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Le V-2 arme stratégique par Gérard Hartmann

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Le V-2arme stratégique

par Gérard Hartmann

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La société Verein fürRaumschiffahrt

Dès qu’on sort de notre atmosphère,l’espace est totalement noir (sans lumière),irrespirable (sans air), désorienté (pesanteurplus faible), irradié (traversé de particulescosmiques), glacé (-70°C) et dangereux(bombardé de météorites). Mais pourtant,l’homme rêve d’y voyager. Adeptes desvoyages spatiaux, probablement à la suite dela lecture du livre de Jules Verne « De le terre àla Lune », plusieurs jeunes Allemands seréunissent dans un club à la tête duquel setrouve un professeur de gymnastique de 33ans, Hermann Oberth (1894-1989). Fondé le 5juillet 1927 à Standort von Breslau près deBerlin, ce club est une « société pour lesvoyages dans l’espace», en Allemand Vereinfür Raumschiffart (VfR). C’est un club depassionnés, comme il en existe plusieurs enEurope, en Angleterre, en Italie et enAllemagne, qui propose ni plus ni moins devoyager dans l’espace, en particulier enréalisant des fusées.

Hermann Oberth photographié en 1927 au moment où il fonde laVfR. Il a 33 ans.

Même si c’est sa fonction officielle,Hermann Julius Oberth n’est pas seulementprofesseur de gymnastique. Né le 25 juin 1894à Hermannstadt dans un coin reculé deTransylvanie (alors en Hongrie, aujourd’hui enRoumanie), disciple de Hermann Ganswindt(1859-1934), Oberth a acquis de solides notionsde physique, mathématiques et astronomie àKlausenburg (aujourd’hui en Roumanie). Filsd’un médecin allemand, de langue et deculture germanique, Oberth enseigne aussi lesmathématiques. Sa famille lui permet d’allerétudier en Allemagne, la mécanique à Münich,l’aérodynamique à Göttingen et la physique àHeidelberg.

A 23 ans, en pleine première guerremondiale, Oberth avait proposé au ministèrede la guerre allemand d’entreprendre l’étude

d’un obus propulsé capable de bombarderl’ennemi à plus de 200 kilomètres (tirbalistique hors atmosphère). Mais les travauxde recherche aux résultats douteux et lointainsn’intéressaient pas les militaires qui voulaientdes solutions immédiates pour se sortir de laguerre. Cinq années plus tard, en 1922, Oberthpropose de nouveau au ministère de la guerreallemand l’étude d’un missile debombardement à longue portée. Certainsmilitaires, en particulier dans l’artillerie,comprennent le principe de la fusée quisemble établi depuis 1920 par plusieursthéoriciens, René Lorin et Robert Esnault-Pelterie (voir plus loin) en France, RobertHutchings Goddard (1882-1945) aux Etats-Unis,Constantin Tsiolkovski (1857-1935) en Russie.Mais il n’existe encore aucune réalisationpratique d’un obus autopropulsé, d’un moteurfusée à réaction et encore moins d’un missile.C’est pourquoi Oberth est proprementéconduit par l’armée.

En Russie, Constantin Tsiolkovski n’estautorisé à développer une fusée à propergolssolide (appelé obus autopropulsé) par l’arméequ’en 1924. L’Américain Robert Goddard n’apas encore achevé ses recherches sur le mêmesujet, une fusée à propulsion chimique, destravaux de recherche qui n’aboutiront que plustard, en 1932. C’est pourtant lui qui est créditépar la communauté scientifique du premier tirréussi vertical d’une fusée à poudre, le 16 mars1926, à Auburn dans le Massachusetts. Lesjournaux scientifiques de 1927-1928 relatentl’événement, connu des militaires, mais de lapetite fusée de Goddard (3 kg) à un missilebalistique à longue portée (30 tonnes), il y a ungouffre.

Le bulletin édité par Oberth et ses acolytes en 1923 porte un titreprovocateur : la fusée. Ses prévisions s’avèreront justes 34 ansplus tard : il faudra 90 minutes à un satellite pour effectuer le tourde la Terre.

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Dès l’été 1927, la société savante VfRregroupe une douzaine de passionnés demécanique, de physique, d’astronomie quipassent probablement à cause de leur activitéfuturiste d’engin ou de voyage dans l’espacepour un peu « illuminés ». Oberth, ses deuxpremiers sociétaires Johannes Winkler, 30 ans,un tenant des Raketen (fusées) qui habiteBreslau où se tiennent les réunions dansl’arrière salle d’un café, le Goldenen Zepter, au22 Schmiedebrücke, le jeune ingénieur enmécanique Klaus Riedel, 24 ans, le chimisteRudolph Nebel, 20 ans, le sportif Max Valier, 34ans, qui veut être le premier à expérimenterles hautes vitesses, le plus sérieux Docteur enchimie Alexander Ritter, 42 ans, qui travaille auChemisch-Technischen Reichsanstalt (institutdes normes allemand), l’auteur de théâtre etde science-fiction Willy Ley, son frère et unjeune lycéen « de bonne famille » de 15 ansnommé Wernher von Braun.

L’Opel à moteurs fusée à poudre Sander sur la piste de l’Avus àBerlin en 1928. Elle devait atteindre 150 km/h.

Ce dernier a acheté le livre d’Oberth en1925, mais il n’a pu déchiffrer les formulesmathématiques et chimiques compliquées dontil abonde. Bricolant les automobiles dans ungarage alors qu’il poursuit ses étudessecondaires, il est entré à la VfR parl’intermédiaire de Willy Ley qui l’a présenté àOberth. Le petit groupe travaille dans unatelier construit sous les tribunes du stade deBreslau. Les premières réalisations du docteurOberth de 1927 à 1930 sont des fusées àpoudre. A cette époque, plusieurs industrielsallemands en produisent. Spectaculaires, ellesservent à propulser des véhicules terrestres.

L’Opel-Sander RAK 2 à moteurs fusée pilotée par Max Valier etFritz von Opel sur l’Avus en 1929.

En février 1928, Fritz von Opel, le fils del’industriel bien connu, fait monter douzemoteurs à poudre produits par l’industrielFriedrich Wilhelm Sander sur la voitureSander-Opel. Lors des essais, sur la piste de

l’Avus près de Berlin, l’engin explose et sonconducteur est tué. Mais en mai suivant, Fritzvon Opel pilotant lui-même l’ « Opel-SanderRak 2 » mise au point par Max Valier atteint enquelques secondes une vitesse prodigieuse,estimée au minimum à 170 km/h. Sur unvéhicule monté sur rails baptisé Opel S-28propulsé par une batterie de moteurs fuséeSander montée à l’arrière, Fritz von Opeldépasse 230 km/h l’année suivante.

Le 30 septembre 1929, à Rebstock, près deFrancfort, Fritz von Opel utilise cette fois unebatterie de seize réacteurs Sander à poudremontés à l’arrière d’un planeur. Chaque fuséedéveloppe une poussée de 23 kgp, soir 368kgp au total. L’engin vole pendant 75secondes, sur mille cinq cents mètres,atteignant 150 km/h. Malheureusement, en1930, la VdF perd dans ce genre dedémonstration stupide l’un de ses membres lesplus fervents en matière de moteurs fusée :Max Valier se tue sur une auto propulsée parun moteur fusée.

En 1928, les agents commerciaux de lasociété UFA productrice du film de Fritz Lang« Une femme dans la Lune », veulent faire uncoup publicitaire. Ils contactent Rudolph Nebelet lui proposent l’idée suivante, qui devraitfrapper les esprits : procéder au lancementd’une fusée le jour de la sortie du film, prévuepour 1930. La firme paie les travaux dedéveloppement de l’engin.

Le planeur type canard équipé d’un moteur fusée Sander, piloté parFritz von Opel à Rhön, le 30 septembre 1928.

Par un curieux hasard du sort, en 1929 lespremiers travaux de la VfR sur les moteursfusée sont donc financés par une firmecinématographique. Par la suite, chaque foisque les travaux sur les fusées seront arrêtéspour une raison ou pour une autre, c’est par unfilm que le financement des travaux derecherche seront assurés. Chacun desmembres de l’équipe Oberth, et en particulierle jeune Wernher von Braun, s’en souviendralongtemps. Oberth devient conseillerscientifique du film.

Le 15 octobre 1929, lors de la première, laVfR qui a réalisé audacieusement une fusée àpropergols liquides, procède à sa mise à feu.Malheureusement, la fusée n’arrive pas àquitter le sol. C’est la désolation dans le

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groupe Oberth et pour les producteurs de laUFA, qui coupent les crédits.

Oberth publie en 1929 à Münich un secondouvrage : « Wedge zur Raumschiffahrt » (Laroute des voyages spatiaux) où il expliquecomment il est possible de satelliser unéquipement spatial, et même d’aller sur laLune. Plus tard, ses théories sur le vol enapesanteur s’avèreront justes, mais le groupeOberth de la VfR en 1930 passe encore pourdes rêveurs, car il manque des réalisations. Lafusée à propergols liquides qui doit permettrede quitter l’attraction terrestre dont ils rêventn’en est encore qu’à ses débuts sur le plantechnique.

Ritter obtient cependant l’autorisation parle bureau des normes de tester la fuséeconstruite pour le film de Fritz Lang. En juillet1930, le « Kegelduese » d’Oberth consommantsix kilogrammes d’oxygène liquide et unkilogramme d’essence fonctionne au bancd’essai pendant 90 secondes de façonsatisfaisante, développant une pousséecontinue de sept kilogramme. Pour la premièrefois, ce propulseur est homologué par lebureau des normes comme un véritablemoteur : c’est une première victoire pour lesmembres du groupe Oberth.

Toutefois, en septembre 1930, après lefiasco du film, Oberth doit rentrer en Hongriepour reprendre son poste de professeur degymnastique. C’est Rudolf Nebel qui prend ladirection de la VfR.

