi que les verveines !
E t qu’ aux heures d ’amour ton grand cœur véhément
S’
e n flamme des solei ls charriés par te s veines !
Sou v iens —to i qu e tu fu s globe , zéphyr , rayon ,
Tout ce qui lui t,ce qui murmure , ce qui fleu re !
Sois l ’orgue émerveil lé de la Création
Où formidablement tout s ’extas i e ou pleure !
Et chante chante encor ! chante , chan te sans fin !
Chante , ayant de s concerts d ’é toiles dans la tê te !
E t de v iens immorte l,ô mon œuvre di v in
Univers en fermé dans un homme,ô Poète !
LARM ES P IN
A A . Uz ès .
L A V IE E T LA M ORT
L ES L A R M E S D U P I N
Quand i l“
e u t déchaîné s e s vents su r le s forêts ,
C omme un pâtre qui lâche un troupeau de gore ts
E t court après,sous sa capote ;
Quand il eut remisé,comme un rossard j aun i
,
Son solei l é cleppé de battre l’ infini
De s e s qùatre f e rs en compote‘
;
3 3
36 L A V IE ET L A M ORT
O uan d i l eut di t Hiver , lève- to i ; c’ es t ton tour
Dieu se mi t un faux—nez,e t sortant de sa tour
,
De sa grande tour de porphyre ,
Il s'
e n al la sur terre , un bâton à la main ,
Pui s , fatigué , s’
as s i t sur le bord d ’un chemin,
S ous des arbres veufs de zephyre .
Un grand chêne j etai t ses feu i l les par tas b londs .
L ors Dieu lui di t Pourquoi,sous les fro ids aquilons
,
Jonches— tu le sol de feuillages ‘
?
L e chêne répondi t C'
es t que l e sol a fro id
Je le couv re C ’es t bien , fi t Dieu,j e te fais roi
De la forêt,to i qu i soulages .
Plus lo in , D i eu v rt un pin Pin,pour qui gardes—tu
T e s feui l les “? Pour moi seul j e veux rester vêtu,
Quand tout a froid , bruyère , ormoie .
Égoïste , c‘ es t bien fi t Di eu ; tu por teras
!”
ne p laie lo n flanc,pin
,tant que tu v i v ras .
De puis , le p in sa igne e t larmoie .
I N P I
A Rodo lphe Da r z en s .
40 L A V IE ET M A M ORT
Vi t des p laines a n en plus finir , chevaucha
Par monts . par vaux ,par l i eux ple ins de chose s sup erbes
Vi t ces cèdres géants qu’on nomme des brins d ’herbes
E t des canaux , e t des tun nel s . e t des ci tés,
Et des ponts au- dessus de gouttes d‘
eau j eté s
E t de s foules où l’u n contre l ’autre on trébuche .
E t des Paris entiers cons trui ts s u r une bûche ,
Pui s,plus lo in . tout a coup ,
en débouchant d ’un v al,
L'ocean l ’ océan dans un p i ed de cheval
O spectacle sublime Et l oin , p lus loin encore ,
Ces monts Himalaya le s cailloux,que dé core
,
Comme un bois de sapins,l a mousse aux rameaux noirs ;
Et,là-dessus , al ti ers , se voyaient des mano i rs
De pucerons,des forts aux lugubres si l ences ,
E t des créneaux par où de s taons montrai ent leurs lan c e s .
E t. tout en bas , é tai ent des quai s , des dock s groui l lants
Pleins de ce s gr ands tonneaux que l‘
on nomme les glands ,
E t , tout à l’horizon
,au pi ed de camomi l les
,
Ces longs chemins de fer qu ’on nomme les chenilles .
L ors , for t s’
extas i a dame Fourmi .
Holà
L A V IE E T L A M ORT 4 1
Di t—elle a de s vieillards—fourmis qu ’ell e héla
Ce caillou,n ’e st- ce pas
,est b ien le bout dumonde
Et les vieil les fourmis lui dirent,a la ronde
N on , moi j’ai vu plus loin un mont dix fo i s p lu s grand !
Et moi j ’ai v u,le j our dernier , en parcourant
Un bout de planche , un pon t d’un e bien autre taille !
On l e nomme , en patoi s du pays brin”
de paille !
Moi , j’ai vu tant d ’endroi ts
,que mon front en pâl i t !
Moi,j ’ai v u ce géant des bois un pi ssenli t
Moi,ce t aérostat que l ’on nomme une p lume
Moi,j ’ai lu
,de mes yeux lu
,dans un grand volume
En feuill es de persi l , qu’on vi t passer , vers l
’ an
Cinq cent mille,un nuage e t si noir e t s i lent
,
Qu’i l fi t lanuit sur nous , dix ans , ainsi qu’
un dôme
Crapaud é tai t son nom , rapporte un astronome
42 L A VIE E T L A M ORT
E t le chœur des v i ei llards , alors , se prosterna .
Dieu,que votre œuvre es t grand ! Hosanna ! hosanna
S'
é cri a la fourmi , le cœu r ple in de mystère .
Et . tremblante,e l le mi t ses six genoux
‘
a terre .
O r . à ce tte heure . j eune en fant ou v ri t yeux .
Il vi t I‘
azu r,il v i t le so lei l rad i eux .
L e s gens , le s b ois , le grand chaos des cré atures ;De s être s verts , noirs , roux ,
des être s a s tature s
Géan tes , faisan t p eur au ciel , avec leur s bra s
De s hê tres e t des l i s , des l i ons e t des rats ,
Du grand e t du pe ti t ; de s montagnes al ti ères ,
L A V IE E T L A M ORT
Ê tres bossus ayant pour veines des rivières ,
Et pou r ongles des rocs , e t p our poil s de s sapins
Il vi t de grands bonnets de neige aux fronts alp ins ;
L e s nuages mou ton s du ciel , a to i son blanche ;
L e s lacs baignoires où de s île s font l a planche ;
E t le s continen ts plats nénuphars monstrueux
E t la mer,cet te bê te aux flo ts tumul tueux
,
Secouant le s vais seaux qui tourmentent sa face
Comme un chien , la vermine obscure qui l’agace ;
Et le s volcans enfin, ce s vieux monts dégoûté s
Qui crachent nui t et j our vers les cieux éhonté s
Comme on crache en passant devant une sentine
Tout ce qu ’i l s ont de l ave amère en leur poi trine !
E t l’Homme , quand il vi t tout ceci . fri ssonna
Dieu,que votre œuvre e st grand Hosanna ! hosanna !
Cria—t—i l.
Et son front s e courba d epou v an te .
4 4 L A V IE E T L A M ORT
Fourmis ! Hommes ! vivants d ’un j our ! fange mouvante !
Peut—être en ce moment , peut Et pourquoi pas ?
L a Terre , ce gran d être arrondi sous nos pas ,
L a T erre , ce géan t ob èse qui tournoie
E t qu’
a i n S 1 qu ’un tê tard e 1'
1glou t i par une oi e
Quelque autre être plusgrand boira sans doute un j our !
La Oh ! pour l’ i n s e cte habi tant un vautour,
L e vautour n ’es t—i lp as un monde qui gravi te
L a Terre,oiseau don t l ’homme es t l e vi l parasi te ;
L a T erre , qui par fois , qu andnous rongeons tr0p fort ,
T el un bœu f sous la mouche abj ecte qui le mord
Donne a sa peau ce cour t fri sson involontaire
Que nous appelons . nous,un tremblement de terre
LA V IE E T L A M ORT 4 Ç_\t
L a Terre , ce tt e bê te au derme cultivé
Dont nous nommons volcan un furoncle creve
Cette T erre,pou r qui le s rondes efi”rén é e s
Qu’ el le fai t,depuis mille e t mill e e t mil le années
,
Avec ses sœurs V énus , Mars , Vul cain ,Jupi ter
E t le s as tres- dondons qu i rôdent dans l’
é the r
Autour du Ro i —Soleil , ce protecteur i llustre ,
Son tj eux d’enfants valsan t une heure au tour d ’un lustre :
L a Terre , dis—j e , v i t , en ou v rant se s grands yeux ,
Cent mille autres soleil s trônant au fon d des ci eux ,
Et pui s cent mille encore e t puis cent mille encore !
Menus comme des grains qu ’une pou l e p icore,
Oh ! des sole ils partout ! des so lei ls ! des so leil s
De grands entassement s de grands monde s vermei l s
Se touchant,s’
at tachan t,s e confondant ensemble !
Oh tant,tant de solei ls , v oyez—vous , qu
’on en tremble
E t qu’on ferme le s v eux . e t qu ’on a peur de v oir
Dieu . qui t iens ces troup eaux d ’ as tres sous ton pouvoi r
Que tu doi s ê tre grand ( l i t la T erre oppressé e .
46 L A V IE ET LA M ORT
Et peut
Oh ! tenez , ôte z-moi la p ensée !
O tez—moi la p ensé e , ou bien j e de v i ens fou !…
Ce s solei ls ce s soleil s v enant on n e sai t d ’
où,
Tous ce s ta s de so leils p euvent n ’être,v ous di s—j e ,
Que des gouttes de lai t,que que lque Ê tre—prodige
Cent mill e fois p lus grand encor , d’un doig t luron
,
Fi t j aill ir par mégarde en pressant un sein rond !
LA V IE E T LA M ORT
B O H É M I EN N
Dont l ’œ i l a de s clarté s suaves
Et la gorge , de s tons roussâ tre s d’ama ou ?
N’
a imcz =vou s poin t su rtou t leurs 10ques mi r i fiqu e s ,
49
50 L A V IE E T L A M ORT
J ’en v i s une , un matin de froidure mortelle
E l le é tai t mendiante,el le avai t de s yeux creux
Elle a v ai t hui t, e n neuf, ou dix ans , croyai t—elle
On n ’aime pas comp ter quand on est malheureux .
E l le pleurait . De faim De fro id '2 L a mendiante
N’
é tai t pas cur ieuse e t p eu s’
e n tracassai t .
Et près d ’elle,l a foule allai t
,venai t
,bruyante
,
Sans amertum e au cœur e t sans trouble au gousse t .
O n lui j e ta deux sous . Elle sour i t,heureuse .
Décidément,c ’é tai t de faim Elle ache ta
Un pain tout frai s,tout chaud
,à croûte savoureuse
,
Un pain qu i dans ses doigts engourdi s craqueta .
C ’é tai t au Luxembour g . Toutes le s promenades
Eta i e n t blanches de neige . Au lointain , des buissons ,
V agues pâtés,avaient de vagues cassonades
Dont la b ise en soufflant mâchonnai t des tronce ns .
L A V IE E T L A M ORT
L’enfant entra
,j oyeuse . Avec ses mains rougeaudes
Elle vou lut casse r sa croûte or,i l advint
Qu ’elle lai ssa tomber deux miet tes toutes chaudes ,
Et qu ’un moineau , puis deux ,puis trois
,puis dix , puis vingt
Puis cent , puis tout le tas des pillards redoutables
Arrivèrent,traînan t de l ’aile
,z ézayan t
,
Ouvrant des yeux navré s et des becs lamentab les
En braillan t des po lar confus de mendiant .
Oh ! l es pauv re ts Cuic cuic — Oyez , le s bonne âme s !
Cui c,cui c nous sommes , nous , l es vic times de s vents !
Nous sommes marié s cuic ! cuic ! e t nous laissâmes
Au md nous ne sa v ons p lus trop combien d ’enfants
Oh ! le s pauvrets Autou r de la bohémienne ,
Ainsi douille ts,frileux ,
i ls marmot taien t en chœur
Je ne sai s qu elle é trange e t plain ti v e an tienne
Qui vous troub lai t l’oreill e e t vous sonnai t au cœur !
se LA VIE ET L A M ORT
Et l enfant leur donna des miet te s : Vo i là,frères !
Oh ! comme on se j etai t dessus ! Comme on bâfrai t
En allongeant le co l Oh ! l es doux téméraire s
Qui prenaient dans les doigts le pain qu’on leur offrai t !
V oilà . frères C e tai t s i doux si b eau si tendre
A voir ce s nourrissons vous en touran t ainsi
E t pui s c ’es t s i genti l e t c ’e s t si bon d ’en tendre
Quelqu’un même un oiseau— v ous dire Cui c ! ! Merci !
I l en venait d un .p eu partout de s gros , de s frêle s
D e s noirs , des gri s , des roux ,oh ! l es chers dé trousseurs
Certains avaient de s tou s humbl es de tour terelles
D'
autres , des tons cassants e t fi ers de régisseurs
Frou frou frou ! chaque miet te en at tirai t des bandes,
Du Sud . du Nord , d’
Alge r ou de Saint—Pé tcr sbourg
Cuic bonj our ! cuic :holà ! donnez- nous nos préhen de s ,
Nous a v ons droi t au pain qu’ onmange au Lux embour g !
LA V I E E T L A M ORT 5 3
E t la bohémienne aux j upons écarlates,
Au foulard j aune , aux chairs hâves , aux yeux v i treux ,
Et dont l e froid faisai t saigner le s omoplates
Et dont la faim fai s a i t'
cr i e r l ’estomac creux ,
Je ta,j e ta son pain
,tout son bon pain , par mie ttes
Voilà. mangez,pierro ts que l ’hiver harcela
Mangez,les gueux de l ’air ! mangez
,l es p iqu e—assi e t tes
E t les bohémiens du ciel mangez , v o i là !
Elle les regardai t,émue e t radi euse
,
N ’ayant plus faim plus froid,oh ! non ! certain emen t
Et trè s—fin e,très—drue e t trè s—silencieuse
,
L a blanche neige oua tai t la terre,I€D t€III C II t .
Ell e tombai t tombai t,de l ’espace l ivide
E lle tombai t,tombait
,comme si
,b lancs e t de ux
,
Tous les an ges du c ie l é tai ent morts dans le vide
En j e tant le duve t de leurs ail es sur nous .
5 5 L A V IE E T L A M ORT
E t soudain les oiseaux partirent . Adi eu , frères ! !
Le pain é tai t fini . L'
enfant j e ta le s yeux
Au loin rien ! enhaut ri en F ro id s,ma ts .gr i s , cinéraires ,
L e s cieux font mal a voir , celà n’es t plus les cieux.
Et la bohémienne,a101s eut de s
Elle vi t , v ag uement , du sole il , de s pains frai s ,
Des ami s , des oi seaux entre de j eunes tiges
Et de nouveaux avril s sur de neu v es
E l le voulut marcher mais s e s j ambes raidies
Flé ch ircn t elle chut . iner te au premier pas .
Et la neige boucha ses orbites
Un moineau v in t , mais i l ne la regarda pas .
L A V IE ET L A M ORT “
LA VENGEAN C E D E L’
HO M M E
Pouvoir all er là—haut,comme un chasseur farouche
Oh pouvoir braconner au fond de ce ci el l ouche
Comme on braconne au fond d ’un bois
E t , caché sous un as tre ainsi que sous un orme ,
Faire , oh ! faire là-haut quelque battue énorme
De divini tés aux aboi s
58 LA V IE ET LA M O RT
Pouvoir escalader l’e n tas s eme n t des mondes
En posant mes deux pieds sur les sole i ls immondes ,
Comme sur de s marches d ’égoût
E t , si j e trouvais Dieu dans un fond de crevasse ,
V omir,oh lui vomir mes poumons a la face
Dans un long hoquet de dégoût
E t lui vomi r ma v i e e t s i l fuyai t,l’
i n fâme
Enfourcher qu elque de s de comète de flamme ,
Et galoper éperdument ,
Jusqu ’à ce que ce Dieu se heurtât a quelque as tre,
Ou se broyât l e fron t contre quelque pilastr e
Gigantesque du firmamen t
Dieu ! Dieu ! perfide Dieu ! V oi s— tu ce s mers bavanŒs‘?
Sais—tu pour quoi leurs flo ts héris sé s d’
épo uvan te s
S’
épui s en t en bonds furi eux
Sais- tu pourquoi ce s pics aux béantes en tai lle s
Haussent ob s ti n éme n t le ur s formidable s tailles ,
Comme pour souflle te r l es ci eux
L A V IE ET L A M O RT 59
Sai s - tu pourquoi l ’é clair balat‘
re le s nuées
Sais—tu pourquo i la trombe aux sinistres nuée s
Cogne contre le ciel,la nui t
Sai s—tu pourquo i l ’on vo i t,dans l ’apre é ther san s bo rn e
S’
e s s ou ffle r , à courir , de s meutes d’astre s mo rn c s
Traquant on ne sai t quo i qu i fui t
Ah ! c ’es t que tout cela ,tout ce la , Dieu féroce
L’
eclair,le flo t
,l e p ic
,l ’as tre
,la trombe atroce ,
Entends—tu,monstre ? oui
,tout cela
Implacable,acharné
,terrible , fou , sauvage ,
Partout,avec furie
,ave c haine , ave c rage ,
T e cherche,ô toi qu ’on nomme Al lah
Oh ! s i no u s te trouvions pour tan t ! horrible j oi e
Oh ! s i ce grand forçat de soleil , qui rougeo ie
Etern e lleme n t dans le s ci eux ,
Et si tous ce s troupeaux râlants de sphères rouges
Sava ie nt o i i s on t , là—haut , les tani ères , le s bouges ,
L e s au tr e s , le s chenils adieux
60 L A V IE ET L A M ORT
Oh ! sai sir Dieu lui dire : Ah c es t ton tour,san s doute !
Vi ens, pâle humanité , v i ens , grondan te ! viens , toute !
L e j our de la vengeance a lui
Debout ! tou t ce qui gein t ! Debout ! tout ce qui souffre !
Debout ! t ous les volcans au gosier plein de soufre !
Crachez,crachez , crachez sur lui !
Déchi què te—le trombe e t bave sur lui
,vague
E t hache-le , farouche é cla i r z v erme i lle dague !
Et fends—le,pic sinistre épieu !
E t ruez—vous dessus,astres ! e t qu ’on le broi e
E t qu e tout l’univers vienne fai re sa proie
De cette carcasse de Dieu !
Et moi,moi l’Homme ,
alor s ,j e lui di rais : Dieu traî tre !
Ah tu m ’as mis au monde ah tu m ’as donné l ’être '7
Eh b i en ! à ton tour , Jehov a !
Épargnez—le ,sol e ils j ’ai trouvé ma vengeance !
