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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
MASTER 2 PROFESSIONNEL
Mention : Information et Communication
Spécialité et Option : Journalisme
Le webdocumentaire comme nouveau genre de l’audiovisuel
À la croisée des chemins entre documentaire et démarche journalistique
Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique Richard
Nom : Lassalle
Prénom : Isabelle
Promotion : 2011 - 2012
Soutenu le :
Mention :
Note du mémoire : / 20
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier les responsables et enseignants du CELSA qui ont suivi ce projet, la
directrice Véronique Richard, le responsable de la formation Hervé Demailly et plus
particulièrement Thierry Devars et Judith Rueff en leurs qualités respectives de
rapporteurs universitaire et professionnel.
Je salue également la disponibilité et l’accueil des réalisateurs des webdocumentaires
étudiés avec lesquels je me suis entretenue, à savoir Medhi Ahoudig pour À l’abri de rien,
Clara Beaudoux pour Comment le cancer du sein m’a changée et Danny Braün pour
Réfugiés oubliés : les Palestiniens au Liban.
Je remercie également ceux qui ont permis ces rencontres, comme le documentariste
Jean-Marc Surcin et le journaliste Ivan Valerio pour leurs conseils avisés.
Enfin, j’ai une pensée pour les élèves de la promotion 2011-2012 du Master professionnel
en option Journalisme qui ont assisté à toutes les étapes de l’élaboration de ce mémoire.
Je remercie enfin Marc et Annick Lassalle qui ont accepté d’en faire une lecture attentive
et bienveillante.
3
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS............................................................................................................. 2
SOMMAIRE ........................................................................................................................ 3
INTRODUCTION................................................................................................................. 5
I – DU DOCUMENTAIRE ET DU REPORTAGE JOURNALISTIQUE AU
WEBDOCUMENTAIRE ...................................................................................................... 7
1 – Le documentaire et le reportage journalistique ....................................................... 7
1.1 – Le documentaire, un certain récit du réel............................................................... 7
1.2 – Le reportage et la démarche journalistique............................................................ 9
2 – Comment définir le webdocumentaire ?................................................................. 12
2.1 – Du néologisme à la définition ............................................................................... 12
2.2 – Un récit délinéarisé .............................................................................................. 13
2.3 – Une structure organisée....................................................................................... 15
3 – Le contexte de réalisation des webdocumentaires étudiés.................................. 17
3.1 – À l’abri de rien pour la Fondation Abbé Pierre ..................................................... 17
3.2 – Comment le cancer du sein m’a changée, une production Ligne 4 ..................... 18
3.3 – Réfugiés oubliés par Radio-Canada .................................................................... 19
II – LA FORME DES WEBDOCUMENTAIRES ADAPTÉE À UNE NARRATION
SPÉCIFIQUE .................................................................................................................... 21
1 – Les structures narratives des webdocumentaires ................................................ 21
1.1 – La définition de l’arborescence ............................................................................ 21
1.2 – L’arborescence concentrique ............................................................................... 21
1.3 – L’arborescence à double entrée........................................................................... 24
2 – Quand l’interface devient support de narration ..................................................... 26
2.1 – Le spectateur aux commandes de l’histoire......................................................... 26
2.2 – Découverte d’un lieu avec la carte des Réfugiés oubliés..................................... 27
2.3 – Visée didactique d’une navigation par mots-clés ................................................. 29
4
3 – La spécificité sonore des webdocumentaires étudiés .......................................... 31
3.1 – Le son comme structure narrative........................................................................ 31
3.2 – À l’abri de rien et Réfugiés oubliés, intégralement sonorisés .............................. 32
3.3 – Comment le cancer du sein…, centré sur les témoignages................................. 34
III – LE CONTENU DOCUMENTAIRE ET JOURNALISTIQUE DES
WEBDOCUMENTAIRES .................................................................................................. 36
1 – L’aspect documentaire renforcé par l’effet « Ken Burns » ................................... 36
1.1 – Le temps dilaté de l’image dans À l’abri de rien................................................... 36
1.2 – Diversité des lieux dans Comment le cancer du sein… ....................................... 38
1.3 – Complémentarité des séquences dans Réfugiés oubliés .................................... 39
2 – Le facteur temps et la démarche des auteurs ........................................................ 42
2.1 – Des portraits documentaires dans À l’abri de rien ............................................... 42
2.2 – Unité de lieu dans le camp de Chatila.................................................................. 43
2.3 – Une double démarche pour les portraits de femmes ........................................... 44
3 – Une approche journaliste dans les webdocumentaires ........................................ 46
3.1 – Des textes complémentaires dans À l’abri de rien ............................................... 46
3.2 – La vidéo pour le présent dans Comment le cancer du sein… ............................. 47
3.3 – Les bulles « info » des Réfugiés oubliés.............................................................. 48
CONCLUSION.................................................................................................................. 51
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................. 53
ANNEXES......................................................................................................................... 55
RÉSUMÉ........................................................................................................................... 85
MOTS-CLÉS..................................................................................................................... 86
5
INTRODUCTION
Avril 2010, Prison Valley s’impose sur le net ; c’est LE projet qui a mis le
webdocumentaire sur le devant de la scène Internet. Cet exemple fait encore aujourd’hui
figure de modèle, plus de deux ans après son lancement. Mais depuis, les initiatives se
sont multipliées et le webdocumentaire s’impose peu à peu sur de nombreux sites web.
Il est ainsi légitime de s’interroger sur l'émergence d'un nouveau genre audiovisuel.
François Jost définit la notion de genre dans son article La promesse des genres1. Elle
n’existe qu’à partir du moment où pour comprendre une œuvre, on la replace dans un
ensemble plus grand. Cette catégorisation en facilite l’étude.
Les webdocumentaires se multiplient sur les sites de presse écrite, de radio et de
télévision. Ces projets développent des particularités hybrides qui composent avec les
techniques audiovisuelles et numériques. Les webdocumentaires mêlent principes de
navigation et interactivité, deux spécificités qui caractérisent ces nouvelles formes
narratives. Est-ce le simple reflet de la nouvelle façon de consommer l’information ? Tout
comme le téléspectateur zappe à la télévision, l’internaute clique sur le net. Est-ce enfin
l’expression d’un vrai langage multimédia et non plus la seule numérisation d’autres
médias ? Le webdocumentaire semble composer entre séquences vidéo et diaporamas
sonores. Il présente également des spécificités qui le distingue des pratiques plus
courantes de l’audiovisuel. Il conjugue en un même espace tous les médias : texte,
photographie, son et vidéo.
La problématique repose donc sur l’étude du webdocumentaire comme nouveau
genre de l’audiovisuel. Elle impose de s’interroger sur deux éléments : d’une part la
structure et la diffusion du document audiovisuel, d’autre part la nature de cette
production, issue d’une tradition plus ancienne.
L’hypothèse de départ suppose des particularités spécifiques des webdocumentaires,
comme productions pensées, conçues et réalisées pour le web avec des éléments qui les
définissent comme tels. Une seconde hypothèse s’attache à la nature des contenus issus
1 François Jost, « La promesse des genres », Réseaux n° 81, CNET, 1997.
6
de différents genres audiovisuels comme le documentaire et le reportage journalistique.
L’analyse de plusieurs productions permettra d’observer comment les webdocumentaires
combinent ces deux approches.
Les auteurs de ces projets sont d’origines professionnelles très diverses : photographes,
journalistes ou documentaristes. Les profils sont donc multiples mais ils sont de plus en
plus nombreux à s’intéresser à ces nouveaux travaux. Afin de resserrer le corpus de cette
étude, les webdocumentaires choisis ont été réalisés par des professionnels du son. Ce
média sonore est par essence celui du récit, c’est le vecteur essentiel de la narration.
L’analyse se complètera ainsi par l’influence du travail du son sur les projets étudiés.
Le corpus s’articule donc autour de trois webdocumentaires. Le premier s’intitule À l’abri
de rien, réalisé en mars 2011 pour la Fondation Abbé Pierre par Samuel Bollendorff
(journaliste) et Mehdi Ahoudig, réalisateur de documentaires radio. Le second est une
production de Ligne 4, Comment le cancer du sein m’a changée, signée en septembre
2010 par Léa Hamoignon (photographe) et Clara Beaudoux, journaliste radio. Enfin, le
troisième concerne Réfugiés oubliés : les Palestiniens au Liban, réalisé en mai 2011 pour
Radio-Canada par trois journalistes et documentaristes radio, Danny Braün, Ahmed
Kouaou et Nahlah Ayed.
Ce mémoire se basera sur l’analyse de ces trois webdocumentaires, sur leurs structures
et leurs contenus et sur des entretiens réalisés avec les auteurs de ces trois projets.
Le travail de recherche commencera par les définitions précises du documentaire, de la
démarche journalistique et du webdocumentaire. Dans un second temps, l’étude se
concentrera de façon plus précise sur les spécificités qui définissent le webdocumentaire,
comme sa structure, sa composition, son interface et l’interactivité qu’il propose. Enfin
l’analyse de séquences choisies dans les trois projets permettra de mettre en valeur les
aspects documentaires et journalistiques des différents contenus.
7
I – DU DOCUMENTAIRE ET DU REPORTAGE JOURNALISTIQUE AU WEBDOCUMENTAIRE
La composition du mot valise webdocumentaire contient déjà dans son intitulé le terme
documentaire. Mais ces productions présentent également de nombreuses composantes
informatives qui relèvent plus de la démarche journalistique. Il est donc nécessaire de
définir le cadre du documentaire tout comme celui du reportage journalistique. Ces
précisions permettront d’analyser comment les webdocumentaires choisis empruntent à
ces deux genres de l’audiovisuel.
1 – Le documentaire et le reportage journalistique
Les premières définitions préciseront les notions de documentaire et de reportage,
comme la distance entre récit du réel et information, ou encore entre regard d’un l’auteur
et souci de neutralité.
1.1 – Le documentaire, un certain récit du réel
Le cinéma documentaire voit le jour avec les frères Lumière à la fin du XIXe siècle.
L’objectif clairement affiché est de produire la représentation d’une réalité ; en ce sens, il
s’oppose à la fiction. En faisant le parallèle en littérature, la distinction entre le roman et
l’essai serait dans l’audiovisuel la différence entre fiction et documentaire.
« Le terme "documentaire", apparu vers 1910 dans les catalogues Gaumont,
désignait de petits films dont les constats scientifiques n’étaient pas récusés, le
cinéma étant à l’époque insoupçonnable. »2
À partir des années trente, cette idée première de réalité n’est plus prioritaire. Durant la
seconde guerre mondiale et jusque dans les années cinquante, le documentaire sert
souvent la propagande. Il ne retrouvera sa nature première qu’avec l’invention du direct
aux États-Unis au début des années soixante. Depuis, le documentaire s’impose comme
2 Guy Gauthier, Un siècle de documentaire français : des tourneurs de manivelle aux voltigeurs du
multimédia, Armand Colin, coll. « Armand Colin Cinéma », Paris, 2004, p. 10.
8
un genre à part entière de l’audiovisuel, au cinéma et à la télévision. Il s’attache à donner
une représentation spécifique du réel et non à délivrer un discours de vérité.
« Filmer le réel, c’est simplement enregistrer ce que la caméra est en mesure
d’enregistrer aux différentes étapes de la technique. Ce n’est pas une question de
"vérité" – qui risque bien d’être bousculée quelle que soit la technique employée –
c’est une question de méthode. »3
Pour autant ce même auteur Éric Gauthier explique aussi que le documentaire s’impose
et réussit à convaincre par la force de son rapport au réel.
Le documentaire se rattache naturellement au terme « document » dont il est
étymologiquement issu. C’est donc un élément qui, quand il est soumis à un examen
critique, a valeur de témoignage. Les documentaristes ont souvent revendiqué dans leur
démarche une immersion dans la vie des gens avec le souci de saisir comment elle se
déroule et se vit. Mais le documentaire dépend de la démarche du réalisateur, c’est le
regard d’un auteur. À ce titre, il ne prétend pas à l’objectivité ni à l’exhaustivité.
« Contrairement à une idée reçue, le documentaire se donne rarement comme
transparent par rapport au réel. Le point de vue de l’auteur, sa personnalité, ses
opinions, sa volonté de convaincre, transparaissent explicitement. »4
Le documentaire va donc tendre vers une présentation d’un certain réel à travers le
regard d’un auteur. La distinction entre documentaire et reportage vient souvent du statut
que le projet accorde à ses acteurs5. Dans un documentaire ils sont le sujet central de la
production. Dans le cadre d’un reportage ils seront des objets, comme les supports d’un
propos.
En s’appuyant sur des témoignages utilisés comme matière et non comme des
illustrations, le documentaire travaille spécifiquement sur la relation entre un savoir connu
et la représentation que nous en avons. L’idée est de nous donner une nouvelle vision du
monde en modifiant nos anciennes représentations. En ce sens, il ne fait pas appel aux
clichés ou aux stéréotypes mais il cherche, à l’inverse, l’émergence de l’inconnu à partir
du connu.
3 Guy Gauthier, Un siècle de documentaire français : des tourneurs de manivelle aux voltigeurs du
multimédia, Armand Colin, coll. « Armand Colin Cinéma », Paris, 2004, p. 12. 4 Guy Gauthier, Le documentaire, un autre cinéma, Nathan, coll. « Nathan Cinéma », Paris, 2002,
p. 239. 5 Jean-Paul Achard, « Le genre documentaire », surlimage.info.
9
1.2 – Le reportage et la démarche journalistique
La démarche du journaliste et ses pratiques s’éloignent souvent de celles du
documentariste. Dans son ouvrage Le journalisme6, Thomas Ferenczi date de 1778 la
naissance de ce mot dans le dictionnaire. Le terme de « journaliste » remonterait à 1703.
Au XIXe siècle, les écrivains sont nombreux à investir le journalisme. Ils s'appellent
Stendhal, Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alfred de Musset, Jules
Vallès ou Émile Zola. Ils initient la dimension littéraire du journalisme. Mais ce n’est qu’à
la fin du XIXe siècle que le journalisme devient véritablement un métier avec ses règles,
ses organisations syndicales et ses centres de formation.
L’âge d’or du grand reportage date de ce début du XXe siècle. C’est un journalisme
exigeant et de qualité qui met en valeur le style et l’engagement du reporter. Cette
tradition est portée par de grands noms comme Albert Londres, Ernest Hemingway,
Joseph Kessel ou encore Jack London. Et les chartes déontologiques qui définissent les
principes du journalisme voient le jour au cours du XXe siècle.
Le reportage s’apparente à une enquête faite « in situ » par le journaliste, à un compte
rendu d’événements auxquels il a assisté et qu’il a observés sur le terrain. C’est une
recherche d’informations d’actualité. Il s’attache à informer et renseigner le lecteur,
l’auditeur ou le téléspectateur. Le reportage, quelle que soit sa forme, est souvent
composé du commentaire d’un journaliste et des interventions de témoins ou
protagonistes par rapport au sujet analysé.
Le reportage est une illustration possible à partir d’une question d’actualité traitée selon
un angle défini. C’est sur ce point qu’il se distingue du documentaire. Le reportage
propose un point de vue qui tient lieu de fil conducteur. Il n’a pas vocation à développer
une problématique mais sert à l’éclairage d’une actualité. Le journaliste travaille à
transmettre une meilleure connaissance de la société.
« À sa manière, le travail du journaliste […] contribue à la production d'un savoir
sur le monde social. Chacune de ses activités a ses règles, ses contraintes, ses
limites ; chacune d'entre elles a l'ambition d'offrir une représentation, aussi juste
6 Thomas Ferenczi, Le journalisme, PUF, coll. « Que sais-je ? » n°3 743, Paris, 2005.
10
que possible, de la réalité. Pour les journalistes, cette représentation repose sur
une notion de base : l'information. »7
C’est ici que se pose la difficile définition de la notion d’information. C’est d’ailleurs ce
qu’explicite Yves Jeanneret en pointant l’étendue du spectre de ses usages et de ses
significations.
« S'il y a des théories de l'information, celle-ci a d'abord son histoire, histoire
plurielle liée aux entreprises diverses des hommes pour avoir prise sur le monde.
Les médias nomment "information" les récits d'actualité. »8
Yves Jeanneret poursuit en précisant que dès le XIXe siècle, dans la presse, la distinction
entre information et opinion se formalise. L’information est donc le moyen, pour les
journalistes, d’avoir accès à la connaissance du réel. Leur démarche se caractérise par la
façon dont ils construisent l’information, c'est-à-dire qu’ils mettent en œuvre les données
du réel pour le rendre intelligible. Et l’information est le résultat d’une recherche, ce n’est
pas un bien directement disponible comme l’explique François Simon dans Journaliste :
dans les pas d’Hubert Beuve-Mery9. Recueillir cette information, la replacer dans son
contexte, l’analyser et la vérifier en croisant différentes sources relève justement des
compétences professionnelles des journalistes.
Thomas Ferenczi explique, toujours dans son livre Le journalisme, que parmi les
contraintes qui pèsent sur le journaliste, l’une d’elle est le temps. Le journaliste travaille
toujours vite. Et la vitesse s’est d’autant plus accélérée avec les progrès technologiques.
Ce qui oppose directement le journaliste au documentariste qui a nécessairement besoin
de temps. Une deuxième contrainte imposée aux journalistes est celle de l’actualité.
« L’actualité est une construction journalistique, en vertu de laquelle les médias
retiennent, dans le flux de tous les faits sociaux possibles, ceux qui leur
apparaissent, dans le présent immédiat, comme les plus importants, les plus
significatifs ou les plus pertinents au regard de leurs choix rédactionnels. »10
Cette contrainte marque également une distinction entre journalistes et documentaristes.