Le RaketenflugplatzBerlin (1931-1936)

En 1929, la Reichswehr (armée de Terreallemande) crée un « bureau des enginsbalistiques spéciaux » rattaché à la direction del’armement. Les fusées, comme les planeurs,échappent au traité de Versailles qui interdit àl’Allemagne toute recherche sur les canons àlongue portée. Le colonel Karl Becker,directeur du bureau des engins balistiquesspéciaux de la Reichswehr, confie en 1930 aucapitaine Walter Dornberger (1895-1980)l’étude et le développement d’une fuséemilitaire à portée supérieure aux canons.Dornberger contacte la VfR et lui propose delui donner les moyens de ses ambitions. Nebelet Riedel acceptent aussitôt. Le groupe VfRs’installe le 27 septembre 1930 àReinickendorf, au sud de Berlin, sur un terrainmilitaire de cent cinquante hectares qu’ilsbaptisent Raketenflugplatz Berlin (le terrain devol des fusées de Berlin).

L’armée offre 1 360 marks pour développerune fusée capable de dépasser 200 kilomètresde portée. Le groupe emmené par Nebel etRiedel se met aussitôt au travail. Leur premièretâche est de mettre au point un moteur àpropergols liquide unitaire (on peut le monter

en « grappe ») fiable et capable de constituerle moteur de base d’une fusée ou un véhiculeterrestre. Ce projet de « moteur fuséeminimal » va occuper Nebel et Riedel pendantun an. Pendant ce temps, le jeune Wernher vonBraun passe son baccalauréat. Quand, il rejointl’équipe de Nebel et Riedel en 1931, c’est pourapporter au moteur fusée des perfection-nements le rendant sûr et utilisable en toutescirconstance. Le système d’allumage estremplacé par un dispositif électrique et despompes efficaces alimentent la chambre decombustion. Le groupe de Reinickendorf estbientôt soutenu au sein des sociétés savantesallemandes par plusieurs ingénieurs oupersonnalités de valeur, comme par exempleArthur Rudolph (1906-1996), Heinrich Grünowou l’auteur Willy Ley.

Moteur-fusée « moteur minimal » de la fusée Mirak I (1930).

Un premier tir pour l’armée a lieu auRaketenflugplatz Berlin en septembre 1931. Lafusée Mirak I ressemble à une fusée d’artifice,avec une longue queue en bois faisant office destabilisateur. Le tir est un échec : à peine lancé,l’engin retombe. L’équipe doit analyser sescauses. Wernher von Braun poursuit ses étudesà l’institut de technologie de Berlin, mais ilpasse chaque soir avec Nebel et Riedel sur lepas de tir des fusées. Il fait preuved’étonnantes aptitudes à maîtriser unefoultitude de chiffres plus ou moinscontradictoires et à en dégager un axe detravail pour les jours suivants permettant trèssouvent d’aboutir à une solution. Sa méthodede résolution des problèmes, pour empiriquequ’elle soit est d’une grande efficacité, alorsqu’il n’est encore qu’un jeune homme. Rien dele rebute ; il s’attelle à tous les problèmes.

Pour le lancement de leur seconde fuséeMirak 2 en mai 1932, la Raketenflugplatz Berlinreçoit la visite (officieuse) de Karl Becker etWalter Dornberger accompagnés d’officiersd’artillerie. Malgré le peu de résultats obtenus,les deux hommes sont impressionnés par lesérieux du travail réalisé par l’équipe dont lesmoyens financiers sont limités : des bancsd’essais moteurs ont été construits, unlaboratoire de recherche sur les propergols,un atelier de mécanique où différents alliagesmétalliques sont expérimentés.

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Le groupe Oberth à la VfR à Kummersdorf en 1932. De gauche à droite : l’ingénieur Rudolf Nebel, le Docteur Alexander Ritter, le jeune HansBermüller, Oberth à droite de la fusée « Mirak II», deux personnes non identifiables derrière lui, le chimiste Klaus Riedel avec en mains unefusée « Mirak I », Wernher von Braun et le gardien du stade.

Décors du film de Fritz Lang « Une femme sur la Lune » (1929).

Décors du film de Fritz Lang « Une femme sur la Lune » (1929).

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Ils disposent d’un atelier d’électricité et d’unatelier développant des servocommandes.

Au début du mois de juillet 1932, une fuséeMirak 2 est tirée avec succès devant lesreprésentants de l’artillerie. La fusée s’élève à60 mètres avant de retomber, le parachute derécupération ne s’étant pas déployé. Dix joursplus tard, une autre Mirak 2 atteint 400 mètresde hauteur. A la mi-juillet, une autre fuséeatteint 1 100 mètres. Des capteurs optiques(télémètres) sont installés pour mesureraltitude et vitesse.

En octobre 1932, Wernher von Braunobtient son diplôme d’ingénieur de l‘institut detechnologie de Berlin. Il a 20 ans et vaconsacrer désormais ses journées de travail audéveloppement des fusées, travaillant le soir àses études d’ingénieur. Bien entendu, sa thèsede doctorat en physique porte sur l’étude desmoteurs fusée. Il pense en effet qu’on peut faireencore beaucoup mieux en matière depoussée, de durée de fonctionnement dumoteur, de poids à vide. En réalité, dès cemoment, la participation de von Braun auprogramme allemand des fusées va êtredécisive.

Le groupe deKummersdorf

En novembre 1932, von Braun devientemployé civil de l’armée allemande. Le groupeVfR désormais devient un groupe de recherchepour l’artillerie. Il prend le nom de groupe deKummersdorf où l’armée met à leur dispositionterrains, matériels et moyens financiers,toujours sous la direction du capitaine WalterDornberger. Ce dernier, qui a fait des étudesde physique et de mécanique entre 1925 et1930 à l’Ecole des hautes études techniques deBerlin, poursuit lui aussi ses études d’ingénieurdans cette école. Il obtiendra ce diplôme en1935 et sera élevé au rang de général l’annéesuivante.

Rudolf Nebel (à gauche) et Wernher von Braun portant les fuséesMirak II à Kummersdorf en 1933.

Le 21 décembre 1932, Wernher von Braun,Riedel, Grünow et Dornberger assistent auxessais au banc d’une nouvelle génération demoteur fusée à moteur à propergols liquides(oxygène liquide et alcool) développant 330

kgp qu’ils ont imaginé pendant l’été. Les essaisse terminent par une formidable explosion. Legroupe ne tarde pas à en trouver la cause : lacombustion, par la chaleur, a gagné lespompes ; la chambre de combustion doit êtrerefroidie.

Un moteur à pompes et chambre decombustion refroidies est mis au point début1933, développant 140 kgp pendant uneminute. Von Braun pense que plusieurs étagesde fusées empilées les unes au-dessus desautres et déclenchées successivementpermettrait immédiatement d’atteindrel’objectif des 200 kilomètres fixé par l’armée.Mais la synchronisation des mises à feu lesarrête. Le 12 janvier, les essais sont repris surle moteur de 330 kgp, lequel contient unechambre de combustion désormais refroidiepar le passage des propergols. C’est un nouveléchec : la chambre de combustion explose.

Le capitaine Walter Dornberger, nommé général quand il deviendraresponsable du programme militaire des fusées à Peenemünde.

Le 30 janvier, Hitler arrive au pouvoir. Il estprobable qu’il est mis au courant des travauxdu groupe Dornberger pendant l'été 1933.L’armée interdit aussitôt les clubs de fusées etleur construction par les civils. C’est à cemoment qu’une fusée propulsée par plusieursmoteurs de 330 kgp est en construction,l’ « Aggregat-1 » ou A-1.

La fusée A-1 ressemble à un gros obusd’artillerie. C’est une Mirak 2 en plus grand.Elle fait 34 centimètres de diamètre, comportequatre ailerons stabilisateurs pour 1,20 mètrede haut et renferme un moteur de 330 kgp.Testés au banc, en septembre et octobre 1933,ces moteurs fonctionnent parfaitement. Maisquand la fusée est mise à feu à la fin de l’année,elle explose sur son pas de tir. Les pompesdébitent sans retenue et les chambres decombustion connaissent une combustion tropviolente.

Au lieu de poursuivre la mise au point de lafusée A-1, Dornberger et von Braun décidentde construire une nouvelle fusée, baptisée« Aggregat-2 » ou A-2, de dimensionséquivalentes à la A-1, mais avec un nouveaumoteur développant 1 000 kgp. Pour lapremière fois, la A-2 contient un gyroscopeentre les deux réservoirs de propergols qui nesont plus concentriques mais séparés. Pendant

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la mise au point de la fusée A-2, von Braun doitpoursuivre ses études à Berlin, commeDornberger. Le 27 juillet 1934, von Braunsoutient avec succès à l’université FriedrichWilhelm sa thèse de doctorat sur le sujet :« Contributions constructives, théoriques etexpérimentales au problème des réacteurs àcombustibles liquides ». Cette thèse estimmédiatement classée secret d’Etat.

Le moteur de la fusée Aggregat 2 (1934).

Deux A-2 sont construites à Kummersdorf,baptisées Max et Moritz, du nom de deuxpersonnages de bandes dessinées alors à lamode. Les fusées sont tirées par l’arméedepuis l’île de Borkum en mer du nord. Lesdeux fusées sont lancées avec succès,atteignant la vitesse de 900 km/h et l’altitudede 2 200 mètres. Désormais, un tir balistiquede 200 kilomètres semble possible. Von Brauna réalisé le programme promis à Dornbergerquatre années auparavant.

A la fin de l’année 1934, le groupe deKummerdorf augment ses effectifs et comprendquatre-vingt ingénieurs ; Wernher von Braunest devenu leur véritable leader.

En 1935, simultanément et sans aucuneconcertation, l’Américain Goddard et le RusseTsiolkovski aboutissent sans beaucoup demoyens à des résultats comparables à ceux desAllemands. La fusée type A tirée par Goddardle 31 mai à Roswell dans le Nouveau Mexiqueatteint 2 500 mètres d’altitude. En juillet,Tsiolkovski réalise les mêmes performances.En octobre, une fusée lancée par Goddardprovoque un bang sonore incroyable : elle apassé le mur du son.