E l le es t terrib le . Oyez D i eu trè s—haut,Providence ,
Néant !… e te fai s homme Va
J E UX D A N T S
L A V IE E T L A M ORT
Oh ! l e beau rayon n e t ! Et v os doigts ingénus ,
Avec un mouvement si drô le,ô Dieu ! si drôle
Tapen t le grand mur noir par p e ti ts coups menus
Pour prendre le rayon merveilleux qui le frôle .
Chimères ! 0rayons ! l ’on ne vous saisi t p oint .
Et vous alors,mon fi l s
,navré
,rempli d ’alarmes
,
V ov an t qu’on ne p eu t prendre un rayon dans le poing,
Vous pli s s ez votre bouche e t vous fondez en larmes !
0 mon tout petit fi ls , ne pleurez pas ainsi !
Oh ! non ! Je pleurerai s comme vous,moi
,po è te
M o i qui passe mes j our s a vouloir prendre aussi
L e s ra v e ns de s ole il qui tra v ersent ma tête !
L A V IE ET LA M ORT 67
L A R O S E
Jadi s sous quel grand roi ? point ne l ’ai re tenu .
En quel siècle ? l ’auteur ne le sai t davan tage,
Vivait , en quelque endroi t qu e j e n’ai p oin t connu
,
Un tendron fort j oli,for t pauvre t e t for t sage .
Son tein t ? Ne sai s . Sans doute un beau teint é clatant .
Son n om? Ne sai s . Sans dou te Albine , Luce ou Flore .
Mai s ce que j e s ai s bien,c’es t qu ’elle embaumai t tant ,
Oh ! tant, qu
’
à son entour les fleurs n ’
o sa i e n t é clore .
68 LA V IE ET LA M ORT
Mais ce que j e sai s b ien ,c ’est qu ’elle éblouissai t
E t que,p our la créer , n
’ayant d ’autre amalgame
Dieu dut fondre un soleil dans son large creuse t
E t le couler,splendide
,en un moule de femme .
E t pui s j e sai s encor les choses que voi ci
Qu ’un j our le Ro i passant au milieu d ’une escor te
E ll e le vi t ; l’aima
, qu o i qu’
humble e t pauvre a insi
O n e lui ne l ’aima poin t,las ! e t qu ’elle en es t morte .
O r,longtemps
,très—longtemps aprè s
,sur son tombeau
,
Au milieu de l ’ortie e t de la mandragore,
O n v i t surgir du sol , comme un divin flambeau .
Une fleur qui s emblait fai te avec de l ’aurore
Une fleur merveil leuse a royale couleur
Pleine d ’é cla ts de j oue e t de lueu rs é tranges ;
Une grande,une bel le , une suave fleur
Une fleur qui semblai t une vague chair d ’anges !
L A V IE ET L A M ORT 69
Et ce tte fleur,
. u n soir,di t aux fleurs d ’
ale n tou r
F leurs,ê tes—vous les fleurs sur le Ro i mort germées ?
Et les fleurs dirent Non ! Et toutes à leur tour
Saluèrent leur sœur aux n uances aimées .
C ’é tai t un soir très—doux où tout s eme rv e i llai t,
Où des insec tes d ’or bourdonnaient sur des menthe
Où la rosée au fond des cal ice s brillai t
Comme des pleurs d ’amour en des yeux clairs d ’
aman te s .
Oh ! la F leur palp i ta sous l e tiède solei l
Avec des gon flemen ts de vieux cœur qui se brise
Puis, s
’
e n v olan t du sol comme un oiseau vermei l ,
S ’en alla,hale tante e t rouge , dans la bri se .
Elle vola,vola
,sur le s gazons fleuri s .
Elle vi t un li s pâle a corolle neigeuse
L i s,n ’est—ce poin t sur feu le Ro i que tu t
’
ouv r i s‘
?
— Non ! répondi t l e li s a la fleur voyageuse .
70 L A V IE ET L A M ORT
Ell e vola sur de s cyprè s,sur des bouleaux
Ell e vi t un œ i lle t a corolle é clatante
Œ i lle t,e s—tu l’œ i lle t sur mon amant é clos ?
Non ! répondi t l’œ i lle t a la fleur palp i tan te .
E l le vo la,touj ours
,infa tigab lement ,
V i t des fleurs de tou t genre e t de toute contré e
Fleurs,avez—vous fleur i su r le Ro i mon amant ?
Et les fleurs diren t Non ! a l a fleur éplorée .
Alors . lasse e t flé tr i e , el le se lai ssa choir .
L’
O cc i de n t é tai t rouge , e t , par vagues cohortes ,
Si lencieusemen t , dans la sp lendeur du soir ,ï ’
e n v olai e n t vers les cieux des âmes de fleurs morte s .
E t la grande Fleur d i t Partez,ô mes parfum s !
Partez,peuplez l ’espace harmonieux d
‘
arôme s !
Métamorphosez—vous,ô mes espri t s défun ts
Fleurs , rede venez fleurs ! a tomes , des a tôme s !
72 LA V IE E T L A M ORT
Mais l e j our é tai t mort . R ien ne remuai t p lus .
L e ci el morne é tei gnai t s e s rougeurs de cratère
E t la Fleur expiran te aux pé tales p erclus
Ne put j oindre l’Epi n e e t res ta sur la terre .
Alors,superbement
,D ieu qu i , s ilenci eux ,
Allumai t au zéni th le s é toiles serein es ,
Dans un nuage d ’or s e laissa choir des cieux,
E t ramassa la Fleur dans ses mains souveraines .
Puis , la p osant , émue , entre le s dards'
charmé s .
Gravement,d’une vo ix formidable e t très—douce
Comme un long hurlement de simouns e n flammé s
Et comm e une chanson de rui sseaux dans la mousse
Dieu di t : F l eur sainte Fleur , aimante F leur , re v i s !
Rev i s su r ton amant , revi s sur ses épin es !
Greffe - toi sur son ê tre , e t , sous mes yeux ravis ,
Fais éclore ta j o ie en florai son s div ines !
L A V IE ET L A M ORT 73
Soi s l’ofgu e i l des jardins , la parure des b ois ,
Que , devant toi , le s fleurs pâl i ssent,é clip sées ;
E t que le s amoureux t e prennent dans leurs doigts ,
Quand il s n ’
o s eron t plus se dire leurs pensée s !
Que tous mes pap il lons te fassent des rondeaux !
Que tous mes ross ignols t e consacrent leurs lyres !
Que ce qui brille ou chante au ciel ou sur les eaux
Que mes aub es , q ue mes printemps , que mes z éphv re s ,
Que mon solei l j oyeux,que mon azur aimant
T e fassent en ce monde une incessante fê te,
Et que ta vue,ô F leur , fasse éternellem e n t
Rêver la j eun e fi ll e e t chan ter le poè t e !
I l di t ; e t vers les ci eux ,superbe , i l s
’
en v ola ,
En cribl an t d ’astres d’or le firmament morose .
E t l’Homme,s’
év e i llan t après cet te nui t la,
Sur l e premier Rosi er , v i t la première Rose .
LO I D E N A T U R E
A F é lix Ga bor iau .
LA VIE ET L A M ORT
L O I D E N A T U R E
L’
Homme un j our regarda dans une gout te d ’eau .
Un vague ê tre y vaguai t sur un vague radeau .
Peti t ê tre , comment vis—tu ?
Lu i
J e dévore
Des ê tres plus peti ts e t plus vagues encore .
L’
Homme j e ta le s yeux alors sur un fétu .
Il vi t une fourmi Fourmi , comment vis— tu !
Îè LA V IE ET L A M ORT
L a fou rmi répondi t En tuant des insectes .
Un frelon v o le tai t prè s des fourmis abj e cte s .
O frelon bourdonnant sur les br in s d ’herbe amis
Commen t v i s—tu di t l’Homme . En tuant des fourmis
Sur un coin p oussi éreux de poutrelle fragile ,
Tri co tai t dextreme n t une araignée agile .
Et toi . comment v i s-tu ? Je mange des frelons .
E t vous,oiseaux du cie l chantant dans l es so irs blonds?
Nous mangeons des frelons ou bien des araignées .
Et vous , bê tes de s boi s de s oiseaux épargnée s ?
Nous mangeons de s oiseaux .
Et vou s , hommes " Au choix,
Nous mangeons de s oi seaux ou des bê te s des boi s .
80 L A V IE ET LA M ORT
L e monde ce charnier é ternel e t puant
Ou tout s ’
e n tre - dém re e t ne v i t qu’ en tuant ?
Souda in . i l trébuche . Qu ’est—cc ?Un paquet ! çapleure !
t n enfan t ! Un peti t enfant dont la chair fleu re !
Et dont vaguent les yeux,e t dont tremblent le s mains ;
Un tout p eti t enfant laissé sur le s chemins .
Jé s us ! Ab andonner si frêle créatur e !…
L’
Homme considéra ce tte progéni tur e
Et s ongea . l es deux bras croi sé s , le fron t hagard .
Un ra v on de fol i e étoi lai t s on regard .
Un être , un fu tur homme , un rival pour tou t d i re
De s enn emis de l ’homme , hé las ! l ’homme est l e p ire !
Un enfant qui bo i ra,
‘
mangera , j oui ra ,
E t de sa portion,plus tard , diminuera
L e gâteau su r l equel l ’humanité s e rue
Un promeneur, là—bas , déboucha d’une rue .
A s s i s près de l ’enfant . l’
Homme touj ours rêvai t .
L A V I E ET LA M ORT 8 1
Un enfant de di x mois ou d’
un an ; i l avai t
L e s yeux très doux , le fron t trè s blan c , l e s mains trè s roses
Et parfoi s i l di sai t Ma—man à toute s choses ,
Ou bien montrai t,au ciel
,de son doigt p otel é .
La lun e toute ronde ainsi qu ’un se in gon flé !
L’
Homme,l ’œ i l flamboyant
,regarda it . impassible .
Hola! cria de loin le promeneur paisib le,
Huan t le Fou songeur et lui mon trant l e p oing
Hol ‘a,mons tre ! Comment . vous ne secourez poin t
Vous , homme , cet t e pauvr e et faible créa ttu e ?
Vous n ’
en te n de z donc ri en aux l oi s de la Nature
La Nature ?… oh ! par don ! di t. l’Homme en se l evant .
Et,de son large p ied
,i l écras a l ’en—faut .
M O RC EA UX DU PARAD I S
A J . P ar lo r s ky
L A V IE E T LA M ORT
LES M O RC EAUX DU PA RAD I S
Un j our s 1 1 en cro ire un conte de j adis
L e bon Dieu fi t let—haut l ’é cole buissonnière .
Et,j oyeux
,s ’en alla dans son beau paradi s ,
En posant sur le s fleurs s e s ort e i ls de lumière .
I l vi t les boi s sacré s odorants de j asmi n s
I l vi t le s grot te s d’ or chantantes de z éphyr e s .
Il vi t , dans l’
é ther bleu,des vols de blanches mains
T ouchant de toutes parts d ’
harmon i e us és lyres .
86 L A V IE ET L A M ORT
Il v i t les diamants du gazon luxueux,
Il v i t les frui ts doré s sur chargeant la ramure ,
Il vi t l’ e n tas s eme n t énorme e t fas tueux
De ce qui lui t,et fleur e , e t gazoui l le . e t murmure .
M ais soudai n Dieu frémit . Dans cet enchantement.
De gro ttes et de tours,de lacs e t de feui l lées
,
Pas une âme Saint Pierre errai t seul,tris temen t
,
A v ec son lourd trousseau de v i ei l les clé s rouil lées .
Sain t Pi e rre , bon saint Pierre . où donc sont mes élu s “?
Respec tueusement,l e saint pri t la parole
Vous ne savez donc pas,Seigneur ? Il n ’ en v i cn t plu s !
Dit— il,en chiffonnant son ant i que auréole .
J ’ ai beau parer mon seuil de v os anges chantants,
Et rehaus s er mon huis de s ov e u s e s crép ines,
L e chemin es t tr0p rude et bon pour l ’ancien temps
On ne sai t p lus mon ter par des sentiers d ’
ép in e s .
L A M O U R
A Ca tu llc M e n dès .
L A VIE ET L A M O RT 9 1
L’
A M O U R
Dans la groui llante ampleur de l ‘ espace av e u glant .
Dans les clarté s,dans le s splendeurs ,
dans le s cantiques
Novice et blond . j oyeux e t sain ,ry thmique e t l e n t .
L e globe al lai t parmi l es globes exta tiques .
I l tournai t dans l ’azur caressan t e t moelleux ,
I l tournai t,recouvert de j oi e e t d ’
hymén é e s ;
Et les printemps passaien t comme des regards bleu
Dans la ronde dansan te e t folle de s années .
92 L A V IE E T L A M ORT
Ses monts neigeux faisaient à Dieu des saluts blancs ,
Ses bois offraient au ciel les senteurs de leur flore ,
Ses mers chantaient,son s ol vibrai t
,et , s ur s e s flancs
,
Dernier fils du sol ei l , l’Homme v enai t d ’é clore .
Depuis ce j our v ingt fois,l e globe radi eux
Avait vu reverdir les arbres sur sa croû te ,
L orsque,vierge
,puissan t . l e front droi t sous les ci eux
L’
Homme trouva soudain la Femme sur sa rou te .
C ’é tai t un midi fauve où la biche bramait,
Où la brise semblai t chuchoter des parole s,
Où, sur la plaine ardent e e t rousse qui fumai t ,
Des rayons de soleil v i olaient de‘ s corolle s .
Et l’Homme di t al ors plein de vagues effro is,
Femme , femme , qu a s—tu dans tes regar ds de flamme ?
Oh mo i , lorsque t es v eux me regarden t , j e cro i s
Sen tir tous l es printemp s qu i me réchauffent l’âme !
L A V I E E T L A M ORT 93
I l serra dans sa main ses doigts éblouissants
F emme,femm e
,qu ’as- tu dans ta chair qui fascine ?
Oh ! moi,lorsque tes doigts m ’
e ffleur e n t,oh ! j e sens
,
Je sens toutes le s fleurs é clore en ma poi trine !
Elle laissa sur lui flotter s e s c he v eux‘
longs
Femme,femme
,qu ’as— tu ‘
? Quand le ven t t ’éche v èle ,
Oh moi,vois—tu
,j e sens
,sous tes grands cheveux blonds ,
Je sens tous le s vol cans s ’ouvrir dans ma cervelle
A lors,i l 1 e tre ign i t dans se s deux bras puissants
F emme,femme qu ’as— tu ‘
? T e s deux seins de lum1 ere
Me font heureux,heureux a ce point que j e sens
Toutes le s mers j aillir en pleur s sous ma paupière !
Et le s fleurs s ’e n trouv rai e n t , e t l e s ol se fendai t ,
E t les oi seaux râlaien t sous les boi s proxénète s,
E t le soleil lub rique et monstrueux ardai t,
Comme un taureau de feu poursu ivant le s planè tes .
94 LA V IE E T L A M ORT
O toi , toutes mes fleurs , Ô toi , tous mes printemps !
Di t l’Homme , serre-moi dans te s bras , car j’
é clate !
E t j e sens tout a coup , par grands troupeaux chantants ,
Des é toi les j ai l l ir en mon cœur écarlate .
Et la Femm e lu i di t O toi , tou tes mes fleurs ,
0 toi , tous mes printemps , Homme en qu i j e me fie ,
Serre-moi dans te s bras , boi s mon souffle e t mes pleurs ,
Prends,si tu p eux , mon âme ; et , s i tu veux , ma vie !
Et tou s deux , hésitants , éperdus , anxi eux ,
Palpi tan æ de dés ir , envahi s de mys tèr e ,
Regardèrent , là—haut , large et nu dans le s cieux ,
L e solei l tri omphal hale ter sur l a terre .
I l s e tala i t . vainqueur , sur se s lour ds mamelons
I l s ’é tala i t,l’
o ignan t de caresses pâman te s ,
I l s ’é talai t,viril , dardan t de grands j e ts blonds
A travers les poils roux de ses forê ts fumanæ s !
96 L A V IE ET L A M ORT
Ou bien échanger l’âme , e t par tir auj ourd ’hui,
Aigles j umeaux , vers l’ap re é ther , à tire d
’ai le !
M o i,la Femme . penser par le cerveau de lui ;
Moi,l’
Homme,regarder par les grands yeux bleus d ’elle !
Ou bien grandir,grandir harmonieusemen t ,
Et planer,les deux seuls
,dans l e vide sans borne ,
Pui s , sous le choc divin de no tre embrassemen t ,
Crouler en Spheres d ’or dans l ’ immensi té morne !
Ou b ien encore,ou bien… Non ! nous devenons fous !
Brise,lumi ère ,
odeurs,plantes
,animaux
,t e rre
,
Soleil , 6 bon soleil, ayez p i ti é de nous ,
E t dessillez n os yeux que voil e le M ys tère !
Alors , di vinement , tout tressail li t en eux .
Et , de s flots , des rochers , des pelouses , de s branches ,Ils crur ent v oir soudain
,par grands vol s lumineux
,
Eclore vaguement des mains ti èdes e t blanches .
L A V IE ET L A M ORT 97
Et ce s mai ns les poussan t tou s deux vers des roseaux ,
I ls partirent,choyés par l es rayons solaires ;
Et sur leurs fronts émus hoquetai en t les oiseaux ,
Et sous leurs p ieds tremblants pleuraient le s source s clai res .
Et d ’autres mains,là.—bas , chassèrent le sol e il ;
E t d ’autres main s,sur l ’herbe
,e ñeu i fl éren t des roses .
Et des voix,s ’élevan t dan s l ’espace verme i l ,
Semblèrent di re à Dieu l’allégr e s s e des chos es .
Et l ’occident rougit . E t , d’un l is
,arriva
Une main qui guida le s lèvres vers l’Aimée ;Et , d
’
un pied de j asmin , un doigt blanc s’
ele v a
Qui ferma les deux yeux de la F emme alarmée .
E t tout se tut , se tu t , sous les bois , en tous lieux .
Un tronc fi t choir la Femme,un rosier pri t ses
Hosanna ! Puis la Nui t , doucement , dans les cieux ,
T ira son rideau no i r pas sementé d ’étoiles !
LA -VIE E T L A M O ÀT 101
PA S S A N T
L e ciel é tai t en j oie,on y sentai t des ange s ,
On croyait voir flo tter des coins de paradis ;
O n rencontrai t des fleurs , on oyai t des mésanges ,
Et des chansons d ’ amour montaient des boi s tiédi s .