Souvent ces derniers ne traitent pas de sujets d’actualité brûlante mais de problèmes de
société plus larges, moins marqués par la temporalité.
7 Thomas Ferenczi, Le journalisme, PUF, coll. « Que sais-je ? » n°3 743, Paris, 2005, p. 7. 8 La « société de l'information » : glossaire critique, Documentation française, Paris, 2005. 9 François Simon, Journaliste : dans les pas d'Hubert Beuve-Méry, Arléa, Paris, 2005. 10 Thomas Ferenczi, Le journalisme, PUF, coll. « Que sais-je ? » n°3 743, Paris, 2005, p. 15.
11
Entre documentaire et reportage, la frontière est poreuse. Même s’il peut être informatif, le
documentaire est la proposition d’un auteur, c’est une représentation du réel. De son
côté, le reportage s’attache à l’illustration d’une problématique d’actualité dans un souci
d’information. Se pose maintenant la question de la définition du webdocumentaire.
12
2 – Comment définir le webdocumentaire ?
Webdocumentaire, webreportage, POM (Petit Objet Multimédia)… les termes fleurissent
sur le net pour définir ces nouveaux contenus multimédias aux formes multiples. Il n’est
pas simple de s’y retrouver et encore moins de proposer une définition exacte et
exhaustive de ce que pourrait être le webdocumentaire.
2.1 – Du néologisme à la définition
Ce terme général rassemble aujourd’hui toutes les nouvelles formes de reportages
multimédias sur le web réalisés avec des techniques diverses. Certaines caractéristiques
permettent de préciser un peu plus la nature de l’objet webdocumentaire comme le décrit
la rédaction de webdocu.fr.
« Il s’agit d’un document multimédia, interactif, traitant d’un sujet pouvant être
assimilé au genre documentaire. » 11
La construction même du mot webdocumentaire définit un documentaire conçu, réalisé et
diffusé pour le web. Ce n’est pas la diffusion d’un documentaire télévisuel classique ou
même cinématographique. Il s’agit d’une forme nouvelle de documentaire qui utilise
toutes les ressources spécifiques que le multimédia met à sa disposition. Il peut se
composer de vidéos, de séquences animées, sonores ou pas, d’enregistrements audio,
de photos, de dessins ou d’illustrations…
Mais surtout le webdocumentaire ne se contente pas d’une narration linéaire. Il a plus à
voir avec les formes de navigation du CD-ROM ou du DVD-ROM que le documentaire
diffusé sur les chaînes de télévision. Le webdocumentaire se définit par son usage
spécifique des nouvelles technologies multimédias, en particulier de l’interactivité. Cette
fonctionnalité change radicalement la lecture que l’utilisateur peut faire d’un
webdocumentaire en abolissant la dimension linéaire du récit.
11 Olivier Crou, « Qu’est-ce qu’un webdocumentaire ? », webdocu.fr, août 2010.
13
2.2 – Un récit délinéarisé
La caractéristique première du webdocumentaire se retrouve dans la forme conceptuelle
que prend le récit.
« La mise-en-intrigue consiste principalement dans la sélection et l’arrangement des
événements et des actions racontées, qui font de la fable une histoire "complète et
entière", ayant commencement, milieu et fin. […] Pour passer de la simple suite
linéaire et temporelle des moments […] à un récit proprement dit, il faut opérer une
narrativisation de ce procès, passer de la chronologie à la logique singulière du
récit. »12
Dans sa forme historique et traditionnelle, le récit propose donc une continuité linéaire,
c'est-à-dire qu’il se compose d’un début, d’une succession de chapitres et d’une fin. Cette
structure s’illustre dans les livres ou dans les films. Il existe des exemples contradictoires
comme la poésie ou la littérature fragmentaire mais très généralement le lecteur ou le
spectateur suit le fil narratif dans l’ordre décidé par l’auteur ou le réalisateur. Le récit lui-
même n’est pas forcément chronologique et peut faire appel à des flashbacks, des
ellipses ou inverser l’ordre des scènes, mais le lecteur ou le spectateur observe
l’agencement proposé. Le webdocumentaire offre une alternative à cette organisation
linéaire en mettant en place un récit délinéarisé. C’est l’internaute qui choisit son propre
parcours au sein du documentaire grâce à une navigation interactive.
Une navigation interactive
Il existe deux formes d’interactivité. L’interactivité technique permet à l’utilisateur d’agir sur
l’interface et l’interactivité humaine offre aux internautes de communiquer entre eux ou
avec les auteurs. Cette interactivité humaine implique les blogs, la possibilité de
commenter un contenu et surtout les réseaux sociaux. Les trois projets étudiés ont
proposé un blog en parallèle de la diffusion du webdocumentaire. Mais dans cette étude,
il sera surtout question d’interactivité technique.
Un webdocumentaire rassemble un ensemble d’événements organisés, agencés et mis
en scène. Ce qui change par rapport au récit traditionnel, c’est la façon dont l’internaute
peut passer d’une séquence à une autre. Des liens interactifs, appelés hypertextes ou
hypermédias, permettent au lecteur de choisir son propre parcours au sein du
webdocumentaire.
12 Jean-Michel Adam, Le Récit, « Que sais-je ? », PUF, 1999, pp. 90-91.
14
« Un hypertexte est, dans sa définition classique issue de la conception de Ted
Nelson, une structure particulière d’organisation d’une information textuelle. Des
blocs d’information textuelle (les nœuds) sont liés les uns aux autres par des liens
de sorte que leur consultation (la navigation) permet à l’utilisateur de passer d’un
nœud à l’autre à l’écran par activation du lien qui les unit. Un hypermédia est un
hypertexte qui peut inclure d’autres médias que du texte. »13
Il est intéressant de noter que l’hypertexte, dans sa conception initiale aux États-Unis, est
un projet documentaire. C’est la solution de Vanevar Bush qui permettait de répondre aux
besoins d’un utilisateur d’associer et d’organiser des informations de natures différentes.
Ted Nelson est séduit par ce modèle théorique. Il en stabilise le concept et invente le
terme d'hypertexte. En littérature, c’est ce que Gérard Genette a appelé la transtextualité
ou transcendance textuelle :
« Tout ce qui met le texte en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres
textes. »14
Pour les chercheurs Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier, l’hypertexte n’est pas une
explication mais une actualisation ou au mieux une interprétation du texte (au sens large
de médias). Car en « cliquant », le lecteur ne fait que reproduire les gestes du
concepteur.
« Ce n’est pas parce qu’un auteur a réalisé un lien hypertextuel qu’il a formalisé la
théorie herméneutique sous-jacente à ce lien. Autrement dit, l’outil hypertextuel
nous conduit à effectuer des actes nécessaires qui portent en eux une philosophie
du texte. » 15
Le lecteur est ensuite libre de faire un geste « machinal » ou d’interpréter.
Dans le langage courant, le terme hypertexte s’utilise très souvent pour désigner en fait
un hypermédia. À partir d’une première séquence, l’internaute peut donc passer à
plusieurs séquences différentes qui lui sont proposées. Ces liens restent cependant
13 Philippe Bootz, « Que sont les hypertextes et les hypermédias de fiction ? », olats.org, déc.
2006. 14 Gérard Genette, Palimpsestes, Le Seuil, coll. « Poétique », 1982. 15 Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier, « Pour une poétique de "l’écrit d’écran" », χoana n°6,
1999.
15
directionnels, c'est-à-dire qu’ils permettent d’aller d’un premier élément à un second mais
avec ou sans retour possible depuis le deuxième élément vers le point de départ16.
2.3 – Une structure organisée
Le contenu d’un webdocumentaire s’apparente à celui d’un documentaire classique. Le
projet se compose d’un sujet principal que viennent étoffer des questions
complémentaires, des points de vue différents ou des exemples pluriels.
Les différents contenus possibles
Toutes les informations diffusées dans un webdocumentaire visent à transmettre la
représentation d’une réalité. Le projet se construit donc sur des témoignages, des
expériences, des investigations et des études ou des enquêtes autour de la question
posée. Le but est de proposer une certaine représentation du réel. De la même façon que
le documentaire classique emprunte parfois à la fiction pour créer des « docu-fictions »,
certains webdocumentaires franchissent également les mêmes frontières perméables. Le
site lemonde.fr par exemple a ainsi proposé un webdocumentaire intitulé Muti, adapté
d’un polar de Caryl Férey qui se déroule à Cape Town17.
Les multiples formes envisagées
Le webdocumentaire se distingue en revanche très clairement du documentaire
traditionnel dans la multitude des formes qu’il propose. Les séquences vidéo peuvent
alterner ou se combiner avec des diaporamas photographiques, sonores ou pas. Des
enregistrements audio illustrent parfois un portrait photographique. Des infographies et
des schémas, fixes ou animés, permettent d’expliquer un phénomène ou un système
d’organisation. Enfin, les textes, rapports ou enquêtes enrichissent ou apportent des
informations supplémentaires sur le sujet ou la question. Le web bénéfice de tous les
médias et offre ainsi la possibilité d’utiliser la forme la plus adaptée au contenu diffusé.
16 Cf. Annexe n°1, Exemple de graphe hypertextuel par Philippe Bootz. 17 « Muti, un polar de Caryl Férey à Cape Town», lemonde.fr, mai 2010.
16
L’organisation des contenus
Le dernier élément qui constitue un webdocumentaire est son interface. C’est la façon
dont sont organisés les différents contenus et la manière dont l’utilisateur peut naviguer
de l’un à l’autre. Comme l’explique Olivier Crou dans son article Qu’est-ce que le
webdocumentaire ?18, la structure peut être arborescente, c'est-à-dire structurée en
niveaux comme celle des jeux vidéo. Mais elle peut également être ouverte ou
indéterministe, c'est-à-dire aller d’un point de départ à un point d’arrivée avec un parcours
laissé au libre choix de l’utilisateur. Enfin, la navigation peut être évolutionniste, c'est-à-
dire présenter un point de départ mais sans point d’arrivée avec un développement qui se
crée au fur et à mesure du parcours de l’internaute.
« S’il fallait proposer une définition, se serait peut-être : un documentaire (film
didactique), adapté au web, c’est-à-dire qui utilise les outils du web (multimédia,
interactivité) au service d’une narration. »19
Comme le précise Olivier Crou, le webdocumentaire se présente donc comme la mise en
forme, l’organisation et l’articulation de différents éléments, qu’ils soient du texte, du son,
de l’image fixe ou animée. L’analyse va donc maintenant se concentrer sur les
webdocumentaires qui constituent le corpus par rapport à la problématique énoncée.
18 Olivier Crou, « Qu’est-ce qu’un webdocumentaire ? », webdocu.fr, août 2010. 19 Olivier Crou, « Avant-propos : introduction au webdocumentaire », wedocu.fr, mars 2011.
17
3 – Le contexte de réalisation des webdocumentaires étudiés
La radio est le média qui s’impose par la narration. Pour intéresser l’auditeur privé
d’images, journalistes et documentaristes doivent se concentrer précisément sur le
propos et raconter une histoire à ceux qui les écoutent. Il sera intéressant de voir
comment les professionnels du son abordent l’exercice du webdocumentaire. Avant
d’entrer dans la structure et le contenu de ces projets, il est nécessaire de rappeler le
contexte dans lequel ils ont été conçus, pensés et réalisés.
3.1 – À l’abri de rien pour la Fondation Abbé Pierre
La Fondation Abbé Pierre a choisi un moyen original de traiter du thème difficile du mal-
logement. Elle a demandé une enquête sous la forme d’un webdocumentaire, À l’abri de
rien. C’est donc un travail de commande, passé par l’intermédiaire de l’agence Texuel, au
photographe Samuel Bollendorff. Déjà auteur de plusieurs webdocumentaires, ce dernier
souhaitait particulièrement travailler avec un professionnel du son et explorer ce domaine.
Mehdi Ahoudig, documentariste pour Arte Radio et France Culture, rejoint ainsi le projet.
Comment prendre la mesure du mal-logement et alerter la population sur ce problème ?
Les auteurs ont choisi de s’approcher au plus près du réel. Après avoir lu plusieurs
rapports de la Fondation, ils ont cherché à la fois une disparité de lieux et de situations.
« Nous avions envie de rendre compte des différentes facettes du mal-logement et
pas spécialement d’être sur quelques cas emblématiques. Donc ces portraits de
situations nous sont apparus assez rapidement. »20
Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff sont entrés dans les logements insalubres pour
donner des images de la réalité. Les habitants racontent des histoires concrètes et
réelles, celles qu’ils vivent.
« Avec une immersion intense et un média permettant la circulation, le partage et la
dissémination de l’information d’une manière plus rapide, le webdoc est saisissant. Il
créait une intimité avec les personnes bien au-delà des seules données statistiques
20 Cf. Annexe n°2, Interview de Mehdi Ahoudig, coauteur de À l’abri de rien.
18
sur le mal-logement ! C’est bien là, la finalité du genre webdocumentaire qui permet
une implication accrue et une prise de conscience de ce fléau. »21
Le projet présente donc douze portraits d’habitants et de familles en situation de mal-
logement. Chacune des séquences est suivie ou complétée de données informatives et
de chiffres issus du seizième rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-
logement en France.
Associé au webdocumentaire, un blog a été ouvert sur le site de la Fondation Abbé Pierre
afin que les internautes y déposent leurs idées pour lutter contre le mal-logement. À l’abri
de rien a été distingué par le Prix Europa 2011, dans la catégorie Meilleur projet en ligne.
3.2 – Comment le cancer du sein m’a changée, une production Ligne 4
Clara Beaudoux, journaliste et collaboratrice régulière à Radio France et la photographe
Léa Hamoignon signent ce webdocumentaire. Il est intéressant de noter que la production
de ce projet a été portée par une petite agence multimédia Ligne 4, grâce au soutien du
CNC et du ministère de la Santé et des Sports. Au départ, Clara Beaudoux22 et Léa
Hamoignon travaillaient sur un diaporama sonore pour le site de Libération, LibéLabo.
Elles ont assisté à un atelier d’onco-esthétique organisé en milieu hospitalier pour les
femmes, notamment sous chimiothérapie. Et c’est en faisant ce reportage que les deux
auteurs se sont rendu compte qu’il y avait un sujet beaucoup plus large à traiter. Bien
avant d’envisager la forme d’un webdocumentaire, elles ont réalisé de nombreux
entretiens avec six femmes, atteintes d’un cancer du sein et qui acceptaient de témoigner.
Au final, le projet présente six portraits de femmes qui racontent leurs vies pendant
qu’elles sont encore dans le protocole de soins et en lutte contre la maladie. Il est
présenté en six thématiques : Mon corps, Les hommes, Mes enfants, La maladie, Les
autres et Ma vie. Un lexique scientifique ordonné par mots-clés donne une dimension
parallèle, très informative sur les termes médicaux.
21 « Webdocumentaire, À l’abri de rien : un webdoc qui alerte sur la situation du mal-logement en
France », 3wdoc.com, mars 2011. 22 Cf. Annexe n°3, Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du sein…
19
« D’autre part, bien que nous voulions centrer notre travail sur ces six témoignages,
la valeur ajoutée du webdocumentaire est qu’il permet l’intégration d’informations
indispensables à la compréhension du sujet. »23
Sur le site lemonde.fr, un blog accompagnait également le projet au moment du
lancement du webdocumentaire. Enfin, dans le cadre d’Octobre rose, une campagne qui
vise à informer sur le cancer du sein, plusieurs conférences étaient organisées. Pour l’une
d’elle, La qualité de vie pendant et après un cancer, les organisateurs avaient choisi
d’illustrer le propos non pas au moyen d’un documentaire, mais par la projection d’extraits
du webdocumentaire Comment le cancer du sein m’a changée. C’est une toute nouvelle
forme d’utilisation de ce type de production.
3.3 – Réfugiés oubliés par Radio-Canada
Les auteurs, Danny Braün et Ahmed Kouaou, sont deux professionnels de Radio-Canada
de longue date. Danny Braün œuvre en réalisateur et journaliste depuis plus de vingt ans
sur la chaîne et Ahmed Kouaou y est journaliste depuis 2005. Les deux journalistes,
accompagnés d’une consœur de CBC News, se sont rendus au Liban ; ils ont séjourné
près de trois semaines dans le camp de Chatila. Ce webdocumentaire est le premier que
la chaîne Radio-Canada produit. L’idée était de changer de format, de sortir du
documentaire classique et d’aller vers une forme délinéarisée et plus interactive. Le projet
existait depuis plusieurs mois à Radio-Canada mais sa mise en œuvre s’est décidée un
peu au dernier moment. Danny Braün24 rejoint le projet dix jours avant le départ. Peu de
temps de recherche, peu de temps de préparation, donc tout s’est construit sur place
pendant le tournage : les témoignages tout comme la structure du webdocumentaire.
Depuis plus de soixante ans, les Palestiniens qui ont fuit leur pays ont trouvé refuge dans
le camp de Chatila, au Liban. Ce qui devait être une situation temporaire perdure. Le
webdocumentaire propose aux internautes d’aller à la rencontre des habitants, ces
réfugiés oubliés, sans statut ni pays. Rue de la clinique, rue de la Tour, la famille Jaad…,
c’est une promenade interactive à travers neuf lieux. Une carte aérienne permet de
visualiser l’espace et de choisir, par exemple, d’aller au café ou chez Tawil. Le spectateur
23 « Comment le cancer du sein m'a changée (interview) », webdocu.fr, septembre 2010. 24 Cf. Annexe n°4, Interview de Dany Braün, coauteur de Réfugiés oubliés.