Le 9 mars 1935, le maréchal HermannGoering révèle au Daily Mail l’existence de laLuftwaffe, qui bafoue ouvertement le traité deVersailles. Mais aucun pays ne réagitouvertement à cette annonce. La Luftwaffe

s’intéresse désormais aux travaux du groupede Kummersdorf. En août 1935, le groupe deDornberger reçoit de l’Etat - plus précisémentde la Luftwaffe - cinq millions de marks, plussix millions de marks de l’armée, soit 11millions de marks au total, une somme énorme,pour développer un moteur fusée capable d’untir balistique avec une charge utile de 20 kgentre deux points distants de 200 kilomètres.

Walter Dornberger et Willy Ley ont publié après la guerre aux Etats-Unis leurs travaux sur les fusées réalisés à Kummersdord et

Peenemünde de 1932 à 1945.

Le groupe de Kummersdorf dessine alors laA-3, un engin expérimental, de 80 cm dediamètre et de sept mètres de haut qui doitdéboucher après essais et mise au point surune fusée opérationnelle, la A-4, qui doitmonter à 90 kilomètres à la verticale, chargéede vingt tonnes de propergols et d’une tonnede charge militaire.

Ces dernières fusées et leurs réserves enoxygène liquide et kérosène d’aviation sont siimposantes qu’elles présentent le risque en casd’explosion de détruire leur site de lancement.De la même façon, le stockage des propergolsnécessaire à leur exploitation constitue à luiseul un risque d’explosion important. Si prèsde la capitale, Kummersdorf ne semble pas lemeilleur endroit pour ces essais. C’estpourquoi en décembre 1935 Wernher vonBraun se rend sur la côte de Poméranie à larecherche d’un site favorable. Il le trouve àPeenemünde, dans l’île d‘Usedom sur la merBaltique : un endroit où autrefois venait chasserson grand-père.

Les événements militaires, au cours decette fin d’année 1935, prennent une tournuresingulière. Le 4 octobre, les armées italiennesde Mussolini attaquent l’Ethiopie, laissantl’Europe sans réaction. La Grande-Bretagne etla France démarrent d’imposants programmesde réarmement. Le 10 octobre 1935, sur lapiste d’essais de Travemünde, la Luftwaffechoisit son futur chasseur : le Messerschmitt109 surclasse tous ses adversaires, y comprisle Heinkel 112. Soutenu par Goering, l’avion deWilly Messerschmitt est commandé en série.

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Heinkel He-176.(Cliché Heinkel).

Au début du mois de février 1936,l’ingénieur allemand Ernst Heinkel est invité àKummersdorf par Von Braun à venir tester unmoteur à propergols liquide dérivé du A-2 surle chasseur à réaction Heinkel 112, concurrentmalheureux du Messerschmitt 109. Le pilotechoisi pour réaliser cette expérience est ErichWarsitz, le pilote d’essais de la firme Heinkel.Von Braun et Warsitz veulent montrer à Heinkelque le dispositif de mise à feu à distance estmaintenant au point. Une commande destinée àdéclencher les pompes est installée sur letableau du bord de l’appareil. Von Braun etWarsitz se tiennent des deux côtés du poste depilotage ouvert, sur les moignons des ailes quiont été retirées, tandis que Heinkel et deuxingénieurs se protègent derrière un mur enbéton. L’avion est boulonné sur une plaque deblindage bien ancrée au sol. La mise à feu seproduit et le moteur rugit, libérant un panacheincandescent, propulsant le fuselage et sestôles à plus de 40 mètres. Von Braun et Warsitzsont indemnes, et Heinkel très impressionné.Trois ans plus tard, le premier avion-fusée serale Heinkel 176, et l’usine Heinkel accueilleraPabst von Ohain l’ingénieur en charge dudéveloppement du premier turbo-réacteur aumonde.

Début mars 1936, 30.000 soldats allemandspénètrent en Rhénanie, en violation de tous lestraités. Aucun pays ne réagit officiellement. Lesfoules d’Europe se passionnent ensuite pourles Jeux Olympiques d’été disputés à Berlin.Pour la première fois dans l’histoire, ces Jeuxsont filmés. Le même réalisateur, LéniRieffenstahl, une femme, filme chaque tir defusée à Peenemünde, mais ces derniers filmssont gardés secrets.

PeenemündeL’armée de terre et l’aviation allemande,

les deux commanditaires de l’équipe de lapetite centaine d’ingénieurs et techniciens deKummersdorf, acceptent début avril 1936d’établir et de développer un centre de tirinter-armes à Peenemünde. La moitié du site àl’ouest est réservée à la Luftwaffe, l’autremoitié à l’est à la Wehrmacht. La constructiondu site débute en août 1936.

Pendant ce temps, Dornberger, de plus enplus impliqué dans le programme des fusées,fait accepter par les états-majors des deuxarmes les spécifications techniques de la fuséeopérationnelle A-4 : une tonne de charge utile,260 km de portée en distance horizontale, unsystème de guidage radio, un moteur de 25tonnes de poussée fonctionnant pendant 60secondes, un poids de 13 tonnes au décollageet une vitesse de vol si importante (plus de1 000 km/h) qu’aucun avion ne peutl’intercepter. Les caractéristiques finales de lanouvelle arme sont figées fin 1937.

Plans de la base de Peenemünde établis par la R.A.F. en 1942. Lenord est attribué à la Luftwaffe, le sud à l’armée de Terre.

Le gros de l’équipe de Kummersdorfs’installe dans les nouveaux locaux dePeenemünde en avril 1937. Le 15 mai, Wernhervon Braun est nommé officiellement directeurtechnique du centre, commandé par lelieutenant-colonel Leo Zanssen. Tous les civils,en particulier les anciens de la VfR, travaillentmaintenant pour le IIIe Reich.

Le 6 mai, le dirigeable LZ-129 Hindenburgexplose à son arrivée à Lakehurst aux Etats-Unis, faisant 36 morts. Les dirigeables sontalors interdits dans tous les pays. Il est curieuxde penser qu’à cette époque, alors qu’unetechnologie disparaît, celle des ballonsdirigeables, plusieurs autres apparaissent. Le12 avril, dans le laboratoire aérodynamique deCambridge, en Angleterre, une autre inventionfait ses premiers pas : l’ingénieur britannique

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Frank Whittle effectue avec succès lespremiers tests d’un turboréacteur centrifuge.

L’équipe Dornberger - von Braun repassetous les organes de la nouvelle fusée A-3 enrevue : systèmes de mise à feu à distance,chambres de combustion délivrant 1 500 kgp,systèmes de repérage et de guidage pourfinalement découvrir que le système deguidage par radio, fourni par la marine,fonctionne anormalement. Une nouvelle équipeest créée pour résoudre ce nouveau problème.

Une fusée A-3 sur son pas de tir à Peenemünde en 1937.

Type Lancementvertical

Poids audécollage

Altitudeatteinte

Poussée

A-1 Non 150 kg 0 m 300 kgA-2 Oui 500 kg 2,2 km 2.000 kg

A-3 Non 750 kg 400 m 1.500 kgA-4 Oui 13.500 kg 90 km 25.000 kg

A-5 Oui 900 kg 8,8 km 1.500 kg

Caractéristiques techniques des fusées lancées à Peenemünde en1937-1938.

Le nombre des techniciens à Peenemündedépasse maintenant 200 personnes et lacoordination des différents chantierscommence à poser des problèmes. C’estpourquoi, au début de l’année 1938, il estdécidé de réaliser une nouvelle fuséeexpérimentale destinée à tester l’ensembledes différents systèmes et l’équipe deslancements : la fusée A-5.

Le premier tir de la fusée A-5 a lieu àPeenemünde pendant l’été 1938. Dépourvuede système de guidage, la fusée s’élève à laverticale, accélère, passe le mur du son etatteint finalement 8 000 mètres d’altitude.

Entre temps, les événements politiquesdans le monde, du fait de l'Allemagne et del’Italie, prennent une tournure qui sent aussi lapoudre. Le 12 mars, l’Autriche est annexée.Aucune réaction en Europe.

Alors que l’Allemagne vient d’annuler sonprogramme de bombardiers quadrimoteurs, le10 août, un quadrimoteur Focke-Wülf Fw-200Condor effectue un vol direct de Berlin à New-York, soit 6 355 kilomètres, en moins de vingtheures de vol, avec retour dans les mêmesconditions. C’est la première fois qu’un telexploit est réalisé. Il laisse les états-majorsfrançais, anglais et américains perplexes. Le 30septembre les gouvernements anglais, françaiset allemands signent les accords de Munich. Unmois plus tard, en novembre 1938, le groupeIV Division 11 de l’armée allemande placé sousla direction de Dornberger reçoit l’ordre deproduire industriellement la fusée A-4 dès queson développement, prévu pour l’été 1939,sera achevé.

Lancement de la première fusée A-4 à Peenemünde.

A Peenemünde où travaillent désormaisprès d’un millier de personnes, civiles etmilitaires, les développements sur la fusée A-4avancent moins vite que la construction de labase. Le dernier succès de l’équipeDornberger - von Braun remonte à quatre ans,au lancement de la A-2 en décembre 1934.Vingt-cinq fusées A-5 munies d’un gyroscopeactionnant automatiquement sur les gouvernesde direction sont en cours de réalisation au

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début de l’année 1939. Simultanément, unechambre de combustion de 25 tonnes depoussée, destinée à la fusée A-4 définitive esten cours d’étude. Le système de mise à feuétant à peu près au point, sont développés à lafois les systèmes de guidage des fusées (parradio), le suivi optique par télémétrie et leséquipements opto-électriques de bord.

Moteur de la fusée A-4. Les arrivées d’alcool se font par le bas dela tuyère, le moteur étant refroidi par l’alcool.

Le 23 mars 1939, von Braun est convoquépar Hitler au site de tir d’artillerie deKummersdorf. Le führer assiste à desdémonstrations au sol et à un tir de A-5 réussi.Une réunion secrète a lieu entre Dornberger,von braun et Hitler. Personne ne sait ce qui sedit, mais Dornberger en ressort avec un blancseing pour le développement des fusées.Dornberger dira plus tard que le führer n’a pasété impressionné par le rugissement desmoteurs, les mécanismes complexes desfusées, ni même par les plans « futuristes ».