E t,comme j e passai s j e v i s une chaumine
,
Un champ un bœuf , e t pui s une fille un tendron .
L e to it gris i l e champ : vert ; le bœuf : roux ; lagami n e
Avec deux rav on s bl eus d ’ étoi le dans l e front .
6.
L A V IE E T L A M ORT
Et le chaume fumai t . Et le champ d ’un ver t tendre
Exhalai t un parfum de roses vers les cieux .
Et,levant son mus eau le bœuf semb lai t m ’
atte n dre .
Et la pas toure ouvrait su r moi s e s deux grands yeux .
Et chaume , champ e t bœu fdi sai en t O to i qui passes .
Viens ! Nous avons la paix pour ton cœur abat tu .
Et , de ses yeux d’
au rore é clairan t le s espaces,
L a vi erge me disai t Moi . j ’ai l ’amour . V iens—tu ?
La paix e t roses !
Ad i eux ,v ou s
, grandsye ux ble u s plein s de v agu e s regre ts !
Je passe , e t , j amais plus , j e ne vous verrai ,chose s !
Je Oh si j ’avai s le temps,j e pleurerai s !
LA V IE ET LA M ORT
L E R E F U G E D U D I A BL E
Maj es té l e Diable,empereur de la Terre
,
Par la queue en suspens ,
Au hau t d ’un pin songeai t,morose e
‘
t sol i taire ,
En forgean t de s p iquants pour arbustes grimpants
E t de s dards pour s erpents .
Or,i l avai t p ourvu tous les aigles de serres
Et tous les frui ts de vers ,
Inventé le s grêlons,les forbans
,les faussaires
,
L e s tigres , e t, di t—on ,lâché par l’univers
L as le s fai seurs de vers !
16 L A V IE E T L A M ORT1
Bref,i l ne sa v ai t plus
,ne trouvant rien de p ire
,
Par quoi continuer ,
L o r squ’
i lv i t tout a coup,sur son terre s tre empire ,
Dix mille mi l li ons de mor tels le buer
E t su r lui se ruer
M u r ! au Diable mort ! mort ! hurlai t l a foule affreus e,
Assez de s e s exploi ts !
Et . no ire , elle appro chai t, approchai t , plus nombreuse ,
Bo ndi s s ant de s ravins,e t des monts
,e t des boi s
,
V ers le Diable aux aboi s .
Hum ! ce tte m ation me paraî t ma l condui te !
Pensa— t- i l,a v i son s !
El dérou lant sa queue énorme i l pri t la fui te,
En sautant , en sau tant , de buissons en buissons,
Sous le s arbres grisons .
L A V IE E T L A M ORT
Il courut, i l couru t sur la terre déserte ,
Il courut , i l chercha
Une montagne hau te e t de ne ige couver t e .
Il en v i t u n e au loin . L es tement , comme un
Dessus il s e per cha .
I l fai t tr0p froid ici nul ne pourra m ’
atte i n dr e
Res tons en ce t endro i t !
Mai s la foule qu ’ en bas le Diable entendai t geindre
S’
approcha, l’ap è ren t , e t , sans crai nte du froid ,
Monta vers lui,tout dro i t .
Hum di t l’Empe re u r noir, le s vilaines manière s
Se voyan t dénicher ,
Il fi t l a cabriole,e n fila des tanières
D ’ours blancs,e t
,défiant s e s suj e ts d ’approcher ,
Entra dans un rocher .
108 L A V IE ET L A M ORT
L e roc es t b ien trop dm* pou r qu on vien ne m’y prendre
Tâchons de nous tap i r !
M ais,sous le fer de l’Homme . i l vi t le mont se fendr e !
Hum L e Diab l e é teignit un volcan d ’un soup ir ,
Mai s i l dut déguerpir .
Tant d’
as s i du i té chez mon peuple me flat te
Di t- i l en maugréan t .
Et , v oyant lui re au loin la mer tromp euse e t
I l courut pui s,du hau t d ’un p latane géant
,
P longea dans l‘
O céan .
Enfin , j e su i s tranqu i lle e t p eux reprendre b aleine !
L e noir Monarque al la
S’
as s oup i r mol l ement sur un de s de
Mais tout a coup . i l v i t des tube s e t tremb la
De s plongeur: é tai ent là
S EN SAT IO N D ETE
R e n é M a r tin .
LA VIE ET L A M ORT 1 13
S E N S A T I O N D’
É T É
De s seins , de s se ins , encor de s se ins , par tout de s seins !
De s s eins ronds,de s seins lourds , d
’énormes seins de femme .
Pendus au haut des corps comme de gros raisins
Don t la pulpe charnue e t savour euse affame
Des seins ! à l ’infini,des seins des seins mouvan ts !
Un grand moutonnement de seins drus qui m ’
e ffare,
Un océan de seins don t l es fl o ts énervan ts
Se bri sen t sur mon to rse ainsi que S i u “
u n phare !
1 14 L A V IE E T L A M ORT
Des seins ! oh ! j e ne voi s que des se ins,que des seins !
J’
e n voi s partout,j ’en sens par tout , j
’en prends , j ’en ta te
Tout en est le s gazons en semblent des coussins,
Et l’air blond que j e boi s en semble être une pâte .
Et j ’en ai p lein mon cou,mes mari n e s
,mes yeux ;
Et tout ce que j ’entends de chansons sans pareill e s
Me vient,non des oi seaux qu i chanten t dans le s c ieux ,
M ai s de deux sein s rosé s entrant dans mes orei l l es
J e marche dans des seins ! Quand l e sol e i l parai t ,
Je croi s voi r ruisseler sur moi des seins en tranches,
Et j e suis comme un arbre immense qui v errai t
S’
ouvr i r au li eu de fl eurs de grands sein s s ur s e s branches !
T out es t sein II en passe en l ’azur. en l ’air chaud
O n en trouve des bouts dans les fleurs purpurines .
li t tous ces mame lons nuageux son t,là—haut .
De grands seins dé formés . d i eux . sous vos poi trines .
1 113 L A V I E E T L A M ORT
Et que pour vous , ô seins, dév o t i eu s eme n t
Je dé laisse le s bois,les n ids, les cieux ,
le s roses
S’
é te i esn en t les so lei ls au fond du firmament,
Si bri l len t deux se ins nus devan t mes yeux morose s .
E t soi t hn é mon nom e t soient mes vers maudi ts ,
Et me geigne l e corp s e t me sanglo te l’âme ,
Que j e tombe en enfe r j ’aurai le paradi s
S ’i l me reste deux seins p our mes l è v res de flamme .
Et sèche mon cerveau sous mon crâne en chanté,
Et qu’
à la fin j e meure,inconnu
,pauvre e t b l ème
,
Pourvu que mon front las de rme l ’ é terni té
Entre le s seins bénis d ’une femme qui m ’aime .
C O M M E N T
A Jos eph B e lon .
120 L A V IE E T L A M ORT
E t c’ est p ourquo i,tenez
,j e croi s l’appre n dre i ci
F ai te de crépuscule incarnat e t d’
auro re,
Couleur de matin tendr e e t de soir adouci,
Et couleur de couleurs plus fugaces
Sa chair,oh ! oui
,sa chair
,j e la voudrai s ainsi !
1
Comment j e la v ou dra i s ? Je ne sais trop . Dehor s,
Je suis resté parfoi s . l e dos blanchi de lune ,
Pour sentir s ’épan che r len tement sur mon corps
L e baume lén i ti f e t doux de la nuit brune .
E toiles v eux du ciel . ou v erts sur nos tourments !
A stres . v ers qu i n o s bras se dre ssent , extati ques ,Oh ! v ous montrer mon cœur e t s e s dé chirements '
Oh fondr e en pleurs d ’amour sous vo s regardsmys tique s !
L A V IE ET LA M ORT 12 1
Et c ’es t pourquoi,tenez , j e le dé couvre ici
F ai ts de lune e t de nui t , fai ts de baume e t de flamme
Et s i bons,e t s i doux
,e t s i tendres
,e t si
Mi séricordi eux qu ’ il s me dissoudraient
Ses yeux . oh ! oui , ses yeux , j e le s voudrai s ainsi !
Comment j e la voudrais L e sais—j e bien L e soir,
Oh ! oui , souven t , l e soir , quand des mains inconnues ,
Comme de s mains de pap e élevan t l’o s te n s o i r,
Promènent un solei l de pourpre par les nues
J ’aime entendre des voix de rossignols s i ffleu rs
Me dire— oh ! bonnes voix menteuses qu ’ i l faut croire !
Que mes j ours,autrefoi s tout ténèbre s e t pl eurs
,
Seront dorénavant tout sourires e t gloire !
122 L A V IE E T L A M ORT
Et c ’es t pourquoi tenez , j e m’en convaincs ici
Faite de chants d oiseaux e t de bri se qui glose ,
E t puis mentant si b i en que mon cœur endurci,
En l ’o v ant,pui sse croire encore a que lque
Sa voix . oh ! oui . sa v o ix , j e la v oudrai s ainsi !
Pui s,ce que j e v oudrai s Tenez rien ! Seulement
Qu ’el le fût be ll e e t grande,e t forte e t que sa gorge
,
Montueuse e t charnue,impé tueusement
Hale tâ t sous mon corps comme un souffle t de forge !
Et qu’en s e s bras vibran ts on m entende hu rle r !
Et que,sentan t surgir des soleil s dans mes mo èlle s ,
Mon ê tre gonfle,gonfle
,et pui s
,las de gonfler
,
Se dissolve en lumière e t s ’écroule en étoi les !
V E RT IG E
128 L A V I E E T L A M ORT
M o i,j e t ai ! Moi
,j e t ’ai ! Mai s cela te rr i fie !
Oh ! qu ’on prenne ma part d’azu r e t de clarté ,
Et d’astres , e t de j oi e , e t d’espo ir
,e t de vie !
Oh ! qu ’on me prenne tout enfin puisque j e t ’ai !
Je t ai ! Sachez cela , soleil , zéphyr nuées !
Je t ’ai ! J ’ai le vertige ! Oh ! qui me donnera
Une voix plus pui ssante , ô vent , que tes buées
Plus puissan te que ton simoun, o Sahara ?
Oh ! qui me donnera la voix de vos trompe tte s .
Anges du Jugemen t ? Oh ! qui me donnera
Un souffle plus fougueux qu ’un souffle de tem
Pour faire en tendr e à tout ce qui vit e t vivra,
Pour faire entendre aux di eux ,pour faire entendre auvide ,
Au vide inabordable,au vide inhabi té
,
Ce grand cri q ui s’en va de ma bouche l ivide,
Ce grand cri de triomphe e t de gloire j e t’ai
L A V I E E T L A M ORT 129
Car j e veux,mon amour
,que tu soi s proclamée
Par delà l e nadir,par de là l e zéni th
,
Par delà l e néant par de là l’ i n n ommée
Etendue où j amai s chant d ’amour n ’
atte ign i t
Car j e veux mon amour , que l’avenir retienne
Ceci : que tu m ’
a imas ; car j e veux ,voi s—tu bien
,
Qu’i l ne reste i ci-bas qu’une gloire la t ienne !
Qu’i l ne reste ici—bas qu’un seul cul te le tien !
Car j e veux , mon amour , j e veux qu’on se souvienne
Que j e fu s plus pre scr i t que nul galérien
E t qu ’
une seule main pressa ma mai n : la tienn e
E t qu’un seul cœur compri t mon tri st e cœur : l e t i en !
Car j e veux,car j e veux t ’ér ige r un grand temple ,
Un grand piédes tal d ’or,un grand socl e immortel
,
Où l’œ i l émerveil lé des siècles te contemple
Comme un moine contemple un Chris t sur son autel .
130 L A V IE E T L A M ORT
Oh ! j e t’ ér ige ra i , temp le aux fière s murailles !
lb ! j e t ’ér igerai , temp le resplendissant !
Dus s é - j e , pour grani t , y tail ler mes entrailles ,
Du s sé—j e ,pour mortier
,y pé trir tout mon sang !
E t j e te remplirai d é ternel l e harmonie !
Et mes v ers comme un orgue immense y chanteront !
Car j e te lâcherai , farouche et fier génie
Dont j e sens s ’éploye r l es ailes dans mon front !
Oh ! dût ce grand dépar t faire des catastrophes
Dût mon cerveau j ai llir j usqu’aux cieux affolés
Partez,chan ts ! par tez
,vers ! par te z , tou te s mes strophes !
O colombes d ’amour ,allez , all ez , all ez !
Al lez ! essorez—vous enfin de ma cervelle !
Al lez ! moi j’
é clatai s , plein de v o s tri lles fous !
L e génie e s t peut—être un crân e qui s e féle
O colombes d ’amour,allez ! essorez—vous !
132 L A V IE ET LA M ORT
Femme . oh ! j e tremble ! femme,ob ! j ’ai p eur de la vi e !
Oh ! j e sens sur mon corps,comme sur un fétu
,
Passer un tourb i l lon d ’amour qui s tupéfie ,
Et j e roule,e t j e râle
,e t j e pl eur e v oi s—tu !
Et j e Quoi donc ?… Oh ! d ’un vol d’ aigle avide ,
T’
empor te r par des ciel s aux géan tes ampleurs ,
Bai ser ton pe ti t doigt rayonnant dans le vide ,
E t pu i s me fondre en j oie ou me dissoudre en pleurs !
S Y L P H I D E
A P au l L a bro u che .
136 L A V I E ET L A M ORT
Elle a v ai t di x—hui t ans l age des épousées !
Oui L’
an dernier , un soir de j uin ,p lein de chansons
,
Où la brise disai t des choses trè s osées
E l l e p leura beauco up s ous un nid de pinsons .
M ais pourquoi regarder les nids et les fle ure t te s
L orsque l ’on est bossue Ah écoutez pour tant
Sous un acacia tout panaché d ’
a igre tte s
B lanches , e t tou t charmé d’oi seaux
,e t tout chantant .
Et tout prospère . e t don t les branches paternel les
Je taient aux promeneurs qui passai ent au —dessous,
l‘
e l ’ ombre,des parfums
,de s fleurs
,des ri tournel le
,
Comme un viei l lard qu i j ette aux mendiants des sous .
Un j our un j our de j oie , et d’
orgu e i l, et de fête
Un gars lui pri t les mains e t puis la regarda .
Oh c'
es t bien vrai,grands dieux Elle
,l a ch é t i v e t te ,
En t aussi du bonheur , une seconde . O u i - da !
L A V IE ET L A M O RT 1 37
Tenez,Dieu fi t tr ès bien de l a créer bossue
Comme ce bonheur- là fut doux,fut savoureux
L a j oi e aprè s la j oie es t chose i n ape rcu e
I l fau t beaucoup souffrir pour beaucoup ê tre heureux .
L e gars n ’y pensa plus c ’é tai t un badinage
Qu’ importe E l le en garda le souvenir chéri
Et,chaque j our d ’é té
,fi t un pèlerinage
Sous ce t acacia chantant, j o v e u x , fleu r i .
Oh ! s i chantan t ! partout , v oix d’ oi seaux e t ri s é es !
Oh ! s i j oyeux ! partout , ail erons palp itant !
Oh si fleuri partout,cascades ou fusée s
De fleurs ! Oh s i fleur i,si j oyeux
,s i chan tant
E t l ’arbre lui fi t fê te O u i ! L e s bonnes ramures ,
Voyez—vous,son t le s bras de nos amis défun ts
Bras mé tamorphosés , bras empli s de murmures ,
Et qui,pour nous bénir
,nous j e ttent des parfum s .
8 .
13% L A V IE ET L A M ORT
Oh l e bon cœur,oh les bons bras
,oh ! la bonne omb re
Qu’
av ai t l’
acac i a ! Ses rameaux chevelus
Jetaient,touj ours j etaien t des fleurs
,des fleurs sans nombre
,
Pui s,se courbant . semb laient esquisser des sal
‘
uts .
E t Sylphide,parfoi s
,en sortai t toute blanche
,
T out ébloui e,avec des pleurs si l encieux
Alors , l’arbre lâchai t se s fleur s
,en avalanche ,
Et quelque blanc pétale essuyai t se s deux yeux .
Oh ! l ’aima—t Et puis,toutes ce s feuille s
,dame
Avaient vu son bonheur ! E t,pour l’e n o rgu e i lli r ,
Ces fleurs,tout comme par des doigts de b e lle dame ,
Par ses doigts de bossue . oui , se lai ssa i ent cueill ir !
Oh ! bon acacia ! Va ! s i tes dards moroses
Sont l’expi ati on d’un péché véniel
Tu renaî tras rosier,rosier sans dards
,tout ro s es !
Car pour toi la bossue a b ien prié l e ciel .
130 L A V IE E T L A M ORT
Bien E l le regarda cet te chose effroyable
Et , comme si l ’amour de l’arbri sseau b éni
L’avait fai te arbre un peu
,sa face pi toyable
,
Comme l’acac i a . sous les vents a j auni ,
Ou i —da ! L’autre matin
,j our de b ise p erfide
Elle est morte,humb lement , sans regret , sans douleur .
Oh ! ne la plaignez pas : au mois d ’a v ril,Sylphide
Renaîtra,toute droi te
,e t toute bel le fleur
Personne assurémen t n ’a p leuré sur sa bière .
Mais quand le no ir convoi passa sous l ’arbre en deuil ,
L’
acaci a j e ta sa feui ll e la dernière
Comme un grand pl eur muet sur le p eti t cercuei l .
I I—I L A V IE ET LA M ORT
Quand des cailloux,prenant à mes clairs yeux de flamme
L eur rutilant éclat,se feron t diamants ;
Et quand j e ne sais qui vi endra me peser l’âme
Dans ses balances d ’or,au fond des firmame n ts ;
Quand mon crân e lui—mème ainsi que tous les crân e s ,
Comme une vieill e noix vide sonnera creux
E t quand mes os,mes chairs , mes muscles , mes membranes
Seront un v i l amas de dé tri tus poudreux ;
lors , ou v re ma bière , e t foui l le dans le sable ,
F emme ! E t , j’en suis certain , ta main re trouvera
Entier,saignant encor
,mon cœur impéri ssable !
Et . que ton doig t le touche , i l r epalpi te ra !
N U AGE
A Cha r le s F u s le r .
148 L A VIE E T L A M ORT
Or , j e vis s’
av an ce r un nuage trè s lent .
I l al lai t , calm e , ainsi qu’un svel te cygne b lanc
Eployan t dans l’azur sa grande ai le morose .
