Каров с/у България

35
C O N SEI L D E L EU R O PE C O U N C I L O F EU R O PE C O U R EU R O P ÉEN N E D ES D R O I TS D E L H O M M E EU R O PEA N C O U RT O F H U M A N R I G H TS CINQUIÈME SECTION AFFAIRE KAROV c. BULGARIE (Requête n o 45964/99) ARRÊT STRASBOURG 16 novembre 2006

description

Нарушение на чл. 6.1, чл. 13+6.1. Не установено нарушение на чл. 8, не уст. нарушение на чл. 13+8. (фр.) (16/11/2006)

Transcript of Каров с/у България

Page 1: Каров с/у България

CONSEILDE L’EUROPE

COUNCILOF EUROPE

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMMEEUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE KAROV c. BULGARIE

(Requête no 45964/99)

ARRÊT

STRASBOURG

16 novembre 2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

Page 2: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 1

En l'affaire Karov c. Bulgarie,La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section),

siégeant en une chambre composée de :M. P. LORENZEN, président,Mme S. BOTOUCHAROVA,MM. K. JUNGWIERT,

V. BUTKEVYCH,Mme M. TSATSA-NIKOLOVSKA,MM. R. MARUSTE,

M. VILLIGER, juges,et de Mme C. WESTERDIEK, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 octobre 2006,Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 45964/99) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Sava Kolev Karov (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme le 28 mars 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me Z. Kalaydjieva, avocate à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son coagent, Mme M. Kotzeva, du ministère de la Justice.

3.  Le requérant se plaignait en particulier de la durée excessive de la procédure pénale menée à son encontre, ainsi que d'une atteinte à sa vie privée du fait de la suspension sans solde de ses fonctions au ministère de l'Intérieur et de l'impossibilité concomitante de démissionner en raison de la procédure pénale en cours. Il dénonçait en outre l'absence de recours effectifs susceptibles de remédier aux violations alléguées.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  Par une décision du 1er février 2005, la Cour a décidé de joindre au fond l'examen de l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement concernant le grief tiré de l'article 8 et a déclaré la requête partiellement recevable.

6.  Le requérant a déposé des observations écrites complémentaires mais non le Gouvernement (article 59 § 1 du règlement).

Page 3: Каров с/у България

2 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7.  Le requérant est né en 1957 et réside à Burgas.

A.  La procédure pénale à l'encontre du requérant

1.  L'engagement des poursuites

8.  Le requérant, commandant de police, occupait un poste d'inspecteur à la police criminelle de Burgas. Le 1er août 1995, il fut arrêté, mis en examen pour corruption passive et placé en détention provisoire. Par un arrêté du directeur de la police nationale, il fut temporairement suspendu de ses fonctions à compter du 3 août 1995, avec suspension de son salaire.

9.  Le requérant fut renvoyé devant le tribunal militaire de Sliven qui, par un jugement du 27 février 1996, le reconnut coupable et le condamna à un an et huit mois d'emprisonnement. Par une ordonnance du même jour, le tribunal modifia la mesure de détention provisoire et lui imposa une simple mesure de contrôle judiciaire (подписка).

10.  Le requérant interjeta appel du jugement. L'audience devant la Cour suprême, qui était en l'occurrence l'instance d'appel, se tint le 9 avril 1996. L'affaire y fut mise en délibéré.

2.  La perte et la reconstitution du dossier pénal

11.  Le 21 janvier 1997, lors d'une demande de renseignements au greffe de la Cour suprême, le requérant fut informé de la perte du dossier pénal, qui avait été volé en avril 1996 dans le véhicule du juge rapporteur en charge de l'affaire. Le requérant transmit rapidement toutes les pièces en sa possession afin de permettre la reconstitution du dossier.

12.  Au courant de l'année 1998, il adressa plusieurs courriers à la Cour suprême de cassation1 en demandant que le dossier soit reconstitué et l'affaire jugée. Il fit plus particulièrement valoir que le ministère refusait sa démission et qu'il ne pouvait par conséquent trouver un autre travail tant que la procédure pénale était pendante.

13.  Le 10 juin 1999, la Cour suprême de cassation transmit les pièces qu'elle avait été en mesure de reconstituer au tribunal militaire de Sliven, auteur du jugement de première instance, afin que celui-ci complète le dossier.

14.  Par des courriers datés des 17 juin 1999, 9 septembre 1999 et 22 janvier 2000, le requérant s'adressa au tribunal de Sliven pour demander 1 1.  Ainsi dénommée suite à la réforme du système judiciaire intervenue en 1998.

Page 4: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 3

que la procédure de reconstitution soit accélérée. Par une ordonnance du 29 septembre 1999, le tribunal déclara le dossier reconstitué. Le 14 octobre 1999, le dossier fut transmis à la cour d'appel militaire sise à Sofia1 afin que celle-ci se prononce sur le recours du requérant.

15.  Le 22 décembre 1999, la cour d'appel renvoya le dossier à la Cour suprême de cassation, considérant que celle-ci était compétente et qu'en tout état de cause le dossier n'était pas complet. La Cour suprême de cassation ne se considéra toutefois pas compétente et retourna le dossier à la cour d'appel militaire le 3 février 2000.

3.  La poursuite du procès pénal

16.  Une audience se tint devant la cour d'appel le 29 mars 2000. Par un arrêt du 28 avril 2000, dans le cadre d'un examen d'office de la légalité du jugement entrepris, la cour d'appel annula le jugement au motif d'irrégularités de procédure ayant porté atteinte aux droits de la défense et renvoya le dossier au stade de l'instruction préliminaire. Elle constata en particulier que l'acte d'accusation notifié au requérant au moment du renvoi en jugement ne décrivait pas de manière précise les accusations portées à son encontre et contenait un exposé des faits différant de celui qui figurait dans l'ordonnance de mise en examen.