Lancement d’une fusée A-5 à Peenemünde (octobre 1939).

Le 1er septembre 1939, le monde basculedans la guerre. L’Allemagne, sous les yeux deson allié du moment, la Russie, envahit laPologne. En vertu d’accord d’alliance,l’Angleterre et la France déclarent la guerre àl’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie.

A Peenemünde, en octobre, trois fusées A-5munies du nouveau système de guidage, sontprêtes. Leurs dimensions sont comparables à lafusée A-3 : huit mètres de haut, 1 500 kg depoussée, réservoirs cryogéniques, et unemasse de près d’une tonne au décollage. Unpremier tir a lieu le 30 octobre, parfaitementréussi. La fusée atteint l’altitude de dixkilomètres. Le moteur entretient une poussée

constante pendant 44 secondes. Ledéploiement du parachute permet derécupérer l’engin porteur de l’enregistrementdes paramètres du vol : barographe,accéléromètre, etc… L’avenir du projet sembleassuré.

Le fameux tir historique du 30 octobre 1939.

Hitler décide en février 1940 de gel dufinancement sur les armes nouvelles, au profitdes moyens conventionnels. Cette décision nesurprend que les ingénieurs de Peenemünde :la Grande-Bretagne et la France ont pris lamême décision. Les 4 000 employés de l’arméeassignés à ces programmes sont mobilisésdans les rangs de l’Armée sur les fronts ouestet bientôt le front est. Le site de Peenemündetourne au ralenti. C’est dans ces conditions,pourtant, que le moteur de la fusée A-4 esttesté au banc pour la première fois, le 21 mars1940. Ce premier moteur développe l’énormepoussée de vingt-cinq tonnes pendantquarante secondes. Que de chemin parcouruen dix ans depuis la fusée d’Oberth quidéveloppait 7 kg de poussée pendant 90secondes !

Avec l’appui discret mais efficace duministre des armements Albert Speer, lesessais se poursuivent à Peenemünde pendantl’année 1940 et durant toute l’année 1941. Lekérosène ne fait jamais défaut, tandis quel’oxygène liquide est produit sur place, par laméthode des compresseurs. Une quinzaine deA-5 sont lancées depuis des avions, àl’horizontale. Les systèmes de guidage et decontrôle sont mis au point. Depuis 1937, legroupe von Braun a lancé soixante-dix fuséesA-3, A-4 et A-5.

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Sur le front, la guerre change de visage. Sil’invasion de la France, de la Belgique, de laHollande, du Danemark et de la Norvège enjuin 1940 se réalisent dans des conditionsexceptionnelles, peu de pertes et succèsfoudroyant, la bataille de Grande-Bretagne dejuillet à novembre 1940 est un échec pour laLuftwaffe de Goering. Mille bombardiers etmille chasseurs sont perdus, plus de quatremille hommes, un effectif qui ne sera jamaisrecréé. L’attaque de la Russie en 1941 tourneau cauchemar pendant l’hiver 1941-1942. Unmillion de soldats allemands va y laisser la vie.

L’année 1942 est éprouvante pour le IIIeReich : les troupes italiennes sont défaillantesen Afrique, en Grèce, en Yougoslavie. Lessous-marins sont traqués par les navires deguerre équipés de radar. Le débarquementallié en Afrique du Nord provoque unaffaiblissement des armées du front est. LesRusses contre attaquent et repoussent à leurtour les armées allemandes loin versl’intérieur. Les usines allemandes sont la proiequotidienne des bombardiers britanniques, denuit, et bientôt Américains, de jour.

Sur le site de Peenemünde, l’été 1942 voitles premiers essais de la fusée A-4, un projetdont le développement dure depuis plus dedeux ans maintenant. Un essai statique a eu lieusur le banc d’essai n° 7 au nord de la base le 25février. Le 18 mars, le lancement réel de lapremière fusée A-4 est un échec ; après unepremière accélération verticale, la fusée

traverse un ciel nuageux avant de tomber à lamer.

Fusée A-4 à Peenemünde sur le pas de tir VII (1942).

La seconde fusée A-4, tirée le 13 juin,s’élève majestueusement dans un beaupanache de fumée, mais quatre secondes plustard le système de guidage gèle. La fusée nes’élève qu’à l’altitude de 5.000 mètres. Letroisième tir, le 16 août, est un beau succès. Lafusée monte à 12.000 mètres en franchissementle mur du son après une poussée continue de44 secondes. Dès ce moment, on peut dire quele moteur de la A-4 fonctionne correctement.La fusée bénéficie maintenant d’un système deguidage entièrement électronique, de premierdu genre dans le monde. Une grosse pressionest mise sur l’équipe de Wernher von Braun enoctobre pour les essais de réception officiels.Ce tir va être une réussite totale.

Pas de tir VII à Peenemünde en 1942 avant un tir de fusée A-4.

Le 3 octobre 1942, une fusée de plus dequinze mètres de hauteur, de 14 tonnes depoids total, emportant une tonne de chargemilitaire, est dressée sur le pas de tir n° 7 aunord de la base de Peenemünde. Les

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représentants militaires sont là, à côté deWalter Dornberger et son staff militaire, de vonBraun et ses ingénieurs et techniciens. Dans levacarme de son moteur de 25 tonnes depoussée, la fusée s’élève pendant quatresecondes et demie, puis comme prévu,s’incline doucement vers l’est. Après environ22 secondes, elle passe le mur du son etpoursuit son accélération. Elle continue demonter avec un angle de 15° par rapport à laverticale, ce qui lui donne le maximum deportée, puis elle disparaît laissant derrière elleune longue traînée de vapeur de condensation.On la suit par télémétrie. A l’altitude de 17 700mètres, son moteur coupe. La fusée vaatteindre l’altitude maximale de quatre-vingt-trois kilomètres à l’issue de sa trajectoirehyperbolique, une vitesse de 1 340 mètres parseconde (soit près de mach 4) et franchir unedistance de 192 kilomètres.

La bombe volante Fieseler-103, arme de représailles n° 1 (1943).

Pour la première fois, un objet fabriqué parl’homme a pénétré dans l’espace. Dornbergercélèbrera l’événement plus tard en déclarant :« Nous avons envahi l’espace avec notre fusée, etpour la première fois nous avons utilisé l’espacecomme pont entre deux points à la surface de laterre ; nous avons prouvé que la propulsion parfusée était utilisable pour se déplacer dansl’espace. A la terre, la mer, et l’air il fautmaintenant ajouter l’espace comme zone dedéplacement pour les voyages du futur ». Etd’ajouter : « Aussi longtemps que dure laguerre, notre première mission est deperfectionner rapidement la fusée afin qu’elledevienne une arme. »

Armes de représaillesEn novembre 1942, la Wehrmacht devant

Moscou connaît sa première défaite. Il apparaîtclairement à l’état-major allemand que le IIIeReich peut être battu. Le 22 décembre 1942,Hitler convoque en catastrophe WalterDornberger et Albert Speer au ministère de laguerre à Berlin. Speer propose à Hitler depousser le programme A-4. Le Führer leurdemande d’installer rapidement des usines etneuf zones de tirs d’où il serait possible delancer les fusées de Peenemünde. Laconstruction des usines chimiques et des silos

de tir dès janvier 1943 sera confiée àl’organisation Todt, déjà en charge desfortifications du mur de l’Atlantique. C’est ainsiqu’il est décidé d’ériger en France àEperlecques une immense usine chimique.

Le site de Peenemünde après les bombardements d’août 1943.

A cette époque, après presque trois annéesd’inactivité en matière de fabrication defusées, les experts en balistique et poudres dePeenemünde travaillent sur plusieurs projetsde missile balistiques qui sont présenté auFührer, probablement en décembre 1942 : leA-4, dont la fabrication en série avait étéenvisagée en novembre 1939, le petit A-5 à tirhorizontal, facile à déployer, le A-6 utilisantcomme propergol l’acide sulfurique, plusénergétique que le kérosène, le A-7, un A-5avec des ailes capable de décoller à partird’une rampe de lancement, le A-8 utilisantdeux propergols cryogéniques, le A-9 utilisantles mêmes propergols que le A-6 mais dont laportée balistique atteint 650 km, et le A-10, unesorte de A-4 monstrueux à quatre moteurs de25 ktp développant un total de 100 tonnes depoussée, capable d’enlever cinq tonnes decharge militaire (voir page 16).

A Peenemünde, la Luftwaffe a mis au pointla bombe volante Flak Ziel Gerät FZG-76 dontun premier tir avec catapultage est réussi le 24décembre 1942.

Fusée V-2 sur son véhicule mobile de tir.

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En 1943, la situation militaire se dégradepour l’Allemagne et les forces de l’axe. Lesalliés qui ont débarqué en Afrique du Nordgagnent du terrain et prennent la Sicile et lesud de l’Italie. Le 2 février, la sixième armée,fierté des fiertés allemandes, capitule àStalingrad. Le 10 mai, sans ravitaillements nirenforts, les troupes allemandes de Rommel etles soldats italiens se rendent en Afrique duNord. Les bombardements sur les zonesindustrielles allemandes sont de plus en plusdestructeurs. Le 7 juillet 1943, Dornberger etvon Braun sont convoqués de nouveau enurgence au Q.G. de Hitler, qui donne cette foisla priorité absolue au programme des fuséesA-4.