L’astre bruta l braqua s e s rav on s acérés
Et j e vis vaguement,dans le s cieux effaré s
,
S’
ouv r ir aux flancs du cv gn e une blessure rose .
Et'
le nuage alors sa igna,moru e e t meurtri .
Je crus l’ou i r j eter dans l'
espace un long cri
En voyant s ’
empourpre r ses ai les mi sérab le s
Et,v ers le grand ble s s é
,
'
du fond des cieux béants ,
Semblèrent accourir des vol s con doléan ts
De nuages émus e t de vents secour able s .
O frère , qu’
ave z —vous d irent—i ls , anxieux .
Et les nuages blonds s ’
approchère n t , pieux ,
B e rcan t leur frère augu st e avec des voix rythmiques .
Et les vents attendri s,tout chargés de senteur s ,
V inrent,en murmurant des mots consolateurs ,
O indre la plaie avec leurs s ou ffle s balsamiques .
LA V IE E T L A M ORT 1 49
Mais lui saignai t touj ours,saignai t
,inconso lé .
Il traversa l’azur d ’un grand vol affolé .
Laissez—moi ! cria— t- i l,laissez—moi
,b onn es bri ses !
T out est vain,j e suis mort ! Et
,dans l e ciel fumant
,
Avec sa flèche au cœur,i l s ’en alla , semant
Des b aillons de chair rouge en les ténèbres gri se s .
Mais tout‘
a coup,là—bas
,énorme
,grave e t roux
,
S’
épan ou i t un globe ainsi qu’un grand œ i l doux
L a Alleluia Firmament,sors des voiles
E t le nuage en pleurs , ne saignan t plus aux cieux ,
L e flanc fermé,l e cœur guéri
,l ’e ssor j oyeux .
é to i l es(IJParti t
,extasié , sous le s j e une
Nuage , comme toi . bien souvent j ’ai saigné .
N uage,comme en toi
,bien souvent a régné
Dans mon cœur douloureux le désesp o ir i n fæ‘un e
150 L A V IE ET L A M ORT
E t j ’ai maudi t la vie e t j ’ ai hué le s dieux !
L as Et p our que l ’e spoir r efleur i t dans mes yeux ,
O lune ! i l a su ffi d ’un regard bleu de femme !
LA V IE ET L A M ORT 15
C HAN SO N D E PR IN T EM PS
M o i j’
a i di t aux pommiers : O pommiers b lancs e t roses
Dites—moi donc p ourquo i vous ê tes s i fleuri s
Oh ! pourquoi , maintenant , vous j adis si moroses ,
Avez—vous tant de fleurs au bout de vos bras gri s ?
9 .
Cr.)
154 L A V IE ET LA M ORT
Etle s pommiers m ’ont di t,e n memon tran tleur s bran cb e s
Ah c ’ est que , vois - tu bien nous sommes très j aloux ;
Nous a v ons v u ta Belle e t s e s menottes blanches
Et nous tâchons d’a v oir des mains comm e ell e,nous .
Moi j ’ai di t aux cieux bleus Ci eux p euplés d’
hi ron delle s ,
Cieux auj ourd’hui si purs , hier si nébuleux ,
Cieux te n dr e s .c i eu xdemai ,ci euxpleins d ’astres e t d ’aile s
Di te s -moi donc pourquoi vous vous fai tes s i bleus
E t les cieux bleus m ’ont di t,dans un de leur s murmures
Ah ! c ’est que . v ois—tu b i e n,homme au destin s i
‘
doux,
Nous a v ons v u ta Belle et se s prunelle s pures
A lors nous tàcb on s d ’é tre aussi bleus qu ’elle s,nous .
L AM O U R D ES YE UX
A L ou is M a rs o lleau .
160 L A V IE E T L A M ORT
Or c e tai t la facon dont ce t homme trè s sage
Adorai t ce tte femme i l l’a ima i t par les yeux .
Il ignorai t son nom,sa v oix , sa chair , son âge ;
Ill’ ign orai t , ent ière , afin de l’aimer mieux .
Et , tous les soirs , ainsi v olup tueux ,farouches
,
Haletants de bonheur,a tro i s pas ,
i l s s ’
a ima i e n t
Et des baves d ’amour écumaient dans l eurs b ouches ;
Et de s astres de j oie en leurs âmes germaient .
Ce soir,l ’homme darda ses yeux insatiables .
Il les sen ta i t plus gros,plus virils , plus brûlants ,
Et la femme trembla sous leurs j ets effroyables,
Comme si des soleil s lui traversaient le s flancs .
Pour l i dé ali s er,i l a v ait autour d ’elle
,
A l lumé de l’e n ce n s et des bois de san tal ;
Et son image vague entrai t dans s a prunelle
Comme une v i s ion de rêve oriental .
L A V IE ET L A M ORT 161
L e s yeux,les larges yeux de l ’homme palp i tèren t
Il sembla s ’
agrand i r , par l’
extas e tendu,
Et véhémentement des bymme s éclatèren t
Sous les v iei l les paroi s de son crâne éperdu
Amour de s v eux,amour seul grand e t seul durable ,
Amour des séraphins sans corps pour s ’approcher
Amour qu ’on t,dans les cieux , la cohorte innombrab le
Des é toi les,s’
a iman t sans j amais se toucher
Oh ! j e te dois , disaient se s yeux fous , des dél ices
M e s transports les plus doux ,mes fri ssons les plus chers
Moi qui n ’ai recue illi qu e larmes e t supplices
Dans l’amour trivial e t primi ti f des chairs !
Ouvre , ouvre—moi te s yeux ,Ô femme , ouv re , te dis—j e
Regard'
on æ n ou s ainsi , longtemps , encor , touj ours ,
Jusqu’à ce que nos yeux,dans un vol de vertige
,
S’
élan ce n t,l ’un vers l’autre
,ains i que de s v au tours .
162 LA V IE“
ET L A M ORT
Regardons- nous de loin , sans contacts , sans paroles
En sentant l ’ incendie éclore dans nos fronts
Regardons—nous jusqu’à ce que nos tête s fo lle s
Comme deux lourds boul e ts éclatent sur no s troncs !
Oh ! j e sens par mes yeux fuir tout mon ê tre vague
Oh ! j e sens par me s yeux tout s ’ e ngou ffre r en toi ,
Je plane en toi,j e chante en toi
,j ’y vais
,j ’y vague
Comme un grand aigle entré dans un palais de ro i !
M e s ens-tu dans ton cœur ? M e sens—tu sur tes lèvres
Oh ! moi j e te sens toute en mon ê tre j oyeux !
Et j e crois que c’est moi qui tremble dans tes fièvre s ,
Et j e crois que c’ e st toi qui p leures dans mes yeux
Mai s soudain i l frémit . Oubl ian t la consigne .
Apparut un v ale t,qui
,confus , salua .
La Femme regarda ce t ln d ign e !
Bugi t l ’homme . Et,sautant su r elle , i l la tua .
L A V IE ET L A M ORT 165
D I VAGA T I O N S
Ou i ; nous sommes heureux , trè s heureux te dis—j e l Oui .
Vois le beau soir,l e beau soleil , les b eaux feuillages !
Je divague,ivre d’air , ivre d
’ai se , ébloui ;
E t j e vais dire,ob ! dire un tas d ’
e n fan t i llage s !
Oh ! tes deux seins tout nus ! ob ! ton corp s affamant !
Oh ! comme un loup guettan t u n e brebi s laineuse ,
Me m er sur ta croupe et , s e n su e lleme n t ,
Manger toute ta chair vibrante e t lumin euse !
166 LA V IE ET L A M O RT
Je sui s heureux ! J ai soif. Oh ! comme au bord d ’un puits ,
Me pencher s ur ta bouche et boire à gorge p le ine !
Dieu,pour cré er les fleur s , pr i t des herbe s , e t puis
I l fi t passer dessus,0 femmes , vo tre hal eine.
Oh ! mais j e sui s heureux,heureux à faire p eur !
Voudr ais—tu point par foi s ê tre mon tagne ? Écoute
Un homme c’ es t p e ti t , c’es t un flacon trompeur
Qui ne peut conten i r du bonheur qu’une goutte !
Moi, j
’
é clate . Vois—tu ces p eup li ers gri sons
Élàn cé s v ers le ciel e t dont l es feuilles crien t ?
Dirai t—on poin t de s bras qui fon t des oraisons ?
Dirai t—on poin t , amour , que c’es t pour nous qu’ i l s prient?
E t ces éploremen ts des saules sur les eaux ?
Pourquoi vous torde z —vous,ô chevelures grise s ?
Femme,sai s—tu pourquoi sanglo tent les roseaux ,
E t les ondes,e t le s ramures , e t le s brises ?
168 L A VIE ET L A M ORT
V ive,v ive la j oi e ! Aim ons—nous ! Gorgeons—nous !
T e s l èvres ont bon goût : foin des choses acerbes !
Je di vague,te di s—j e l e t j e tombe a genoux !
Et j e bénis les bois,l es eaux
,les cieux . les he rb e s !
Penses— tu que ce ch êne v v oie ? Ou i . n ’es t— ce poin t ?
B ien . Chêne , tu diras aux fleurs , aux v en ts , aux nues ,
Aux maes tros allé s qui font du contre-poin t
Soir e t matin,parmi tes feu illai sons chenues ,
Aux espri t s de l ’azur aux gueux des grands chemins
Qui pourron t s’ endormir sous ton ombre
,par groupes
,
A ceux dont te s cop eaux pour ron t chauffer l es mains ,
A ceux dont tes rameaux pourron t fouailler les croupes ,
T ouj ours,chêne touj our s , oh ! tu proclameras
M on bonheur écrasant , mon bonheur incroyab le !
Et,touj ours
,chêne al tier
,tu tu diras .
Que vo is—j e ?… Oh ! ne dis rien ! chêne ! chêne effroyable !
L A V IE ET L A M ORT 169
Oh ! chêne abominé que le démon pela
Vois,vois son b ois hideux sous l ’é corce entamée !
L e s cercueils sont- i ls poin t de ce tte coul eur—là ?
De ce tte couleur- là , vois- tu ,ma bien—aimée
Oh ! ses planches , u n j ou r , te tiendront —e l les point ,
Comme à présen t mes bras di s,dis quoi que tu veuilles?
Horreur ! oh ! bouche—moi l ’oreille avec ton poing
J ’entends des L i ber a qui passent dans ces feuille s !
Oh ! —j e sui s Oh ! si vous le savez
Morts , morts ! est— i l vr aiment des dieux quelque par t , di tes ?
Afin que nous alli ons,troupeau de réprouvés
,
Cracher en rugissant a leurs face s maudi tes !
Quoi ? faire des vivants ? faire des amom e ux ?
Rage ! e t l es a ttacher d’un l ien incassab le ?
E t puis,hideusement
,mettre la mort en tre eux
,
Comme un mur noir a tou t j amais infranchissable ?
10
170 L A V IE ET LA M ORT
A tout j amais ? a tou t j amai s ? a tou t jamai s ?
Entendez—vous a tou t jamai s , âm e s aimantes !
Q uoi ? ne pas s’
envol er a deux,vers les somme ts
O n ne pas faire,a deux
,épanoui r des menthes
S éparés ? pour touj ours ? Abomi nations !
Séparés oub li é s ?… Non ,non ! j e le proclame
Par mon cœur tr0p gonflé qui se met en b aill ons ,
Et par tout ce qu e j’
ai de cratères dans l ’âme !
Et par ce ciel qu i p eut me broyer si j e mens !
Et par ton pe ti t doigt qu e j e baise,6ma Reine !
Pretres,savants
,docteurs
,trê v e aux raisonn ements !
Car n ul de v ous n ’a vu la véri té sereine .
L a véri té , mortels ? Oyez ! j e v ous la dis
On ressusci te,on vi t dans la j oi e embaumée
,
Dans l’ extas e,touj ours ! Mais
,dans l e paradis ,
Ce n ’es t pas Dieu qu’on voi t .Non ! C ‘ est la Femme aimée .
L A V IE E T L A M ORT 173
P O U RQ U O I L O N A I M E
L'
n e femme , j adi s , mit au monde u n enfan t .
Ell e le con templa d ’un regard triomphant .
D ’un long regard emp l i d ’
orgu e i l e t de tendre sse ,
Comme on con temp le un fils,qu ’ on soi t femme ou tigresse .
Et l’ e n fan çon grandi t . O chère éclosion !
17 ’i L A V IE ET L A M ORT
I l ouvri t a son tou r des yeux sans vision ,
Des yeuxvagues,des yeux exqu i s ,de s yeux sans flamme
,
De ces yeux qui vous font de s aur ores dans l’âme !
Et la mère p l eu ra quand el l e vit ces yeux .
Et puis,l ’enfant sour i t . C ’é tait dél icieux !
Et la mère compri t alors,tran sfigu rée ,
Que , S’ i l e st quelque part
,la hau t
,un Empyr ée
,
Un O lympe,un Eden
,un Ciel
,un Paradi s
Ouver t p our les élus e t clos pour les maudi ts ,
Ce n ’es t pas un endroit plein de fleurs e t de fêtes ,
Avec dieux et mar tv r s , apôtre s e t prophète s,
Mais que c’est un séj our le plus beau des séj ours !
Où des enfants vous font des ri set tes,t ouj ours .
Pui s,son fi ls bégaya
,de ce t te voix é trange
Qu i s e souvien t d’avo i r é té la vo ix d ’un ange .
Pui s , vers sa mère e n j oi e , i l t endi t se s bras nus ,
Oh ! des bras hési tants ! Oh ! des bras tout menus !
De s ébauches de bras à mains surnaturelle s ,
De s bras s e souvenant d ’avoir é té des ailes .
176 L A V IE ET L A M ORT
O r , p lus tard cette femme eut un autre e n fan côn .
Quand on l e lui por ta la mère e u t un fri sson,
E t ses v eux . comme ceux d ’une lionne,ardèren t.
L e s yeux de l’e n fan con ché ti f la regardèrent,
Touj ours vagues,touj ours exqui s e t ressemblant
A des coins de ciel bleu fiché s dans un front blanc .
Oh ! cachez—moi cela ! ! cria la mère fol l e .
E t,te l qu ’un gazouill i s d ’
angele ts qui s’envo le
,
De la bouche tte rose,harmonieusemen t ,
LA V IE ET L A M ORT
S’
e n v ola le subl ime e t prem i er b éga ime n t .
Oh ! l a mère cria Bouchez—moi les orei l le
E t les mains . à des b outs d ’
al leron s b lancs pare i l l es .
Se tendirent alors v ers la mère aux aboi
Oh ! l a mère couru t se cache r dans les bois
li 7
Profondément , ains i qu’un v i eux fau v e qu ’on traque .
Mai s,de chaqu e bourgeon de tigelle qui craque .
Mais,de chaque ramure en fleu re t te s crevant ,
Ell e croi t vo ir sort i r les mains de son enfant !
Oh ! c ’ est épou v an table
Et lorsque les ni chées .
En tre le s doigt s j oy eux de s v ieux arbres perchée s .
Murmurent dan s l ’azur leur triomphal devis ,
L a mère croit entendre un appel de son fils !
178 L A V IE ET .LA M ORT
Oh ! ce tt e ob s ess ion hideuse !
Et quand sereine,
Comme un grand manteau d ’or i llustrant un e reine,
L‘ aurore
,opulemm e n t , la cou v re de clar té s ,
Et quand l‘
œi l onctueux des astres veloutés
L a fixe,o ign an t s on front que le ven t doux effleure
D ’ elle ne sai t trop quoi de bon qui fai t qu’on pleure
,
L a mère pousse u n cri,fro ide comme glaçon
,
Et cherche dans l e ci el le s veux de l’e n fan con !
Alors,levan t s e s bras maigris dans la nui t blème
Non,c
’
e s tplu s fort que moi non . i l faut que j e l ’aime !
Cria— t - elle ,vaincue . Et
,geignant
,é touffan t
,
Elle qui tta l es bois pour ravoir son enfant !
Elle s ’
e n approcha,puis de sa voix amère
Mon fils , mon fi ls fai s—moi du mal ! cria la mère .
Et . tendre,ell e montra comment on s ’y prenait
Flagelle-moi bien for t ave c ce mart ine t
i 80 L A V IE ET L A M ORT
V a ! lacère mon corps va ! crache ‘a mon visage !
Flage lle -moi l es reins d ’un bras impé tueux !
O mon fil s . sois cruel , so i s v i l , sois monstrueux !
Fai s—toi haï r
Car,si l on aime un être au monde ,
Ce n est p oint qu ’une lo i fatale,affreuse
,immonde .
Vou s at tire e t vous force a l ’aimer,n ’es t—ce pas
Mais b ien parce qu’ en lu i tou t vous charme i ci-bas
O r,d
’
un ê tre qu i vous tortur e e t qui vous navre ,
N’es t - ce pas que
,l ’œi l sec
,on peut voir le cadav re ?
Ah ! va donc,navre—moi ! va donc
,t orture—moi !
Car j e l e j ure ici , mon fi ls,p ar mon émoi
,
Par mes hoqu e ts , par mes esp oirs , par mes alarmes ,
Par tout ce que mes v eux o n t versé d ’acres larmes.
Par t on frère qui dort en sa bi ère,là—bas
,
Par son trépas qui presque amena mon trépas,
Par v ous , mère s en deui l don t la foule m ’
acclame
S ouffrir du corp s n'
est ri en prè s de souffrir de l ’ame !
E l l e d i t , e t , s’
o ffran t aux crachats de son fils
L A v ue: ET L A M O RT
Ab ! merci ! s ’
é cr i a la mère aux yeux ravis ,
A présent tu peux vivre ou mourir, que m’ imp orte
Ce fils mourut un j our .
Et la mè re en e s t morte .
l
L A V IE ET L A M ORT
B A T A I L L E D’
AR B R ES
SYM PHON IE
L a forê t dor t . Tous noirs tous inerte s , tous graves ,
Env e 10ppé s de nui t , leurs gros bras détendus ,
Muets comme des rocs,debout comme des braves
,
Dorment,dorment en paix le s arbres confondus .
185
186 L A V IE E T LA M ORT
R ien . Ils dorment . Pas s e z !R e spe cte z l eurs l ourds somme s ;lls rêven t aux oiseaux sous leurs feuill e s blo tti s
,
Peut—être aux moucherons de nu i t,p eut—è tre aux hommes:
L e s O ran ds daignen t parfois rê v er au x tout p eti ts .