17.  Le 31 mai 2000, l'enquêteur procéda à une nouvelle mise en examen du requérant.

18.  A plusieurs reprises, le requérant s'enquit du développement de son affaire auprès de l'enquêteur et demanda qu'un certain nombre de pièces soient jointes au dossier. Il s'adressa au ministère de la Justice pour se plaindre des lenteurs de la procédure et fut informé, par une lettre du 24 octobre 2000, que l'affaire avait été attribuée à un nouvel enquêteur en raison d'une absence prolongée de celui qui en avait été initialement chargé. Par des courriers datés des 21 janvier 2001, 26 mars 2001 et 26 juin 2001, le requérant s'adressa à l'enquêteur et au procureur pour se plaindre de leur défaut de diligence et de la durée de la procédure.

19.  Le requérant fut renvoyé en jugement le 9 août 2002. A compter de cette date, la procédure pénale fut classée « confidentielle » au motif que le dossier contenait des informations ayant le caractère de secret d'Etat.

20.  A l'audience qui se tint devant le tribunal militaire de Sliven le 8 octobre 2002, les avocats de la défense demandèrent que l'affaire soit renvoyée à l'instruction en raison de plusieurs irrégularités de procédure. Ils soulevèrent que la seconde mise en examen en date du 31 mai 2000 était irrégulière et que les défauts de l'acte d'accusation, constatées par la cour d'appel le 29 mars 2000, n'avaient pas été rectifiés. Le tribunal constata qu'il existait effectivement une contradiction entre les éléments factuels et la

1 1.  La réforme de 1998 a instauré une cour d’appel militaire unique, compétente pour examiner les recours en appel des jugements des tribunaux militaires régionaux.

Page 5: Каров с/у България

4 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

qualification juridique contenus dans l'acte d'accusation et renvoya le dossier à l'instruction.

21.  Par une ordonnance du 28 novembre 2002, le procureur annula la seconde mise en examen du requérant en date du 31 mai 2000, sans objet en raison de la préexistence d'une procédure depuis 1995.

22.  Un nouvel acte d'accusation fut établi au courant du mois de janvier 2003 et le requérant fut renvoyé en jugement. A l'audience qui se tint devant le tribunal militaire de Sliven le 5 mars 2003, l'affaire fut évoquée au fond et les témoins cités furent entendus. Suite à la demande de la défense en vue de l'audition de témoins supplémentaires, l'affaire fut reportée. Une nouvelle audience eut lieu le 8 mai 2003.

23.  Par un jugement rendu en décembre 2003, le requérant fut reconnu coupable des charges retenues. Il interjeta appel. Par un arrêt datant du mois de mai 2004, la cour d'appel militaire annula le jugement au motif, notamment, d'une atteinte aux droits de la défense, et renvoya le dossier au stade de l'instruction préliminaire.

24.  Quelques mois plus tard, le requérant saisit le tribunal militaire de Sliven en se plaignant de la durée excessive de la procédure et en sollicitant, en application de la nouvelle disposition de l'article 239a du Code de procédure pénale, qu'il soit renvoyé en jugement ou que les poursuites soient clôturées. Par une ordonnance du 13 décembre 2004, le tribunal militaire de Sliven considéra qu'une telle demande était prématurée, la durée de l'instruction postérieurement au renvoi de la cour d'appel en mai 2004 n'ayant pas atteint la durée de deux ans visée par l'article 239a.

25.  Selon les dernières informations fournies par les parties, au 1er avril 2005 l'affaire était toujours pendante au stade de l'instruction préliminaire.

B.  Le statut professionnel du requérant

1.  La suspension de fonctions du requérant et ses tentatives de démissionner

26.  Le requérant avait été suspendu de ses fonctions au moment de sa mise en examen en août 1995. Après sa remise en liberté en février 1996, il demanda à effectuer un stage judiciaire lui ouvrant l'accès aux professions d'avocat et de magistrat. Il n'y fut pas admis au motif qu'il était toujours fonctionnaire du ministère de l'Intérieur et que ce dernier n'avait pas donné son autorisation pour qu'il occupe un autre emploi.

27.  Le 22 novembre 1996, le requérant sollicita auprès du directeur de la police nationale que la mesure de suspension temporaire de son poste soit levée. En réponse, il lui fut indiqué qu'en vertu d'une instruction I-73/1994 du ministre de l'Intérieur, la mesure de suspension temporaire ne pouvait être annulée tant que la Cour suprême de cassation n'avait pas statué de manière définitive sur sa responsabilité pénale.

Page 6: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 5

28.  Le 2 décembre 1996, le requérant présenta sa démission. Il ne reçut pas de réponse du service compétent. Le 7 janvier 1997, il introduisit un recours hiérarchique auprès du ministre de l'Intérieur, puis un recours judiciaire contre le refus implicite du ministre d'accepter sa démission. Le 2 juillet 1997, la Cour administrative suprême déclara le recours irrecevable au motif que le ministre était tenu de se prononcer et de motiver son refus, ce qui excluait la possibilité d'intenter un recours contre une décision implicite de rejet.

29.  Le dossier fut transmis au ministre afin qu'il se prononce. Les parties n'ont pas précisé si une décision formelle a été prise sur la demande du requérant ; les avis consultatifs présentés par le service du personnel du ministère indiquaient toutefois que sa démission ne pouvait être acceptée tant qu'il était suspendu de ses fonctions en raison de la procédure pénale en cours.

30.  Par la suite, le requérant présenta plusieurs fois sa démission. A deux reprises, il introduisit des recours judiciaires contre le refus implicite du ministre d'accepter celle-ci. Par des arrêts datant respectivement du 22 décembre 1997 et du 10 mars 1999, la Cour administrative suprême déclara ces recours irrecevables. Elle considéra qu'en vertu de la loi sur le ministère de l'Intérieur, seule une décision ordonnant la cessation de fonctions d'un agent était susceptible d'un recours judiciaire, à l'exclusion du refus d'une démission.