Le A-4 est choisi parmi les autres projets defusées pour sa simplicité de fabrication ensérie, l’étude du A-9 destiné à bombarderNew-York étant reportée à la fin de 1943 pourune possible construction en série vers 1945-1946. Pour lancer la A-4, les ingénieurs dePeenemünde sont partisans de basesbétonnées, chaque tir nécessitant uneminutieuse et longue préparation (remplissagedu réservoir d’oxygène liquide) plus un suiviau radar, Dornberger préférant des basesmobiles. La Luftwaffe de son côté en lapersonne de Milch, disposant avec le FZG-76d’une bombe volante s’oppose maintenant à lafusée A-4. Hitler et Speer tranchent en faveurdu déploiement des trois armes dereprésailles : le FZG-76 construit chez Fieselersous le type Fi-103 rebaptisé V-1 qui peut êtrelancé depuis une plate forme mobile, la fuséeA-4 rebaptisée V-2 ou Vergeltungswaffen-2(arme de représailles 2), et le canon à longueportée (240 km) V-3 « Millepede » à plusieurschambres explosives tirant un obus de 83 kg(250 kg en version « définitive ») largementsupersonique, un projet fou qui n’aboutirajamais, et dont on sait pertinemment ennovembre 1943 qu’il ne fonctionnera jamais,malgré la fabrication de 20 000 tubes, maispour lequel aucun responsable n’a voulu direla vérité à Hitler dont les discours« enflammés » inquiètent de plus en plus lesresponsables militaires.

Véhicule de transport des fusées V-2 sur les sites de lancementmobiles en 1944.

Hitler a ordonné de tirer vingt-cinq fuséesde 900 kg d’explosifs ou cent obus de 250 kgd’explosifs par jour. Si la Luftwaffe faitfabriquer les bombes volantes V-1 par lessociétés aéronautiques habituelles, la

construction des V-2 pour la Wehrmacht estl’opportunité de nombreux débats. Lesarsenaux la considèrent comme un avion etnon un obus. Avec ses 22 000 piècesdétachées, ses propergols liquides dangereuxet son électronique de pointe, elle demandeune attention particulière. Quand la liasse deplans est proposée pour construction auxsociétés d’aéronautique, ces derniers semontrent incapables de produire la nouvellearme. Il faudra plusieurs dizaines de milliersde modifications techniques pour y parvenir.Finalement, le 19 octobre 1943, une commandede 12 000 fusées A-4 est passée à la SS,devenue une entreprise. Himmler demande àHans Kammler d’assurer la direction de lafabrication des V-2. Dans un discours à Munichle 8 novembre 1943, Hitler annonce une « armemiracle ».

Véhicule mobile utilisé comme poste de contrôle de tir et de mise àfeux des V-2 en 1944.

Pour achever toutes les installationsindustrielles nécessaires aux fusées V-2 quidoivent être tirées chaque jour, les ingénieurset techniciens à Peenemünde travaillent endeux équipes de douze heures, de jour commede nuit. A ce moment, la fusée A-4 mesure14,50 mètres de long, 1,80 m de diamètre à sapartie la plus large, porte 910 kg d’explosifs àl’avant, le remarquable moteur conçu parl’ingénieur Walther Thiel étant alimenté pardeux réservoirs de propergols, le premiercontenant cinq tonnes d’oxygène liquide à trèsbasse température, le second trois tonnes d’unmélange de 75% d’alcool et 25% d’eau àtempérature normale. C’est l’oxygène liquidequi sert au refroidissement de la chambre decombustion.

France

Les sites fixes en France de lancement des V-2 (1944).

La fusée A-4 emporte sur plus de 200kilomètres 910 kg d’explosifs. Le missile estcapable de se diriger tout seul au long d’une

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trajectoire balistique, son « intelligence »tenant compte de la rotondité de la terre et ilest téléguidé par radio depuis son site delancement tout au long de sa course, avec uneprécision de l’ordre de 10 kilomètres. C’estparfait pour bombardier Londres et sabanlieue. Contrairement aux V-1 qui vole à 600km/h, le A-4 ne peut être intercepté ni par laD.C.A. ni par un chasseur : il est beaucoup troprapide. Neuf sites de tir sont aménagés enFrance dès 1943, dont trois sites fixesimposants (sur trois étages) et blindés : Watten(Eperlecques) dans le Pas-de-Calais, Wizernes,plus au sud, et Sottevast près de Cherbourgdans le Cotentin.

La R.A.F. dont les Mosquito ont repérédepuis longtemps le site de Peenemündepossède des photographies aériennes dePeenemünde et d’Eperlecques, mais aucuneinterprétation n’a encore relié les deuxconstructions. Le 18 juin 1943, l’interpréteur dephotos Jones fait le lien entre les deux sites etcomprend qu’une nouvelle menace pointe surl’Angleterre. Le 17 août, constatant une reprised’activité sur ces bases, la R.A.F. lance surPeenemünde 500 bombardiers qui délivrent en45 minutes 2.000 tonnes de bombes, espérant àla fois détruire les installations au sol et tuer lepersonnel. Parmi le personnel et les familles, iln’y a que 178 victimes. Les autres victimes, 557personnes, sont des employés occasionnelsd’origine russe et polonaise que l’armée peutremplacer. Mais le site est sérieusementtouché et rendu inutilisable pour plusieurssemaines, même si la chaîne de production desfusées A-4 est intacte. Le 27 août 1943, la R.A.F.lance 729 chasseurs et bombardiers sur l’usinechimique d’Eperlecques qui reçoit 366 tonnesde bombes et devient inutilisable. Les tirsauront lieu depuis Wizernes et Sottevast avecdes fusées et propergols venant d’Allemagne.Speer ordonne que la fabrication des fusées A-4 soit mise en sécurité au centre del’Allemagne, dans les monts du Hartz. Uneusine souterraine baptisée Mittelwerk estaussitôt aménagée en août 1943 et sa directionconfiée à Heinrich Himmler et ses SS.

Simultanément, la R.A.F. lance sur les sitesde lancement de V-1 et V-2 repérés en Francel’opération « Arbalète » : des bombardementsréguliers, avec des bombes « tallboy », qui nese termineront que fin avril 1944.

Les MittlewerkGénéral en chef des SS et patron de la

Gestapo, Heinrich Himmler faisait pressiondepuis plusieurs semaines sur l’armée et surDornberger pour prendre le contrôle duprogramme allemand des fusées. Il considèrede Dornberger et von Braun sont des amateurs,plus soucieux d'aller dans la Lune que servirl'armée. Le 16 février 1943, Himmler a réussi àimposer à la France et à son gouvernementl’envoi de travailleurs en Allemagne

sélectionnés par ses hommes de main, uneopération désignée en France Service dutravail Obligatoire (STO). En août 1943, il again de cause. Himmler prend en charge lafabrication en série des bombes volantes V-1et des fusées A-4 à Mittlewerk. L’ingénieur civilArthur Rudolph est recruté par Himmler enseptembre 1943 pour organiser la productiondes fusées A-4 dans les sites souterrains deNordhausen. Les essais de réception sonteffectués en Pologne, à Wizna.

Site de construction souterrain des V-1 à Mittelwerk (1943).

La grande idée de Himmler est là : fairetravailler les milliers de prisonniers de cescamps à la fabrication des fusées V-2 et des V-1(les V-1 qui sortent trop lentement des usinesde Fallersleben, Kassel et Stettin) plutôt que« nourrir des bouches inutiles ». Avant l’hiver1943-1944 ce sont 60 000 travailleurs forcés quisont employés à la fabrication des armes dereprésailles dans les usines souterraines desmontagnes du Hartz, surveillés et durementtraités par les Kapos (KonzentrationslagerArbeit Poliezi). Les journées de travail sontlongues, souvent 18 heures, les hommes sontmal nourris, et, privés des soins élémentaires,ils meurent en masse ; 25 000 hommes vont ypérir, dans des conditions épouvantables.

En janvier 1944, la situation militaire s’estcomplètement détériorée en Allemagne. Aprèsla campagne de Russie, la Luftwaffe n’a plusd’avions ; pire elle n’a plus de pilotes. Le paystout entier vit d’expédients. A Mittlewerk, lamalnutrition, les conditions d’hygièneépouvantables, mais aussi le manque dematières premières conduisent à une maigreproduction. On est loin des cent fusées par jourprévues par Hitler. Le 21 février 1944, Himmler

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fait pression sur Wernher von Braun pourintégrer les SS et ainsi reprendre la directiondes usines de Mittelwerk. Von Braun refuse.Deux jours plus tard, il est arrêté au beaumilieu de la nuit par la Gestapo, avec son jeunefrère Magnus. Ils sont emprisonnés à Stettindeux semaines jusqu'à ce que Dornberger etSpeer ne les fassent sortir pour venir les aideraux lancements des A-4 maintenant imminents.L’ordre de déploiement des V-1 et des V-2 estdonné le 30 mai 1944.

Tir de V-2 en 1944 depuis un site allemand du nord de la France.

L’étude systématique de l’épave de ce dixième exemplaire de lafusée A-4 va permettre de remédier aux causes du mal.

Tout au long du mois de février 1944, lesalliés bombardent méthodiquement les centresallemands de construction aéronautique et les

arsenaux. En mars, la pression sur l’Allemagnediminue : les alliés préparent le débarquementen Normandie et pilonnent les voies decommunication du nord de la France. En avril,ils s’en prennent aux terrains d’aviation. Aucours du mois de mai, les usines françaises deconstruction aéronautique sont bombardéesscientifiquement. Le 6 juin, le débarquementallié surprend les défenses allemandes quis’attendaient à un débarquement dans la Pas-de-Calais ou sur l’Atlantique. Le 29 juillet, vonStauffenberg tente d’assassiner Hitler dans sonbunker à Berlin, mais il échoue. Paris est libéréle 15 août. Le 20 août, la Gestapo arrête Pétainet Laval. Le 27 août 1944, la Luftwaffebombarde une dernière fois les aérodromesparisiens et se replie en Belgique.

Plans du site de lancement des V-2 de Watten (France).

La première des 30 000 bombes volantes dutype V-1 construites par l’Allemagne s’abat surl’Angleterre le 14 juin 1944. Elle explose dansun jardin à 4 h 18 du matin à Swanscombe, prèsde Gravesend. Trois autres V-1 tombent surl’Angleterre dans l’heure qui suit, à Cuckfield,Platt et Pethnal Green, tuant six personnes etfaisant neuf blessés. Ce n’est que le débutd’une salve de plus de 5 000, le dernier V-1tombant sur l’Angleterre le 27 mars 1945.Début juillet 1944, les écoliers londoniens sontévacués plus au nord. Un million d’habitantsquitte la capitale et ses faubourgs. A la mi-juillet, la lutte contre les bombes volantes estretirée aux pilotes de la R.A.F. et confiée àl’artillerie.