R ien . Sup erbes,hautains comme de v ieux burgraves
,
Fraternels,s’
embras san t de leurs membres tordus,
Sereinement,tous noirs , tou s iner tes , tous graves ,
Dormen t,dorment en paix les arbres con fo n du e .
M ai s tout à c ou p , entre eux ,huant , l e vent se
Holà le s arbres noirs ! Entre eux,huant
,l e vent
Se lève,e t la tempete éclate , e t , comme un glaive
L’
eclair tail le l es cieux livides e t l es fend .
183 L A V IE E T L A M ORT
Vli n ! Et tout l e bois gein t . V lan ! Et t outes le s t iges ,
S e sou v enan t d ‘ avoir é té des bras humains,
Portent de l âches coups qu i font ch0ir , o vertiges !
D e grands rameaux palmés qu’ on prendrai t pour des ma in s .
Vli n ! des bras t ombent . Vlan ! des platanes s ’acharn e n t
Sur de maigres bouleaux,sur des acaci as ;
Et l e s troncs mutilés et roux qui s e décharnen t ,
Vli n ! Vlan ! Vli n semblen t tous d ’énormes tibias .
V lan ! Et la forê t tremble,et le s arbres s ’ é crou le n t
Avec des grondements sini stres,e t là—bas
,
L e s tonne rres lo inta ins,ces tambour s de Dieu
,roulent
De s raflaflas vainqu eur s au mil i eu des combats .
Vli n ! Et le vent tordan t les syl v estre s crinières,
Emporte — Vlan ! Vli n ! Vlan ! dans l ’air épouvan té,
Ju squ‘
aux foudres,j usqu ’aux tempêtes meurtri ères
Ju squ’
aux b aillons poudreux du cie l déchique té,
LA V IE ET LA M ORT
Jusqu ’au zéni th,j usqu’à la lune
,j usqu ’aux as tres
,
Jusqu’au couvercle noir dont Dieu clô t l ’univers ,
L e formidable écho de ce s mornes désas tres
Et le rugi ssement de ce s combattants verts !
Vli n ! Vlan ! Vli n ! V lan ! Mais , comme un aigle aux ailes lasses ,
— Vli n Vlan — l ’apre vent , — Vli n !— par vols diminutifs ,
V lan tombe ; et le s bras noirs s’
affai s s en t— V1in m‘
ollasses
E t le s troncs amputé s Vlan ! s e dressent , plain tifs .
Et la paix,len tement , s e fai t ; Vli n ! le s huées
Cess ent, le s boi s blessés n’ont plus de cri s grognons .
V lan ! Et la lune épanche , à travers le s nuées ,
De s flo ts de baume blanc e t doux sur l e s moignons .
190 LA V IE ET LA M ORT
Et des préludes lents surgis sent . E t des bri ses
Ri squ ent des bouts de phrase harmonieuse .
Et blon demen t,l
‘
a—haut,aux immensi té s grises
,
S’
épan ou i t un astre ainsi qu’un œil câlin .
Et moi,voyant ce t œ i l brûlant d ’étoile luire
Vov an t les boi s sous lui gu ér i s des maux anciens .
Songeant a ce qu’un œi l de femme peut produire
Songeant a v ous,Hélène , a v ous . Grecs e t Troyens .
Je me sui s demandé ces choses ténébreuses
F emmes mortes,s i le s é toil es sont v os yeux ?
Si c ’ est pour v otre œi llade ,aïeules amou r euses ,
Que s e ba ttent touj our s l es arbres . n os ai eux‘
?
L A V IE E T L A M ORT 193
C O I N
C’ es t bas—fond d ’
he rbage , un semblant de mer verte ;
Il y nage de lourds taur eaux aux po i trai ls blan cs ,
Dont les con s membraneux fendent l ’onde entr’
ouverte
Du foin dru qui déferle , onduleux , s u r l eurs flancs .
De s buissons,îlots bruns
,émergent ; et des franges
De calices neigeux,t out alentour poussés ,
L eur fon t un rebord blanc d ’
é cume tte s é tranges
Comme un assaut de flots lei —contre courroucés .
19'i L A V IE E T L A M ORT
Et sous le v ent,un saule eperdu se débrail le
E t prend,dans un e flaqu e ,
un vague bain de p i eds,
Tandi s qu ’un rang d ’
o rme aux , au loin . se tord et brail le
Sur place comme un tas crasseux d ’
e s tr0p i é s
Et tout ce co in . charmé de senteurs , d’
harmon i e s
V ous donne de s regre ts de ne pas ê tre v eau ,
Pour v ivre là,s e n s femme et sans bottes v ernies ,
Avec he rbe a plein v entre e t chants‘
a ple in cer v eau .
L A VIE ET LA M ORT 197
L E C Œ U R D U PO ! T E
C’
é tai t un soir pesant,lé thargique
,navré .
Au bord du ciel crasseux comme un p lafond de bouge,
L e couchant , par endroits , avai t l’air balafré
M ystéri eusement par un grand sabre rouge .
E t nul gazouillement,e t n u l tressaill ement
L a nature dormait , sans j o ie e t sans lumière ;
L e s boi s mornes semblaient héri sser,gravement
Vers de grands cieuxde plomb ,de grands arbres de pierre .
198 L A V IE ET L A M ORT
Or,tou t à coup ,
sanglant,tragique
,effarouche
Tombant d’un lourd IlLN Q’
€ a sombre carapace
L e solei l apparut,ainsi qu’un fron t tranché
Qu’un é chafaud géan t lancerai t par l ’espace .
I l apparut , et tout chanta ,tout rayonna °
Et la terre . qui ttant s a torpeur sépulcrale ,
Sembla pous ser v ers l ’astre un immense hosanna
Et se remplir d’
e n ce n s comme une cathédrale .
Et la mer au lo intain blonde ainsi qu e du mie l .
Se haussa vers son disque en vagues chevelue s,
E t chaque arbre sembla lever ses bras au ci el
Comme pour applaudir avec s e s mains feu i l lues
Gloire,gloire au soleil ! Lu i
,grave , ensanglan te
Descendai t,lentement
,dans s a pourpre écarla te
En s’
attardan t là—haut , comme un e Maj esté
Au sein d ’un peup l e heureux qui l’acclame e t la flatte !
200 L A V IE ET LA M ORT
Et moi voyant mourir ce solei l éc latant ,
Un soir,tandis qu
’au ciel se terminai t son règne,
J e p ensais à ton cœur , Poète , astre chantant ,
Que l ’ on n‘
applaudi t bien , hélas ! que lorsqu’ i l saigne
L E BO N HEU R
A F ra n co i s C oppée .
204 LA V IE E T M A M ORT
Que me veux— tu d i tDi e u . Parle, comman de
,expliqu e
L’
Homme darda sur Dieu son grand œi l famé l ique,
Son grand œi l al téré comme un œi l de condor
Ce que j e veux,o Dieu ? ce que j e v eux ? De l ’ o r
De l ’or,dis—j e ! avec l
’or j ’ aurai tout . Bonheur , j o ie
Sont le s reflet s de l ’or tout pui ssant qui rou geoie .
Donne—moi beaucoup d ’ or,de l ’or à l
’
infini !
Taraude avec ta vrill e un coin de ci el j auni,
Casse quelques soleil s ains i que de s grenades,
E t fais—e n rui sseler sur moi l’ or en cascade s
De l ’or,d i s —j e l de l’ or ! de l ’or seul ! Et v a—t ’en !
C ’es t b ien ! fi t Dieu , j e vai s t’
obé i r a l ’ instant .
Et re tournant au sein des é to i les compacte s
I l fi t tomber,du ciel
,de l ’ or en cataractes .
LA V IE E T L A M ORT 205
Alors . l’
Homme ébloui tremb la .
Rav on n cme n ts
Comme un poisson j e té hors des flo ts écumant
Et qui voi t,en râ lant au milieu des p ierrailles ,
Gronder au loin la mer qu ’i l fau t à ses entraille s,
Soudainement,avec des fougues d ’
aqu i lo n .
L’homme ép erdu bondi t vers ce tte mer d ’or b lond .
O vous qui sous mes yeux allumez de s aurores,
Flo ts montants,flots v ermei ls
,flots berceurs , flots sonores ,
O r ! di t—i l, oh ! j e vais , en des dél ires fous ,
Entrer en vous,plonger en vous
,nager en vous
Oh ! vous palper,vous mordre Oh ! vous saisir , vous boire !
Oh ! me noyer en v ous e t p erdr e la mémoire
Des j ours de pauvre té
Car vous n e s a v e z pas,
Pièces d ’or s euls s ole i ls vé n éré s i c i—bas ,
LA V IE E T L A M ORT
Non,vous ne sa v ez pas la soif qu e j
’ai dans l ’âme !
Ah ! vous ne savez pas quelles langues de flamme ,
Quels crocs mortels,quels dards aigus e t douloureux
Passent dans un front pauvre e t dans un gousset creux !
Or nob le,or souverain . a moi ! gu
‘
éri s mes plaies !
V ingt ans la pau v re té m ’a tra îné sur s e s claie s
V i ens p lombe—moi le cœur ! viens ! p lombe—moi le front
Emplis—moi,fai s de moi quelque grand l ingo t rond
Sans pi ti é , sans soucis , sans remords , sans souffrances !
Et v ous,faim , e t vous , maux , e t vous , désesp érances ,
Mordez—moi maintenant s i v ous l’o s e z encor !
Je sui s heur eu x j e sui s iner te j e sui s d’ or !
L orsqu’ i l eut bien baisé l es piles d’or vermei l les,
Et qu ’ i l en eut emp l i se s yeux e t s e s orei lles
Pour n ’
e n ten dre et ne voir que l’ or qui l’e n to ura i t
,
Lors qu'
i l s e fut v autré dans l ’or comme un gore t .
Et qu ’ il eut re chmpté ce n t ro i s s on numéraire ,
E t qu i ! en eut j e te de s sacs , pour se di s traire ,
L’
Homme se re trouva malheureux comme avan t .
A lors , il rega rda l'
o r s tup i de , e n rê vant .
208 L A V IE ET L A M ORT
Ou i , tu n’es , toi non plus , qu
’une femelle immonde
Que . pou r un monceau d ’or , le premier so t venu
Peut voir,entre ses bras . dépoi traillé e à nu
L’
Homme donc eut la Gloire .
Oh p ossession fol l e
L a Gloire voir , ainsi qu’un aigle qui s ’ en v ole
Maj es tueusement s ur les mont s bleus e t purs,
Son nom calme p laner sur le s si ècles futurs !
Gloire : cie l des vivan ts ; loire solei l de l’
âme ;
Gloire,to i qui nous prends par tes griffes de flamme
,
Superbement,comme un vautour fai td’
u n pous s in ,
Et vas nous faire luire
,é toi le , dans l
’
e ss a im
Des é toiles sur l ’homme à j amais suspendues ;
G loi re,to i qui
,ruan t sur les sphères fendues ,
Vas,comme un grand coursier farouche e t radieux ,
Hennir un nom vainqu eur à l ’ oreil le des dieux ,
Oh j e comprends,voi s—tu , que l
’on te sacrifie
L A V IE ET L A M ORT
S e s biens , ses an s ,sa fo i
,son cœur . s o n san g s a vie
Sa part de paradis,s ’i l en es t dans l ’azur
,
Et .…
\‘ i a i s ! un gri llon chan te bien . quoique obs cm”
Et l’Homme glori eux l’
Homme accablé
Un soir Où le s grands boi s s ’
empli s s ai e n t de ramage s ,
De ramages d ’oiseaux ignoré s e t contents
L’
Homme fu t malheureux comme dans l ’ancien temps .
L ors,il res ta béan t e t pe n su
‘
te te bass e .
Puis,levan t ses deux mains tremblan tes v crs l ’espace
,
L’
épouv an te dans l‘
âme,i l di t :
Seigneur ! Se i gneu r !
O h donc dois—j e chercher encore le bonheur
Dans l’Amou r,roucoula dans l ’air une mésange .
2 10 L A V IE ET L A M ORT
Or vous passiez par là. , vous , plus pure qu’un ange ,
Vous,p lus chas te qu ’un li s
,vous
,plus sain te qu’un Dieu !
Oh ! l e ci el , par erreur , vous fi t nai tre au mili eu
Des gens,comme i l fit naî tre au mili eu des épines
Ce s belles vierges—fleur s qu ’on app elle églantines !
Oh ! vous éti ez si dou ce . ô v i e rge ; vous é ti e z
Si belle,que parfo i s , e nez , quand vous j e tiez
Par mégar de s ur un passant vos yeux de flamme .
C ’est tout le p aradi s qu ’ il s e s en tai t dans l ’âme ;
Et l ’ on aimai t vous voir,comme l ’aube des ci eux !
E t l ’on aurai t voulu,calme
,sil encieux ,
Grave, pé tr i fié dans la paix exta tique ,
Comme un grand sphinx rêvant auprès d’un temple antique
,
Toute l ’é terni té vi vre à cô té de vous
2 12 L A V IE E T L A M ORT
De suave e t d’
exqu i s dans son cie l embaumé
Ou i,pour faire ton front
,c ’est un matin de mai
,
Et , pour faire tes yeu x,
'
deuX astres qu’ i l dut prendre ! .L°
Pour combien d ’or tout ca . te di s—j e , est- i l à vendre ?
Alors . la V ierge eut peur e t pou sæ deux grands cri s .
Allons ! dépêche— toi ! d i t l’Homme,e t fais ton prix .
I l ouvri t un sac d ’or e t plongea se s mains dures .
Prends ! di t—i l, a v ec ca , l’on a rubans
,guipures
,
Velours,perle s , b ij oux , carrosses , alez ans !
Prends donc ! O n vaut cela lorsque l ’on a sei ze
Ce n ’es t pas assez Bien prends encor cette pi le .
Voici cent p ièces d’or !… Non ?… en voici deuxmille !Non ? en voici dix mille !… Un mill ion , veux—tu
Depuis un mi l lion ca se nomme vertu .
Non ?… c ’es t de la vertu décidément ! Etrange !
Va pour de la vertu ! Dix mi l l ions , cher ange !
L A V IE ET L A M ORT
Ah ! l ’on persi s te encore en se s rebel l ions
A votre aise ! J ’ai tout le temps . V ingt mil l i ons
N ’est—cê pas que cela fai t l oucher la prunelle
Non ? Soi t ! j e vais hausser d ’un to n la r i tournel le .
Et le couple t vous va paraitre moin s criard
Cent millions ! Deux cents ! Cinq cen ts ! L'
n mil li ard
Hola ne tremblez pas , et ten ez - v ous , que
Un mil l i ard,la Bel le ! un tas d ’or e ffrov able .
Si grand,si grand qu ’on en pourrai t faire une tom”
Un mi lliard un nom royal,ayant autour
,
Comme de grands v assaux dont l ’armure chatoie .
Honneurs . plai sirs , fe s tins , amour , ivresse , j oie !
En milli ard de quoi rendre sain ts des bandi ts
Un milliard de quoi forcer le paradis !
Unmi ll iard de quoi corrompre les é toile s !
Un milliard de qu oi derri ère tou s ce s voi les
Qui cachen t aux mor tel s son trôn e olympien ,
Aller acheter Dieu comme on achète un chien ,
Et le tondre , e t narguer se s foudres v engeresse s ,
Pourvu qu’on songe,aprè s , à. commande r des mes s e s ,
Pour vu qu’ on fasse,mort
,chanter sur son linceul !
Car c ’es t lu i seul,lu i seul , entends— tu bien ? lui seul
L A \IE ET LA M ORT
En ce monde , en la lune , en la nature ent ière ,
Dans le s mondes finis s ’é croulan t en poussi ère
Dans les mondes futur s german t dans le brouil lard,
Lui seul , l e ro i ; lu i seu l , l e dieu le Mill i ard
A genoux ! le v oici qui se dévoile 6 femme
E t sitôt qu’elle eut lui,la grande Idole infâme
V i t la vierge au front pur tomber a deux genoux .
Oh misère de nous ! ob ! misère de nou s
Oh ! mal édi cti on à l ’or épouvan table !
Oh ! p enser a ceci tout,quelque respectable
Quelque bon,qu elque honnê te e t quelque virginal
Que nous le crov i on s . tout , tout , tout est vénal !
Tout , a de s prix di v er*
Oh j ’ai froid sous le crân e !
2 16 L A VIE ET L A M ORT“
l)e ce t te fange d‘
or, 6 v ierge pure e t douce !
A lors . l’
Homme s e mi t à genoux s u r la mousse
Pr è s d e l le , e t lui baisa tendrement le s deux ma ins .
De grands pommiers en fleurs p leu rai ent sur le s chemins ,
Inondant les pass ants heureux de larmes blanches .
O fleur o n ids,O flo ts . o zephyre 6 branches .
O toutes les chanson s , O toutes le s clartés
Odore z,gazoui l lez resp lendi ssez
,chantez !
U
Dit l’Homme émer v ei l lé t i tubant dans l’extas e .
V i ens ! v i ens fit- i l. Jamais,sous le c i el qui s ’embras e
,
Jamais . dans le déser t implacab le e t brûlant ,
Jamais ê tre. alté ré,j amais tigre hurlant
dans s o n go s ie r fau v e . une soif plus farouche
Qu e C e l le qu e j au mo i,s u r l e bord de ta bouche
I l s e pe ncha s u r e l le e t but i v re e t pâmé .
L A V IE ET L A M ORT 2 17
Souffle délicieux,souffle de l ’être a imé
Qui t ’a bu peut mourir sans regre tte r la v i e
Dit l’Homme . Et vous,Seigneur que ma v oix glor i li e
Oh ! quelque l i e amère ,oh ! que lque âcre po i s < .n
Que vous a v ez pu mettre un soir de trahi son
Dans la coupe des j ours où vous nous fai te s bo ire .
N ’ importe ! Gloire à vous Seigneur ! a j amai s gloire
Et,pour touj ours
,béni de s hommes soye z—vous
Pu i squ’
e n compassion , puisqu ’en p itié de nous
Vous lai ssâte s , au fond de ce tte coupe i n fz‘
1me,
C_
e nectar qu ’on appelle u n e ha le ine de femme !
Et l’Homme heureux se mi t a pleurer dans ses mains .