31.  Suite à l'intervention de la Commission des droits de l'homme de l'Assemblée nationale, saisie par le requérant, le ministère exposa dans une lettre datée du 22 juillet 1998 que le requérant ne pouvait être démis de ses fonctions pour quelque motif que ce soit avant la fin de la procédure pénale à son encontre. En fonction de l'issue de cette procédure, l'intéressé allait faire l'objet d'un licenciement pour motif disciplinaire ou être réintégré dans ses fonctions.

32.  Au courant de l'année 1999, le requérant introduisit devant la Cour administrative suprême un recours visant l'annulation de l'article 141 alinéa 2 du décret d'application de la loi sur le ministère de l'Intérieur. Ce texte réglementaire, adopté en septembre 1998, interdisait expressément la cessation de fonction d'un agent sous le coup d'une suspension temporaire pour tout autre motif qu'un licenciement disciplinaire.

33.  Par un arrêt du 23 juillet 1999, la Cour administrative suprême fit droit au requérant et annula la disposition en question, qu'elle jugea incompatible avec des normes légales et constitutionnelles supérieures. La cour considéra notamment que la règle litigieuse portait atteinte au droit au travail et au libre choix d'une profession, garantis par la Constitution, de manière illimitée dans le temps et donc disproportionnée au but poursuivi qui était d'assurer le bon fonctionnement de la justice.

34.  Le requérant ne présenta pas de nouvelle démission consécutivement à cette décision.

Page 7: Каров с/у България

6 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

35.  Suite à une modification du Code de procédure pénale à compter du 1er janvier 2000, qui conférait désormais au tribunal la compétence pour ordonner la suspension de fonctions d'un agent du ministère mis en examen, le requérant demanda à la cour d'appel militaire la levée de la mesure de suspension pesant à son encontre. Le 2 mai 2000, la cour d'appel fit droit à sa demande, considérant que cette mesure ne se justifiait plus compte tenu de la durée de la procédure pénale.

36.  Le requérant fut réintégré dans les services de la police nationale le 15 mai 2000. Suite à l'annulation de la mesure de suspension temporaire, il perçut l'indemnité prévue à l'article 263 de la loi de 1997, équivalant à six mois de salaire ; celle-ci ayant été calculée sur la base de son salaire en 1996 et en raison de l'inflation intervenue dans l'intervalle, il toucha 27 euros (EUR) à ce titre. Le requérant travailla au ministère jusqu'au 1er septembre 2000, date à laquelle il fit valoir ses droits à la retraite. Depuis, il exerce la profession d'avocat, inscrit au barreau de Bourgas.

2.  L'action en responsabilité de l'Etat

37.  Après avoir quitté son poste à la police, le requérant intenta une action en responsabilité contre le ministère de l'Intérieur, demandant réparation du préjudice subi en raison du refus de le démettre de ses fonctions dans la période allant de janvier 1997 à août 1999.

38.  Par un jugement du 16 mai 2001, le tribunal de district de Bourgas fit droit à sa demande et lui alloua les montants réclamés, soit 10 000 levs (environ 5 000 EUR). Le tribunal considéra que le refus de la démission du requérant était illégal car fondé sur une disposition réglementaire qui avait été par la suite déclarée contraire à des normes légales et constitutionnelles.

39.  Suite à l'appel interjeté par le ministère, le 10 décembre 2001 le tribunal régional de Bourgas infirma le premier jugement et rejeta l'action du requérant. Il considéra que la responsabilité de l'autorité publique pouvait être engagée uniquement à la condition que les actes administratifs en cause avaient préalablement fait l'objet d'une annulation, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Bien au contraire, le refus de la démission du requérant était régulier et conforme à la réglementation telle qu'en vigueur avant l'annulation, en juillet 1999, de l'article 141 alinéa 2 du décret d'application.

40.  Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 7 mai 2003, la Cour suprême de cassation rejeta le pourvoi sur des motifs similaires.

Page 8: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 7

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le statut des officiers de la police nationale

41.  A l'époque pertinente, ce statut était régi par la loi sur le ministère de l'Intérieur (Закон за Министерството на вътрешните работи) datant de 1991, puis par une nouvelle loi sur le ministère de l'Intérieur adoptée en décembre 1997 et abrogée au 1er mai 2006, ainsi que par les actes réglementaires pris en application desdites lois, à savoir un arrêté ministériel de 1993 portant sur la nomination, le reclassement et la cessation de fonctions du personnel du ministère de l'Intérieur, puis le décret d'application de la loi sur le ministère de l'Intérieur (Правилник за прилагане на ЗМВР) du 30 septembre 1998.

1.  Incompatibilités

42.  Les agents du ministère de l'Intérieur ne peuvent être nommés dans un autre emploi public, exercer une activité commerciale ou salariée (article 78a de la loi de 1991, adopté en novembre 1996, article 213 de la loi de 1997).

2.  Cessation de fonctions

43.  Les agents du ministère de l'Intérieur sont libérés de leurs fonctions dans les hypothèses prévues par la loi et notamment à leur demande (article 66 alinéa 1 (4) de la loi de 1991, article 253, alinéa 1 (4) de la loi de 1997).

44.  La démission résulte d'une demande écrite adressée à l'autorité investie du pouvoir de nomination. Cette dernière doit se prononcer sur la démission avant l'expiration du délai de préavis (article 67 alinéa 2 de l'arrêté de 1993, article 255 de la loi de 1997).

45.  L'ancienne réglementation prévoyait un recours hiérarchique auprès du ministre contre le refus d'une démission (articles 73 à 79 de l'arrêté de 1993).

46.  Un recours judiciaire est ouvert contre la décision ordonnant la cessation de fonctions (article 67 de la loi de 1991 et article 258 de la loi de 1997). Aucune mention n'est faite quant à une telle possibilité dans l'hypothèse d'un refus de démission.