Le 7 septembre 1944, alors que lesbritanniques croyaient en avoir fini avec lesbombes volantes, les premières fusées V-2sont lancées des bases françaises du Pas-de-calais sur Paris (Maisons-Alfort) puis surLondres, Anvers, le grand port de logistiquedes alliés, et Bruxelles. Les premières fuséesA-4 tombent sur l’Essex au sud de la Grande-Bretagne le 8 septembre au matin. La première

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fusée visant Londres tombe à Brentford le 8septembre. Dix minutes après son lancement,elle est détectée par le réseau de radarsmalheureusement la chasse ne peutl’intercepter. Elle cause des dégâts terribles,huit maisons sont détruites et cinquante sontendommagées, deux personnes sont tuées etdix grièvement blessées.

Pays Ville Impacts V-1

Belgique Anvers 1.610Luttich 27

Hasselt 13Tournai 9

Mons 3Diest 2

Angleterre Londres 1.358Norwich 44

France Lille 25

Cambrai 3Paris 22

Tourcoing 19Arras 6

Allemagne Remagen 11Pays-Bas Maastricht 19

Bombardements effectués par les V-1 (1944-1945).

Visitant les usines Mittlewerk durant l’été,Himmler ordonne d’aménager un camp à l’airlibre, afin d’augmenter la production desfusées, les hommes mourant trop vite dans lesusines souterraines. Ce sera Dora. Il ordonneégalement que tous les sites de lancement dela fusée deviennent mobiles. De fait, aucun nesera détruit par les alliés.

Entrée du site français de lancement des V-2 de Wizernes.

Entre septembre 1944 et février 1945, untotal de 5 300 V-2 sont fabriqués à Mittelwerk,2 800 sont lancés dont la moitié environatteignent leur cible : 1 050 tombent surl’Angleterre, tuant 2 754 personnes et blessant6 523 autres, détruisant 400 000 maisons, enendommageant plus de 4 000 000. La Belgiqueconnaît le même sort. En octobre 1944,Londres reçoit 25 fusées V-2 par jour et Anvers10. Le tir le plus meurtrier tombe sur Anvers le16 décembre 1944 : 561 personnes sont tuéesdans un cinéma. La capitale britannique,habituée aux bombardements, résistevaillamment. Von Braun dit à voix basse à sescollaborateurs de Peenemünde : « C’est un

succès, mais nous avons frappé le mauvaiscamp ».

La fusée V-2 n’est pas l’arme terrible dereprésailles qu’elle est supposée être.Comparativement, les V-1 ont été plusmeurtriers. Sur les 9 521 bombes volanteslancées depuis le nord de la France sur laGrande-Bretagne, 4 621 V-1 ont été détruits parla D.C.A. ou par la chasse ou se sont égarés.Cependant, près de 5 000 ont atteint leur cible,tuant 6 184 personnes, trois fois plus que la V-2.L’ensemble des armes de représaillesallemandes a lancé 15 000 tonnes de bombes,alors que dans le même temps les alliésfaisaient pleuvoir 500 000 tonnes de bombessur l’Allemagne. Cependant, certains militairesférus de stratégie et de tactique ont calculé queles bombardements américains et anglais pourdétruire les sites de tir et les arsenaux desarmées de représailles ont coûté aux alliésquatre fois plus cher que l’ensemble desprogrammes V-1 et V-2 réunis.

Radar de suivi de tir et de contrôle des V-2.

En 1945, les alliés prouvent que lesbombardements classiques, massivementemployés, restent une arme terrible. Les 13 et14 février 1945, la ville de Dresde esttotalement effacée de la carte par 900bombardiers britanniques qui lâchent à cinqreprises 3 000 tonnes de classiques bombes de250 et 500 kg et quelques bombesincendiaires, tuant en quelques jours 250 000personnes. Ce bombardement reste le plusmeurtrier de toute la seconde guerremondiale. Il devance dans l’horreur et lenombre des morts le terrible bombardementaméricain sur Tokyo exécuté le 8 mars 1945(où 200 000 personnes furent tuées sur le coup)et il devance même les bombardementsatomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Les sites de lancement français des V-2 sontcopieusement bombardés. Le site de Wattenest bombardé régulièrement du 27 août 1943au 25 août 1944. Sottevast encore inachevé à laLibération est bombardé dès février 1944.Wizernes est la cible tour à tour desbombardiers américains et britanniques etreçoit plus de 3 000 bombes de 500 kg du 11mars 1944 au 20 juillet. Le 19 et 24 juin, Wattenet Wizernes sont visités par seize Lancaster dela R.A.F. à bombes « Tallboy » de six tonnescapables de percer dix mètres de béton, maisce n’est que le que le 17 et le 25 juillet que ces

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bombes ébranlent la coupole de béton et queles sites de lancement des V-2 sont rendusinutilisables.

La fusée A-9/A-10 (janvier 1945).

A la fin de 1944 et jusqu’en janvier 1945,von Braun et son équipe (3 000 collaborateurs)poursuivent à Peenemünde le développementdes fusées A-9 et A-10. Datant de 1944, lesprojets A-4b et A-8, jamais réalisés, sont desversions dotées d’ailes des fusées A-4 et A-6permettant un décollage par catapulte ou unlargage sous avion et un plus grand rayond’action (550 km), quitte à être intercepté parun chasseur. Conçu la même année, le projetA-10 est le premier étage d’une fusée capablede porter un second étage qui serait constituéd’une fusée A-4b ou A-9. En janvier 1945,l’étude est réalisée. La fusée A-10 doit produire100 tonnes de poussée par combustion d’acidenitrique et d’huile lourde. Les calculs montrentqu’une A-10 à trois moteurs de 100 tonnes depoussée portant une A-9 comme second étagepourrait porter une charge de 1 000 kg sur unedistance de 4 000 kilomètres et d’atteindre …New-York !

Von Braun, jusqu’au mois de juillet 1945, est étroitement surveillépar les SS.

Mais les travaux de l’équipe de von Braun àPeenemünde en 1945 ne s’arrêtent pas là. Leprojet baptisé A-11 concerne une fusée à troisétages, le premier étage étant désigné A-11comportant quatre moteurs de cent tonnes depoussée, portant une fusée A-10 en secondétage, elle-même portant une fusée A-9 commetroisième étage. Clairement, l’intention de vonBraun avec cette fusée est de porter un hommedans l’espace.

Les incroyables projets de fusées A-9, A-10, A-11 et A-12 del’équipe de von Braun en janvier 1945.

Encore plus ambitieux, le projet A-12concerne une fusée à trois étages pesant milletonnes, dont le premier étage, baptisé A-12développerait une poussée de 1 200 tonnesgrâce à huit, dix ou douze moteurs de centtonnes, portant une A-11 pesant 180 tonnescomme second étage, cette dernière portantune A-10 en troisième étage. Les calculsmontrent qu’une telle fusée permettrait demettre en orbite basse 30 à 40 tonnes dematériel, peut-être de quoi aller dans la Lune.

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Les essais de V2 auxEtats-Unis

Mais à la fin du mois de janvier 1945, lebruit du canon soviétique libérant les plainesdu nord arrivent jusqu’à eux. Von Braun réunitses meilleurs collaborateurs, 250 personnes, etleur explique que s’ils restent à Peenemünde,ils seront pris par les Russes. Tandis que s’ilsgagnent le sud, ils pourraient se rendre auxAméricains.

Les Américains visitent en mai 1945 le site inachevé de Sottevast.

Le 31 janvier, von Braun annonce auxcadres de Peenemünde que le lieutenantgénéral SS Hans Kammler a donné l’ordred’évacuer la base pour le sud de l’Allemagne.Quand les soviétiques prennent la base enmars 1945, ils ne trouvent que du matériel et unmillier de subalternes peu au courant de latechnologie des fusées. Les techniciens etingénieurs de Peenemünde, conformément auxinstructions de Kammler, se sont réfugiés àl’usine de Mittelwerk, mais von Braun réunitses meilleurs ingénieurs et se réfugie àOberammergau dans les Alpes bavaroises. Ilsy arrivent le 2 mai 1945, le lendemain dusuicide d’Hitler. Wernher von Braun a choisison camp : celui des Américains.

Comprenant l’importance de la prise deguerre qu’ils viennent de réaliser, les officiersaméricains de l’ opération « Overcast », sous laconduite du colonel Holger Toftoy, se rendentà Nordhausen, récupèrent les V-2 en coursd’assemblage, de quoi assembler cent fusées,et foncent sur Peenemünde où les Russes ontdéjà presque tout emporté. La base dePeenemünde est totalement détruite à la fin dmois de février 1945 ; le camp de concentrationde Dora est évacué fin mars 1945. On y retire20 000 cadavres des malheureux ayant œuvréà la fabrication de près de 6 000 fusées.

Le 2 mai 1945, von Braun et 500 de sescollaborateurs se rend aux alliés. En juin 1945,ce sont finalement plus de 300 véhicules quiapportent les éléments des fusées, lesmachines outils, les instruments de laboratoireet les manuels de fabrication en Angleterre oùces éléments gagnent ensuite par bateau et partrain le site militaire de Fort Bliss au Texas et labase de White Sands dans le désert du

nouveau Mexique sur le continent nordaméricain.

Simultanément, l’opération « Paperclip »sélectionne les meilleurs éléments sur lesnombreux ingénieurs allemands présents àMittlewerk et 118 de l’équipe de von Braunsont recrutés - une loi d’immigration spécialesera signée par le président des Etats-UnisHarry Truman le 6 septembre 1946 - et placéssous contrat de cinq ans à compter dedécembre 1945 pour produire un missilebalistique. Au terme du contrat, les ingénieursallemands et leur famille peuvent soit retourneren Allemagne, soit devenir des citoyensAméricains. Pendant ce temps, de novembre1945 à septembre 1946, se déroule le procèsde Nuremberg. Albert Speer est condamné à laprison ; condamné à mort, Goering se suicidele 15 octobre 1946.