Pui s,comme de s e s doigts plus doux que des j a smins
La Vi erge lui flattai t sa rude chevelure
Fou rouge,ivre un sang b leu marbrant son e n cohu e
L e s yeux hagards , le s trai t s crispé s , l e s bras tremblant s
Croyant sentir germer des as tre s dans ses flancs ,
Croyant ru i sseler d aube e t p eup ler l’é tendue ,
Tel qu’un lion fuyant , sa p ro ie aux dents penn ed ,
l3
L A V IE ET LA°
M ORT
Il pri t à bras le corp s ce tte vierge,e t s ’ enfui t
En rugissan t de gloire e t d ’
am our dans la nui t !
Il fui t,superbe
,i l fui t
,p lus promp t _ qu e la rafale ;
Il fui t,j e tant aux cieux sa clameur triomphale
,
Montant coteaux ,sautant fossés
,gravi ssant monts
I l fuit,comme si quelque essaim de noirs démons
Prenant la lune au v ol e t s ’en fai san t un cierge ,
Galop aient après lui pour ravir cet te vi erge .
Il vi t une mon tagne âpre e t l’e s calada .
Jé s u s—Chris t , Jupi ter , Allah . V i chn ou
,Bouddha !
Cria—t—i l,tous les dieux tri omphants de l ’espace ,
Oh ! tous ceux qu’on—
vénère a genoux,tê te basse
,
Oh ! tous ceux que l ’on pri e ! oh ! tous ceux que l ’on crain t,
P lace ! ai tes—moi place en votre ciel d ’
a i ra i n !
E t qu ’on s ’é carte ! e t qu’ on s ’incline e t qu ’on m ’
b‘
on ore !
Car c ’es t mo i que béni t ce t univers sonore !
Car c ’es t mo i qui dois faire é clore ces sole ils !
220 L A V IE ET LA M ORT
L’
Homme touj ou r é treint par des bras n u s e t roses,
L’
Homme sentan t touj ours,s ur se s paupières closes
,
Même bouche app l iquer mêmes baisers brûlan ts ,
L’
Homme posan t touj ours,sur les mêmes seins b lan cs ,
Son même front co urbé par le même d éli ce ,
L’
Homme buvant touj ours , dans le même cal i ce ,
Un vin touj ours'
n ave e t touj ours embaumé ,
L’
Homm e touj our : heureux ,l’
Homm e touj ours aimé ,
Oh ! mil le , mi l le te s plus qu’avant misérable,
L'
Homme sentant encor , comme un chancre incurable ,
L e malheur é ternel lu i ronger le cerveau ,
L’
Homme e ffrav e s e mi t a cri er :
I l me faut…
I l me enten ds- tu,soleil vers qui j e clame ?
I l s e tut , n‘
av an t plus u n seul dé s i r dans l'
âme .
Plus un seul ! Plus un
Oh ! mais c’e st infernal !
L A V IE ET L A M O R
I l se mi t à gen oux s ou s l e grand c iel banal,
Morne comme un repu que p lus nu l mets n ’
affame
! I l me fau t du nouveau :peux—tu m‘
e n donner . femme
E tla femme -
n o put que le ché rir encor
I l me faut du nouveau : peux— tu m 'en donner . et“?
Et l ’ or affreux n ‘ eu t pas une lueur nou v ell e .
T erre,vieux g lobe usé dont l’ é corce s e fêle ,
Lu ne,v i e i lle lantern e abj ecte qui t ’é te i n s
V ieux soleil pâl is s ant,vieux astre s incertains
,
Tous le s mondes blafards qui geignez dans l’ espace .
Oh ! j e vous en suppl ie ! oh ! dites-moi de grâce ,
Es t— i l chez vous,es t -i l pour l’Homm e . e s t—i l encor
Quelque bonheur qu'on puisse ob te n lr pour de l ’or ?
LA V IE ET L A M ORT
E t rien ne répondi t du c i el gra v e et pai sib l e .
A lors l’Homme e ffrav an t con n u e v e rs u n e cib l e .
Bondit -su r l’or mai s .s ur l or 7ain . s u r l ’or v il.
Venez Vo ir o morte l s . v enez v oir ! rumt- i l.
Et tel qu ’
un croqu emo rt chargeant des corp s verdâtres
Il chargea n u i tann n e n t s e s mil liards j aunâ tre s
Et , funèbre , il parti t avec e ux v ers la mer .
T iens ! boi s , si tu n’es pas dégoû tô . gou ffre ame r !
Et faisan t aux flo ts bleu s de re v al e e aumôn e=.
Par grands s ac s .par a rands tas .par grands char s l ourds e t j aunes ,Il j e ta . dan s la mer . tout ton or . tou t son or '
T ie ns ! comme il fai t trè s froid . bois me s habi ts enco r ! !
‘
Ï‘
I'
u L A V IE ET L A M ORT
Huant! tou tes le s douleurs, quand toutes le s misères ,
Comme des éper v i ers,m ’
é tre i n dro n t dans leurs serres
E t quand la Mor t huera dans mon es tomac creux ,
Mon Dieu . pour que j e s o i s heur eux . oh bi en heureux !
Plus h em‘
e ux qu’av ec l’Or , e t l’
Amou r,e t la G loire !
Oh tel lement heureux qu’ on ne l e puis se croire !
O li ! tel lement heureux que j’
e n de v ienne fou
Fa i te s qu e l’on me donne un pe ti t pain d ’un sou !
JO I E D F SOU FF R I R
A lbe r t
L A V IE E T L A M ORTl
—l N.;
Ils avaient de grands bras , i ls a v aien t de grands fronts ,
Il s avaien t d ’
e fÏrayan ts bicep s dans leurs ramur es ;
Ils pouvai ent , semblai t—i l, cuei l l ir le s sol eil s ronds ,
L‘
t haut . comme des gueux qui cuei l leraien t des mûres .
I ls avaient des or teil s v annes e t fabuleux ,
Ils a v aien t des troncs noirs si gros , s i p le ins de forces ,
Qu ’i l s paraissaien t pouvoir soutenir les cieux bleu s ,
Si j amais l e s ci eux bl eus s ’
e ffon dra i e n t sur leurs torses .
Ils é taien t grands , forts ,beaux
,redoutables, pui s sants
Ils auraien t pu ,d un ges te . accomp l ir de s dé s as tre s ,
Et,de leurs mille bras noueux et me n acan ts ,
Comme on fouai ll e des chiens aller fouailler des astre s ,
E t s ecouer l e ci el e t fus tiger l es di eux .
Et tou t bouleverser sans clémence e t sans
Des piver ts le s trouaien t de l eurs becs odieux ,
Eux . cependant , don n aien t touj ours dans le soir rose .
L A V IE ET LA M ORT
Pan,Hasard
,T out
,Force . grand Etre
Cause prem i é re , Corps immense , Es p ri t , Ma ti ère,
O toi que nous sentons peser de toutes parts ,
Epou v an tableme n t , sur no tre vi e entière ,
Grand Maitre appréhendé de s choses,nommé Dieu ,
Grand li tre universel fai t a v e c tous le s ê tre s
Pourquoi ne vi s - j e poin t , ca lme e t droi t , au mi l i eu
De ces peupliers droi ts e t de ces calmes hé tre s ‘
?
Pou rquo i ne suis—j e pas un arbre Oh ! s i v raiment
Tu sens grouill er mon ê tre infime dans ton Etre,
Comme un sol e il en marche , au sein du firmament,
Qu i senti rai ! un ver obscur qu i le p énè tre ;
Ô ÔQ
2 30 L A V IE ET L A M ORT
Si tu me sai s,s i tu ‘me sens , si tu me vo i s ,
Si tu m ’
as mi s a ssez de souffle dans l e“ven tre
Pour que ta vaste orei ll e e n ‘
frémi s s e parfoi s ,
Et pour que ma clameur désespéré e y rentre ,
Dis p ourquoi suis—j e'un homme -O h pourquoi n ’
ai —j e
L e so lennel dédain qu’on voi t aux branches grises
Pourquoi mon rôle,ô Dieu
,n ’ est— i i p o int , i ci —fbas ,
Sur qu i trombe ou zephyre , averse ou chan t d’oiseaux
Passen t,sans voir bouger d ’
un pas ma lourde tail l e ;
A qui la te rre ; l’
a ir , la lum i èr e ,le s eaux ,
Of‘fren t de s me ts royaux comme u n e v ide ta ille
L e s farouch e s p iverts ou les mo ineaux pa is ible s ;
Où to ut p lu ie,ou s oleil
,ou mor sure , du baiser ,
N’
év e i‘
lle q u’un frisson de feui lle s impassible s ?
Car j e ne peux pas-voir u n volcan , sans pen ser
O marty res cachés , ô râ l es mécon n rs ,
Tortures de s monts noirs e t désespoirs des chên es !
Esclavage é terne l des mondes . retenus
Par leurs e rb es,ainsi que des chiens par leurs chaînes !
Oh toute la cohue horrible de s sou ffran ts
Tous les navrés , tous le s”
maudi ts,t ous les errants ,
Bêtes , gens , plantes , vers , firmamen ts , i n fuso ires ,
N atrn *
e pète - mêle infi ni ”
de douleurs
Qu i ; meur tr i s par la vi e,aimon s p ourtant la vie
l A V IE E T L A M ORT
T enez,j e me demande
,amis
,en véri té
,
Cet te chose e ffrayan te et sombre qui me broie
Si l 'an goisse,après tout . n ’es t pas la volupté .
Et s i le smaux soufferts ne fon t pa s seuls la j o i e
S ’ i l s connaissent la vie e t peuvent en parler,
Ceux qui n ’ont j amais eu de mortel les alarme s ?
Si ceux—là sont contents qu ’on n e voi t pas râler,
S i ceux— là son t j ov e ux qu’on n e v oi t pas en larmes
Et si,tordu
,saignant , vibrant mon fauve coeu r
Ne lance pas ces vers au so ir rose e t sonore
Pour demander,là—hâ llt
,l a suprême fa v eur
De saigner,de se tordre e t de vibrer encore !
L Œ U
prendre une montagne en S e s mains magi strales !
L a pé trir , la broyer , la tail ler en blocs lourd s
Puis la faire reviv re en blanches cathédrale s
Erigean t dans l’azur d’
ex travagan te s tou rs !
De s tours de marbre av ec de foll e s broderies ,
De s tours bravan t le temps de leur fron t exal té ,
L A V IE ET L A M Or 00
Des to rn *
s lancau t là—haut par leurs flèches fleur i es
L e nom de l ’archi tec te a l ’ immor tali t é !
Homme v a in , homm e aveugle ! A quoi j athédrales,
Mons tres de p ierre assi s sous les clar té s astrales ,
Palai s,manoirs
,forum s
,monuments i n n ombré s
,
Entassements de sab le un j our équi l ibrés,
De quel que dur grani t qu’on ai t fai t leurs mu raille s
Quels que so ient l eu rs auteur s , quelle s que soient leurs tai lle s ,Qu’ i l s soi en t cirque
,donj on
,cathédr ale
,opéra ,
T out croulera,tout s ’
e n ira,tout périra
Tout devi endr a pou s s i ère un jour , vaine pou s s i ère !
Et , fai sant tout renaî tre a sa forme premi ére
La natur e sere ine annulant nos effort s
F era des mon ts nouveaux a v ec le s t emples morts .
I I
Oh ! de ses larges main s bou leverser
Faire un canal d ’un i sthme,un i s thme
LA V IE ET LA M O RT
I II
O h pre n ch*
e son cœur rouge en ses mains fréné tiques,
O h l e broyer,u n j o u r , sur de s feui l le ts fumants !
En faire un gran d poème aux s trophe s fan tas tiques ,
Au milieu de s v i v a i s des peuples acclaman ts !
li n fa ire u n :. rand p oème un w lo s s al p oème,
Q u e n ul ne p i t t nier . que rien ne pùt ternir
Ecrire,écrire enfin le Che f—d
'
œu vr e suprême
S ur qui s'
e x tas i e ron t le s s i ècles à venir !
Homme vain homme aveugle ! A quoi 0 poème
0 v o ls d ’oi seaux chanteurs partant de nos fron ts blème s ,
O v er s . r v thm ique s ve rs , o vers tant adorés ,
li t v ous au s s i . tous , tous hélas ! vous périrez !
Et l‘
homme un j our rira de no tre sain t dé l ire !
L A V IE E T L A M ORT
Et l ’homme un j our'
n‘
au ra plus de s yeux pour n ou s li re
li t rien ne sera plus de ce don t nous parlion s
N i chênes,ni roseaux, ni fleurs ni papillons !
Et rien ne sera plus de ce qui fu t au monde ;
Et l ’homme aura pass é comme u n e larve immonde ;
E t le soleil,ce cher soleil qui lu i t li t—bas .
Luira sur des vivants qu’ i l ne connaîtra pas !
Ainsi rêvai t , un soir d’automne
,las de vi v re
Un vieux poè te blanc pen ché s ur u n v i e ux li v re .
T out a coup i l
L a Mort noire é tai t là .
Oh ! non ! oh ! pas encor ! j e v eux a v ant , 1 à.la
L e poè te,j e veux fa ire une œuvr e
Fai s ! lui permi t la Mor t .
Il pâl i t devant
Il
2 42 LA V IE ET LA M ORT
I l pâli t,i l p leura . Pui s , gagnant la forê t ,
Ayan t cherché longtemps quel p oème il ferai t,
Quel œuvre glorieux , sublime , imp éri s sable ,
Il fi t sur un chemin quelque s pâté s de‘ sab le .
L A V IE ET LA M ORT
L A N ÉGR I L L O N N E
Pas plus haute que ca tenez . Cinq ou s ix ans .
Une n égri llon n otte à robe bigarrée .
Un bout de femme noire avec des tons lui s ants
De botte b ien ciré e .
Et des yeux donc Des v eux qu ’on allai t vo ir en rond ,
Des yeux dont les passants n‘
aien t a perdre haleine
Deux yeuxtrès—gros,très—blancs
, qui semblaie nt dans s on
Deux ronds d e porcelain e .
‘
l -
'i li L A \‘ Il'Ï ET L A M ORT
vous av i ez vu remuer ces deux yeux !
vous aviez v u reluire ses queno tte s
elle vous di sai t Un pe ti t sou,messieu rs ?
En tendant se s meno ttes !
Autremen t el le étai t tres heureuse . E ll e avait
Pour chambre ungrand hangar plein de planches coupé e s ;
Elle en chargeai t s e s bras pour dormir , e t rê v ai t
O u e c‘ é tai en t de s poupées .
M a i . un j ou r,de v ant el le , u n e noce arriva .
L‘
épou s e é tai t en blanc , s pl endide e t l angoureuse .
Oh ! la n égr i llon n e tte aussi tô t s e trouva
Très , trè s,trè s malheureuse
O li ! a v o ir robe blanch i oh ! rêve ! qu e l e f1‘
e t
O u pr…ln i l. l:u- cle s s o u s l o u e s t bel l e,on e s t fiè re
,
fai t c li5m er le s v eux de s pauvres gens , on fa i t
Pre s que de la lumière !
2 48 L A VIE E T L A M ORT
M ais lui ne voulut poin t ; non . non ! I l la lai ssa
Sans lui faire porter robe b lanche,l’
i n fàme !
Seu l ement qu ’on prend femme .
Elle était malheureu s e à mourir , n’
e s t—ce“
pas?
Songez donc ne pouvoir contenter son en v i e
Jamais,j amai s , j amai s ! Res ter . de haut en bas ,
\’ ègre,toute s a v ie !
Mais , une foi s , chez u n por tier de s e s amis,
Elle vit u n défun t qu’ on clouai t dans s a b i ère .
Oh ! c ’étai t impo s ant L e cadav re é tai t nn s
De fort belle manière
M essieurs , di t—e lle aux gens à trav ers :un rideau
Voulez—v ous me cl on er au s si sous une p lanche
—Pourquoi don e,mon enfan t ? M a i s pour faire
Dan s une robe b lanche .
L A V IE E T L A M ORT ‘
2
O n refusa . T ouj our s ! Alors , tris te , à pas lent s ,
La pauvrette parti t , sans tendre l es meno ttes .
Ah vous ne verrez plus relu ire ses yeux blanc s,
Allez . ni ses quenot tes !
L enfan t,u n j our de gi vre , .e n plein a ir s ’affa i s s a .
I l n ’
e û t fallu pourtant qu’un chi ffon de cre tonne
Pour faire son bonheur : pas plus haute que ca ,
T enez , la négrillonne
Faute de“ robe blanche,elle e s tmorte , oui , messieurs !
Un j our gris,un j our fro id
, u n j o ur p lein de vents aigres .
Mesdames,savez—vous si . là—hau t , dans l es cieux
On veut des âmes nègres ?
Moi,j e le croi s . Car su r son corp s n égr i llon n e t ,
La neige alors tomba , muette . drue e t franche .
M esdames ,v oyez—vous, c
’e s t Di eu qui lui donnai t
Enfin sa robe b lanche .
L A V IE E T L A M ORT I
OUI
‘
CJO
C O N F ES S I O N
I l é tait vieux,très vieux . I l é tai t blanc , très blanc .
Il avai t un long bras inerte sur le flanc
T e l un arbre chenu porte une branche mor te)
E t,muet
,immobi le
,assis près d
’
une por te ,
L e chef tremblan t,les p i eds sé chés
,l ’œ i l grave e t du r ,
Depuis quatre . o u cinq ans i l regardai t un mur .
Dehors , confusémen t , bruya i t l’énorme Vie .
l
uçi
n
L A V IE E T ‘
LA M ORT
Un j our,i l s e sent i t l a p oi tr ine gravie
Doucemen t par des b locs de glace qui mon taien t .
I l eut froid j usqu ’au cœur .
Au loin,l es bois chantai ent ,
ous l arche t des z éphyrs , l eur vague chanson ver te .
< ouda i n,i l tressai ll i t . L a porte é tai t ouverte
Un prê tre en tra , couvert d’un surpli s é cla tan t .
Mon frère . le cie l s’ ouv re au pé cheur repent‘a n t
Et le remords l'
arrache a l'
é te rn e lle flamme .
Pêcheur ,n
’
av e z —vous ri en qui vous p èse su r l ’âme
L e vieux très blanc,alors
,regarda le curé ,
Pui s,sortant de sa gorge un son invé téré
,
Gravement,d ’une voix é trangère e t farouche
Qu 'i l ne re connut plus lui—même dans sa bouche
E t qu ’avaient oubl ié e eux-memes s e s tympans ,
I l di t
5256 LA V IE E T L A M O RT
L e pré tre révol té trembla , pui s di t
Ensui te
Ensui te, j ai pé ché souven t par incondui te .