47.  Par ailleurs, lors de la cessation de ses fonctions pour tout autre motif que le licenciement disciplinaire, l'agent se voit verser une indemnité proportionnelle à la durée de son service, pouvant aller jusqu'à 20 mois de salaire (article 68 de la loi de 1991).

Page 9: Каров с/у България

8 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

3.  Suspension de fonctions

48.  En vertu de l'article 392 du Code de procédure pénale de 1974 (CPP), tel qu'en vigueur à l'époque des faits, les agents du ministère de l'Intérieur mis en examen et placés en détention provisoire étaient temporairement suspendus de leurs fonctions par une décision du chef de service. Concernant les agents faisant l'objet de poursuites pénales sans placement en détention, le chef de service pouvait ordonner leur suspension sur demande motivée du procureur ou de l'enquêteur.

49.  En vertu d'une instruction interne I-73/1994 du ministre de l'Intérieur, telle qu'appliquée par les autorités compétentes dans le cas de l'espèce, la mesure de suspension temporaire ne pouvait être levée tant que la procédure pénale était pendante.

50.  Suite à une modification de l'article 392 CPP, entrée en vigueur le 1er

janvier 2000, le tribunal, sur demande motivée du chef de service ou des autorités de poursuites, est devenu seul compétent pour imposer une mesure de suspension lorsque l'intéressé n'avait pas été placé en détention provisoire.

51.  Par ailleurs, l'article 141 alinéa 2 du décret d'application de la loi sur le ministère de l'Intérieur du 30 septembre 1998 prévoyait que les agents sous le coup d'une mesure de suspension temporaire ne pouvaient être démis de leurs fonctions sauf en cas de licenciement pour motif disciplinaire. Ce texte a été annulé par un arrêt de la Cour administrative suprême du 23 juillet 1999, suite au recours introduit par le requérant. La réglementation antérieure au décret de 1998 ne semble pas avoir contenu une norme similaire. Toutefois, une telle disposition a été par la suite introduite dans la loi sur le ministère de l'Intérieur (article 253 alinéa 3), et est restée en vigueur entre avril 2000 et février 2003.

52.  Les officiers qui ont fait l'objet d'une suspension de fonctions et ont par la suite bénéficié d'un non-lieu ou d'une relaxe, ou lorsque la cause de la suspension a disparu, ont droit à une indemnité pour le temps durant lequel ils n'ont pas travaillé, d'un montant maximum équivalant à six mois de salaire (article 68 alinéas 9 et 10 de la loi de 1991, tels que modifiés en novembre 1996, et article 263 de la loi de 1997).

B.  Autres dispositions pertinentes du Code de procédure pénale de 1974

53.  Selon l'article 239a du CPP, entré en vigueur en juin 2003 (et dont la substance a été reprise par l'article 368 du nouveau Code de procédure pénale) :

« (1)  Si, au stade de l'instruction préliminaire, un délai de plus de deux ans, lorsque l'accusation porte sur une infraction grave, ou de plus d'un an pour les autres cas s'est écoulé depuis la mise en examen, l'accusé peut demander que son affaire soit déférée devant le tribunal. (...)

Page 10: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 9

(3)  Le tribunal se prononce dans un délai de sept jours (...). Si les conditions visées à l'alinéa 1 s'avèrent établies, il renvoie le dossier au procureur afin que celui-ci puisse, dans un délai de deux mois, soit effectuer le renvoi de l'intéressé en jugement (...), soit mettre un terme aux poursuites.

(4)  Si le procureur n'exerce pas ses prérogatives dans le délai de deux mois, le tribunal (...) rend une ordonnance par laquelle il clôture la procédure pénale. (...) »

C.  La loi de 1988 sur la responsabilité de l'Etat

54.  L'article 1 de la loi dispose que l'Etat est responsable du préjudice causé par les actes, actions ou inactions illégales de ses organes ou agents. Lorsque les dommages résultent d'un acte administratif, celui-ci doit avoir été préalablement déclaré illégal et annulé.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

55.  Le requérant soutient que la durée de la procédure pénale en l'espèce a dépassé le délai raisonnable exigé par l'article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit en ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.  Arguments des parties

56.  Le Gouvernement conteste la thèse du requérant. Il souligne que la procédure s'est déroulée à un rythme soutenu depuis son ouverture le 1er août 1995 jusqu'au moment où elle a été interrompue par un évènement objectif indépendant de la volonté des autorités, à savoir le vol du dossier pénal en avril 1996. La période de près de trois années qui s'est écoulée avant la reconstitution de celui-ci se trouverait dès lors justifiée au vu des circonstances particulières de l'affaire. Par la suite, deux audiences devant la cour d'appel auraient été reportées en raison des demandes d'audition de témoins présentées par le requérant. En définitive, le Gouvernement considère que la durée de la procédure n'a pas dépassé le délai raisonnable voulu par la Convention.

Page 11: Каров с/у България

10 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

57.  En réponse, le requérant met en avant que la procédure dure depuis plus de neuf ans et qu'en avril 2004 l'affaire a de nouveau été renvoyée au stade de l'instruction préliminaire. Cette situation serait due à des motifs totalement étrangers au requérant : la passivité des autorités lors de la reconstitution du dossier disparu, attendant apparemment que lui-même se charge de cette reconstitution ; les renvois multiples à l'instruction en raison d'irrégularités de procédure et les retards intervenus suite à ces renvois. Quant aux allégations du Gouvernement dans le sens qu'il aurait été la cause de reports d'audience, il souligne qu'il a simplement fait usage de ses droits à la défense en demandant l'audition de témoins supplémentaires cruciaux pour l'issue de la procédure.