Fusée allemande A-9 à gauche, à laquelle la fusée américaine AL-6 (1947) doit tout, à droite.

La mission des Allemands à White Sands estde former les ingénieurs américains enbalistique, les militaires chargés des missilesde défense et les techniciens du constructeurdu moteur fusée (General Electric) à latechnologie particulière des V-2. Sur les centrécupérées, un total de 67 fusées A-4 estassemblé à White Sands et lancé, à titreexpérimental, de 1946 à 1952. Le premier tir alieu le 15 mars 1946. L’une d’entre elles bat unintéressant record de distance : 425 kilomètres.

De 1946 à 1958, les Américains procèdent àune vingtaine d’explosions de bombesatomiques sur l’atoll de Bikini. Durant l’été1950, les laboratoires de développement etd’essais et ses ingénieurs sont transférés àHuntsville dans l’Alabama. Quelquesingénieurs allemands, comme Athur Rudolphentrent dans l’industrie américaine (GeneralDynamics, Convair, North American,Lockheed), ces constructeurs ayant reçu desmarchés de développement d’un missilebalistique portant une charge atomique, afin debattre les Russes dans la course auxarmements.

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Tir de V-2 à White Sands (Nouveau Mexique) entre 1946 et 1951.

Konrad Dannenberg au Marschall Space Flight Center à Huntsvilleen 1951. Dannenberg fait partie de l’équipe initiale de Wernher vonBraun, avec Reinhold Krüger, Arthur Rudolph, Gerhard Reisig, RudiBeichel, Ernst Stuhlinger, Hans Lindenberg, Bernhard Tessmann,Dieter Huzel, Kurt Debus et Walther Thiel.

La fusée Redstone, le premier missile balistique opérationnel desEtats-Unis (1858). Tous les projets concurrents ont échoué.

Von Braun photographié sur le site de lancement des fuséesRedstone à Huntsville en 1952.

Premier tir de la fusée Jupiter C, et premier succès. Cette fuséeconsacre la compétence de l’équipe von Braun.

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Quand le site de Cap Canaveral est ouverten 1949, la première fusée lancée est une V-2portant un second étage, le WAC Corporal. Legroupe von Braun de Huntsville est chargé dudéveloppement de la fusée Redstone, à partirde 1950. Alors que les projets concurrentssurgissent, nombreux, U.S. Navy, U.S. AirForce, U.S. Army, Redstone est le premiermissile balistique de l’U.S. Army qui aitréellement fonctionné. La fusée fait 21 mètresde haut, pèse 28 tonnes et développe unepoussée de 55 tonnes pendant plusieursminutes. Le développement du missile estterminé en 1958. La première bonne fuséeaméricaine reprend tout bonnement l’idée desfusées A-10 à A-12 de 1945. Un quatrièmeétage à propergols solide est ajouté à la fuséeRedstone, formant la fusée Jupiter C, la fuséeaméricaine ayant lancé le 31 janvier 1958 lepremier satellite américain, Explorer 1. Lafusée Redstone va servir de premier étage auxpremiers lancements des capsules Mercury dela NASA en 1961.

En 1959, à la NASA, Wernher von Braun (à droite) peut encorecompter sur Rudolf Nebel (à gauche) et Hermann Oberth (aucentre).

Wernher von Braun habite Huntsville de1950 à 1970. Il y est nommé directeur duMarschall Space Flight Center (MSFC). Quandse crée la NASA en 1958, le groupe du MSFCqu’il dirige y est transféré en 1960 pour ledéveloppement des fusées d’un programme àhaut risque extrêmement ambitieux permettantd’amener un homme sur la Lune : Apollo. Ilquitte la NASA à 60 ans, en 1972, pours’éteindre comme ses fusées cinq années plustard.

Utilisation des V2 enURSS

Sergei P. Korolev a joué le même rôle enRussie que von Braun en Allemagne. Né enUkraine fin 1906, il est encore enfant pendant larévolution soviétique. Dans les années vingt, ilreçoit une formation d’ingénieur del’aéronautique à Kiev et ambitionne de devenirpilote d’essais chez Tupolev.

Quand il fait la rencontre de Tsiolkovski en1934, son orientation bascule. Il entre auGruppa Isutcheniya Reaktivnovo Dvisheniya(GIRD) une société de recherche sur lapropulsion par réaction qui développe des

fusées à propergols liquides (l’équivalent de laVfR en Allemagne). Il y rencontre le chimisteValentin P. Glushko et un Lituanien entre deuxâges, Frederick Tsander, industriel produisantdes explosifs et des moteurs à poudre.

Sergei P. Korolev, photographié en octobre 1957, après le succèsdu Spoutnik I.

Entre 1930 et 1933 le GIRD lance avecsuccès depuis le site de Moscou plusieursfusées à propergols liquides : le 17 août 1933 leGIRD-9, est la première fusée russe atteignant400 mètres d’altitude, son moteur à oxygèneliquide et benzène solidifié développant 35kgp. Le 25 novembre 1933, la GIRD-X devientla première fusée russe à propergols liquides(oxygène liquide et alcool). Mais en 1933Tsander meurt du typhus ; malade lui-aussi,Tsiolkovski décède en 1935.

Un groupe du GIRD s’apprête à lancer une fusée, dans les annéestrente.

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L’équipe des techniciens russes du GIRDfusionne le 31 octobre 1933 avec un laboratoirede l’armée dans l’Institut Scientifique dePropulsion par Reaction (RNII). De 1934 à 1939,le RNII dirigé par le lieutenantMikhail Tukachevsky autour del ‘équipe de Korolev - élevé au rangd’ingénieur en chef et de coloneldans l’armée - qui comprend audébut cinquante ingénieurs ettechniciens, développe pour l’arméerouge plusieurs fusées, des bombesvolantes, un planeur à réaction.

Le 10 juin 1937, Korolev etTukachevsky et plusieurs de sesingénieurs sont jetés en prison àMagadan par Staline, qui se méfiede tous les intellectuels. Il passe unan dans les mines de sel de Kolymaen Sibérie où périssent sa femme etsa fille de deux ans.

Quand la menace allemande surla Russie se fait pressante, à la fin de1938, Staline imagine un système debureaux d’études dans les prisons,les Sharashkas. Korolev est sorti duGoulag par Sergei Tupolev, lui-même jeté en prison, qui demandeun ingénieur de pointe pour sonbureau d’études TsKB-39 à Moscou.Les deux hommes, sous la hauteprotection du KGB, développentensuite de 1939 à 1944 plusieursarmes de pointe : avec GeorgyLangemak, Korolev développe les fameusesfusées de défense Katyusha plus connues sousle nom d’ « orgue de Staline », puis une fusée àdeux étages qui atteint 800 km/h en 1939, desengins sol-air de défense aérienne qui semontrent terriblement efficaces contre lesappareils de la Luftwaffe en 1942 et1943, plusieurs engins air-solmontés sur les Sturmoviks quidétruisent en masse les blindésallemands à Koursk, et desmissiles balistiques sol-sol à courteportée. Connu sous le nom de SS-1ou SCUD, le missile sol-soldéveloppé par Korolev porte unecharge militaire de 500 kg à 20kilomètres.

En mai 1945, quand les troupesrusses se jettent sur les sites dePeenemünde et Nordhausen, ils netrouvent plus personne. Lesaméricains ont tout raflé dans lesdeux jours précédents. Staline quiavait même retardé de troissemaines la prise de Berlin pourprendre ces sites est furieux.Toutefois, les Russes, mettent lamain sur les matières premières,des machines outils, tous les stocksde produits chimiques, des poudres, leséquipements électriques et plus de 300 V-2 encours de fabrication. Ils découvrent aussi plus

de 6 000 mourants à Dora, qu’ils laissent auxAméricains. Car à Yalta en février, Roosevelt,Churchill et Staline se sont partagés ladépouille encore fumante de l’Allemagne.

Les Russes font main basse sur1 750 techniciens et ingénieurs del’industrie aéronautique allemande etplus de 6 000 ingénieurs des autressecteurs. Ils vont passer sept ans enunion soviétique, y travaillant sanssalaire. L’ingénieur le plus qualifié enmatière de fusées qu’ils raflent estHelmut Grotrupp. C’est à lui qu’ilsdemandent de prendre en charge àMoscou le remontage de la ligned’assemblage complète et de tir desV-2. Après la guerre, en octobre1945, Korolev est libéré de prison etnommé constructeur en chef desmissiles balistiques soviétiques. Le 15octobre, il assiste à Cuxhaven, surune base britannique en Allemagneau lancement d’une fusée V-2.

Mi 1946, Grotrupp a recréé lesinstallations de construction et delancement des V-2 et les Russes sontprêts à effectuer les premiers tirs,sous la direction de Glushko et deson supérieur, le général Gaïdukov.Korolev supervise les lancements quisont effectués à Kapustin Yar, unvillage situé à l’est de Stalingrad.C’est Korolev qui choisit lestechniciens allemands chargés du tir

des missiles en Russie. Pendant sept ans, de1946 à 1953, plus de cent V-2 sont lancés, avecdes résultats parfois décevants, mais ces essaisde fusées permettent au personnel soviétiqued’augmenter leurs connaissances.

A partir de 1951, des ingénieurs russesremplacent progressivement lestechniciens allemands, lesquelssont définitivement libérés deleur travail obligatoire à la mortde Staline en 1953.

Le 1er avril 1953, alors queKorolev est prêt à lancer lapremière fusée de conceptionpurement soviétique, baptisée R-11, le conseil des ministres luicommande un missile balistiqueintercontinental (ICBM), baptiséR-7.

Le lanceur soviétique est unengin monstrueux – par rapportaux fusées de cette époque -capable théoriquement deparcourir 7 000 kilomètres en tirbalistique, de masse (300 tonnes)et taille (30 m) très imposantes ;les deux lanceurs R-7 et R-11 sonttechniquement identiques ets’appuient sur quatre moteurs à

propergols liquides (kérosène et oxygèneliquide) issus de la V-2 développant chacun 25tonnes de poussée entourés de quatre boosters

Fusée GIRD-IX (août 1933).