J ’ai travai ll é des j ours qu’ i l fai sai t du solei l ;
É té probe,l oyal ; rêv é d
’
un appareil
Qui rendrai t tout le m onde heureux sur ce tte terre
A ccompli,là—dessus
,u n œuvre util i taire
Très beau,trè s grand , trè s noble , e t trè s j e ne sais quo i
E t puis,j ’ai
,tour- à—tour
,que vous dirai—j e , moi
É té trè s studieux ,trè s savan t e t très cuis tre ;
E t sauvé mon pays comme un simple ministre !
A lors que j ’aurais pu j ouer au cha t perché
Mon Dieu,pardonnez-moi
,p arce que j ’ai p é ché .
L e prê tre bondi t .
PLUS ?
L A V IE E T L A M ORT IOç;i
Pui s un crime,un noir cri me
Dont le re mords me hurl e au cœur e t me l'e ppr im
Ah ! j eunesse ! j eunesse A vingt—cinq ou six an
J’
a imai s le j en,l e bal
,le s chiens , l e s a lezans ;
O r,j ’é tai s misérable e t travaillai s pou r vi v re .
A ttendant que la M ort secourable dé l ivre
M on père riche e t v i eux de ce terres tre enfer .
Mon père avai t vraiment une santé de fer .
M ai s j e savais , au fond d’un grenier
,une hache ,
Qui,d 'un seul coup di scret . sans qu
‘un vivant le sache .
Aurai t tranché son col
Mon Die u , pardonnez
L e prêtre se l e v a .
Restez ! res tez encore !
Clama le vieux, j e tant au soir sa v oix sonore ;
pas tranché
que j 'a i pé ché .
2 58 L A V IE E T L A M ORT
Je n ’ai point te rm i n é, j e m
’
accu s e a pré sent
Je m ’ace a s e,m accuse .
Un grand rayon,glissant
D ’une hau te fenê tre e ffl eura s on vi sage .
E t,soudain rel evant s a tê te apre e t sauvage
,
L e s yeux ple ins de sole i l haletan t,attendri
,
L e moribond poussa v ers l ’espace un grand cri .
L e soir é tai t trè s rose e t les feui l l e s trè s v erte s !
On sen tai t des parfum s de corolles offertes
Volup tueusement aux pap illons rôdeurs
E t . des champ s,des forê ts ,
des vi llages gron deur s ,
Montait , dans la lumi ère amoureuse e t ra v ie ,
Un vas te e t colossal chan t de glo ire à la v i e
Et l e vieillard sentit deux larmes dans ses v eux .
V ous vous accu s ez donc ?
A S P I RAT' I O N
A A ugu s te Ba r rau .
264 L A V IE E T L A M ORT
Où l a nui t soi tmue tte , où pèsent , accablante s ,
L e s heures au vol lourd ; où ne s’entendent plus
L e s orchestrati ons des grenoui ll es dolentes
N i l’on do i emen t sonore e t l ent de s Angelu 5
Où le ciel soi t brutal comme u n toi t de platine ,
Sans astres,sans essors de v autour carnassier ;
Où l a M or t pâle e t froide,immobile , s
’
ob s ti n e,
Comme un roi noi r dormant sur un trône d'acier .
Et là , plantant mes pi eds dans le rocher au s tère ,
E t , des bras , m'
accro chan t aux'
pi c s , comme un grappin
Honteux d ’avoir é té , j adi s , homme sur terre ,
Doucement , me sentir deven ir un sapin !
L A R EVU L A V IE
A F e r n an d Van de rheym .
3268 L A V IE E T L A M ORT
L a Mort s ’
as s i t . Or ca , bel le dame , r epr i t
L e vieillard touj ours grave en son cercuei l de chêne ,
Avant de vous livrer mon corp s e t mon espri t,
Avant d ’aller pourrir dans la fosse prochaine ,
L aissez—moi repasser ma v i e en sou v enir,
E t chercher , dans le tas poussiéreux des années ,
L e s refle ts qui j amais ne de v ron t s e ternir,
L e s fleurs qui ne devr ont j amais être fanées .
J en dois avoir au fond de mes cent ans poudreux ;
J ’eus la Jeun esse . j ’ eus l’Amour , e t j‘
eus la Gloire !
Souvenirs atte n dr i s,souv en i r s amoureux
,
Souvenirs de bonheur chantant dans ma mémoire
A moi Je v eux choi sir l e meilleur de s meilleurs,
L e p lus doux . l e plus cher , le p lus impéri ssab le ,
E t touj our s le garder . que j e renai sse ai lleurs
Arbuste ou vermisseau . sole i l ou grain de sable
LA V IE ET L A M ORT
E t la Mort accédant aux désirs du vi eillard,
I l ferma len temen t ses yeux ‘a la lumière
E t,comme un astre rouge émergeant du brouil lard
,
Il crut voir son passé se dresser sur s a bi ère !
Tout son passé lointain , tout son passé houleux
Tout son passé grouillan t de choses fantas tiques,
Troué de gouflre s noirs e t charmé de coins bleu s
Bucor re tentissants d ’
explo i ts e t de cantiques !
Tout l’amon ce lleme n t superbe e t magis tra l
De ses cent ans,tantô t espoirs , tan tô t alarmes ,
Mettan t de v an t s e s yeux un flambo i eme n t as tral ,
Comme un large soleil fai t de i o i e e t de larmes
Et,de ce glob e empli de roses et de dards ,
L e vieil lard vi t venir , mollement , sur des nues ,
Comme un vaisseau royal héri ssé d ’
é ten dards,
Une galère d ’or portant cen t femmes nues .
269
270 L A V IE ET L A M ORT
E t , de cet te galère , 11n chœur len t s é l evai t
Nous sommes,disai t— i l
,v iei l lar d
,te s cen t années .
Et nous v enons renaî tre ensemble . a ton ch vet .
Avant d ’être en l ’oub l i p our touj our s entraînées .
Oh regarde—nous bien Et,te remémoran t
L e s bonheurs terminés e t le s p eines finies,
Rêve,pleur e , sour i s , e t di s—nous en mouran t
L esquelles d'
entre nous furent les p lus bénies .
Et la cohue énorme aussi tô t défila
L es premiers ans , jou fflu s et gras , ans de chimères !
L e s ans roses , qu e ri en de noir ne macula ,
L e s ans p leins de chansons e t de baisers de mère s
O v i s ion sacrée ! sou v enir chéri
O mères à présent par la Mort moissonnées
L e grand v i eil lard n ’eu t pas un ges te . pas u n cri
Et . calme , i l regarda v en ir d ’autres années .
272 L A V IE ET L A M ORT
Défilère n t alors , tumu l tueusemen t ,
Avec de grands écla ts de fanfares loin ta ines .
Tout le maj es tueux et frêle en tassemen t
Des ans tri omphateurs et des gloires hautaines .
O sain t fri sson de l’Art ! O rythmes effrénés,
O p euples a ttenti fs à notre chant sup erbe ,
E t,comme des l ions farouches
,pros terné s
Sous le p ou v oir magiqu e e t triomphal du V erbe ,
Ah ! c ’es t vous , oui , c’est vous , j
’en at tes te le s cieux,
C ’e st v ous don t la mémoire es t la plus chère à l ’âme
L eur image p assai t ; l’
Homm e,silenci eux,
V i t fuir les ans de gloire auréo lé s de flamme .
E t la galère,alors , 5 e lo ign a , l entement ,
L entemen t,vers l
'
oubli terminal où tou t somb re
L e vi ei llard l a sui vi t du regard,un momen t
,
E t puis il se tourna,l ’œ il sec . vers la M or t sombre
LA V IE ET LA M ORT 273
Hôtesse,j e cherchais quelque chose de v rai
,
D’
atte n dr i , de loyal , de sincère en ma v i e
Prends—moi j e n ’ai rien vu ! dit l e vie i l lard navré,
Et que tout,comme moi
,meure e t s e pu tréfie
Regar de encor ! lui di t la M ort , prenant sa faux .
Et le vieillard , alors , v i t dan s la barque fière ,
Parmi les sentiments hv pocr i te s e t faux ,
Quelque chose qui mi t un pleur sous sa paupière .
Oh ! oui ! j e me trompais ! di t l’Homme i l luminé .
Oh ! que ce souvenir d ’
un regard ,j e l ’emporte !
Et c ’é tai t un regard de chien abandonné ,
Vu , certain j our de pluie , a. cô té d’une por te .
LA V IE E T L A M ORT 277
LA M O RT D E L‘
HO M M E
Fauv emen t sur charges de frui ts mûrs et de proies ,
Et por tan tde longs p ieux t ein ts de sang dans leurs mains ,
Par le s bois drus e t verts sans traces e t sans voie s ,
A l lai t un troupeau rude e t barbare d ’
humai n s .
Or c ’é tai t la tribu simple e t patriarcale
De la première Femme et des premiers Enfants
Marchan t,souples e t nus
,vers la grotte amicale ,
Comme une troupe a ll ègre e t j oyeuse de l‘
aons .
16
L A V IE … E T L A M ORT?
D\O 00
I l s al la i ent,vigour eux . mordant de rouges tranches
Au flanc des ani mau x par eux exterminés ;
Et le soleil passai t sa tê te entre les branches ,
Comme un bon aïeul blanc,pour voir ses dern i ers nés .
Voici la grot te . El le e st profonde,e ll e es t choisi e
A insi qu‘
un bras , l’
e n s e rre un grand fleuve ondu leux
E lle semb l e l ’œi l noir d ’un roc q ui s’
extas i e
Sou s la coupole claire et v aste des cieux bleus .
Et lasse la tri bu sort des forê ts e t ren tre .
Sur le seui l , accroupi , le s deux genoux tremb lants ,
L e front have et chenu retombant sur le ventr e
Grelo t tai t un v i ei llard é tique a cheveux blancs .
Père voici p our toi de la chair neuve et tendre
Mange ! diren t le s Fils déchargeant leur buti n .
Mais l e v i eil lard chenu ne semblai t pas entendre
E t restai t taci turne au milieu du fe stin .
2 80 L A V IE E T L A M ORT
E t pu i s i l di t , tr è s bas Venez venez de grâce !
Et puis i l di t Serrez-moi fort serr ez—moi bien !
Et pu i s Ouv re te s bras,Femme . q ue j e t’embrasse
Pu i s Merci ! Pu i s : J ’ai froid ! Pui s rien Jamais p lus ri
E t doucement tomba s a lour de tête blanche ;
E t s ‘
affa i s sa s on corp s sur la mousse e t les fleurs
Et doucement tomb a,d ’un arbre
,une a v alanche
De feuillages j aunis comme de large s pleurs .
Parle ! diren t le s F i l s , ta parole es t chérie !
Oh ! v oi s tous agenoux , Père ,nous t
‘
embras s on s !
Parl e lui di t la Femme oh ! parle,j e t
‘
en pri e !
Mais le vent seul parlai t au loin,dans le s buissons .
Voi s-nous diren t le s F i l s,relève Le s paup i è res !
Oh ! t…s yeux sont si doux,e t leur regard si pur !
Voi s—moi cri a la Femme,oh entends nos pri ères ! !
Mai s le ci el seul sur eux épanchai t son azur .
L A V I E E I‘ L A M ORT î8 1
Parl e,voi s
,marche , vis ! Oh ! recouvre ton âme !
Hoquetèrent le s Fils p leuran t‘
a son cheve t .
0mon Epoux ,revi s ! revi s ! clama la Femme .
Mais l e re s te du monde , hélas ! seul survivai t !
Et tous , tremblan ts , empli s de terreurs inconnue s
Restèren t cloués la , s tup ides s ou s le vent
A regarder le s boi s , e t les fleurs,e t le s nues
,
Qu i br i llai e n t, e t fleura i en t , e t chantaient , comme avant .
Ah ! non ! lan ea la Femme ,ah ! non
,cieux exécrab les
Cela ne se p eut pas,c ’es t faux
,c ’e st insensé !
Et,fun èbre
,arrachant ses cheveux misérable s ,
Ell e se dirigea v ers levie illard glacé .
E l l e le pr i t,a bras le corps
,su r ses sein s vides ;
E l le l’é tr e ign i t apre e t fau v e ,sur ses flancs ,
Fro ttan t ces chairs de marbre avec ses chairs a v ides
E t chauffant ces reins fro i ds avec ses reins brûlants ,
16.
282 L A V IE E T L A M ORT
Parle,v oi s
,marche
,vis j e le veux ! cria—b el l e .
Souviens—to i des matins voluptueux e t doux
Où nous all ions ainsi,toi pui ssant e t moi
,bel le
Sous le regard des cieux émerveillé s sur nous
Oh ! voi s : comme jadi s , le soir fume et rougeoie !
Vi ens comme tu venai s ‘ Vi ens ; nous retrouverons ,
Dans les mêmes ravins pleins de la même j oi e ,
L e s mêmes pommiers blancs qui n e i 9 e a i e n t sur nos fron ts .
O pommier o ra v ins,6 prin temps . Ô soirs roses !
Nous v oulons v ou s revoir ! i l l e faut,n ’e st—ce pas
M on Dieu,que devi endraient sans nous toutes ces choses
Es t—ce que le sol eil p ourrai t luire là—bas
N on ! Fleuri s sez gazons ! lui s lumière sereine
Xms lHomme marche seul . comme au temps ancien
Ce n ’es t point dans mes bras . al lez ! que j e l e train e ,
Oh ! non Je v ous a s sure , enfan ts i l marche b i en !
N.
)
00 L A V I E E T L A M ORT
Et , vibrante , elle di t O to i que tout implore !
O toi qu i ti ens l e monde asservi sous ton pi é
Dont un pleur est la mer,don t un rire e s t l ’aur ore
Assi stance ! assistance ! 6 M aître,prends pit ié !
Tu fais naî tre le ver,tu fai s pousser le hê tre ,
Tu fai s fleurir l ’é toile en l ’air extasié
Tu p eux bien,s i tu veux ,
faire re v ivre un être
A ssistance ! assis tance ÔMaitre rends i ti é !
Oh ! si tu ne veux pas que nos cri s t'
ass ou rdi s s e n t,
Que no tre voix te bu e au ciel terr i fie ,
Que les fil s de nos fi l s a j amais t e maudissent ,
Réveille l’Epoux froid ! A ssis tance p iti é !
Et , so lennel lement , a v ant baise la terre ,
Ayant frappé,troi s fo is , l e sol de le r ‘ s fronts lourds
Il s regagnèren t tous la grotte soli taire,
Et vinren t vo ir l’Ai eul I’
Aïeu l dormait touj ours .
L A V IE ET L A M ORT 2 8 3
E t la Femme pâ l i t alors , e t , sans un râle
T omb a,de tout s on long
,prè s de l’Epoux dorman t .
E t les Fi ls,pour dorm i f comme leur père pâle ,
S’
allongèren t aussi sur le sol , doucement .
Et ri en ne b ougea p lus . E t le sole i l superbe
L eur j e ta tendr ement d ’
é carlate s adieux .
Et puis les fleurs d ’azur s ’
i n cli n èr en t dans l ’herbe ;
Et puis le s astre s d’or j aill iren t dans les ci eux .
Puis s ’
aba i s sa la nuit . Pui s s ’élan ca l ’aurore .
Pui s rui ssel a l e j our sur le s roses s omme ts .
Pui s b ourdonna la v i e é clatante e t sonore
Et,près de l’A
'
i eul froid , ri en”
ne bougeai t j amais .
Mais,5 e le van t soudain ,
une voix di t Ecoute !
Ecoute ! répondi t,au loin
,une autre voix .
E t tous les yeux — hors deux — s’
ou v r i re n t sous la voûte ;
E t tous le s corp s hors un bougèren t a la foi s .
2 86 L A V IE -ET L A M ORT
E t tous semblaient ow r des musiques flottante s,
Et re tenaient l eur souffle en leur s p oumons Charm—
és .
Et les chansons des flots s ’en allai ent,plus chan tantes
,
Et les parfums des fleur s monta i ent,plus par fumés .
Et la F emme e t l e s Fil s écou taient , sur la mousse ;
E t des larmes bril laient dans leur œ i l adouci '
Et ce qu ’ i ls entenda ient étai t une voix douce ,
Une voix douce,e t chère
,e t qui di s ai t ceci
A llez , alle z gaîment dans la clarté qui v ibre !
Lai ssez mon corps de boue au ver froid qui le mord .
Ne p leu rez pas , amis j e sui s heureux e t l ibre ;
\' e pleurez pas , chantez j e sui s heureux e t mort .
Je vous voi s par l azur,j e vous parl e par l ’onde
,
Je vous sui s par la bri se en les cieux éclatants,
Je vous souri s d ‘ en haut par la lumière blonde,
Et j e vous a ime , amis , par le s fleurs du printemps
L E P A RA D I S
'
A Rodolphe S a ti s .
2 92 L A V IE ET L A M ORT
Moi , si j e sui s é lu ,j e n ’en fais pas mystère ,
J‘
en voudrai voir passer de s rangs dr us e t j oyeux
S ous mes augustes yeux ;
Passer , passer touj our s a la fi le,a la ronde ,
Tellement,tellement
Que tout mon horizon soi t empli de chair blonde
M’
en touran t , m’
e flleuran t , m’
exaltan t , m’
embauman t
Au fond du firmament !
F i de s concert s sacrés , de s céles tes di c tames !
Sire Di eu , j e l e di s
Vo i r défi ler là—han t des corp s de j eun e s femmes ,
In termi nablement , sous mes yeux agrandis
Voilàmon paradis !
Q i rc Dieu , j’
aime assez b oire des vins de France .
M e ttez—m ’en de cô té .
L A V IE ET LA M ORT
Combien ? Jugez vous—même . Hélas ! j ’ai l ’assurance
Qu’ il m’ en faudra beaucoup , beaucoup en véri té
Pour une é terni té !
Sire Di eu ,j e boirai s , fau te de vin ,
des choses
Oh ! des choses , là hau t
Je boirais,l e matin , votre aurore aux flots roses
Et j e boirais , l e soir, votre soleil rouge aud ,
Ainsi qu’un gregb i en chaud !