B.  Appréciation de la Cour

1.  Sur la durée à prendre en considération

58.  La Cour note que la procédure pénale contre le requérant a débuté avec son arrestation et sa mise en examen le 1er août 1995. A la date des dernières communications des parties, en avril 2005, elle était toujours pendante. A cette date, sa durée s'élevait à neuf ans et neuf mois.

2.  Sur le caractère raisonnable de cette durée

59.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une pro-cédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux cri-tères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II ; Portington c. Grèce, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, p. 2630, § 21).

60.  La Cour admet que l'affaire de l'espèce, qui portait sur des charges de corruption passive, présentait une certaine complexité. Néanmoins, force est de constater que lors du premier examen de celle-ci, l'instruction préli-minaire et le procès en première instance avaient été achevés en seulement sept mois.

61.  En ce qui concerne le comportement des parties, la Cour relève d'emblée que la procédure a été retardée de trois ans et demi en raison du temps qui s'est avéré nécessaire aux autorités pour la reconstitution du dos-sier pénal disparu. Ensuite, pendant quatre mois, le dossier a été renvoyé entre les juridictions qui ne se considéraient pas compétentes. La Cour constate que le requérant n'a en rien contribué à ces délais et qu'il a, au contraire, fait preuve de diligence en transmettant les copies des pièces dont il disposait et en relançant à plusieurs reprises les tribunaux. La Cour ne saurait accepter, comme le soutien le Gouvernement, qu'un délai aussi im-

Page 12: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 11

portant s'explique par le fait « objectif » de la disparition du dossier mais considère au contraire que les autorités judiciaires n'ont pas agi avec la dili-gence nécessaire, notamment compte tenu du fait que pendant ce laps de temps le requérant était suspendu de son poste et était privé de ses revenus.

62.  Concernant la suite de la procédure, la Cour relève que le 28 avril 2000 la cour d'appel a annulé le jugement prononcé et a retourné le dossier au stade de l'instruction préliminaire. Après un nouveau renvoi en jugement, le 8 octobre 2002 le tribunal régional a de nouveau retourné le dossier à l'instruction. Suite au renvoi du requérant devant le tribunal en janvier 2003 et un nouveau jugement de condamnation, en mai 2004 la cour d'appel a an-nulé le jugement rendu et ordonné le retour à l'instruction. Ces multiples renvois ont été motivés par des irrégularités de procédure auxquelles, de l'avis des juridictions concernées, il ne pouvait être remédié sans renvoi au stade de l'instruction.

63.  La Cour a déjà observé à l'occasion de précédentes affaires contre la Bulgarie que les renvois répétés et injustifiés des affaires à l'instruction étaient la cause de délais excessifs dans la conduite des procédures pénales (Vasilev c. Bulgarie, no 59913/00, § 93, 2 février 2006 ; Iliev c. Bulgarie, no 48870/99, § 58, 22 décembre 2004 ; Kitov c. Bulgarie, no 37104/97, § 73, 3 avril 2003). Dans la présente espèce, sans avoir à se pencher sur la justification de chacun des renvois intervenus, la Cour constate qu'ils ont eu pour effet de mettre à néant la procédure judiciaire accomplie jusqu'à ce moment et que des délais substantiels, de plusieurs années parfois, se sont écoulés avant que celle-ci ne puisse reprendre. Qui plus est, il n'apparaît pas qu'un nombre significatif d'actes de procédure ou d'instruction aient été réalisés pendant ces laps de temps.

64.  S'agissant l'attitude du requérant, la Cour ne relève pas d'éléments in-diquant que celui-ci ait été à l'origine de retards importants ou que les de-mandes de preuves et exceptions de procédure soulevées par la défense au-raient eu une finalité dilatoire.

65.  En conclusion, la Cour estime que les autorités internes ont failli à leur obligation d'assurer une procédure dans un délai raisonnable.

66.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 6 § 1

67.  Le requérant soutient qu'il n'existe en droit interne aucun recours susceptible de remédier à la durée excessive d'une procédure pénale, en méconnaissance de l'article 13 de la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

Page 13: Каров с/у България

12 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

68.  Le requérant expose en particulier qu'il n'existe aucune possibilité d'obtenir une indemnisation pour le préjudice subi du fait de la durée excessive d'une procédure pénale.

69.  Quant à la possibilité d'accélérer la procédure en application du nouvel article 239a du CPP, compte tenu de l'interprétation du délai de deux ans effectuée à l'occasion de la demande qu'il a introduite, cette voie de recours se serait révélée inefficace pour un cas comme le sien, lorsque la procédure se trouve de nouveau au stade de l'instruction préliminaire après un renvoi par la juridiction de jugement.

70.  Il considère qu'en tout état de cause, ce recours ne présente pas une efficacité suffisante car il ne concerne que la phase de l'instruction préliminaire et ne peut ni empêcher les retards dans la phase judiciaire et de nouveaux renvois à l'instruction, ni compenser les retards déjà intervenus avant son introduction en 2003.

71.  Le Gouvernement n'a pas présenté d'observations sur ce grief.72.  La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit

l'existence en droit interne d'un recours permettant d'examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et d'offrir un redressement approprié (voir, parmi d'autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI). Eu égard à sa conclusion ci-dessus concernant le caractère excessif de la durée de la procédure, la Cour considère que le requérant disposait d'un « grief défendable » de méconnaissance de l'article 6 § 1. Il convient dès lors de déterminer si le droit interne était susceptible de lui offrir un recours adéquat.

73.  La Cour a déjà considéré qu'en matière de durée de procédure l'article 13 ouvre une option : un recours est « effectif » dès lors qu'il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudła, précité, §§ 158-159 ; Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 17, CEDH 2002-VIII).