20
est alors immergé dans le lieu et vit l’expérience de l’intérieur, selon son choix et à travers
les trente-cinq capsules vidéo proposées. Le projet est disponible en trois langues :
français, anglais et arabe.
En parallèle de ce projet, les journalistes ont tenu un blog, directement accessible depuis
le webdocumentaire, sur l’élaboration de celui-ci. C’est un véritable journal de bord des
trois semaines de tournage, à l’écrit et en photos. De son côté, Danny Braün a réalisé un
reportage de neuf minutes pour l’antenne dans l’émission Dimanche magazine de Joane
Arcand. Et lors de la 63e remise des Prix Italia en septembre 2011, le jury a attribué à
Réfugiés oubliés le prix du meilleur site web interactif lié à une émission radiophonique ou
télévisée. La qualité du webdocumentaire a également été saluée dans le cadre de
l'édition 2011 des Online Journalism Awards. Ce concours lui a attribué les prix de la
meilleure présentation multimédia et du meilleur vidéojournalisme en ligne dans la
catégorie des sites de taille moyenne.
Il est possible de définir de façon assez générale le genre documentaire et la démarche
journalistique. En revanche, il est plus difficile de cerner le webdocumentaire tant ses
formes sont multiples et nombreuses. Les titres des projets donnent une première
indication : les sujets tendent plus vers le documentaire. En effet les thèmes abordés ne
dépendent pas d’une actualité définie à un instant donné mais relèvent plutôt de
questions sociales et sociétales.
L’analyse des trois projets sélectionnés détaillera au mieux leurs structures et leurs
contenus. L’étude se penchera également sur leurs spécificités et la place que les
professionnels de la radio, de par leur pratique quotidienne, accordent au son dans leurs
webdocumentaires.
21
II – LA FORME DES WEBDOCUMENTAIRES ADAPTÉE À UNE NARRATION SPÉCIFIQUE
La structure des webdocumentaires est d’une part unique en ce sens qu’elle définit
immédiatement l’objet dans lequel nous nous trouvons. D’autre part, elle est multiple et
infinie tant est elle spécifique à chaque projet. La structure conditionne la navigation au
sein du webdocumentaire. Pour comprendre les principes narratifs des projets, il est
nécessaire d’étudier quels sont les choix possibles de navigation pour l’utilisateur et la
manière dont ils permettent l’accès au contenu du projet.
1 – Les structures narratives des webdocumentaires
La grande variété des types de navigation mis en place dans les webdocumentaires
permet de créer une forme de liberté dans la consultation de l’œuvre. D’une forme
classique et linéaire à une proposition aléatoire et en étoiles, l’analyse va détailler les
structures développées dans les différents webdocumentaires étudiés.
1.1 – La définition de l’arborescence
L’arborescence, c’est la structure du webdocumentaire, la manière dont les différents
écrans sont présentés et accessibles les uns par rapport aux autres. Il est possible de
faire une représentation symbolique d’un projet pour comprendre comment il est construit.
Cette arborescence n’est pas nécessairement lisible par l’utilisateur mais elle conditionne
la proposition de lecture. Elle est surtout indispensable aux réalisateurs pour la
conception de leur projet ; c’est en quelque sorte le plan du webdocumentaire. Cette
construction permettra ensuite de concevoir la navigation, c'est-à-dire les liens que
l’utilisateur pourra activer pour se déplacer dans le projet.
Dans les cas étudiés, la définition de l’arborescence ne s’est pas faite a priori mais plutôt
a posteriori, quand les auteurs ont cherché à organiser la matière dont ils disposaient. Ce
n’est donc pas une construction abstraite mais au contraire une mise en forme intimement
liée au contenu.
1.2 – L’arborescence concentrique
22
La forme concentrique25 est la forme la plus souvent utilisée dans les webdocumentaires.
Le spectateur a accès à une liste, un plan, une mosaïque de photos… qu’il peut consulter
dans l’ordre qu’il souhaite et approfondir ainsi sa visite dans la thématique choisie.
Chaque thème peut être constitué d’une séquence vidéo ou d’un ensemble de
séquences.
Plusieurs formes concentriques
Le webdocumentaire À l’abri de rien propose une première séquence à l’utilisateur. Ce
dernier peut donc suivre le projet de manière linéaire en suivant l’ordre préétabli par les
deux auteurs. Mais le webdocumentaire présente aussi une mosaïque des douze
vidéos26 qui sont autant de portraits de situations diverses sur le mal-logement. Après le
visionnage de la séquence sélectionnée, l’internaute pourra découvrir le bonus
complémentaire qui lui sera alors proposé.
Le webdocumentaire Réfugiés oubliés : les Palestiniens au Liban va encore plus loin. La
structure du projet propose une séquence aléatoire de départ à chaque nouvelle
utilisation. Et de plus, une carte de la ville27 permet de visionner les différents quartiers.
Une fois entré dans un secteur, le spectateur peut choisir plusieurs vidéos ou portraits et
approfondir ainsi sa découverte des habitants dans le lieu sélectionné. Dans ce cas la
25 Cf. Annexe n°5, Les structures des webdocumentaires. 26 Cf. Annexe n°6, « 6.2 – La liste de tous les témoignages. » 27 Cf. Annexe n°8, « 8.2 – Navigation via la carte aérienne. »
23
carte, qui sert de trame narrative, est également constitutive de l’histoire. Elle situe les
différents lieux et donne des informations complémentaires à l’internaute.
Les effets d’une navigation concentrique
Cette forme de navigation a l’avantage de paraître très simple et en même temps d’offrir
une grande liberté à l’utilisateur. Chaque module est ainsi organisé au sein d’une même
thématique ou dans le cas qui nous intéresse, dans une même unité de lieu.
Le risque est grand cependant de « perdre » le spectateur puisque le déroulé de l’histoire
ne dépend que de ses propres choix. C’est pourquoi les auteurs des webdocumentaires À
l’abri de rien et Réfugiés oubliés proposent en parallèle « un chemin possible ». À la fin de
chaque séquence un bouton guide l’internaute qui n’a pas envie de choisir, pour accéder
à la séquence suivante, c'est-à-dire à la vidéo proposée, par défaut, par les réalisateurs.
Cette solution permet aux auteurs de rester présents et d’aider les spectateurs qui en ont
besoin.
Après les séquences d’introduction, les pages d’accueil des deux webdocumentaires
proposent une plongée immédiate dans l’un des sujets. À l’abri de rien commence par la
première situation, avec la famille Leffler, dans la banlieue de Pau28. Réfugiés oubliés
illustre à lui tout seul la délinéarisation du récit en affichant de façon aléatoire la première
séquence comme par exemple la scène d’exposition Chez les Jaad29. Mais ce début peut
être l’un ou l’autre des neuf lieux du projet. L’histoire vue par chaque utilisateur sera
régulièrement différente. Elle ne démarrera pas de la même façon et se déroulera selon
les actions du spectateur. Un même internaute pourra d’ailleurs revenir sur le
webdocumentaire et commencer tout autrement l’histoire.
28 Cf. Annexe n°6, « 6.3 – Séquence avec la famille Leffler, dans la banlieue de Pau. » 29 Cf. Annexe n°8, « 8.5 – Scène d’exposition Chez les Jaad. »
24
1.3 – L’arborescence à double entrée
Le cas du webdocumentaire Comment le cancer du sein m’a changée est un peu
particulier car il combine deux narrations concentriques.
La combinaison thématique et concentrique
La page d’accueil30 du webdocumentaire propose un accès direct aux six portraits de
femmes. En sélectionnant l’une des patientes, l’internaute a alors accès à la série des
séquences qui lui sont consacrées et peut également compléter sa visite de la vidéo « un
an après. » Mais une autre navigation est également possible, l’utilisateur pouvant
visionner l’ensemble des vidéos selon l’un des six thèmes proposés.
Interrogées sur le choix de la forme du webdocumentaire, les auteurs Clara Beaudoux et
Léa Hamoignon précisent justement que cette approche permettait de répondre
exactement à leur projet.
« Nous ne voulions pas nous contenter de faire des portraits de femmes, femme
par femme, mais l’idée était plutôt de faire interagir leurs différents discours sur
des sujets communs. D’où notre proposition de double lecture : soit comparer les
différents ressentis des femmes sur un sujet commun, soit suivre une femme sur
les six thèmes proposés. Offrir cette double lecture n’était possible qu’avec un
webdocumentaire. » 31
Les effets de cette structure à double entrée
En plus de l’impression de liberté de la forme concentrique, la navigation thématique
permet d’aborder le sujet sous des angles différents. L’internaute va suivre l’histoire au fil
de son questionnement. La forme permet en fait au spectateur de choisir lui-même le
déroulement, un peu comme s’il posait lui-même les questions : « Que se passe-t-il dans
la vie sociale, comment réagissent les autres ? » Il se situe exactement à la place de
l’auteur.
30 Cf. Annexe n°7, « 7.2 – Page d’accueil. » 31 « Comment le cancer du sein m'a changée (interview) », webdocu.fr, septembre 2010.
25
Après la séquence d’introduction, la page d’accueil du projet donne à voir les six portraits
des femmes. En passant la souris sur l’un des portraits, la photo se retourne et laisse
apparaître les informations : prénom, âge, situation géographique, familiale et
professionnelle ainsi qu’une phrase clé. À gauche de l’écran, la liste des thèmes permet
de choisir une navigation thématique32.
Chaque utilisateur va d’ailleurs visionner le webdocumentaire à sa façon. Et faire les
enchaînements selon son intérêt propre. Cette expérience est impossible dans le cadre
d’un documentaire classique.
Ces deux types de navigation vont permettre à l’utilisateur autant de variations possibles.
Les structures sont donc multiples mais une règle demeure, celle de l’interactivité
(technique) qui fait du spectateur le véritable décideur de son parcours. Cette possibilité
donnée au spectateur de pouvoir choisir est l’une des spécificités du webdocumentaire,
c’est en effet le seul genre de l’audiovisuel capable de la proposer.
32 Cf. Annexe n°7, « 7.3 – Navigation thématique. »
26
2 – Quand l’interface devient support de narration
Véritable spécificité du webdocumentaire, l’interface sert autant à la navigation qu’à la
narration. Il est donc intéressant d’étudier les cas où le principe de navigation est partie
prenante de la narration.
2.1 – Le spectateur aux commandes de l’histoire
La navigation interactive modifie le sens du récit selon l’ordre dans lequel l’utilisateur
parcourt les séquences. Un même élément peut être consulté depuis différents points de
départ. Donc la signification de cet élément ne dépend pas uniquement de son propre
contenu, mais aussi de ce qui a été consulté et découvert avant.
Ainsi la navigation agit directement sur le contenu de l’œuvre. Chaque utilisateur va faire
sa propre expérience et son parcours comme ses choix vont contribuer à produire du
sens. C’est l’une des particularités du webdocumentaire : l’influence active de l’internaute.
L’interactivité place l’utilisateur en situation de décisionnaire, relative certes, mais c’est lui
qui choisit son propre parcours. C’est la position de l’ « utilisateur roi » où l’internaute
n’est pas seulement spectateur, il devient aussi acteur. Il met l’auteur à son service. C’est
ainsi que dans le webdocumentaire, l’utilisateur gagne en liberté par rapport à un schéma
de documentaire classique et linéaire. Il doit agir physiquement en cliquant à l’aide de la
souris sur un bouton, un lien, un texte ou une photo. Cette fonctionnalité ne fait pas pour
autant du lecteur un auteur car il ne modifie pas le contenu. Mais il peut développer son
propre raisonnement au fil des séquences d’information qu’il consulte, indépendamment
de la démarche du réalisateur.
Pour approfondir certains angles ou illustrer au mieux un sujet, le webdocumentaire
permet l’ajout de bonus complémentaires, d’extraits sonores, de schémas ou d’articles
explicatifs. Ces éléments doivent avoir été conçus dans l’ensemble de la production mais
pensés également dans l’arborescence du projet. La scénarisation du récit doit prévoir
l’ajout de ces compléments périphériques. Ils permettent d’enrichir le propos et d’offrir le
choix à l’internaute en fonction de ses intérêts ou de ses questionnements.
Le webdocumentaire nécessite la réunion de différents métiers. Au savoir-faire du travail
de journaliste et de photographe, il faut ajouter les compétences numériques. La
navigation et l’interactivité participent et contribuent à la narration, ce qui explique leur
27
importance. Dans un média classique comme le livre ou le film, le lecteur ou le spectateur
peut exprimer son sens critique ou construire une réflexion mais il ne peut pas agir sur le
déroulé du récit. Le mode de lecture du web impose cette nouvelle contrainte. À la
télévision, le téléspectateur a l’habitude de zapper ; sur Internet il clique et choisit.
La richesse de l’interactivité
Le webdocumentaire n’est pas structuré comme un article de presse, l’interactivité fait
directement partie de son architecture.
« C’est un média qui doit être pensé avec l’hypertexte, les propriétés du web. [...]
On ne véhicule absolument pas les mêmes choses selon le format choisi, article
rédigé ou webdocumentaire et pour chaque sujet, nous devons nous demander ce
qui correspond le mieux. »33
Le principe même de l’interactivité, c’est de permettre une narration fragmentée, mais
fluide, à plusieurs entrées, où l’internaute peut faire son propre parcours un peu à l’image
des livres dont vous êtes le héros.
2.2 – Découverte d’un lieu avec la carte des Réfugiés oubliés
33 Boris Razon, « Webdocumentaire : mutation de la presse en marche ! », cblog.culture.fr, février
2011.
28
La carte aérienne34 du camp de Chatila permet de visualiser l’emplacement des rues et
ruelles, tout comme le café, la rue du musée, l’école ou le cimetière. La carte permet de
se déplacer directement d’un quartier à un autre dans la ville. Cette image donne
également une vue d’ensemble de la localité et l’utilisateur peut situer les lieux les uns par
rapport aux autres. L’idée est venue à la toute fin du projet. Toutes les histoires se
déroulaient dans le camp de Chatila mais les auteurs sentaient qu’il était assez difficile de
s’y retrouver.
La vignette de la carte est en permanence accessible, en bas à gauche de tous les
écrans, ce qui permet à l’internaute de toujours se placer visuellement s’il s’est un peu
perdu dans le camp et dans la suite des vidéos qu’il a visionnées. Le webdocumentaire
ne propose pas de fil narratif avec un début, un développement et une fin. Le spectateur
se trouve donc dans l’obligation de cliquer et de choisir. La carte permettait aux auteurs
de rassembler l’ensemble des séquences vidéo et diaporamas en une seule
représentation.
La carte, cet objet géo-graphique comme la nomment Pascal Robert et Emmanuël
Souchier, écrit la géographie du territoire.
« Mais la carte n’est pas seulement un support, c’est aussi un média qui relève du
registre des écrans. La carte est en cela comparable à la page dont elle partage
l’une des caractéristiques phénoménologiques essentielles ; toutes deux sont en
effet douées de la même "puissance abréviative". La carte contient potentiellement
tout l’univers en son espace, à l’instar de la page qui accueille quant à elle tout
l’espace possible du scriptible, autrement dit tout ce qui est susceptible de
s’écrire. »35
En ce sens, la carte est un élément informatif qui relève plus de la démarche du
journaliste que du documentariste. Le but est clairement d’apporter des informations au
lecteur, de le renseigner sur la situation du lieu dans son ensemble. Cette image aérienne
propose une navigation géographique. C’est une forme qui est directement au service du
fond. C'est-à-dire que la navigation participe aussi de l’histoire racontée aux internautes.
Ils ont le plan de la ville, à eux de construire leur parcours, leur histoire. Le déroulement
du récit dépendra des choix de l’utilisateur.
35 Pascal Robert, Emmanuël Souchier, « La carte, un média entre sémiotique et politique »,
Communication & langages n° 158, Armand Colin, janvier 2008.
34 Cf. Annexe n°8, « 8.2 – Navigation via la carte aérienne. »
29
Chaque mot spécifique de cette maladie est ainsi détaillé avec
sa définition36.
2.3 – Visée didactique d’une navigation par mots-clés
Dans le cadre de Comment le cancer du sein m’a changée, la navigation parallèle par
mots-clés offre au webdocumentaire une visée didactique et informative. Les portraits se
concentrent sur les témoignages des patientes mais le lexique ouvre vers la
connaissance médicale.
Les deux auteurs du webdocumentaire ont souhaité compléter les témoignages des
femme
possibilité là, qu’il puisse s’informer sur ce que la femme est en train de lui dire. »37
deux journalistes ont donné la parole à six femmes sans chercher l’exhaustivité mais en
s avec de l’information médicale.
« C’est venu au moment où j’ai monté les sons et je me demandais quelle était la
vérité scientifique par rapport à ce que me disaient les femmes. Et je suis allée
chercher les infos. Donc je me suis dit, il faut que l’internaute ait aussi cette
En radio, entre deux interviews, le commentaire du journaliste permet de préciser une
définition mais cette option n’était pas possible au milieu des témoignages. L’écrit vient
donc en support complémentaire et les mots-clés apparaissent au moment où les femmes
les évoquent. Cette partie du projet contraste fortement avec les six témoignages. Les
plongeant dans la réalité de la vie et du quotidien de chacune d’elles. Le lexique en
36 Cf. Annexe n°7, « 7.4 – Un écran des écrans du lexique. » 37 Cf. Annexe n°3, Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du sein…
30
e libre choix de la navigation est l’une des principales caractéristiques du
revanche est validé par un médecin, c'est-à-dire cautionné par un spécialiste du sujet. Et
l’ambition sur cette partie est celle d’une information scientifique, exacte et complète.