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développant chacun cent tonnes de poussée,chaque booster comprenant lui-même quatre

moteurs de V-2 de 25 tonnes de poussée.

La fusée R-7, à droite (H) date de 1957. Comparée à la fusée américaine Scout de 1961 (A), ou Diamant B (1969) en B, ou même la fuséeCosmos de 1962 (C), Thor-Delta (1966) en D, Europa I (1969) en E, ou Atlas-Agena (1961) en F, voire Atlas-Centaure (1963) en G, elle paraîtmonstrueuse.

La fusée R-7 est un assemblage de moteurs de 25 tonnes depoussée issus de la V-2 allemande.

Pour tester son nouveau missile balistiqueintercontinental, l’union soviétique construit uncentre spatial à Baïkonour et un autre àTuyratam, au nord est de la mer d’Aral dans leKazakhstan. Les premiers essais du R-7commencent au printemps de l’année 1957 ; lepremier tir, le 15 mai, est un échec ; le second, le12 juillet également ; le premier tir réussit le 21août 1957.

C’est le R-7 qui lance le premier satelliteartificiel de l’histoire, Spoutnik-1, le 4 octobre1957, depuis Tuyratam. Inspirée de la V-2 dontelle reprend le moteur de base, la fusée R-7 estl’un des plus gros succès en matière de fuséedes soviétiques ; construite en très grande série(plus de 330 exemplaires), elle va être utiliséede 1957 à 1976 sous le nom de lanceur Vostok.

Cette fusée est aujourd’hui la plus longuesérie jamais construite dans le monde.

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Les essais de V2 enFrance

Disciple de Robert-Esnault-Pelterie (1881-1957), l’ingénieur général et polytechnicienJean-Jacques Barré (1901-1978), entré dansl’artillerie en 1924, est le premier en France àlancer des engins. Entre 1935 et 1940, Barréréalise à la commission des poudres à Versaillesdes obus propulsés par du peroxyde d'azote.Barré achève sa période dans l’Armée avec legrade de commandant s’achève en 1932 aprèsquoi il s’adonne aux fusées.

En 1941, à la demande du colonel Duboulozchef de la Section Technique de l’artillerie, Barréréalise clandestinement à Lyon (Croix Rousse)une fusée propulsée par des propergols liquidesbaptisée EA-1941. Après un essai statiqueeffectué le 15 novembre 1941 au camp militairedu Larzac, un tir secret doit être effectué enAlgérie près d’Oran en 1942. Le débarquementallié y met fin. Les alliés obtiennent les plans del’EA-1941 en octobre 1943. A l’été 1944,Dubouloz est arrêté par la Gestapo et le colonelGentil, adjoint de Barré, envoyé au camp deDora où il meurt peu après.

L’ingénieur français Robert Esnault-Pelterie en 1944.

Après la libération, la Marine nationale offreà Barré le camp de la Renardière à Saint-Mandrier près de Toulon pour effectuer les tirsde l’EA-1941. Le premier tir a lieu le 15 mars1945. Son moteur développe une poussée de 995kgp. L’engin explose après cinq secondes decourse. Dès février 1945, dans le cadre del’occupation de l’Allemagne, les pays alliés dontla France récupèrent du matériel militaire, entreautres des exemplaires des armes secrètes, avecles ingénieurs qui les ont mises au point, avecleurs archives scientifiques et techniques.

En mai 1945, sous la direction du professeur

Henri Moureu, le commandant Barré se rend enAllemagne à Ober-Raderach au bord du lac deConstance pour examiner les prises deguerre des français : Ober-Raderach est uneusine de réception et d’essais des V-2. L’usineallemande est démontée et remontée en Francele 17 mai 1945. En juin, les deux hommes serendent en zone américaine, à Nordhausen. Neufwagons contenant quatre V-1 et de quoiassembler quatre V-2 sont expédiés en France,une misère. De même que la réalisation des EA-1941, l’assemblage des V-2 est effectué par laSociété pour l’Application Générale del’Electricité et de la Mécanique (SAGEM) àArgenteuil. Un premier tir de EA-1941 a lieu à laRenardière au bord de la Méditerranée le 6juillet 1945.

La fusée EA-1941 entre les mains de Jean-Jacques Barré en 1945.

Les sites de lancement des V-1 et des V-2 dunord de la France sont visités par les Anglais etles Américains, mais les militaires françaismettent un certain temps avant de prendreposition sur l’intérêt et l’avenir des fusées. Si leturboréacteur B.M.W. et des ingénieurs dugroupe dirigé par le Docteur Hermann Oestrichgagnent la France dès 1946, les V-2 et lesarchives que la France peut récupérer ne sontversés au Centre d’Etudes des ProjectilesAutopropulsés (C.E.PA.) dirigé par le professeurHenri Moureu, assisté par un militaire,l’ingénieur en chef Jacques Lafargue, rattaché àla Direction des Etudes et fabricationd’Armement (D.E.F.A.) qu’en 1947. Entre temps,Barré a construit une seconde fusée, trèsinspirée des V-2 : la fusée EA-1946 « Eole » pourEngin fonctionnant à l’Oxygène Liquide et àl’Ether de pétrole financée par l’Etat et construitepar la SAGEM en octobre 1946, sous contrat dela D.E.F.A.

Dans le cadre de la récupération desscientifiques allemands ayant travaillé sur lesmissiles, le ministre de la guerre EdmondMichelet demande à la D.E.F.A. en mai 1946 la

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création d’un Laboratoire de Recherchesbalistiques et aérodynamiques (L.R.B.A.) àVernon dans l’Eure. C’est là que les fusées V-2 etEA-1946 sont assemblées et lancées. En 1947 et1948, le L.R.B.A. recrute une centained’ingénieurs allemands qui sont salariés, logéspar la France, souvent accompagné par leurfamille, dans le but de création de missilesd’essais sol - air.

Jean-Jacques Barré et sa fusée EA-1951 photographiés en 1951.

Les ingénieurs allemands qui ont choisi detravailler en France mettent au point lessystèmes de guidage et de propulsion deplusieurs missiles. Les missiles filoguidésallemands résultant des prises de guerre quisont testés avec peu de succès en Francedécouragent l’état-major. Dans le domainemilitaire, les travaux allemands vont cependantservir à la réalisation des missiles balistiques àtête nucléaires développés par la Société pourl’Etude et la réalisation d’Engins Balistiques(SEREB) en France à la fin des années cinquante.Dans le domaine civil, ils vont servir à réaliserles premières fusées-sondes françaises tiréesdepuis Colomb-Béchar en Algérie en 1952 et1953 : Véronique, ainsi qu’au développement,plus tard, du moteur Viking de la fusée Ariane.

La maquette de la fusée VERnon électrONIQUE (Véronique)présentée en 1949 nous vous rappelle rien ?

A la fin des années quarante, la France nedisposant pas de l’arme nucléaire – la pile Zoen’existe que depuis décembre 1948 et lapremière bombe atomique française ne seratirée que le 13 février 1960 - les premiers essaisd’engins air – air se montrant très décevants, dèsl’été 1948, cette politique d’exploitation des

prises de guerre se ralentit au profit derecherche purement française. En 1951, laplupart des savants allemands venus en Franceont la possibilité de retourner en Allemagne, outravailler sous contrat dans des entreprisesfrançaises.

Seule l’usine allemande de production despropergols installée à Vernon continuera deproduire après 1951.

Premier lancement de la fusée Véronique à Hammaguir en 1950.

Le premier essai au banc de l’EA-1946 a lieuà Vernon le 4 février 1949. C’est un échec. Ausecond essai, la fusée explose, faisant troismorts. Une seconde fusée est réalisée en 1950,plus importante, sous le nom d’ « Eole ». Desessais au banc ont lieu en 1951. Le moteurdéveloppe 4 tonnes de poussée en mars, huittonnes en septembre 1951.

Tir de fusée au LRBA de Vernon dans les années 1960.

En 1952, alors que les essais au point fixe sepoursuivent à Vernon, on prépare les essais envol d’Eole-1952 qui doivent avoir lieu en Algérieà Hammaguir au Sahara. Pour la première fois, lesuivi des tirs est effectué par télémesure. LaSociété Française d’Equipement pour laNavigation Aérienne (SFENA) fournit leséquipements de contrôle de bord. Le 22

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novembre 1952 a lieu le premier tir d’Eole. Lafusée explose après six secondes de course. Le24 novembre, le second tir donne le mêmerésultat. Après ces essais peu concluants, lafusée de Barré est abandonnée au profit de duprogramme Véronique.

Départ d’un V2 en 1943. (Musée de La Coupole, Wizernes).

En effet, le L.R.B.A. a lancé la fuséeVéronique-R dès le 2 février 1950. Avec troismètres d’altitude, le succès français est modeste,il est vrai. La fusée ne pèse que 1020 kg, dont125 kg d’acide nitrique et 35 kg de pétrole, maiselle est suivie en 1952-1953 de toute une famillequi va aboutir à des fusées de plus en pluslourdes, tandis que l’étude des moteurs àpropergols liquides est entièrement reprise parla Société pour l’Etude de la Propulsion parRéaction (SEPR). Véronique N3, le 22 mai 1952,atteint l’altitude de 60 kilomètres, et VéroniqueNA14, le 21 février 1954, atteint 135 kilomètresd’altitude. Le 18 juin 1960, Véronique AGI 25devient un missile : la fusée porte une chargeexplosive. Désormais, la France est entrée dansl’ère atomique.

Le site de Wizernes, état en 2009. (Cliché de l’auteur).

En 1959, Barré abandonne la construction desfusées ; il entre comme ingénieur conseil à laSEREB et à la SNECMA.

Le CNES, créé en 1960, va donner à la Franceses « pierres précieuses » : Diamant, Emeraude,

Rubis, qui aboutiront à la fin des années 1960 àAriane.

Le moteur d’un V2. (Musée de La Coupole, Wizernes, 2009).

Le site d’Eperlecques, état 2009. 5cliché de l’auteur).