74.  A la connaissance de la Cour, il n'existe pas en Bulgarie de recours indemnitaire. Quant à la possibilité d' « accélérer » une procédure pénale, la Cour observe que si la nouvelle disposition de l'article 239a du CPP prévoit la faculté pour un prévenu, dans certaines hypothèses, d'accélérer le renvoi de son affaire devant un tribunal pour qu'elle soit jugée et éviter ainsi des délais excessifs au stade de l'instruction préliminaire, cette disposition, telle qu'interprétée par les tribunaux internes, s'est avérée inapplicable dans le cas du requérant (paragraphe 26 ci-dessus). Elle relève par ailleurs que ce recours n'était pas en mesure de fournir une réparation pour les retards considérables intervenus dans la procédure de l'espèce avant l'adoption de cette disposition en juin 2003.

75.  Au vu de ces observations, le requérant ne disposait pas d'un recours effectif en droit interne pour remédier à son grief tiré de la durée excessive

Page 14: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 13

de la procédure pénale. Partant, la Cour conclut à la violation de l'article 13 en combinaison avec l'article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

76.  Le requérant dénonce par ailleurs le refus du ministère de l'Intérieur d'accepter sa démission pendant qu'il était sous le coup d'une mesure de suspension temporaire de fonctions, en conséquence de quoi il ne pouvait ni occuper son emploi au ministère et percevoir son salaire, ni trouver un autre emploi. Il invoque l'article 8 de la Convention, qui dispose :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

A.  Sur l'exception du Gouvernement

77.  Le Gouvernement a soulevé une exception de non-épuisement des voies de recours internes, considérant que le requérant a omis d'introduire, préalablement à la saisine de la Cour, un recours en annulation de la disposition litigieuse du décret de 1998, ainsi qu'une action en réparation en application de la loi de 1988 sur la responsabilité de l'Etat. Le requérant conteste les allégations du Gouvernement.

78.  Considérant que l'exception soulevée était étroitement liée à la substance du grief tiré de l'absence de recours effectifs en droit interne, la Cour a décidé, dans sa décision sur la recevabilité de la requête du 1er février 2005, de joindre celle-ci au fond de l'affaire. La Cour n'estime cependant pas utile d'examiner cette question, compte tenu de sa conclusion ci-dessous concernant les griefs tirés de l'article 8 et de l'article 13.

B.  Sur le fond du grief

1.  Arguments des parties

a)  Le requérant

79.  Concernant la mesure de suspension temporaire, le requérant expose que même si celle-ci était initialement fondée sur l'article 392 du CPP, son

Page 15: Каров с/у България

14 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

caractère automatique, puisqu'elle accompagnait nécessairement le placement en détention provisoire, lui-même obligatoire pour les infractions d'une certaine gravité, excluait toute appréciation de la proportionnalité d'une telle mesure et la rendait dès lors contraire à l'article 8 § 2. En outre, après sa remise en liberté en février 1996, la suspension temporaire n'aurait pu être prorogée que par une nouvelle décision de son supérieur sur demande motivée des autorités de poursuites ; en l'absence d'une telle décision, il considère que le maintien de la mesure n'était pas conforme à la loi. Quant à l'instruction I-73, elle ne serait pas une base légale suffisante au regard des exigences de la Convention, étant un document interne au ministère de l'Intérieur, non publié.

80.  S'agissant du refus de le démettre de ses fonctions, le requérant fait valoir que celui-ci n'avait à l'origine aucune base légale. Ce n'est qu'en septembre 1998 que l'article 141 alinéa 2 du décret d'application de la loi de 1997 aurait donné une base légale à ce refus.

81.  Concernant la justification de ces mesures, le requérant met en avant que tant qu'il était suspendu de ses fonctions, il ne percevait pas de salaire. Il demeurait toutefois fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, assujetti aux incompatibilités prévues par la législation. Dans ces circonstances, le refus du ministère d'accepter sa démission l'aurait empêché de trouver un autre emploi ou de suivre une formation professionnelle. Il aurait été ainsi maintenu pendant plusieurs années dans une situation personnelle extrêmement difficile, ne pouvant subvenir aux besoins de sa famille et étant obligé à faire des emprunts auprès de ses connaissances. N'ayant aucune possibilité de faire lever ces mesures, il demeurait dans une dépendance totale de son employeur et de la durée de la procédure pénale à son encontre. Il souligne que cette situation a eu des conséquences très graves, totalement disproportionnées au regard d'un éventuel objectif légitime, sur sa bonne réputation, sa vie personnelle et familiale ; son fils aurait développé un cancer dont il serait décédé et lui-même aurait eu de sérieux problèmes de santé consécutivement au stress subi.

82.  Les juridictions internes elles-mêmes auraient reconnu ces circonstances, puisqu'elles ont annulé les mesures dénoncées au motif que celles-ci portaient une atteinte disproportionnée aux droits du requérant, notamment compte tenu de la durée excessive de la procédure. Toutefois, cette reconnaissance ne serait intervenue que tardivement et ne lui aurait pas donné la possibilité d'obtenir réparation du préjudice subi. La seule indemnité à laquelle il avait droit suite à l'annulation de la mesure de suspension temporaire était celle prévue à l'article 263 de la loi de 1997 et son montant était dérisoire en raison de l'importante inflation intervenue pendant cette période.