Permettre la double navigation ouvre la possibilité à l’internaute de s’intéresser plus
précisément à certains aspects médicaux et scientifiques, ce qu’il n’aurait pas fait au
simple visionnage des témoignages. C’est encore une démarche très journalistique que
de vouloir appuyer les témoignages sur des informations médicales vérifiées.
L
webdocumentaire qui le différencie immédiatement du documentaire classique. Cette
option peut être utilisée pour enrichir les ressorts narratifs comme c’est le cas dans
Réfugiés oubliés et dans Comment le cancer du sein m’a changée. Dans ces deux
webdocumentaires une même démarche journalistique a conduit les auteurs à proposer,
dans la navigation, des médias dont la teneur est informative, au moyen d’une carte ou
d’un lexique.
31
3 – La spécificité sonore des webdocumentaires étudiés
Parce qu’ils sont signés par des professionnels de la radio, les webdocumentaires étudiés
présentent des caractéristiques sonores spécifiques. Pour commencer, les séquences
d’introduction des trois projets sont sonorisées ce qui n’est pas le cas de l’ensemble des
webdocumentaires. Dans À l’abri de rien, la photo d’accueil s’éclaire au fur et à mesure et
une bande sonore défile. C’est la voix de l’une des personnes qui sera interviewée, suivie
d’un extrait d’une émission de radio. Pour Comment le cancer du sein m’a changée, c’est
une animation avec des sons de pas dans la rue et un extrait musical. Enfin, dans les
Réfugiés oubliés, il s’agit d’une vidéo, caméra fixe, posée dans un des quartiers que l’on
va découvrir avec le son d’ambiance.
3.1 – Le son comme structure narrative
L’importance du son est difficile à mesurer car, contrairement à l’image qui s’inscrit dans
un cadre visible, le son n’a pas de cadre dans l’espace. Michel Chion l’explique dans son
ouvrage Le son ; il existe trois lois qui déterminent le monde sonore et son rapport avec la
réalité :
« 1) Quatre-vingt-quinze pour cent de ce qui constitue la réalité visible et tangible
n’émet aucun bruit.
2) Le cinq pour cent qui est sonore traduit très peu, vaguement ou pas du tout la
réalité dont il est l’aspect sonore.
3) Nous ne sommes généralement pas conscients de 1) et 2) et croyons de bonne
foi que la réalité est sonore, et qu’elle se raconte et se décrit à travers les sons. »38
De plus, dans la combinaison audio-visuelle, la prédominance de l’image est très forte et il
est intuitivement difficile de mesurer l’importance du son. Michel Chion précise que ce
n’est qu’en décomposant le mixage son et image d’une même séquence qu’on s’aperçoit,
que par divers effets, le son ne cesse d’influencer ce que l’on voit. Il faut également tenir
compte du fait que l’attention auditive est voco-centriste comme le dit Michel Chion. C'est-
à-dire que tout comme dans une image l’œil est attiré par les visages humains, l’attention
auditive se dirige d’abord vers les voix.
Pourtant, très souvent le son a un rôle essentiel, il guide la narration. C’est une notion
particulière que doivent intégrer les photographes et journalistes qui travaillent sur les
38 Michel Chion, Le son, Nathan, coll. « Nathan Cinéma », Paris, 2002, page 112.
32
webdocumentaires. Les problématiques s’apparentent à celles que l’on retrouve dans la
paraphrase entre une photo et sa légende.
« Cette bande-son, elle est essentielle. C’est finalement elle qui va dicter le
reportage photo. Dans le montage, on commence toujours par ça. Olivier
[Lambert] crée d’abord sa bande-son, on en parle, et ensuite, au moment du
montage, on insère les photos, les vidéos, on essaie de créer des
contradictions. »39
Dans sa présentation, Webdoc, La narration et l'interaction, Gérald Holubowicz insiste sur
l’importance du son par rapport à l’image dans un webdocumentaire.
« Le son permet d’introduire un personnage, un lieu ou une atmosphère alors
même qu’aucune image n’apparaît à l’écran. Un film dont l’image sera passable et
le son très bon sera toujours mieux reçu qu’un film aux qualités inverses. »40
Mehdi Ahoudig l’a lui-même remarqué lors du festival Europa où il participait aux
délibérations du jury. Tous les webdocumentaires primés étaient des projets où le son
avait été particulièrement soigné.
3.2 – À l’abri de rien et Réfugiés oubliés, intégralement sonorisés
La spécificité professionnelle du documentariste radio Mehdi Ahoudig oriente
naturellement la nature de son travail. À l’abri de rien est en effet un webdocumentaire
entièrement sonorisé, c'est-à-dire que durant toute la consultation, une bande sonore est
présente. Pendant les diaporamas sonores, le témoignage occupe tout l’espace. Et entre
les séquences, quand l’internaute choisit son parcours au sein du webdocumentaire, une
boucle d’ambiance évoquant le dernier élément visionné continue de tourner. Le son est
donc omniprésent.
À la fin de la seconde séquence chez la famille Hidara à Nancy, la bande sonore finale
boucle sur le son ambiant dans l’appartement et sur un programme pour enfant qui passe
à la télévision, sans une seule illustration de la scène. C’était pourtant une des photos du
diaporama, mais le son de la télévision n’était alors pas présent. Le spectateur « revoit »
l’image de la pièce où se trouvait la télévision même si elle n’est plus présente à l’écran.
C’est le pouvoir évocateur du son.
39 Eric Karsenty, « Le webdocumentaire #3 », zmala.net, mai 2010. 40 Gérald Holubowicz, « Webdoc, La narration et l'interaction », slideshare.net, mai 2011.
33
« Ainsi est-il de la nature du son d’être associé fréquemment à quelque chose de
perdu, de raté en même temps que capté, mais toujours là. »41
De la même façon, Réfugiés oubliés fait la part belle au son en développant la même
particularité que dans le projet précédent. Le webdocumentaire est sonorisé du début
jusqu’à la fin de sa consultation. Le son est la langue maternelle des deux journalistes
Danny Braün et Ahmed Kouaou et cette marque de fabrique se retrouve dans un
webdocumentaire porté par une bande sonore très riche de sons d’ambiance.
Dès le premier écran, la séquence d’introduction se construit avec une succession
d’images fixes et de plans vidéo sur laquelle court une bande sonore composée de
musique, de sons de rue, de dialogues lointains, des bruits de la circulation et de la
clameur de la ville. Ces bandes séquences d’introduction sont à la fois aléatoires et
présentes à chaque arrivée dans un nouveau lieu.
« Dans chaque ouverture de page on a des "bumpers", des espèces d’ "images
tampons" qui font sept à dix secondes sur un plan fixe, et ces images changent à
chaque fois. Certains lieux ont quatre pages d’accueil différentes. »42
L’idée de ces séquences d’introduction est de stimuler l’intérêt et l’envie de découverte de
l’internaute. Cette proposition se rapproche de la captatio benevolentae, une technique
oratoire ou littéraire qui permet de capter l’attention de l’interlocuteur ou du lecteur. Les
auteurs souhaitaient ne pas lasser l’internaute ; alors aucun de ses parcours ne sera
semblable au précédent.
En même temps cette expérience le maintient dans le camp, en immersion complète dans
l’univers où se déroule le webdocumentaire. Il existe même certains écrans où le son
entendu en haut des immeubles est différent de celui du bas des mêmes bâtiments, où le
bruit de la rue est plus présent. C’est en particulier le cas dans l’une des séquences Chez
Tawil. Danny Braün précise que les deux sons ont été mélangés et que suivant la position
de la souris sur l’écran, l’un des deux prédomine sur l’autre. Le son permet donc une
spatialisation que l’image en deux dimensions ne restitue pas. La photographie est ainsi
complétée d’un troisième élément, l’espace. Cette particularité renforce l’aspect immersif
du webdocumentaire. En ce sens, le son est une composante qui en accentue l’effet
documentaire.
41 Michel Chion, Le son, Nathan, coll. « Nathan Cinéma », Paris, 2002, page 5.
34
3.3 – Comment le cancer du sein…, centré sur les témoignages
La journaliste radio Clara Beaudoux a une disposition particulière pour le son qui a
visiblement orienté la nature des séquences proposées. Le webdocumentaire donne toute
son importance aux témoignages des femmes, à leur parole. C’est le cœur du projet.
Aucun commentaire, pas de questions, nous entendons simplement l’histoire et
l’expérience que racontent les femmes. Dans les séquences consacrées à Anita, nous
n’écoutons que son histoire, que sa parole. Son témoignage est prédominant même si
nous pouvons entendre son bébé pendant qu’elle raconte son histoire. Nous sommes
chez elle, dans son intérieur, au plus près de sa vie. À l’hôpital, pendant sa visite, nous
entendons les bruits du couloir. Enfin, de nouveau chez elle, nous écoutons également le
commentaire de son mari, son point de vue. Pour le spectateur, c’est réellement une
immersion dans le quotidien d’Anita, c’est une façon de s’en approcher au plus près.
Clara Beaudoux le confirme dans le dispositif même de l’enregistrement des sons.
« Et le son crée vraiment une intimité dans les confidences qu’ont pu me faire ces
femmes. J’ai pu être dans un salon avec elles et juste un micro. Avec une caméra,
je crois qu’elles n’auraient pas été aussi à l’aise. »43
C’était vraiment le but recherché par Clara Beaudoux et Léa Hamoignon. Elles ont donc
laissé la parole aux femmes avec une grande liberté dans leur récit. Au montage Clara
Beaudoux a conservé les hésitations et les silences ce qui est souvent une marque du
documentaire comme le précise Jean-Paul Achard.
« Dans un reportage ou un magazine, les silences sont généralement considérés
comme des blancs, des lacunes et sont par conséquent supprimés. [...] Dans un
documentaire un silence peut être là pour révéler la complexité, l’ambiguïté d’une
impossible réponse… »44
Cette volonté de centrer le webdocumentaire autour des voix des femmes témoigne
également d’une démarche très documentaire.
42 Cf. Annexe n°4, Interview de Dany Braün, coauteur de Réfugiés oubliés. 43 Cf. Annexe n°3, Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du sein… 44 Jean-Paul Achard, « Le genre documentaire », surlimage.info.
35
Le son a toute son importance dans les webdocumentaires même s’il est difficile à cerner
et à mesurer de prime abord parce qu’invisible. Il n’en reste pas moins qu’il est
perceptible de façon inconsciente et que plus il est travaillé, plus le son vient renforcer la
dimension documentaire des projets. Il en définit l’espace et permet l’immersion du
spectateur dans l’histoire.
36
III – LE CONTENU DOCUMENTAIRE ET JOURNALISTIQUE DES WEBDOCUMENTAIRES
Pour étudier plus précisément l’aspect éditorial des webdocumentaires, il est maintenant
nécessaire d’interroger la nature leur contenu. Dans quelle mesure la démarche des
auteurs s’apparente-t-elle à celle des documentaristes et à celle des journalistes ?
Comment abordent-ils les sujets de leur webdocumentaire ? Comment traitent-ils
l’information ?
1 – L’aspect documentaire renforcé par l’effet « Ken Burns »
Ken Burns compte parmi les quatre plus grands documentaristes américains. Son travail
a été reconnu principalement pour sa série de documentaires The Civil War en 1990. La
marque de fabrique de cet auteur est ce que l’on a appelé l’effet « Ken Burns ». Cette
technique vidéo consiste en l’animation d’images fixes à l’aide de travellings et de zooms.
Ces mouvements de caméra permettent de « donner vie » à des photographies et de
renforcer leur caractère réel, comme une preuve indiscutable. Avant lui, d’autres
documentaristes avaient déjà proposé des films construits avec des images fixes. Le
réalisateur et photographe français Chris Marker a utilisé cette technique dans La Jetée,
son court métrage le plus connu, sorti en 1962. Le film se compose uniquement de
photographies en noir et blanc, à l’exception d’une courte séquence vidéo d’une durée de
cinq secondes. De nombreux webdocumentaires sont inspirés de cette technique.
1.1 – Le temps dilaté de l’image dans À l’abri de rien
Toutes les séquences du webdocumentaire À l’abri de rien sont construites sur ce
modèle : une série de photos qu’accompagne la bande sonore du témoignage. L’une des
animations est consacrée à la famille Hidara qui habite à Nancy. Les images représentent
l’intérieur du logement et la bande son se compose des témoignages de la fille et du père.
Aucun commentaire et aucune question des auteurs, seules sont présentes les voix des
protagonistes dans leur contexte, c’est-à-dire avec l’ambiance sonore de l’appartement en
arrière-plan. Cette richesse sonore des différents plans renforce la notion de document.
37
Medhi Ahoudig, le réalisateur, s'explique sur le choix de l’association photo-son plutôt que
de l’usage de la vidéo dans le webdocumentaire :
« Samuel, dans sa manière de travailler, a tendance à associer les gens à la photo
qu’il prend, c'est-à-dire qu’il y a, dans une certaine mesure, une maîtrise de la
personne qui se met en scène, donc la personne a la possibilité de se montrer ou
pas, d’une certaine manière, ou d’avoir envie d’être "beau" ou à son avantage ou
pas du tout. Alors qu’avec la vidéo, quand on est en tournage, on vole parfois des
moments où les gens perdent conscience de ce qui est en train de se passer. Là,
les gens qui sont photographiés ne perdent jamais conscience qu’en face d’eux, il
y a un photographe qui est en train de saisir l’instant.»45
Cette deuxième séquence du webdocumentaire se compose de six photos seulement
pour une bande sonore qui dure un peu plus de trois minutes. Les mouvements de
travelling, de zooms et de panoramiques sont nombreux dans les images. L’œil du
spectateur a le temps de regarder l’image dans le détail, d’explorer la photo. Cet usage de
l’effet « Ken Burns » nous permet de prendre le temps de regarder, d’avoir un regard actif
sur une réalité dont les photographies témoignent.
« Dans cette combinaison, on entend encore plus le son et on voit encore mieux
les photos qu’en vidéo. Cette association d’images fixes et de sons, c’est une
chose qui existe depuis très longtemps et à laquelle je crois depuis très longtemps
aussi. Je pense que le temps de la photo et le temps du son sont deux choses
extrêmement complémentaires, comme deux pièces de Lego qui s’emboîtent. »42
La fille, Ouarda, raconte sa façon de voir leur logement ; elle explique le rapport qu’elle
peut avoir avec ses amies et pourquoi elle ne les invite pas chez elle. Elle ne fait pas le
constat de l’insalubrité mais elle détaille, avec ses mots, ses premières impressions
quand elle est entrée dans l’appartement. Son père est à côté d’elle et même si on ne le
voit pas, on l’entend. Il est hors-champ visuellement mais présent dans le son. Il participe
à son témoignage, intervient. Il n’apparaîtra en image à l’écran qu’au bout de deux
minutes, soit aux deux tiers de la séquence. Et son commentaire raconte plus la relation
père-fille que la seule situation du mal-logement.
45 Cf. Annexe n°2, Interview de Mehdi Ahoudig, coauteur de À l’abri de rien.
38
De même, lorsque le père donne le biberon à son bébé. Nous ne voyons pas la scène,
mais à l’écran s’affiche une photo du bébé pendant que nous entendons le père. La photo
n’est donc jamais une simple illustration du son, elle raconte, à sa façon, une partie de
l’histoire.
Le père ne parle pas seulement du problème du logement, il évoque les difficultés de la
famille à se chauffer, se vêtir et se nourrir. Mais il entrevoit une amélioration dans l’avenir
avec ce que réussiront ses enfants. L’avenir et les perspectives se racontent sur une
photo à l’extérieur, comme un espoir d’ouverture. La teneur de ces séquences s’inscrit
dans une démarche très documentaire autour des personnes qui témoignent.
1.2 – Diversité des lieux dans Comment le cancer du sein…
De la même manière, le webdocumentaire autour du cancer du sein a opté pour cette
technique de photographies mises en mouvement pour retracer le parcours des six
femmes atteintes d’un cancer. C’est d’ailleurs la partie la plus documentaire du projet.
Pour le portrait de Caroline46 par exemple, la première séquence commence avec sept
photographies et un très léger effet « Ken Burns ». Mais la dernière séquence ne se
compose que d’une seule photo, recadrée et animée d’un zoom arrière très lent. Dans
l’ensemble du portrait, la voix constitue la bande sonore, c’est le témoignage de Caroline,
avec en fond, l’ambiance des différents lieux où elle se trouve.
« Et l‘association photos plus sons, dans ce projet là, je trouve que ça laisse une
certaine pudeur à leur propos. Face caméra, je pense qu’il y aurait eu un côté un
46 Cf. Annexe n°7, « 7.6 – Le portrait de Caroline. »
39
peu voyeur. Là, quand les femmes parlent sur des images fixes, elles gardent
toute leur pudeur. »47
Le choix de l’association photo-son par rapport à la vidéo a permis une plus grande
intimité des auteurs avec les femmes. Mais le choix de la photographie par opposition à la
vidéo induit aussi l’idée d’un album photo que l’on feuillette, d’un document qui rappelle
une histoire dans le passé, même si cette période est relativement proche.
Ainsi les photographies montrent Caroline dans un magasin de vêtements, dans sa salle
de bain face à son miroir, à la piscine, sous la douche, dans son intérieur, dans le métro,
au café avec ses amis, dans la rue avec son fils, à la maison avec ses enfants, à table,
dans les chambres, dans son salon… Cette diversité des lieux donne l’impression de la
côtoyer sur une longue période même s’il n’y a pas une multitude de photos. Au contraire,
leur nombre réduit permet de les observer avec plus d’attention. Et nous sommes là dans
une approche très documentaire où le personnage est le véritable sujet de l’histoire : ce
n’est pas le cancer du sein, c’est l’expérience de Caroline, sa vie pendant la maladie.