Et vo tre clair de lune ainsi qu’
u n lai t d ’
ân e s s e !…
SireD i eu , j e le di s
Boire,boire gaîment ; boire , boire sans cesse ;
Trinquer avec des saints aux ven tres rebondis
Voi là mon paradi s
Sire D i e u,j ’aime assez faire de s vers fantas ques .
Or,pour le s copier ,
93
L A V IE ET LA M ORTI
l)
A.\
V ous me trierez là—haut,sans broui l lards
,sans bourrasques
,
Que lques—uns de vos ciels a l ’éclat printanier
J ’en ferai mon pap ier .
Trempant ma plume alors dans le s nui ts vi ole t tes ,
J ’é crirai de grands vers
Ponctué s de sole il s , virgulés de comètes ,
Guillemetés ave c de s arcs—e u—ci el divers
Par la tempête offerts .
Et j ’ irai , le s chantant au fond d e s voûtes bleues !
Sire Dieu , j e l e di s
F aire d ’énormes vers , l ongs de cen t m i lle l ieu es ,Qui seraient seulemen t par la lune appla irdi s
Vo i là mon paradi s i
Sire D ieu . Quoi ? B ien des choses encore !
J ’aimerai s rire , hélas !
L’
E N F E R
A Geo rges d’
Espa r bès .
300 L A V IE E T LA M ORT
Et , quoiqu e ce vivan t fût meur tri par la vi e ,-Et quoiqu ’
i l eût parfo i s pleuré ,parfo is souffert
,
Quoiqu e l’adv ers i té , touj our s inassouvie ,
L’
eû t tenu pantelan t sous s e s 0 r ifle s de fer ,
Ce t homme alor s sourit aux fleuran te s ramu res
E t leva vers le ciel des bras approbateurs,
Comme pour embrasser de s nids e t des murmures
Applaudir de s rayons e t baiser des senteurs .
Et,comme i l é tai t là. , l e s yeux pleins de lumi ères ,
L e front p lein d’
ho san n as , l e cœur plein de sanglots,
Émerveillé de vivre e t fondan t en prière s
Pour le s ci eux ,pour le s ni ds ,pour lœ champs ,pour les flo ts,
L‘
Homme heureux e t vibran t comme un e énorme lyre
Devant tan t de beautés e t tan t d e maj esté s ,
Vi t venir,sous l e b oi s empli d ’un sourd dé l ire ,
Une femme , b eauté suprême de s beauté s !
LA V IE E T L A M ORT 301
Un e femme très j eune , e t très douce , e t très bl onde ,
Et s i belle qu e l’
Homme ébloui ne vi t plus
L e tragiqu e soleil d isparaî tre dans l ’onde ,
T el qu ’
un frui t d ’or qu’
aurai en t happ é le s flots goulus .
Ah ! dégringole , va , soleil terne et morose !
Et plonge dans la nuit ton vi eux front de carmin
Elle avai t un fron t tendre , elle ava i t un fron t ro se
Qui s emb lai t épanche r de l ’aurore en chemin !
Chevelures d’azur de s vagues murmurantes ,
Tordez—vous sans rép i t,tordez—vous sous le ci el
S a chevelure avai t de s tresse s odorante s
Qu1 semb laient exhaler du printemps e t du miel !
V ive Di eu ! V ive Dieu ! crial’
Homme . Et , très pâle ,
En voyan t l e regard don t elle l’é clai ra ,
Plus tremblant qu’un larron consterné qu’ on empale ,
I l s e mi t à genoux devant elle . et pleura
302 L A V IE ET L A M ORT
Pleura pleura longtemps ; pleura , pleura , s tupide ;
Sans rien dire,sans ri en penser . pleura sans fin !
Oh ! la vie est absurde , i llogique , insipide
Triste,on pleure; j oyeux , on pleure E t c ’est divin !
Or l e s oir s ’ empli s sai t d etoiles palpi tan tes .
Et,comme c ’é tai t l’heure où l es anges de s cieux
Consolent le s mortels prosternés sous leurs tentes .
Elle e ssuya se s pl eurs en lu i baisan t le s yeux .
L’
Aurore ! Éveill ez-vous , 6 choses s omme i llan te s !
L’
Au rore ! Évei llez—vous , 6 couples fraternel s !
L’
Au rore ! Et l es forê ts , blème s e t tre s sai llan te s,
É tiren t leurs bras noirs vers le s c i eux solennels .
304 LA V I E E T L A M ORT
L a Mort,di s—tu ? L a Mor t Que nous veux- tu L a vie !
Oh ! l’
Homme pri t l a F emme en ses bras , sans savoir ,
Et,dans la plaine en fleurs
,lumineuse e t ravie ,
S’
e n fu i t pour échapp er au grand sp ec tre tout noir .
Je ne veux pas mourir ! implore —t- i l,non
,grâce !
J ’aime,j e sui s heureux
,j e ne veux pas mourir !
Mais l e grand sp ec tre noir l e p our sui t , l e b arr asse
Et l’Homme épouvanté s e reme t à courir .
I l s ’élance , i l s’
e s s ou ffle,i l ga10pe
,il dévore
L e s boi s roux , l es monts noirs , l e spré s v er ts ,l es champs blonds ;
I l galop e,i l ga10p e , ép erdu , dans l’aurore ,
E t le spectre , touj ours , lui galop e aux talons .
I l s ’enfonce en des trous,i l gravi t de s monts chauves
Et touj our s , sur le s monts ,'
e t touj ours,dan s le s trous
,
L a Mort noire le traque en fai sant de s bonds fauves,
Dévoran t le s champs blonds , le s prés verts , l e s boi s roux !
LA V IE E T L A M ORT
Elle cour t , elle approche , elle es t la ! L ors , l ivide ,
L’
Homme pend à son cou ses tremblantes amours,
E t , l evant s e s deux bras convulsé s dans le vide
Au secours , Dieu du cie l clame—t—i l. Au secours
Que veux- tu ? lui di t Dieu de sa voix débonnaire .
Un cheval pour m ’
e n fu i r répond l’Homme en tremblan t,
L e voici ! Dieu repart dans un brui t de tonnerre ,
E t, du hau tde s cieux bleus , tombe un grand cheval blanc .
Ah ! victoire ! sauvé s ! chante l’Homme extatique .
Et,pressan t sur son cœur s on far deau bien—aimé ,
I l enfourche d ’un bond le cheval fantas tique
Et s ’élance en hurlan t dans l ’espace enflammé !
Hop ! là,hop ! Et , terrible , emporté , gigantesque ,
L e cheval fai t tinter , comme un chant de marteaux ,
La mesure a tro i s temps d’un galop ti tanesque
É clatan t tout à coup a travers le s coteaux .
306 L A V IE E T L A M ORT
Hop ! là , b ep ! Et les monts , le s p lateaux ,le s vallées
Tou rbillonnent , s‘ en vont
,de plus for t en plus for t °
L e s poumons haillonneux , le s paupi ère s b rûlées ,
L’
Homme tou rne la tè te e t touj ou rs v oi t la Mort .
Oh l a Mort ! oh ! t ouj ours la Mort noire qu i vole ,
Et le sui t , e t l e traque , et l’
attrape , e t l e prend !
Au secours , Dieu du ciel ! clame- t— i i , la voix folle .
Et la F emme l’é tre i n t dans ses bras en pleuran t .
Que veux- tu ? M’
e n v oler ! Eh b i en vole ! Et deux
Soudain poussen t au de s flamboyant du cheval,
Qui s e dresse ; é clabousse un mon t no i r d’
é ti n ce lle s,
Et s ’envole en l ’azur d ’un essor triomphal .
Il s ’él ève i l s ’él ève au—dessus de s vil lages ,
Et de s champs . e t de s prés , e t des bois qu’un vent tord ;
Il s’ élève,i l s ’él ève
,i l at tein t l es nuages
L’
Homme tourne la tè te e t touj ours voi t la Mort .
308 L A V I E ET L A M ORT
An athème Ah ! qu e tou t se di sl oque e t trépasse
Rugi t l’Homme aux abois . Puis,râlant
,hale tan t
Si q uelqu’un peut domp ter cet te Mort dans l ’espace ,
Qu’ i l se montre fai t- il . Me voic i di t Satan .
Prends-nous donc !Etn ’
impor te à quel prix , fai s—nous vivre
Vous vivrez di t Satan dont l ’œ i l flambe d ’e s poir.
Et,fai sant éclat er un henni ssement ivre ,
Tout‘
a coup , des ci eux bleus , tomb e un grand cheval no i r .
— Gloire à toi Glo ire à to i cri e alors l’Homme auDiable .
I l enfourche la bête aux crins longs et mo i rés ,
Qui s e lance à grands b onds dans l ’ab ime effroyab le
En ruan t au milieu des soleils effarés .
Oh vertige stupeurs vi sions sans pareille s
Mill iards d 'as tres clairs s ’en fuyan t , tout d’un trai t ,
Dans l e vent de la course,e t s i fflan t aux oreille s ,
Comme un vol de cailloux qu’un enfan t j et terai t
L A V IE ET LA M ORT 309
Oh vertige ! Et toujours , on s’
e ngou ffre . on s’
e ngouñre
On arrive en du vide , en du noir, en du froid ,
Où l a bê te , plongean t ses gros yeux pleins de soufre ,
S’
é chev èle , et henni t , e t se cabre d’
efi‘
ro i
En du vide,en du noir , en du froid , où ,
l ivide,
L’
Homme plus rien n’ entend . rien ne sent , ri en ne voit .
Emporté dans du froid , dans du noir , dans du v ide .
A chaque heur e plus vide , e t p lus noir , e t plus froid
Et,touj ours
,l ’on s e ngouñ
‘
re e t l'
on fui t , et l’ on p longe
— T out a coup ,dan s le v i de .u n grand bru i t ,u n grand feu .
Tout le noir se déchire,e t l
‘
on voit , comme en songe ,
Un grand globe doré surgir , calme , en l’air bleu !
Une Terre ! une Terre à la nôtre pareil le
Et le fier cheval noir , d’un grand saut de ti tan
,
Je t te abas , inondé s de lumière v ermei ll e ,
L’
Homme e t la Femme en pleurs criant :Glo ire aSatan
3 10 L A V I E ET L A M ORT
vien t . (l’ est le Ro i de la Terre nouvell e !
Ma T erre est comme cell e où vous viviez avant,
L eur di t—i l, seu l ement . l a mienne e s t é ternelle
E t quiconque y parvient pour touj our s e st vi van t !
Pour prix de tes b ienfai ts , Maj esté triomphante ,
Fi t l’Homme , que veux—tu Vivez ! di t Lucifer .
Et l‘Homm e alors blèmi t e t hurla d’
épouv an te
Car i l compri t enfin qu e la V i e e s t l'
Enf er .
L A V IE E T L A M ORT 3 13
LA M O RT D E LA TERRE
(D'
A PRÊS REVE)
C ’é tai t dans l ’avenir , trè s tard très loin , sans doute .
O r j ’ouis une voix qui traversa la voûte
Du ciel rouge e t glaça le vieux globe é tonné
Sus à l’Homme ! sus , sus ! Arbre s , l’heure a sonné !
E t soudain— comme un lourd révei l de preux an tique sDérouillant dans l ’azur leurs membres fantastiques
18
3 14 L A V IE E T LA M O RT
E t détachan t du s ol leur s gros or teil s mouvants ,
Tous le s arbres des boi s s ’év e i llère n t , vivants .
Puis , qui t tant l es forê ts aux en trail l es ouver te s ,
Par grands troupeaux feui llu s , par grande s hordes vertes ,
Efirayan ts , effrénés , brutaux ,calami teux
,
Ils allèrent , traquan t l es hommes devant
Au secour s
Vains app els
Grâce !
Vaines suppliques .
E t tout a coup les bras , le s grands bras faméliques ,
L e s grands bras tor tueux‘
des chênes colossaux
S’
abâtte n t e t l e s an gjailli t ; e t , par monceaux ,
Pargran dsmon ce auxrâlan ts ,pargran dsmon ceauxhorribles
Tombent de s corp s humains troué s comme des cri bles .
3 16 L A V IE E T L A M ORT
Oh l’
Homme fu i t , fui t , fui t , sur le s plaines
Soudain . comme un cordon de géan tes v igie s,
Apparaî t un long rang demonts graves e t bleus .
Monts qui touchez le ci el de vos pics fabuleux ,
S’
écr i ère n t alors le s p euplades tremblantes ,
Sauvez—nous,sauvez- nous de la fureur des plantes
Mais les monts dirent tous . comme un chœur forcené
" N
nu s , à l'
Homme su s , su s O monts , l’heure a s onné !
I I
E t , s ombres emplis s ant l ’air muet de paniq ues ,
L e s fiers monts,l es hauts monts
, le sgran dsmonts ti tan i qu es
Révei l qu i s tupéfie e t donne le fri ssonS ’
ébran lère n t a v ec fracas à l ’horizon .
L A V IE E T LA M ORT 3 17
Ayez pi tié de nous , Dieux bons , Dieux secourab les
Mai s les monts sourds,armés d ’aiguilles innombrable s
,
Tumultueusement , par bonds prodigieux ,
Se ruèrent,pointant leurs pics comme de s pieux .
Hop E t leurs longs sap ins ouvrirent des en trai l l e s .
Hop hop E t leurs rocs noirs,bran lebas de p ierraill es
,
S’
é croulère n t , couvran t des royaumes entiers .
Hop ! b ep ! hop Pu i s sen tant , eux , le s grands monts al ti er
Au répugnant contact des p euples délétères ,
Monter de s blocs de soufre en leurs larges cratères ,
Ils firen t trèv e , e t tous désarmés , tous décu s ,
Dédaignant frapper l’Homme,i l s crachèrent dessus .
Oh ! l’
Homme fui t , fui t , fuit , loin de s laves
Soudain,fai san t chan ter ses vagues indolen tes ,
Apparut la mer bleue , au loin , l’immense mer .
O mer,miroir de Dieu ,
to i dont l e gouffre amer
18 .
3 18 L A VIE ET LA M ORT
Balan ce allègrement nos nefs vastes e t sûres,
En ce j our où les boi s on t pour nous des morsures
Où le s p ics nous envoient le feu de leurs poumons,
Garde—nous du courroux des plante s e t desmonts !
E t tous le s survivants vers la mer s ’ élan cère n t .
Mais,sur l ’océan plat, des vagues s e dr essèrent ,
E t leur grande vo ix di t,dans le cie l consterné
à l’Homme ! sus ! su s ! O flo ts,l ’heure a sonné !
Et , hideuse . emplissant le s grève s d é pouvantes
La mer bleue ébranla se s colonnes mouvantes .
Grâce, flo ts Oh ! p i ti é ! Qu
’
allon s—nous devenir
320 L A V IE E T L A M ORT
Où voguen t n os ballons . ains i que des gal ère s !
Oh ! par pi ti é , cieux bleus , en ce j our de col ère s ,
Des plantes,e t de s monts . et de s flot s , sauvez—nous !
E t les homme s ’é tant pro s te rn é sa gen oux .
Montèren t en ball on pour part i r vers la nue .
Mais l e ciel se voila d‘
une nui t inconnue
E t la t empête alors cria , souffle effréné
Su s à l‘Homme s u s ! O cieux . l‘heure a sonné !
Et nu age s noirs mons trueux capi taine s ,
Dégainèrent l ’ éclair de leurs lames hau taine .
Glaive s . glaives de feu ,gràce ! épargnez nos fronts !
L A V IE E T L A M ORT C.O
Mais la tempê te morne embouche s e s clairons
Hol ‘a,tous les engins cruel s e t sanguinaire s !
Hola,trombes ! hol
‘
a,grêlons ! holà
,t onnerre s !
Hola , tou t l’arsenal guerrier du firmament ,
Partez,tombez
,tonnez
,mitrai llez hardiment !
Hop! flamboye z , éclairs ! h0p hop ! brillez , rapi ères
Hop ! b ep ! hop bombardez , céleste s canonnières !
Pans fuman ts de la nui t,croulez su r le s humains !
E t chaque homme , j oignan t ses mi sérabl es mains ,
Pleura
T erre bénie,ô Terre que j
‘
embras s e .
O mère de ma mère , 6mère de ma race ,
Sauve- nous,sauve—nous , en ce j our odieux ,
Des plante s e t de s monts . des vagues et de s cieux
Il s creusèrent des puit s e t fuirent dans la T erre .
L A V IE ET L A M ORT
Mai s alors , oh ! alors , une voix de mystère .
Une voix qu i glacai t , une vo ix qui râlai t ,
Une voix formidabl e e t vaste,qui s emb lai t
,
Dans les ci eux solenn el s empuanti s de soufre ,
L’
an athème e tfi av an t d ’un vi eux glob e qu i souffre
Clama
T erm i n e humaine , opprobre de ma peau ,
Pui s que mes bois fondan t sur toi comme un troupeau ,
Puisque mesmonts auxpi cs tranchants comme de s lame s
Pui squ e toutes mes eaux ,pui sque toutes mes flammes
Vainement ont voulu de toi me dé li vrer ,
As tres,feux immortel s qui vene z m ’éclairer .
Voy ez tous , voy ez tous
T ABLE DES M AT IERES
L a L ÉGEND E D E LA T ERRE .
B ARBARIE .
LEC HEF— D’
OEUVRE DE D IEU .
REvE.
L ES L ARME S D U PIN .
INF IN I .
B OHÉM IENNE .
L A VENGEANC E D E L 'HOMME .
JEUX D’
EN FAN T .Q
.
L A R O SE .
L O I DE NATURE .
L e s M O RCEAUX D U PARAD I S .
EN ’PAS SANT.
LE REF UGE DU D IABLE…
TABLE DES M AT I ! RES
S EN SATION D ’ETE.
COMMENT .
VERTIGE
SYLPHIDE .
L'
IM )IORTAL ITE DU COEUR
L E NUAGE .
CHAN S ON D E PRINTEM PS .
L’AMOUR DES YEUX .
D IVAGA'
I‘
ION S .
POURQUO I L ’
ON AIM E.
B ATAILLE D ’A RBRE S
C O IN .
L E C OEUR DU PO ! TE.
L E B ONHEUR .
L A JO IE DE S OUFF RIR
L’
OEUVRE.
L A N EGRIL L ON NE.
C ONF ESSION .
ASPIR AT ION .
LAREv UE DE LA VIE.
L A M O RT D E L ‘HOMME .
L E PAR AD I S .
L’
ENFER .
L A M ORT DE LA TERRE .
Par i s . Imp. F . D ij on , 34 , Pele tie r