83.  Le requérant note par ailleurs qu'en dépit de l'annulation, en juillet 1999, de l'article 141 alinéa 2 du décret de 1998 pour contrariété à la loi et à la Constitution, une disposition au contenu identique a par la suite été

Page 16: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 15

introduite dans la loi sur le ministère de l'Intérieur et est restée en vigueur jusqu'aux modifications adoptées en 2003.

b)  Le Gouvernement

84.  Le Gouvernement combat la thèse avancée par le requérant. S'il admet que la mesure de suspension temporaire et le refus de sa démission pourraient être considéré comme une ingérence dans le droit de l'intéressé à la vie privée et au travail, il considère que ces mesures étaient prévues par la loi et nécessaires, au sens de l'article 8 § 2, pour assurer le bon fonctionnement de la justice. Il soutient en outre que les demandes de démission du requérant étaient uniquement motivées par sa volonté de percevoir les indemnités liées à la rupture de son contrat et d'éviter les conséquences d'un licenciement disciplinaire dans l'hypothèse où la procédure pénale s'achèverait par une reconnaissance de sa culpabilité.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

85.  La Cour l'a dit à maintes occasions, la notion de vie privée visée à l'article 8 de la Convention est une notion large qui ne se prête pas à une définition exhaustive (voir, parmi beaucoup d'autres, Peck c. Royaume-Uni, no 44647/98, § 57, CEDH 2003-I). Elle recouvre l'intégrité physique et morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 22) ; des éléments tels que l'identification sexuelle, le nom, l'orientation sexuelle et la vie sexuelle relèvent également de la sphère personnelle protégée par l'article 8 (voir les arrêts B. c. France, 25 mars 1992, série A no 232-C, pp. 53-54, § 63 ; Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, série A no 280-B, p. 28, § 24 ; Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A no 45, pp. 18-19, § 41 ; Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, arrêt du 19 février 1997, Recueil 1997-I, p. 131, § 36). Cette disposition protège également le droit pour tout individu à l'identité et au développement personnel, ainsi que le droit de nouer et développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur, y compris dans le domaine professionnel ou commercial (Peck, précité, loc. cit. ; Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 251-B, p. 33, § 29).

86.  La Cour a dit par ailleurs que l'accès à un emploi dans la fonction publique ne peut en tant que tel constituer le fondement d'un grief tiré de la Convention (Glasenapp c. Allemagne, arrêt du 28 août 1986, série A no 104, pp. 26-27, §§ 49 et 53 et Kosiek c. Allemagne, arrêt du 28 août 1986, série A no 105, pp. 20-21, §§ 35 et 39 ; ce principe a été réaffirmé dans l'arrêt Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A no 323, p. 22, §§ 43-44). En outre, dans l'affaire Thlimmenos c. Grèce ([GC], no 34369/97, § 41, CEDH 2000-IV), où le requérant s'était vu refuser sa nomination en tant

Page 17: Каров с/у България

16 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

qu'expert-comptable en raison d'une condamnation antérieure, la Cour a estimé que la Convention ne garantissait pas le choix d'une profession particulière.

87.  Toutefois, la Cour a eu l'occasion de considérer que l'interdiction générale faite aux anciens agents du KGB d'occuper un grand nombre d'emplois dans le secteur privé touchait à la vie privée (Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, §§ 47-48, CEDH 2004-VIII). Elle a récemment estimé que les incapacités personnelles imposées aux personnes déclarées en faillite personnelle en Italie, telles que l'interdiction d'être administrateur ou associé d'une société commerciale, d'exercer certaines professions réglementées et d'occuper certains postes, relevaient également de cette notion (Albanese c. Italie, no 77924/01, § 54, 23 mars 2006).

b)  Application de ces principes au cas d'espèce

88.  Concernant la présente espèce, la Cour relève que le requérant se plaint d'avoir été privé de la possibilité d'occuper son poste de fonctionnaire ou de trouver un autre emploi pendant une certaine période, facultés qui, la Cour le rappelle, ne sont en principe pas garanties par la Convention. Même en admettant que les mesures dénoncées par l'intéressé ont pu affecter sa « vie privée », au sens de la jurisprudence précitée, la Cour relève que les restrictions en question lui avaient été imposées en tant que mesures provisoires en raison de la procédure pénale pendante à son encontre. Or, toute procédure pénale comporte certaines répercussions sur la vie privée et familiale de l'individu concerné qui ne méconnaissent pas l'article 8 de la Convention si elles ne vont pas au-delà des conséquences normales et inévitables dans pareille situation (voir, parmi d'autres, Sannino c. Italie (déc. partielle), no 30961/03, 24 février 2005). En l'espèce, dans la mesure où le requérant soutient que la durée excessive de la procédure pénale a eu pour effet d'aggraver ces répercussions, cet aspect de l'affaire est à prendre en compte dans l'examen du grief tiré de l'article 6 § 1 et, le cas échéant, dans l'estimation du préjudice moral ou matériel subi par l'intéressé (Volf c. République tchèque, no 70847/01, § 40, 6 septembre 2005).

89.  La Cour considère dès lors qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8

90.  Le requérant se plaint en outre de l'absence de voies de recours en droit interne pour remédier à la situation dénoncée au regard de l'article 8 de la Convention. Il invoque l'article 13 qui est rédigé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même

Page 18: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 17

que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

91.  La Cour l'a dit à de nombreuses reprises, l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d'autres, Kudła, précité, § 157).

92.  Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est arrivée ci-dessus concernant le grief tiré de l'article 8, la Cour estime que le requérant n'avait pas de grief défendable de violation de cette disposition. Il s'ensuit que l'article 13 de la Convention n'a pas été méconnu.

V.  SUR LES ARTICLES 34 ET 38 DE LA CONVENTION

93.  Dans ses observations sur le bien-fondé de la requête, le requérant reprend ses allégations dans le sens que le défaut de production par le Gouvernement défendeur de l'intégralité du dossier pénal, dont lui-même n'avait pu obtenir copie, aurait porté entrave à l'exercice de son droit à un recours individuel garanti par l'article 34 de la Convention. Il soutient en particulier qu'il aurait de ce fait été empêché d'établir devant la Cour que la mesure de suspension temporaire n'était pas basée sur une demande des autorités judiciaires et qu'elle n'avait pas été motivée par l'administration, ainsi que de produire les décisions de justice relatives à son grief tiré de la durée de la procédure.

94.  L'agent du Gouvernement indique avoir communiqué à la Cour les documents qu'elle avait reçu de la part des juridictions internes. Certaines pièces de la procédure ne lui avaient pas été transmises au motif qu'elles contenaient des informations classées « secret d'Etat ».