Dans l’ensemble de son portrait, les témoignages de son entourage racontent sa vie
familiale et sociale : c’est le point de vue de ses enfants et de ses amies. Sonnerie du
métro, portes qui se ferment, bruits de brasserie, de circulation, de la rue… les séquences
photos sont habillées de l’espace sonore où elles sont prises. Et cet enrichissement
auditif renforce l’immersion du spectateur dans son histoire.
1.3 – Complémentarité des séquences dans Réfugiés oubliés
Dans la thématique Chez les Jaad48, une séquence animée est consacrée au dénuement.
Elle n’est composée que de photographies. C’est un peu l’album de famille, la mère, les
trois enfants et le père. En voix, la femme puis le père témoignent successivement dans
l’ambiance sonore de leur cadre de vie. « Payer ses dettes, se soigner ou se nourrir ? »,
c’est le dilemme, la question centrale et quotidienne de cette famille. Grâce aux photos,
nous avons l’impression de rencontrer les membres de cette tribu, de découvrir leur
quotidien. L’effet produit est le même que celui que nous pourrions percevoir en feuilletant
l’album photo familial.
47 Cf. Annexe n°3, Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du sein… 48 Cf. Annexes n°8, « 8.5 – Scène d’exposition Chez les Jaad. »
40
Les photographies ne sont pas mises en mouvement dans cet exemple précis mais
l’usage de ce support fixe renforce, comme dans les autres webdocumentaires,
l’authenticité du propos que nous pouvons difficilement mettre en doute. Les
photographies n’illustrent pas les témoignages de la mère et du père mais racontent
l’histoire de la famille. Ce n’est pas une présentation administrative avec le prénom,
l’âge… C’est une approche beaucoup plus qualitative sur les portraits de chacun, son
jouet ou son objet fétiche… La séquence dure une minute dix-huit et nous pouvons
observer une douzaine de photos qui sont le portrait de chacun des membres de la
famille, avec ses traits de caractère les plus marqués, ses habitudes… tout en gardant
présente la question centrale qui est celle du budget familial. Mais toutes ces indications
complémentaires, tout comme l’ambiance sonore du cadre familial enrichit le discours des
parents et les replacent dans leur contexte quotidien.
Dans la même scène d’introduction Chez les Jaad, trois autres vidéos49 viennent
compléter et approfondir notre connaissance de la famille. C’est la combinaison des
médias qui renforce à la fois l’aspect documentaire et l’immersion du spectateur dans la
vie de cette famille. L’une des vidéos concerne la difficulté d’accéder aux médicaments50.
Les plans se succèdent dans la pharmacie et avec la mère de famille, filmée face caméra.
Son témoignage compose l’intégralité de la séquence sonore, sans question et sans
commentaire. Sur le plan visuel, le hors-champ vient régulièrement raconter en image les
49 Cf. Annexes n°8, « 8.6 – Séquence animée sur le dénuement de la famille Jaad. » 50 Cf. Annexes n°8, « 8.7 – Séquence vidéo sur le difficile accès aux médicaments. »
41
scènes de vie dans l’officine du pharmacien. C’est une façon d’approfondir la question du
dénuement dans la famille, tout en apportant une autre expérience de la vie quotidienne.
Les deux autres séquences vidéo concernent la famille et son logement. Ici, c’est la
complémentarité des séquences qui nous permet d’approfondir notre connaissance de la
famille et de ses difficultés. En effet, les problèmes ne sont pas isolés, la pauvreté va
souvent de pair avec la difficulté de se soigner et de se loger correctement. Enfin, notons
que le hors-champ est aussi un procédé très utilisé dans les documentaires classiques. Il
procède du même schéma que le diaporama sonore dans sa décomposition entre l’image
et le son en permettant l’enrichissement de l’un par l’autre et réciproquement.
L’effet « Ken Burns » permet donc d’animer des images et rend possible la présentation
de séquences composées uniquement de son et de photos. La force documentaire est
d’autant plus présente que le spectateur observe une image fixe qu’il a le temps de
regarder dans ses moindres détails.
42
2 – Le facteur temps et la démarche des auteurs
Dans la distinction entre documentaire et démarche journalistique, le facteur temps est un
élément déterminant. Il peut intervenir à différents niveaux de la production et façonner la
nature des webdocumentaires.
2.1 – Des portraits documentaires dans À l’abri de rien
Les auteurs du webdocumentaire À l’abri de rien ont commencé comme dans le cadre
d’un travail classique de documentaire.
« D’abord par le relais de la Fondation Abbé Pierre puisqu’ils avaient beaucoup de
contacts avec des centres Emmaüs sur place, des associations qui s’occupent du
mal-logement puis des appels téléphoniques, des déplacements, des
repérages… »51
Une enquête de longue haleine commencée en juin 2010 alors que les premiers
enregistrements n’ont débuté que six mois plus tard, en novembre. Tout ce temps a
permis à Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff de lire les rapports de la Fondation Abbé
Pierre, de prendre des contacts et de trouver leurs interlocuteurs.
Dans la pratique et contrairement à l’idée qu’ils en avaient au départ, ils ont commencé
par les entretiens avant de faire les photos. Au montage en revanche, ils ne s’imposaient
aucune règle. Les photos de Samuel Bollendorff étaient souvent développées avant les
montages audio mais Medhi Ahoudig indique qu’il ne s’est pas forcément soucié des
images. En fait, les situations étaient différentes pour chaque cas, mais la question à
laquelle il s’est beaucoup attaché, c’est celle du récit.
« En documentaire, je ne pense pas que le réel se laisse attraper parce qu’on l’a
décidé donc il demande qu’on le travaille pour lui donner une forme. Et la matière
qu’on récolte, nous dit implicitement ce qu’il faut qu’on fasse. Avant d’imaginer son
travail d’auteur, il y a d’abord à écouter ce que la matière nous raconte. »39
Implicitement, le travail d’auteur de documentaire commence sur le terrain, pendant les
enregistrements. C’est là que la première écriture se fait. Et plus les auteurs disposent de
temps, plus cette matière peut prendre forme.
51 Cf. Annexe n°2, Interview de Mehdi Ahoudig, coauteur de À l’abri de rien.
43
2.2 – Unité de lieu dans le camp de Chatila
Les trois journalistes de Radio-Canada et CBC ont passé près de trois semaines en
immersion complète dans le camp de Chatila. Ils ont recueilli énormément de
témoignages, d’histoires et fait beaucoup d’interviews.
« C’était l’avantage de travailler à trois, ça nous a donné une variété de
personnages, de lieux et de traitements. »52
Avoir du temps en petite équipe leur a permis de réunir des points de vue différents et
complémentaires tout en engrangeant beaucoup de matière. C’est d’ailleurs uniquement à
partir de cette matière que s’est construite la structure du webdocumentaire. Au départ
l’idée était plutôt de suivre quelques personnages emblématiques du camp mais le
tournage s’est finalement déroulé en découvrant une multitude d’expériences.
« La structure s’est installée de cette façon là en fonction des différents lieux où
l’on a récolté les histoires. »
Les auteurs n’ont pas travaillé avec une série de thèmes à aborder dans leur projet, ils
l’ont construit à la lumière de ce qu’ils avaient pu observer et découvrir. En ce sens, la
démarche s’apparente plus à celle des documentaristes qu’à celle des journalistes. Ces
derniers peuvent l’appliquer parfois, mais à condition d’avoir du temps.
Dans la séquence Chez les Jaad, quatre vidéos sont proposées. Dans la première, on
présente la famille, les parents et leurs trois enfants. La séquence se concentre
uniquement sur la musique et deux des enfants viennent danser devant le musicien, face
caméra. Pas de commentaire, seule la musique habille les images. Nous sommes
clairement dans un exercice très documentaire. Dans la fin de la séquence, la mère est
de dos dans les dédales du quartier et explique que c’est difficile de faire vivre toute une
famille avec un seul petit salaire.
La particularité du webdocumentaire c’est qu’il autorise les auteurs à prolonger
l’expérience documentaire, à laisser tourner longtemps leur caméra pour transmettre
l’ambiance, le quotidien de la vie. Cette possibilité pourrait se retrouver au cinéma mais
dans un documentaire télévisé les réalisateurs seraient sans doute contraints de
raccourcir ces séquences.
52 Cf. Annexe n°4, Interview de Dany Braün, coauteur de Réfugiés oubliés.
44
Toutes les informations liées à l’âge, la situation familiale et professionnelle des
protagonistes sont affichées sur l’écran grâce à des bulles « info » en texte. Ces
informations n’ont donc pas besoin d’être reprises dans les vidéos ce qui permet de se
passer d’un commentaire. Nous sommes très clairement dans une approche plus
documentariste que journalistique. Pourtant, sur le terrain, les journalistes ont procédé à
de longs entretiens qui duraient jusqu’à quarante-cinq minutes et qu’ils ont parfois
renouvelés jusqu’à trois fois avec la même personne. Ils sont allés chercher l’information
mais n’ont gardé dans le webdocumentaire que les séquences les plus vivantes. Les
chiffres et les faits sont indiqués par écrit. Les témoignages des interviewés ne se
concentrent que sur leur vécu, sur les événements qu’ils sont les seuls à pouvoir
communiquer.
2.3 – Une double démarche pour les portraits de femmes
Avant même la genèse du projet Comment le cancer du sein m’a changée, les deux
auteurs ont passé deux heures avec des femmes dans un atelier. Pendant six mois, elles
ont régulièrement rencontré les patientes qui avaient accepté de témoigner. C’est un
temps long qui permet de les suivre dans leur quotidien, dans leurs activités, d’aller faire
les courses avec elles, de les accompagner à la piscine… C’est ce qui donne la diversité
des photos aussi.
Le temps du tournage s’est donc déroulé sur une longue période mais comme nous
l’avons vu les interviews également. C’est nécessaire, surtout dans le cas d’un sujet aussi
intime et personnel, pour que les femmes aient le temps de faire naturellement des
associations d’idées, qu’elles déroulent elles-mêmes le fil des différentes étapes de leur
histoire. Cette durée inscrit le travail de Clara Beaudoux et Léa Hamoignon dans une
démarche documentaire et en opposition avec la deuxième partie de leur projet dont
l’aspect est plus journalistique.
Progressivement pendant le tournage, des thèmes se sont détachés, ce qui permettait
aux auteurs d’orienter mieux les enregistrements. Mais tout comme la structure s’est
composée et inventée à partir de la matière engrangée, le contenu des séquences s’est
lui aussi écrit en fonction des entretiens et des photos.
45
« En fait, dans la très grande majorité des cas, on a construit les thèmes à partir
de la matière récoltée et non l’inverse. »53
Dans son portrait, Caroline raconte son rapport à son corps, sa féminité, son sein absent,
ses cheveux, ses cils et ses sourcils, sa cicatrice, sa prothèse. C'est un témoignage très
intime qui nous emmène dans sa vie de tous les jours. Nous la voyons en train de
s’habiller, de se regarder dans le miroir de la chambre, d’essayer sa prothèse
mammaire… Cette multiplicité de situations, dont certaines très personnelles, nous
immerge d’autant plus au cœur de son histoire. Nous avons l’impression de l’avoir
rencontrée. C’est l’aspect très documentaire de ce projet qui plonge littéralement le
spectateur dans la vie de ces six femmes.
Le recours au hors-champ, utilisé dans ces séquences, est récurrent dans les œuvres
documentaires. Il désigne tout ce qui existe dans la narration mais qui n’est pas présent
dans l’image. L’usage de cette technique permet de créer un effet d’attente. Quand le
spectateur voit le portrait de la femme, il attend de savoir ce qu’elle va dire. C‘est aussi un
moyen de stimuler l’imagination du spectateur qui complète l’image qu’il peut voir par ce
qui n’est pas à l’écran.
Pour la seconde partie de leur projet, Clara Beaudoux et Léa Hamoignon ont choisi de
passer un temps défini et volontairement court avec les femmes pour faire un bilan, un an
après. Ce dispositif, comme nous le verrons dans la suite, a produit un effet beaucoup
plus journalistique sur les entretiens. Dans la pratique, les journalistes sont soumis à des
temps brefs et cette contrainte influence le contenu des propos recueillis.
Tous les projets font appel à cet effet de hors-champ qui existe dans les documentaires
classiques mais aussi et très souvent dans les films de fiction. Les trois
webdocumentaires ont également bénéficié d’un temps de tournage et de montage long
qui est la marque des productions documentaires. Enfin, c’est la matière et la façon dont
les auteurs l’ont captée qui imprime sa structure et son contenu à la réalisation finale et
non l’inverse.
53 Cf. Annexe n°3, Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du sein…
46
3 – Une approche journaliste dans les webdocumentaires
Si la première impression que laissent les webdocumentaires s’affirme de nature très
documentaire, la courte durée des séquences imprime une notion plus journalistique,
celle du reportage. Ce format est la synthèse d’un événement auquel assiste un
journaliste sur le terrain. La principale différence avec le documentaire est celle du point
de vue. Le journaliste choisit un angle qui sert de fil conducteur à son reportage. Son rôle
n’est pas de développer une problématique mais de donner une illustration possible parmi
d’autres à une information.
3.1 – Des textes complémentaires dans À l’abri de rien
Dans le webdocumentaire À l’abri de rien, des écrans complémentaires apparaissent
après le visionnage de chaque séquence. Pour les auteurs, il était important de donner un
statut particulier à l’écrit. C’est à travers ce média que sont transmises les informations,
les données macro et les indications qui sont difficiles à faire passer par le son, comme
les lieux et les noms des familles.
« L’idée de l’écrit, c’était de ramener l’histoire personnelle à une problématique
plus générale, donc effectivement c’est de l’information. C’était important de
contextualiser, de dire que ce n’est pas simplement ces gens, c’est une réalité des
chiffres qui fait que la situation est ainsi. »54
À la fin de la séquence concernant la famille Hidara à Nancy, le bonus complémentaire
est la retranscription d’une interview55. Il s’agit d’un entretien avec le professeur Marcel
Rufo, neuropsychiatre, pédiatre et chef du service médico-psychologique de l’hôpital
Salvator à Marseille. La forme reprend exactement celle d’une interview en presse écrite
avec les questions du journaliste et les réponses de l’interviewé. « Peut-on soigner et
guérir les enfants mal logés ? Est-ce une pathologie sur laquelle vous travaillez ?... »
Nous sommes ici dans une démarche plus journalistique que documentaire qui vient
compléter et approfondir le sujet illustré précédemment. Le document est même annoté
des sources dont sont issus les chiffres-clés cités. Cette précision illustre la méthode des
journalistes qui ont toujours le souci de recouper et vérifier leurs informations.
54 Cf. Annexe n°2, Interview de Mehdi Ahoudig, coauteur de À l’abri de rien. 55 Cf. Annexe n°6, « 6.5 – Un écran informatif, l’interview. »
47
Au cœur même des séquences animées, le texte joue la même fonction. Revenons à la
famille Hidara à Nancy. Au fur et à mesure du défilement du sujet, des données macro
s’affichent en contrepoint sur les photos : 2 millions d'enfants vivent sous le seuil de
pauvreté, 600 000 logements sont considérés comme indignes, taux d'humidité relevé
dans les murs 48%, le taux d'humidité d'un mur sain est d'environ 6%, en décembre 2010
la température à Nancy est descendue à -16°C. Ces informations chiffrées replacent la
situation de la famille dans un contexte plus général. C’est là encore une approche
complémentaire et plus journalistique du sujet.
3.2 – La vidéo pour le présent dans Comment le cancer du sein…
Nous avons remarqué que les séquences animées du webdocumentaire Comment le
cancer du sein m’a changée apportent un éclairage plutôt documentaire. En revanche, la
seconde partie du projet fait le point, un an plus tard, sur la façon dont ces femmes
regardent le chemin qu’elles ont parcouru. Nous sommes donc au présent et l’usage de la
vidéo renforce cet effet. Quel que soit le moment où l’internaute regarde ces séquences,
ce sera toujours pour lui le temps du présent, aujourd’hui, maintenant. Le cadre
s’apparente à celui du reportage. La journaliste s’est de nouveau déplacée pour aller
interroger les anciennes patientes. L’angle se concentre sur le regard que ces femmes
portent sur leur parcours et sur ce qu’elles ont vécu.
La séquence d’Anita56 commence par un plan moyen, face caméra, avec le son d’une des
animations réalisées un an plus tôt. Une photo de ce document s’affiche en incrustation
sur l’écran. Cette présentation s’identifie à celle d’un reportage dans un journal télévisé,
c’est une captation du présent. Anita réagit aux images qu’elle visionne et ses émotions
s’affichent à l’écran. La séquence vidéo ne comporte aucune interrogation et aucun
commentaire des auteurs. Mais quand Anita commence à parler, nous avons l’impression
qu’elle répond clairement aux questions « Qu’est-ce qui a changé un an après ?
Comment je vois cette période ? » Nous sommes dans la configuration d’une interview.
« Nous voulions filmer leur réaction et en son ça n’avait pas d’intérêt, c’est très
visuel. Nous avions les mêmes questions à chaque fois, pour chaque femme, en
une seule fois. C’était vraiment une question de temps, ce n’était pas un entretien
au long cours. »57
56 Cf. Annexe n°7, « 7.5 – Le portrait d’Anita. » 57 Cf. Annexe n°3, Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du sein....
48
Le cadre renforce cette idée avec une succession de valeurs différentes de plans mais
toujours sur le portrait d’Anita. D’un plan moyen, nous passons à un gros plan sur son
visage et même un très gros plan sur ses yeux. Le micro cravate apparent et la présence
permanente d’Anita dans le champ témoignent des codes du reportage journalistique.
Cet effet est renforcé lorsque nous observons les autres séquences « un an après ». Le
dispositif est exactement le même pour toutes les femmes et entre autres pour Caroline.
Elle répond aux mêmes questions « un an après, ce qui a le plus changé ?... » Elle est
face caméra, dans son salon, avec le même micro apparent.
Le lexique des mots du cancer, de nature très informative et toujours accessible, est
l’autre aspect très journalistique de ce projet.
3.3 – Les bulles « info » des Réfugiés oubliés
Enfin, dans le webdocumentaire des Réfugiés oubliés, toutes les données factuelles sont
clairement identifiables grâce à des bulles visuelles sur lesquelles nous pouvons lire
« info ». La référence journalistique se fait dans le choix du vocabulaire. Le terme choisi
n’est pas « en savoir plus » ou « pour aller plus loin ». Il s’identifie clairement à des
données neutres, purement informatives qui aident à la compréhension. Le choix du mot
« info », comme contraction d’ « information », permet d’avertir immédiatement l’utilisateur
sur la nature du contenu qu’il va lire.
49
Dans la séquence La rue de la tour58 par exemple, une bulle info concerne le puits d’eau.
Le texte précise que le puits a pu être creusé par une ONG italienne grâce à l’aide de
l’Union européenne. Mais les réfugiés ne peuvent pas consommer l’eau de ce puits car la
nappe phréatique est polluée. Ils achètent donc l’eau potable au bidon, dont le prix
s’élève à 66 cents. Nous sommes dans le cas de données chiffrées, précises et
informatives. C’est le type d’information que l’on retrouve dans les reportages des
journaux télévisés.
« Parfois c’est une information factuelle qui vient nous renseigner sur l’origine du
Fatah ou du parti Hamas ou qui est Arafat mais c’est une brève. Parfois, c’est la
présentation de la situation d’un personnage et c’est incitatif pour aller écouter la
vidéo. »59
La vignette concernant le camp de Chatila qui est présente à chaque séquence
d’exposition du projet présente ainsi en quelques lignes l’essentiel : Camp de réfugiés
Palestiniens situé dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban. Mis en place en 1949 par
la Croix-Rouge et géré par l’UNRWA, l'Agence des Nations unies de secours et de
travaux pour les réfugiés Palestiniens, le camp s'étend sur un kilomètre carré où
s'entassent plus de 12 000 personnes... Le sujet du webdocumentaire est ainsi résumé
en quelques signes et toujours accessible.
58 Cf. Annexe n°8, « 8.8 – Les bulles "info". »
50
Sans vouloir apporter une information encyclopédique, les auteurs ont souhaité résumer
en quelques mots, en une brève, terme directement issu du vocabulaire journalistique,
une information. Ces indications passent d’autant mieux à l’écrit qu’elles sont difficiles à
transmettre à l’oral, indépendamment d’un commentaire. Ces informations factuelles et
moins vivantes ne sont donc pas communiquées dans les entretiens mais par écrit.
Tous les webdocumentaires étudiés font appel à des traitements journalistiques, dans la
forme ou dans le fond. Comment le cancer du sein m’a changée le fait dans l’usage de la
vidéo et la mise à disposition d’un lexique. À l’abri de rien se sert du texte pour
retranscrire une interview. Réfugiés oubliés utilise la nature factuelle des informations
transmises. Les webdocumentaires sont essentiellement réalisés par des journalistes qui
conservent leurs méthodes de travail et leurs démarches professionnelles : ils veulent
aussi informer. L’écrit reste le support le plus utilisé pour appuyer l’aspect informatif.
59 Cf. Annexe n°4, Interview de Dany Braün, coauteur de Réfugiés oubliés.
51
CONCLUSION
La spécificité majeure du webdocumentaire se trouve dans sa nature même, c'est-à-dire
dans sa structure et sa capacité à proposer un récit délinéarisé que le spectateur
reconstruit au fil de ses choix. Cette particularité en fait un genre à part entière car c’est le
seul type de productions audiovisuelles à permettre un tel découpage dans le fil
conducteur de la narration. L’utilisateur interagit en permanence avec l’ensemble des
séquences qui lui sont proposées.
Les professionnels du son poursuivent leur démarche de travail habituelle et ils impriment
un caractère très soigné au son dans leurs projets. C’est particulièrement vrai pour À l’abri
de rien et Réfugiés oubliés qui comportent tous les deux des parenthèses sonores entre
les séquences vidéo ou les diaporamas. Les trois projets ont en commun de proposer des
bandes sonores riches de sons d’ambiance. Une attention spécifique s’est ainsi portée
sur ce média sonore même si son invisibilité rend son importance difficilement mesurable.
Dans la démarche et dans l’usage des médias vidéo ou des compositions photo-son, les
webdocumentaires étudiés empruntent énormément au documentaire classique. La
méthode de travail est la même, le temps consacré à la recherche, à l’enquête, aux
interviews et aux rencontres avec les protagonistes sont tout à fait comparables.
De la même façon au montage, toute la construction de la forme et du fond se fait, non
pas à partir d’une idée ou d’un angle choisi, mais à partir de la matière récoltée et de la
manière même dont elle a été enregistrée. Les auteurs de ces webdocumentaires
procèdent comme des documentaristes.
Enfin, cette démarche documentaire est doublée d’une approche journalistique. Dans
certains projets nous la trouvons dans l’interface même de la réalisation. C’est le cas pour
le lexique thématique et scientifique de Comment le cancer du sein m’a changée. C’est
également une particularité qui a donné naissance à une carte comme moyen de
navigation dans le camp de Chatila pour les Réfugiés oubliés.
La portée journalistique imprime aussi certains contenus avec la volonté d’informer et de
contextualiser les témoignages présentés. À l’abri de rien met en évidence le rapport de la
Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement. La réalité des chiffres replace les différentes
52
séquences dans une situation d’ensemble et dans la problématique plus générale du
logement en France. Les séquences vidéo de Comment le cancer du sein m’a changée
plongent le spectateur dans un bilan au présent avec un dispositif qui emprunte à celui de
l’interview télévisée. Enfin, toutes les informations factuelles ou de situation dans
Réfugiés oubliés sont indiquées par écrit, dans des bulles « info » rédigées à la façon des
brèves à la radio ou à la télévision.
Nous assistons donc à l’émergence d’un nouveau genre audiovisuel qui emprunte à
d’autres genres existants comme le documentaire et le reportage journalistique. Mêlant
ces deux pratiques, le webdocumentaire rappelle la tradition des « Grands reporters » :
informer en prenant le temps d’investir l’enquête, la recherche…
Le travail approfondi autour du son et des diaporamas sonores tend à renforcer l’aspect
documentaire. Et l’usage de l’écrit imprime souvent une dimension plus informative. À la
croisée des chemins entre documentaire et démarche journalistique, le webdocumentaire
se distingue également par des spécificités liées au web qui lui sont propres.
53
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
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La « société de l'information » : glossaire critique, Documentation française, Paris, 2005.
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Paris, 2002.
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54
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situation du mal-logement en France », 3wdoc.com, mars 2011.
Adresses des webdocumentaires
À l’abri de rien
http://www.a-l-abri-de-rien.com/#/intro
Comment le cancer du sein m’a changée
http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2010/09/22/comment-le-cancer-du-sein-m-a-
changee_1414101_3224.html
Réfugiés oubliés : les Palestiniens au Liban
http://www.radio-canada.ca/sujet/visuel/2011/05/03/001-refugies-palestiniens-
chatila.shtml
55
ANNEXES
N°1 – Exemple de graphe hypertextuel par Philippe Bootz ............................................. 56
N°2 – Interview de Mehdi Ahoudig, coauteur de À l’abri de rien ...................................... 57
N°3 – Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du sein… ............ 61
N°4 – Interview de Dany Braün, coauteur de Réfugiés oubliés ....................................... 66
N°5 – Les structures des webdocumentaires .................................................................. 71
N°6 – Présentation de sept écrans de À l’abri de rien ..................................................... 72
N°7 – Présentation de huit écrans de Comment le cancer du sein m’a changée ............ 76
N°8 – Présentation de neuf écrans de Réfugiés oubliés ................................................. 80
56
Annexe n°1 – Exemple de graphe hypertextuel par Philippe Bootz
Illustration issue de l’article « Que sont les hypertextes et les hypermédias de fiction ? »
sur le site olats.org, décembre 2006.
57
Annexe n°2 – Interview de Mehdi Ahoudig, coauteur de À l’abri de rien
Mehdi Ahoudig est réalisateur de documentaires radio pour Arte Radio et à France
Culture.
Dans quel contexte s’est décidé ce projet de webdocumentaire ?
Il a été initié au départ par la Fondation Abbé Pierre qui a contacté Textuel, une entreprise
de communication, pour réaliser un webdocumentaire sur la question du mal-logement.
Ensuite, l’agence a fait appel à Samuel Bollendorf, en temps que photographe, qui a
exprimé le désir de travailler et de coréaliser le webdocumentaire avec une personne du
son, éventuellement de la radio. C’était dans tous les cas pour explorer cette partie, ayant
déjà réalisé plusieurs webdocumentaires. Texuel a contacté Arte Radio et Sylvain Gire, le
rédacteur en chef, m’a proposé de rencontrer Samuel. L’idée de la fondation au départ,
c’est de financer un webdocumentaire mais de ne pas intervenir sur l’éditorial, c'est-à-dire
que ce soit réellement un travail d’auteur et non pas un outil de communication. Ils nous
ont laissé carte blanche et ils ont vu les premières séquences à la fin, quand tout était
monté. Ils ne sont intervenus que sur l’écrit, qu’ils souhaitaient valider parce que la
Fondation Abbé Pierre est aussi engagée sur le terrain politique et qu’ils avaient besoin
que tous les écrits soient absolument exacts.
Comment avez-vous pensé la structure du webdocumentaire ?
Ce qui nous est apparu assez rapidement, c’est le fait qu’on n’irait pas chercher de
l’interactivité pour avoir de l’interactivité. Nous pensions que ce n’était pas l’endroit, pas le
sujet et nous n’avions pas très envie de faire ça. Donc l’interactivité n’interviendrait que si
le contenu le réclamait. Ensuite, la structure s’est un peu inventée au fur et à mesure.
D’abord, nous étions sur le mal-logement et nous avions envie d’avoir à la fois une
disparité géographique et de situations. C’est quelque chose que l’on intériorise en tant
qu’auteur, c'est-à-dire que nous avons lu quatre ans de rapports de la Fondation Abbé
Pierre sur le logement. Nous avions envie de rendre compte des différentes facettes du
mal-logement, et pas spécialement d’être sur quelques cas emblématiques. Donc ces
portraits de situations nous sont apparus assez rapidement. Ensuite le projet s’est aussi
inventé avec ce que nous avons trouvé.
58
Comment avez-vous procédé ?
C’est un travail d’enquête classique dans le cadre d’un documentaire. D’abord par le
relais de la Fondation Abbé Pierre puisqu’ils avaient beaucoup de contacts avec des
centres Emmaüs sur place, des associations qui s’occupent du mal-logement puis des
appels téléphoniques, des déplacements, des repérages… Un long travail commencé en
juin 2010 pour un premier enregistrement en novembre 2010. Nous avons donc travaillé
plusieurs semaines, à la fois l’été pour lire et à la rentrée pour prendre des contacts et
trouver les gens. Ce n’était pas forcément facile, de par les situations sociales des
personnes.
Comment s’est fait le choix des médias utilisés ?
Samuel est photographe au départ même s’il a fait de la vidéo et des films. La question de
la photo c’était de se dire pourquoi l’image fixe plutôt que la vidéo. La vidéo montre une
certaine réalité un peu crue souvent, c'est-à-dire que ça montre les gens en train de
bouger, de vivre. Mais Samuel, dans sa manière de travailler, a tendance à associer les
gens à la photo qu’il prend, c'est-à-dire qu’il y a, dans une certaine mesure, une maîtrise
de la personne qui se met en scène, donc la personne a la possibilité de se montrer ou
pas, d’une certaine manière, ou d’avoir envie d’être « beau » ou à son avantage ou pas
du tout. Alors qu’avec la vidéo, quand on est en tournage, on vole parfois des moments
où les gens perdent conscience de ce qui est en train de se passer. Là, les gens qui sont
photographiés ne perdent jamais conscience qu’en face d’eux, il y a un photographe qui
est en train de saisir l’instant.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Nous avons dégagé assez vite, avec Samuel, une méthode de travail qui était : nous
allons ensemble sur le terrain, nous rencontrons les gens à deux, toujours en équipe. Lui
est là pendant les enregistrements et moi, je suis là pendant les prises de vues, avec une
relative liberté dans l’intervention de chacun sur le média de l’autre. A priori nous sommes
un peu opposés, nous ne sommes pas très amis sur le terrain puisque je vais être dans
son champ et lui va faire du bruit pendant que j’enregistre. Nous sommes donc partis sur
un principe : commencer par la prise de vue et continuer par le son et finalement sur le
terrain, nous avons fait totalement l’inverse.
En professionnel du son, quelle a été votre attention particulière sur ce média ?
59
J’ai dû être pédagogique vis-à-vis des producteurs par rapport au son parce qu’on n’a pas
l’habitude de le traiter. Le son demande du temps linéaire, ce qui a nécessité un gros
travail d’échanges avec les producteurs sur l’idée que le temps est nécessaire. On ne
peut pas traiter des histoires en quarante secondes, ce n’est pas possible. La deuxième
chose compliquée et c’est une démarche de documentariste, c’est de dire nous allons
rencontrer des gens qui sont en situation de mal-logement, il ne faut pas que nous nous
intéressions qu’à leur situation de mal-logement. Il faut aussi qu’on les entende vivre au-
delà de ce qu’ils sont, c'est-à-dire des être intelligents, bêtes, sensibles, rigolos… mais en
tout cas, ne pas incarner uniquement leur situation sociale, ce que je trouve en
documentaire souvent assez obscène. Les gens, avant d’être des mal-logés, ce sont des
personnes. Pour moi c’était important d’arriver à laisser de la place à des moments
sonores qui les montraient en train de vivre. Les producteurs avaient tendance à dire,
« on est un peu hors sujet là », mais c’est ce qui fait le documentaire. De même, qu’avec
Samuel nous tenions à imposer le son réel tout le temps, sans avoir à ajouter une
musique, simplement pour faire joli. Le problème du son c’est que c’est très éphémère et
très immatériel, c’est très difficile d’en parler. C’est moins concret que l’image et c’est un
sens essentiellement dédié à la larme en fait, c’est le sens de la peur, du danger et en
même temps c’est un sens qui est toujours en éveil.
Que pensez-vous de l’association photo-son ?
Dans cette combinaison, on entend encore plus le son et on voit encore mieux les photos
qu’en vidéo. Cette association d’images fixes et de sons, c’est une chose qui existe
depuis très longtemps et à laquelle je crois depuis très longtemps aussi. Je pense que le
temps de la photo et le temps du son, sont deux choses extrêmement complémentaires,
comme deux pièces de Lego qui s’emboîtent. Je pense que cela a été particulièrement
frappant pour moi dans le travail avec Samuel, c'est-à-dire qu’à un moment donné la
photo me déleste de quelque chose que je n’ai pas besoin de capter en documentaire
radio et je pense que c’était la même chose pour Samuel concernant le cadrage. C'est-à-
dire que le son est aussi le hors-champ ; quand on enregistre on est à l’intérieur du
monde, on ne capte pas une partie du monde, on capte l’intégralité de ce qu’il y a dans
l’endroit où l’on se trouve. Donc il y avait ce côté sans cadre même s’il y a quand même
cette notion de zoom et de resserrage en son alors qu’en image fixe, il y a un cadre et il y
a un instant. En son, il n’y a pas de cadre mais une linéarité qui se développe.
Comment avez-vous procédé au montage ?
60
En général au départ, il y a des choix d’images parce que Samuel développait ses photos
beaucoup plus vite que moi je ne montais les sons avec deux ou trois heures de rushs.
Donc je voyais les photos et ensuite je faisais un montage en fonction de ce que j’avais vu
mais je ne me souciais pas nécessairement des photos. C’était variable suivant les cas,
mais sur certains portraits, je ne me suis pas posé la question de la photo, je me suis
surtout posé la question du récit. Et puis sur d’autres, la structure a été pensée avant, j’ai
monté le son en connaissant la construction des images puisque nous l’avions déjà
conçue avec Samuel. Dans l’une des séquences, j’ai monté le son et Samuel a décidé
des photos ensuite. Ça dépend en fait des matériaux, des conditions et des histoires,
parfois les formes ont changé. Pour chaque séquence, en fonction de ce que l’on trouve,
de comment le réel se laisse dompter ou pas, on imagine une forme. En documentaire, je
ne pense pas que le réel se laisse attraper parce qu’on l’a décidé donc il demande qu’on
le travaille pour lui donner une forme. Et la matière qu’on récolte nous dit implicitement ce
qu’il faut qu’on fasse. Avant d’imaginer son travail d’auteur, il y a d’abord à écouter ce que
la matière nous raconte. Le regard de l’auteur se fait sur le terrain, c’est là que la première
écriture se fait.
Avez-vous cherché une dimension informative dans le webdocumentaire ?