95.  La Cour observe qu'elle a déjà examiné le grief du requérant au regard de l'article 34 dans sa décision sur la recevabilité de la requête du 1er février 2005 et l'a déclaré irrecevable, considérant que les faits dénoncés par le requérant ne permettaient pas de conclure à une entrave de l'Etat défendeur dans l'exercice du droit de recours individuel. Elle ne relève aucun motif pour revenir sur sa conclusion.

96.  Dans la mesure où les allégations du requérant soulèvent une question au regard de l'article 38 § 1 a) de la Convention, la Cour rappelle les passages pertinents de cette disposition :

« 1.  Si la Cour déclare une requête recevable, elle

a)  poursuit l'examen contradictoire de l'affaire avec les représentants des parties et, s'il y a lieu, procède à une enquête pour la conduite efficace de laquelle les Etats intéressés fourniront toutes facilités nécessaires ; (...) »

Page 19: Каров с/у България

18 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

97.  Les Etats défendeurs sont ainsi tenus, en vertu de cette disposition, de fournir toutes les facilités nécessaires pour permettre un examen sérieux et effectif des requêtes (Timurtaş c. Turquie, no 23531/94, §§ 66 et 70, CEDH 2000-VI). Concernant l'affaire de l'espèce, la Cour relève d'emblée que le Gouvernement défendeur a justifié le défaut de production d'une partie des pièces de la procédure pénale par le fait que le dossier devant le tribunal militaire avait été classé « confidentiel » et que l'agent du Gouvernement elle-même n'avait pu en obtenir copie. La Cour n'estime toutefois pas nécessaire de se prononcer sur le caractère satisfaisant ou non de l'explication ainsi avancée, dans la mesure où le défaut de production des pièces en question n'a pas entravé l'établissement des faits dans la présente procédure. En effet, les allégations de l'intéressé concernant la réalité ou le contenu des documents en question n'ont pas été contestées par le Gouvernement et la Cour n'a au demeurant pas considéré utile d'adresser à ce dernier une demande formelle de produire ces pièces.

98.  Au vu de ces observations, la Cour n'estime pas que le gouvernement défendeur ait manqué aux obligations lui incombant au titre de l'article 38 § 1 a) de la Convention.

VI.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

99.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

100.  Le requérant réclame 5 000 EUR au titre du préjudice moral causé par la durée excessive de la procédure pénale et l'absence de recours internes. Il demande en outre 1 000 EUR pour le préjudice moral relatif à l'atteinte à sa vie privée en raison de l'impossibilité de démissionner de ses fonctions et de trouver un autre emploi entre 1995 et 2000, ainsi que 5 000 EUR au titre du préjudice matériel correspondant à la perte de son revenu pour cette période. Il expose à cet égard qu'au moment de sa suspension en août 1995 son salaire était de l'ordre de 12 500 anciens levs (65 USD) et qu'au moment de sa réintégration, en mai 2000, celui-ci s'élevait à environ 500 nouveaux levs (250 EUR).

101.  Le Gouvernement juge ces prétentions excessives au regard des circonstances de l'espèce, du niveau de vie dans le pays et de la jurisprudence de la Cour dans d'autres affaires contre la Bulgarie.

Page 20: Каров с/у България

ARRÊT KAROV c. BULGARIE 19

102.  Concernant le préjudice moral invoqué, la Cour considère que le requérant a souffert un tort moral certain du fait des violations constatées des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, qui justifie l'octroi d'une indemnité.

103.  S'agissant par ailleurs du dommage matériel, l'intéressé a indéniablement subi, en conséquence des retards de la procédure pénale et des mesures restrictives prises à son encontre dans le cadre de celle-ci, un préjudice matériel consistant en une perte de revenus. La Cour observe toutefois qu'un calcul précis de ce préjudice s'avère impossible dans la mesure où, d'une part, le requérant ne ventile pas ses prétentions et où, d'autre part, l'évaluation d'un préjudice consistant en un manque à gagner présente toujours une certaine dose d'aléa. Au vu ces circonstances, la Cour juge approprié d'allouer au requérant une somme forfaitaire à ce titre.

104.  Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour octroie au requérant la somme de 5 000 EUR pour les dommages matériels et moral résultant des violations constatées.

B.  Frais et dépens

105.  Le requérant demande également 4 320 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour, dont 4 000 EUR d'honoraires d'avocat et 320 EUR de frais de traduction. Il présente une convention d'honoraires et un décompte du travail effectué par son avocate pour un total de 50 heures au tarif horaire de 80 EUR, ainsi que des justificatifs des frais de traduction.

106.  Le Gouvernement considère que les demandes du requérant au titre des frais et dépens sont excessives.

107.  La Cour rappelle qu'un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour relève notamment que l'avocate du requérant n'est intervenue qu'après la communication de la requête. Prenant en considération tous les éléments en sa possession et les critères mentionnés ci-dessus, la Cour estime raisonnable la somme de 2 500 EUR, dont il convient de déduire les montants versés par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire, soit 625 EUR. En conséquence, elle alloue au requérant 1 875 EUR, plus tout montant pouvant être dû au titre d'impôt sur cette somme.

C.  Intérêts moratoires

108.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

Page 21: Каров с/у България

20 ARRÊT KAROV c. BULGARIE

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention en combinaison avec l'article 6 § 1 ;

3.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;

4.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention en combinaison avec l'article 8 ;

5.  Dit qu'il n'y a pas eu manquement de la part de l'Etat défendeur à se conformer à l'article 38 de la Convention ;

6.  Dita)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares selon les taux en vigueur à la date du règlement :

i.  5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage matériel et moral ;ii.  1 875 EUR (mille huit cent soixante quinze euros) pour frais et dépens ;iii.  tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WESTERDIEK Peer LORENZENGreffière Président