Le webdocumentaire permet de jouer avec l’écrit et différents médias d’une manière
simultanée. Nous avons beaucoup évoqué la question de l’écrit et de ce qui pouvait
rentrer en conflit avec le son : c’est l’écrit, beaucoup plus que l’image. En fait, le son et
l’image sont rarement en conflit parce qu’ils sont sur des terrains très différents. S’il n’y a
pas l’idée de concurrence entre les deux, si l’un n’est pas délaissé pour l’autre, ça
fonctionne très bien l’alliance image-son. Par contre, l’écrit peut venir raconter quelque
chose que le son ne raconte pas. Ça peut être un avantage mais aussi un désavantage,
une facilité. Donc j’avais dit qu’il fallait qu’on donne un statut à l’écrit qui soit bien
particulier et nous sommes partis sur cette idée d’information, de données macro et
éventuellement d’indications qui seraient difficiles à faire dire comme le lieu par exemple.
L’écrit peut facilement remplir cette fonction. L’idée de l’écrit, c’était de ramener l’histoire
personnelle à une problématique plus générale, donc effectivement c’est de l’information.
C’était important de contextualiser, de dire que ce n’est pas simplement ces gens, c’est
une réalité des chiffres qui fait que la situation est ainsi.
Annexe n°3 – Interview de Clara Beaudoux, coauteur de Comment le cancer du
sein m’a changée
61
Clara Beaudoux, est journaliste et collabore régulièrement à Radio France.
Dans quel contexte s’est décidé ce projet de webdocumentaire ?
En fait, j’avais envie de travailler avec quelqu’un qui faisait de l’image et la photographe
Léa Hamoignon avait envie de travailler avec quelqu’un qui faisait du son. Nous nous
sommes rencontrées par l’intermédiaire d’une amie commune. Pour nous tester, nous
avons d’abord fait des diaporamas sonores ensemble. Le premier « vrai » diaporama
sonore, c’était pour le site de Libération, LibéLabo. Nous sommes allées dans un atelier
d’onco-esthétique organisé en milieu hospitalier pour les femmes notamment sous
chimiothérapie, donc c’est là par exemple qu’elles apprenaient à se redessiner les
sourcils, à se mettre des crèmes… pour se sentir mieux dans leur corps. Nous avons
donc été faire un reportage sur cet atelier qui durait deux heures. Nous avons passé ce
temps dans une salle avec quatorze femmes qui se maquillaient… et en faisant ce
reportage, sur le moment même, nous nous sommes dit qu’il y avait plus à faire. Et ce
n’est que bien plus tard, après avoir engrangé la matière, pensé notre structure et en
avoir déduit que la forme serait celle d’un webdocumentaire que nous avons rencontré
Judith Rueff, la directrice de l’agence multimédia Ligne 4. Mais à ce moment-là nous
avions déjà la matière, nous nous sommes autoproduites d’une certaine manière.
Comment avez-vous procédé ?
À la fin de l’atelier, nous avons proposé aux femmes qui le voulaient de les suivre plus
longtemps. Deux d’entre elles ont accepté de rester en contact avec nous. Nous avons
donc continué à les suivre, puis nous nous sommes dit deux, ça ne suffit pas. Nous avons
passé des appels à témoin sur des sites, par des associations pour des femmes atteintes
du cancer du sein et nous en avons trouvé quatre autres. Nous avons commencé à suivre
les six femmes du webdocumentaire. Avec la photographe Léa, nous avons surtout
travaillé séparément : elle allait voir les femmes pour prendre des photos et j’allais les voir
pour faire du son. Parce que pendant l’atelier que nous avions fait ensemble, nous nous
rendions bien compte qu’on se marchait complètement sur les pieds. Je me retrouvais
avec les clics de l’appareil photo dans le son et elle, m’avait dans son champ. Mais à
certains moments, nous y sommes allées ensemble parce que je voulais l’ambiance, par
exemple quand Léa est allée faire les magasins avec les femmes. Je pense cependant
que je ne l’ai pas fait assez.
62
Comment s’est fait le choix des médias utilisés ?
Avec Léa, nous étions parties sur l’idée de photos plus son, donc nous avions en tête que
ce serait du web, parce qu’il n’y a pas encore de formats en télévision qui fonctionnent
avec l’association photos plus son. Donc nous savions que ce serait un projet pour le
web, mais sans en connaître la forme. Au tout début, nous ne savions pas que nous
ferions un webdocumentaire et nous avons commencé à engranger de la matière, en
photo et en son. C’est vrai que je me posais la question « pourquoi faisons-nous ça ? »
puisque nous n’avions pas le projet final. Mais nous avions vraiment l’idée de faire du
diaporama sonore parce que c’est ce que nous avions expérimenté avant. Léa gère la
photo, je gère le son… et c’est un format que j’aime beaucoup.
Comment avez-vous pensé la structure du webdocumentaire ?
Je me souviens très bien qu’au retour d’une visite chez Anita, l’une des femmes du
webdocumentaire, j’avais dessiné un tableau sur mon carnet de notes. Un tableau de
base, parce qu’on avait six femmes qui me disaient plein de choses sur plein de thèmes
différents et donc j’avais trop d’informations. Du coup, il fallait que je les classe d’une
certaine manière et j’ai fait un tableau sous forme de damier. Nous en avons discuté avec
Léa et c’est devenu un « damier mental » car même s’il n’est pas visible, il existe toujours
en fond. Et c’est en organisant toute la matière que nous avons imaginé la forme qui s’est
vraiment imposée d’elle-même. L’idée c’était aussi de comparer les expériences de ces
femmes sur des thèmes parce qu’elles ne vivaient pas les étapes de la même manière. Je
ne me souviens pas exactement de la date mais c’était au moins trois mois après le début
du tournage. Je pense que pour faire un webdocumentaire, la forme est essentielle et là
nous avons eu la chance que cette forme se soit imposée à nous. Et pendant très
longtemps, presque jusqu’à la fin, le projet est resté un damier avec trente-six cases : six
femmes et six thèmes. C’est aussi ce tableau qui a entrainé la navigation à double entrée
avec les femmes d’un côté et les thèmes de l’autre. Mais avec Léa, nous avons fait très
attention à ce que la forme ne prenne pas le pas sur le fond. Nous avons essayé de faire
quelque chose de beau, parce que ces femmes nous les avons trouvées belles, elles se
sont livrées à nous donc nous voulions leur rendre hommage d’une certaine manière.
Nous ne voulions pas non plus faire quelque chose de trop compliqué avec plein de clics
partout où l’on se perd.
Et puis un jour, c’est la productrice Judith Rueff qui nous a dit qu’il fallait revenir sur cette
idée de damier parce qu’on ne voyait pas les femmes. C’est comme ça que nous sommes
arrivées à la forme finale avec la photo de chaque femme.
63
Comment s’est déroulé le tournage ?
Nous allions voir les femmes avec Léa, ensemble ou séparément. Avant d’aller faire une
interview, je m’étais renseignée sur la problématique donc j’avais des listes de questions
qui étaient classées par thèmes mais qui n’étaient pas les thèmes choisis à la fin. Il fallait
que j’aborde le physique, les histoires avec la famille, le travail… Léa aussi avait des
thèmes, elle savait qu’elle devait aller à la piscine, sur leurs lieux de travail. Au moment
où nous avons trouvé la structure et arrêté les thèmes, j’ai pu mieux aiguiller mes
questions. Mais le thème travail par exemple, il ne s’est imposé que dans la version finale.
Et c’était trop tard pour retourner voir les femmes que nous avions déjà suivies pendant
six mois et que nous sommes allées voir un an après. Nous n’étions plus dans le même
temps. La question de l’argent est aussi un thème que nous avons oublié pendant le
tournage. Mais pour certaines, c’était tellement important qu’il s’est imposé finalement
dans les interviews. En fait, dans la très grande majorité des cas, nous avons construit les
thèmes à partir de la matière récoltée et non l’inverse.
En professionnel du son, quelle a été votre attention particulière sur ce média ? Et
que pensez-vous de l’association photo-son ?
Je travaille dans le son, Léa dans la photo donc ce sont nos métiers de base respectifs.
Je ne savais pas que ça marcherait aussi bien. Et je pense que nous n’aurions pas pu
faire la même chose avec de la vidéo. Ce projet-là demande une certaine intimité parce
que les femmes livrent des choses très intimes. En vidéo, elles n’auraient jamais livré des
ressentis aussi forts, je pense, que ce qu’elles ont pu nous dire. Et le son crée vraiment
une intimité dans les confidences que ces femmes ont pu me faire. J’étais dans un salon
avec elles et juste un micro. Avec une caméra, je crois qu’elles n’auraient pas été aussi à
l’aise. L‘association photos plus son, dans ce projet-là, je trouve que ça laisse une
certaine pudeur à leur propos. Face caméra, je pense qu’il y aurait eu un côté un peu
voyeur. Là, quand les femmes parlent sur des images fixes, elles gardent toute leur
pudeur.
À la fin, j’ai dû rattraper certaines ambiances sonores. Donc j’accompagnais beaucoup
plus souvent Léa pour avoir les sons de piscine, par exemple. Mais j’ai aussi dû tourner
des ambiances en plus car je me suis rendue compte que ça manquait, comme les bruits
de rue. En fait, le webdocumentaire est essentiellement construit autour des voix. Mais
pour les moments clés, comme l’hôpital, j’étais sur place pour avoir l’ambiance du lieu.
64
Enfin dans la manière dont j’ai pu faire les interviews, j’ai plus l’habitude de faire du news
où on laisse la personne parler quarante secondes et puis on la coupe. Et on enchaîne
ainsi de suite les questions. Là, j’ai appris à laisser parler, à laisser l’association d’idées
se faire dans la tête des femmes, ce que j’avais du mal à réaliser au début. Donc j’ai
appris à avoir moins peur du vide en interview, à ne pas enchaîner dès que la personne
ne parle plus. Parce que ce n’était pas un sujet où les idées viennent à la seconde, il
fallait les laisser réfléchir.
Comment avez-vous procédé au montage ?
Nous avions nos trente-six cases, donc chacune, sur nos ordinateurs respectifs, nous
avions trente-six dossiers que nous avons remplis chacune de notre côté. Léa mettait des
photos et je montais des sons. Je me disais par exemple, « Caroline sur le thème du
corps » et je gardais le meilleur. Ensuite, nous nous sommes vues de nombreuses fois
avec Léa pour comparer nos cases. Nous regardions ses photos et si elle montrait une
chose sur laquelle je n’avais pas un son monté, je retournais chercher dans mes rushs
pour que ça corresponde aux photos dans sa case à elle. Et inversement, nous avons
aussi enlevé certains extraits de mes sons parce que nous n’avions pas de photos qui
pouvaient correspondre. En fait, nous avons ajusté le contenu des cases en fonction de
ce que nous avions chacune et qui fonctionnait ensemble.
Pour l’enchaînement des séquences, nous avons travaillé dans les deux sens. Nous
avons choisi le sens le plus logique pour les femmes. Et dans les thèmes, nous avons
cherché qui répondait le mieux à qui ou qui s’opposait le plus.
Comment avez-vous pensé les séquences un an après ? Pourquoi avoir fait le choix
de la vidéo ?
Nous voulions que la forme évolue avec le fond. Donc pour faire évoluer la forme photo
fixe-son, il fallait passer en vidéo. Il y avait aussi la question du temps. L’idée c’était de ne
les revoir qu’une fois donc nous ne pouvions pas du tout refaire ce que nous avions fait
dans la première étape. En particulier pour le côté visuel, ce n’était pas du tout
intéressant de faire les photos sur une seule journée. Ce qui est riche sur le projet avant,
c’est qu’il y a plein de jours différents. Et puis nous voulions montrer aux femmes ce que
nous avions fait, c’est le diaporama sonore qui s’incruste dans la vidéo. Donc nous
voulions filmer leur réaction et en son ça n’avait pas d’intérêt, c’est très visuel. Nous
65
avions les mêmes questions à chaque fois, pour chaque femme, en une seule fois. C’était
vraiment une question de temps, ce n’était pas un entretien au long cours.
Avez-vous cherché une dimension informative dans le webdocumentaire ?
Je ne sais plus très bien à partir de quel moment c’est venu et c’était plus en tant que
journalistes, nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas nous contenter d’avoir le
témoignage de ces femmes, il faut de l’information aussi. C’est venu au moment où j’ai
monté les sons et je me demandais quelle était la vérité scientifique par rapport à ce que
me disaient les femmes. Je suis allée chercher les informations et donc je me suis dit, il
faut que l’internaute ait aussi cette possibilité-là, qu’il puisse s’informer sur ce que la
femme est en train de lui dire. Il ne sait pas forcément ce que c’est que
l’hormonothérapie... Dans un enrobé pour l’antenne, je peux reprendre en expliquant ce
que c’est, mais là, ce n’était pas possible et ça manquait d’explications. Donc les mots-
clés du lexique apparaissent quand les femmes les disent pour que l’internaute ne reste
pas sur sa soif d’information. C’est une option complémentaire.
66
Annexe n°4 – Interview de Dany Braün, coauteur de Réfugiés oubliés
Danny Braün est journaliste et documentariste depuis vingt ans à Radio Canada.
Dans quel contexte s’est décidé ce projet de webdocumentaire ?
Je suis employé à temps plein à Radio Canada et l’initiative du projet est venue du
service Internet qui cherchait une personne qui puisse faire de la réalisation, de la prise
de vue à la caméra jusqu’au montage et encadrer une équipe sur le terrain. Ce sont des
choses que j’ai déjà faites par le passé à plusieurs reprises. C’est comme ça que j’ai été
choisi comme étant la personne adaptée pour ce genre de travail. Je ne suis pas à
l’origine mais je me suis greffé à l’équipe une dizaine de jours avant le départ et j’ai
encadré le projet. En fait, un journaliste au web avait proposé ce sujet, six mois ou un an
auparavant mais n’était plus dans l’équipe au moment de la décision de mise en route du
projet. En revanche, la question des réfugiés, c’est un sujet que j’ai beaucoup couvert
dans mon travail, la question palestinienne aussi, donc je n’étais pas étranger au sujet.
Dans l’équipe, il y avait une journaliste de CBC, le volet anglais de Radio-Canada, qui
avait été huit ans correspondante à Beyrouth, qui est elle-même palestinienne et qui
connaissait bien la situation au Liban. C’est ainsi qu’on a constitué l’équipe avec une
personne du web, qui est d’origine algérienne et donc qui parle arabe. Et cette personne
avec la journaliste de CBC nous ont facilité les contacts avec les gens sur place parce
que nous n’avions pas besoin d’un traducteur.
Comment avez-vous pensé la structure du webdocumentaire ?
En n’ayant que dix jours avant le départ, je n’ai pas eu de temps de recherche et de
préparation pour plonger dans un projet qui était un peu bancal. C’était une bonne idée de
départ, mais ça se limitait à ça, rien n’avait été élaboré ni conceptualisé. En discutant
avec les journalistes, je pensais que ça serait bien d’avoir une structure basée plutôt sur
quelques personnages, au maximum quatre. Et qu’on les suive dans le camp en fonction,
d’un horaire de vingt-quatre heures, dans une journée fictive. Il fallait aussi les choisir en
fonction d’une tranche d’âge différente, femme, homme, personne plus âgée…
Sur place, les deux journalistes qui travaillaient avec moi devaient alimenter un blog
quotidien. Et sur place, c’est comme des enfants dans un magasin de bonbons, nous
arrivons dans le camp et tous les sujets sont bons, chaque personne a une histoire à
raconter et les journalistes se sont vraiment un peu éparpillés. De mon côté j’ai tourné des
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histoires avec les gens que nous rencontrions et donc finalement nous avons multiplié le
nombre de personnes. Nous n’avions plus quelques personnages principaux mais une
palette de gens. Alors je me suis demandé comment nous allions faire pour structurer tout
ça. Et la seule possibilité, c’était d’aller par lieux et que le camp devienne le sujet
principal. Ce qui est assez intéressant sur le plan de l’immersion pour les gens qui vont se
balader dans le webdocumentaire, ils vont se promener dans le camp, à la rencontre de la
famille Jaad par exemple ou à la rencontre de Tawil, le doyen du lieu. La structure s’est
installée de cette façon-là en fonction des différents lieux où l’on a récolté les histoires.
Nous les avons placées là où elles se déroulaient ou nous les avons regroupées parce
qu’elles touchaient le même thème dans ce lieu-là.
Donc la carte aérienne est une belle façon de se repérer. Elle est venue vraiment à la
toute fin. Nous avions toutes ces histoires dans le camp, mais c’était un peu difficile de s’y
retrouver. Je trouve que souvent le défaut dans les webdocumentaires, c’est qu’ils sont
extrêmement touffus, c’est presque encyclopédique. Il y a beaucoup trop d’informations ;
au niveau graphique c’est souvent lourd et pas très limpide. Je voulais vraiment éviter ce
piège alors l’idée de la carte est venue de la question « comment faire pour se retrouver,
pour savoir où l’on est ? ». Elle est toujours accessible, en petite icône, dans le coin
gauche de l’écran. Après une histoire, l’internaute peut aller sur la carte et choisir de
s’orienter géographiquement. C’est le vrai problème des webdocumentaires, comme il n’y
a pas de fil narratif avec début, milieu, fin et une longue histoire, l’internaute doit cliquer
sans arrêt. Et très souvent, j’ai du mal à comprendre quel est le sujet car c’est très
échevelé et éparpillé. La solution était de tout rassembler sur cette carte.
Pour l’apparition aléatoire des séquences, l’idée c’était de surprendre un peu et ça va
même plus loin que ça. Dans chaque ouverture de page il y a des « bumpers », des
espèces d’ « images tampons » qui font sept à dix secondes sur un plan fixe, et ces
images changent à chaque fois. Certains lieux ont quatre pages d’accueil différentes.
L’idée c’était que la personne ne se lasse pas et à chaque fois, nous renouvelons un peu
l’expérience de l’internaute. La seule chose qui revient toujours à l’ouverture du site, c’est
la même vignette qui apparaît où vous avez l’information de base sur Chatila. Alors peu
importe le lieu dans lequel vous arrivez, vous allez toujours avoir cette icône-là qui va
apparaître en premier lorsque vous débutez votre navigation. C’est important parce que
c’est l’information de base (combien d’habitants, quelle est la taille du camp…) Le reste
est plus ludique.
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Comment s’est fait le choix des médias utilisés ?
Ce qui m’intéressait c’était le côté multidisciplinaire parce que j’ai aussi travaillé pour la
télévision, je fais mes propres documentaires et j’ai ma propre petite société de
production. Je suis un touche-à-tout, je tiens la caméra, je fais le montage et ça fait une
vingtaine d’années que je travaille à la radio. Le webdocumentaire fait partie des
nouvelles possibilités et concentre tout ce que j’ai pu faire ces dernières années.
Comment avez-vous procédé ? Comment s’est déroulé le tournage ?
La cueillette a été très large, nous étions trois sur le terrain. Les deux journalistes se sont
surtout occupés du contenu « entrevues » et des photos. Moi, j’avais la caméra à l’épaule
pour enregistrer toute la vidéo qui est sur le webdocumentaire et je me suis aussi occupé
du son. Nous avons fait une cueillette extrêmement large, car nous n’avions pas de
structure de départ. Nous faisions des pré-entrevues avec tout le monde et puis ça se
faisait sur le vif. Nous n’avons pas tout gardé évidemment. C’est le problème d’avoir
travaillé à chaud et de n’avoir pas eu ce temps de recul pour dire « voilà, on scénarise, on
prend le temps de réfléchir et de construire une histoire avec un personnage » parce que
tout s’est fait très rapidement. Nous étions sur place deux semaines et demi et la
recherche de départ était mince. Nous avons ramassé tout ce que nous pouvions, avec
des coups de cœur. Nous nous baladions sur place, nous parlions à des gens et nous
nous rendions compte que l’un d’entre eux était particulièrement intéressant… Nous
avions tous les trois des coups de cœur différents sur les personnages. C’est ce qui était
intéressant aussi parce qu’un personnage que je ne serais pas allé voir au départ, l’autre
journaliste insistait beaucoup et finalement ça donnait une bonne histoire et
réciproquement. C’était l’avantage de travailler à trois, ça nous a donné une variété de
personnages, de lieux et de traitements.
En fait, nous avions pris un contact sur place et quand nous nous sommes rendus dans le
camp avec ce contact, nous avons senti que c’était très flottant, qu’il fallait aussi passer
par les autorités officielles et palestiniennes qui étaient là. Alors nous avons rencontré
d’autres personnes et finalement nous n’avons fait qu’un seul sujet avec notre contact de
départ. Nous trouvions tellement de choses par nous-mêmes dans les rues et partout. Le
fait de parler arabe évidemment nous a ouvert toutes les portes, que ce soit dans un petit
café où l’on s’asseyait et l’on disait « nous aimerions bien faire un sujet sur les éboueurs
et il y avait quelqu’un pour dire, je connais une personne, mon cousin, viens je t’amène le
voir… » Alors nous le rencontrions et tout se faisait comme ça parce que le camp est
assez petit, c’est comme un village. Les gens ont vu que nous étions plutôt des
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personnes sympathiques. Parce que l’inconvénient de Chatila, c’est que les habitants ont
été extrêmement exposés aux médias et ce n’est pas toujours agréable pour eux de voir
des caméras, ils n’ont pas très envie de nous voir là-bas. Alors les premiers jours, il y
avait un peu de tension mais c’est tombé assez vite à partir du moment où nous avons
commencé à rencontrer des gens et puis nous étions associés à ces interlocuteurs et à
des personnes connues du camp. Nous engagions aussi des habitants du quartier, des
fixeurs, pour une journée par exemple. Ça créait un peu de travail, les gens nous voyaient
donc plutôt d’un œil favorable. Tout s’est passé sur le terrain. C’était un lieu unique, nous
ne courrions pas à travers tout le Liban, nous n’avions pas d’interviews avec des experts
non plus, qui sont souvent très occupés. Là, les gens étaient un peu captifs, ils ne
travaillaient pas et étaient disponibles dans la journée. C’était assez facile de dénicher
ces petites histoires et de façon quotidienne.
En professionnel du son, quelle a été votre attention particulière sur ce média ?
Compte tenu du fait que j’étais à la caméra tout le temps, je n’ai pas eu énormément de
temps pour me consacrer simplement au son. J’ai passé une demi-journée à la toute fin
pour chercher des éléments sonores. J’en ai utilisé pour une émission radio, car je ne
voulais pas faire une déclinaison radio du webdocumentaire, je ne voulais pas mélanger
les travaux. La façon de travailler est différente quand vous travaillez avec une caméra.
Je suis toujours extrêmement sensible au son, compte tenu de mes origines et de mon
background. La recherche sur telle ou telle source de sons avec des plans différents, de
proche, de loin, s’est vraiment faite sur cette seule demi-journée. Le reste du temps, c’est
du son ambiant qu’on avait partout parce que c’est un lieu très sonore, il y a du bruit
partout. Comme c’est surpeuplé, vous avez une clameur qui est continuelle. Si vous êtes
en hauteur, vous captez tout. Nous sommes allés faire des plans dans le point le plus
haut du camp, ce qui nous donne une dimension sonore utilisée par exemple dans une
des pages d’accueil « Chez Tawil ». Vous voyez une photo avec des bâtiments en
hauteur et quand vous promenez la souris vers le haut vous entendez le son qui vient
d’en haut et quand vous allez vers le bas, vous avez le son de la rue. Ces deux sons ont
été mélangés. Nous sommes partis du son de rue que j’avais parce que très souvent je
laissais tourner la caméra sans qu’il y ait d’interviews justement pour avoir ces éléments
sonores. Et parfois, il y avait aussi des trouvailles sonores qui étaient là, nous arrivions
dans un lieu et une musique très forte démarrait alors nous l’intégrions tout simplement.
Et parfois je tournais en me disant, là j’enregistre pour le son mais avec ma caméra et en
faisant un plan qui est intéressant quand même pour ne pas perdre cet espace-là de
matériel. J’avais toujours l’oreille un peu déformée à cause de mon origine à la radio donc
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forcément j’ai terminé avec une grande richesse de sons. Même si dans l’idéal, il aurait
fallut prendre une journée ou deux pour me consacrer uniquement au son.
Avez-vous cherché une dimension informative dans le webdocumentaire ?
Les textes sont vraiment des appuis. La rédaction en français a été faite par le journaliste
algérien et en anglais par la journaliste anglophone parce que c’est un projet transculturel.
Donc j’ai établi des normes car il y avait trois versions avec l’arabe. Nous sommes partis
de la version française sur le nombre de mots pour ne pas avoir une version anglaise
avec quatre fois plus de texte pour la même vignette. J’ai beaucoup réécrit les vignettes
en français, pour les rendre beaucoup plus brèves et qu’elles servent de support et même
d’accroche dans certains cas, un peu comme un teaser. Parfois c’est une information
factuelle qui vient nous renseigner sur l’origine du Fatah ou du parti Hamas ou qui est
Arafat mais c’est une brève. Parfois, c’est la présentation de la situation d’un personnage
et c’est incitatif pour aller écouter la vidéo. Je ne voulais vraiment pas que ça devienne
encyclopédique, lourd et qu’on ait énormément de contenus à lire. Et puis, de temps en
temps, quand l’internaute a une question, il clique et il a l’info sur ce qu’il va voir. Ça nous
permet d’évacuer ces questions dans le son. En radio, vous êtes obligés de le dire dans
le son parce que vous n’avez pas de support visuel qui sert souvent plus pour des
informations factuelles.
Mais nous les avions en entrevues car pendant une partie du travail nous suivions les
gens et nous nous baladions avec eux mais une autre partie s’est déroulée avec de longs
entretiens de quarante-cinq minutes où nous allions chercher l’information. Parfois nous
avons même eu jusqu‘à trois entrevues avec le même personnage. Mais ce ne sont pas
les informations les plus vivantes. Dire que le puits ne fonctionne pas, c’est dur à montrer
donc l’écrire, ça nous permettait d’avoir un côté éditorial en mettant ces informations en
face des sujets. Ça apporte une autre lecture par rapport au témoignage.
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Annexe n°5 – Les structures des webdocumentaires
5.1 – L’arborescence concentrique
Illustration issue de l'article « Webdocumentaires : liberté et engagement », de Florent
Maurin, september 2011, sur le site prezi.com.
5.2 – L’arborescence à double entrée
Illustration réalisée à partir de la structure du webdocumentaire Comment le cancer du
sein m’a changée.
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Annexe n°6 – Présentation de sept écrans de À l’abri de rien
6.1 – Séquence d’introduction
Un texte vient annoncer clairement le sujet du webdocumentaire. Le démarrage de la
lecture s’opère d’un simple clic de la souris sur le mode de visualisation sélectionné. Le
lancement de la première séquence s’effectue automatiquement.
6.2 – La liste de tous les témoignages
L’écran permet d’accéder directement à l’un des douze témoignages. En passant la souris
sur l’une des vignettes, le son d’introduction de la séquence se lance et le titre s’affiche
en bas de la vignette.
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6.3 – Séquence avec la famille Leffler, dans la banlieue de Pau
La première séquence commence par une courte vidéo puis une succession de photos
animées sur une bande sonore. L’internaute entend le témoignage d’une femme qui
n’apparaît pas tout de suite dans le déroulé de la séquence. Toutes les données
informatives relatives au sujet apparaissent progressivement en texte, sur l’écran.
6.4 – Séquence avec la famille Hidara, à Nancy
Cette séquence se compose exclusivement d’une animation de photos fixes, ce qui
renforce l’effet documentaire. La bande sonore est composée du témoignage de la fille et
de son père tout comme des sons de leur quotidien, comme les pleurs du bébé et le père
qui lui donne son biberon.
6.5 – Un écran informatif, l’interview
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Toutes les séquences proposent un écran complémentaire extrait du rapport annuel de la
Fondation Abbé Pierre. Celui-ci est l’interview d’un professeur neuropsychiatre et
pédiatre, chef du service médico-psychologique de l’hôpital Salvator, à Marseille.
L’approche est ici plus journalistique.
6.6 – Des séquences vidéo complémentaires dans « la maison du diable »
À la fin de l’une des séquences, « la maison du diable », le webdocumentaire permet
d’accéder non pas à un bonus texte, mais à des bonus vidéo. Le spectateur peut
également se déplacer dans l’image à gauche et à droite, dans des régions non visibles
dans le cadre de l’écran. Et l’histoire se poursuit encore, l’internaute peut écouter les
protagonistes, visiter l’appartement ou continuer...
6.7 – Des séquences complémentaires dans le même immeuble
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Ce module propose des témoignages dans tout un immeuble, l’internaute peut donc
choisir l’étage qu’il souhaite visiter et la séquence qu’il souhaite écouter.
Deux entrées spécifiques en haut de l’écran permettent aussi de se renseigner sur le
projet du webdocumentaire et la Fondation Abbé Pierre.
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Annexe n°7 – Présentation de huit écrans de Comment le cancer du sein…
7.1 – Séquence d’introduction
La séquence d’introduction se lance automatiquement. Le texte défile sur une bande
sonore musicale pour laisser apparaître l’écran d’accueil du webdocumentaire.
7.2 – Page d’accueil
Au dos de chaque photo s’affichent des informations sur chaque femme comme le
prénom, l’âge, la situation géographique, familiale et professionnelle ainsi qu’une phrase
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clé. Sur le côté gauche de l’écran, une navigation thématique est également proposée.
Elle permet de visualiser les séquences en fonction d’un mot-clé choisi.
7.3 – Navigation thématique
En choisissant un thème, les séquences s’enchaînent sur les témoignages des femmes
qui ont abordé le sujet.
7.4 – Un écran des écrans du lexique
Un lexique explicatif, informatif et très documenté est accessible à tout moment.
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7.5 – Le portrait d’Anita
Le portrait est une succession de six séquences animées à partir de photos avec le
témoignage d’Anita. À gauche le mot-clé concerné est activé en jaune et la séquence elle-
même est décomposée en plusieurs « mots du cancer ». Les séquences se suivent
automatiquement et quelques écrans de textes informent et peuvent donner des
explications complémentaires.
7.6 – Le portrait de Caroline
De la même façon, six séquences enchaînées construisent le portrait de Caroline.
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7.7 – Visualisation par thématique
Enchaînement des séquences sur le thème choisi.
7.8 – La vidéo, « un an après »
« Un an après », une vidéo revient sur le tournage du webdocumentaire un an plus tôt.
À gauche la navigation par « les mots du cancer » reste toujours accessible.
Différentes pages sont également disponibles comme le projet et une sélection de sites
Internet et de livres pour aller plus loin. À l’ouverture du projet, un blog était également
consultable en parallèle du webdocumentaire.
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Annexe n°8 – Présentation de huit écrans de Réfugiés oubliés
8.1 – Séquence d’introduction
Un clic sur le bouton « EXPLORER » est nécessaire pour lancer le webdocumentaire.
Suit une séquence d’introduction faite de plans vidéo et de photos fixes. Le texte en
surimpression cadre le sujet.
8.2 – Navigation via la carte aérienne
La carte offre la possibilité de se déplacer directement d’un quartier à un autre dans la
ville. Cette image permet également une vue d’ensemble de la localité et de situer les
lieux les uns par rapport aux autres.
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8.3 – Liste de l’ensemble des vidéos
Enfin, il est possible de visionner l’ensemble des vidéos. Une bande défile en bas de
l’écran en reprenant l’ensemble des séquences, quartier par quartier.
8.4 – Séquence d’introduction Chez les Jaad
Les scènes d’introduction se composent d’un plan fixe, une vidéo sur laquelle court une
bande sonore d’ambiance. Cette première proposition est différente à chaque nouveau
chargement, c’est une proposition aléatoire.
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8.5 – Scène d’exposition Chez les Jaad
Plusieurs choix possibles : deux portraits du père et de la mère, deux bulles « info » sur
les conditions de vie et les statistiques, quatre vidéos sur la famille, l’accès aux
médicaments et le logement.
8.6 – Séquence animée sur le dénuement de la famille Jaad
Une succession de photos et de vidéos sur la question du dénuement mais qui présente
par ailleurs tous les membres de la famille Jaad avec le témoignage sonore de la mère et
du père.
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8.7 – Séquence vidéo sur le difficile accès aux médicaments
Composée de plans de la mère face caméra et de plans hors-champ dans la pharmacie.
Le sujet traite des soins inaccessibles pour de nombreuses familles dans le dénuement.
8.8 – Les bulles « info»
Les bulles « info » ne lancent pas une vidéo mais donnent une information
complémentaire. Ici l’information concerne le puits d’eau. Par ailleurs une vidéo est
consacrée à la station d’eau et son gardien bénévole.
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8.9 – La bulle info de Chatila
Présente sur toutes les séquences d’exposition, cette vignette recadre le sujet du
webdocumentaire en quelques lignes.
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RÉSUMÉ
Entre documentaire et reportage journalistique, la frontière n’est pas toujours très stricte
et définie. Le documentaire fait le récit du réel au travers du regard d’un auteur tandis que
le reportage s’attache à l’illustration d’une question d’actualité dans un souci
d’information. La définition du webdocumentaire est moins facile à établir, c’est la
production d’un document multimédia, conçu et produit pour le web, faisant appel à toutes
ses fonctionnalités. Les trois webdocumentaires étudiés ont été réalisés par des
professionnels du son à savoir : À l’abri de rien, réalisé par Mehdi Ahoudig, Comment le
cancer du sein m’a changée, signé par Clara Beaudoux et Réfugiés oubliés, les
Palestiniens du Liban, réalisé par Danny Braün. Les auteurs sont respectivement
documentariste et journalistes radio.
L’arborescence et la navigation d’un webdocumentaire s’imposent comme les marques
d’un genre spécifique car c’est la seule production capable de proposer au spectateur une
lecture délinéarisée, uniquement guidée par ses choix. L’interface peut être utilisée dans
un but informatif et participatif de la narration comme c’est le cas pour le lexique
scientifique de Comment le cancer du sein m’a changée et la carte du camp dans
Réfugiés oubliés. Le son de son côté renforce la dimension documentaire du projet. Il est
particulièrement soigné quand les auteurs sont issus du monde de la radio.
L’association photo-son entre parfaitement en résonance avec la dimension
documentaire, surtout quand les séquences sont animées au moyen de l’effet « Ken
Burns » qui dynamise la succession d’images fixes présentées. Dans la démarche des
auteurs, nous notons de très fortes ressemblances avec celle des documentaristes
classiques, à la fois dans la méthode et la recherche, mais également dans le temps
consacré aux entretiens et la façon de traiter la matière recueillie et de structurer le projet
autour de ces éléments. La démarche journalistique vient souvent contextualiser les
projets. Elle peut prendre la forme de l’écrit, comme celui d’un rapport ou de brèves
d’informations. Mais cette approche peut aussi se traduire dans le dispositif
d’enregistrement de certaines séquences.
Le webdocumentaire émerge comme un nouveau genre de l’audiovisuel à la croisée des
chemins entre documentaire et démarche journalistique avec des spécificités techniques
propres, liées au web.
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MOTS-CLÉS
Webdocumentaire
Genre
Multimédia
Audiovisuel
Documentaire
Journalisme
Reportage