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8/17/2019 Wahl - Neorealisme
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Revue Critique
NÉO-RÉALISTES D'ANGLETERRE ET D'AMÉRIQUE
S. ALEXANDER. – Space, y;m? and Df 2 vo). in-8 de
347 + 360 p. London. MacmiUa~ 1920.
JonN LAtUD. ~4 S/M~ in Realism. – 1 voL in-8 de 228-); p.
Cambridge-University Press, 1920.
R. KREMER. Le néo-réalisme américain. 1 vol. in-8 de 310-x p.Louvain (Institut de Phiiosophie) et A]can, 1920.
Les C;or6f Lectures de M. S. Alexander représentent un des plus puissants efforts de !a métaphysique anglaise. Avec les œuvres de
M. Whitehead, elles font très grand honneur à la pensée de FAngte-terre du début du xxe siècle. Tandis que M. Whitehead est partide la logistique, pour arriver à des conceptions générales qui, sous
leur dernière forme, n'ont plus que de très lointains rapports avec elle,M. Alexander est parti de t'idéaiisme néo-hégélien. Mais il s'en déta-
chait peu à peu et exposait, dans des articles toujours très profondé-ment intéressants, une conception réaliste, et anti-hégélienne, de
la connaissance. Au contact des idées de G.-E. Moorc et de Stout
particulièrement, ses théories se précisaient dans les discussions de ia
Société Aristotélicienne. C'est un esprit nourri de toute la tradition
philosophique la plus substantielle, et qui s'est renouvelé par !a con-
naissance des idées philosophiques et scientifiques les plus récentes.
Son réalisme même n'apparaît plus, dans ces voiurnes, que comme uneméthode et en même temps une application particulière d'une méta-
physique beaucoup plus générale et dont. malgré les critiques queJ'on peut faire sur bien des points, la force et l'originalité sont sai-
sissan tes.Comme toute science, la métaphysique, pense M. Alexander, doit
être observation empirique et analytique, mais elle se distingue des
sciences en ceci qu'elle est une description empirique du non-empi-
rique. Et elle atteint finalement quelque chose qui est plus profond
que la pensée et qui ne peut être décrit.
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sur leur rapport avec l'idée d'adaptation, nous trouvons ici desobservations curieuses.
Et après les valeurs, il y a une qualité nouvelle, que nous ne con-naissons que par pressentiment, il y a la qualité qui suit la qualitéla plus haute connue de nous, et nous arrivons ainsi à l'idée de divinité.I) ne faudrait pas croire, comme l'ont fait certains critiques anglais,que ces pages sur la divinité soient une sorte de complément surajoutéau livre en hommage aux intentions des fondateurs des Gifford Lec-
/u~ Dieu. c'est l'univers en tant qu'il possède cette qualité dedivinité ou plutôt en tant qu'il s'efforce de la posséder. Mais sansdoute de même que nous ne connaissons que des esprits, de même.quand cette nouvelle qualité surgira, elle se présentera sous la formed'Anges pour lesquels la divinité sera de nouveau une fin à atteindre.En tout cas il y a probablement une qualité qui dépasse toutes lesqualités que nous connaissons, qui joue par rapport à elles le rôleque joue notre âme par rapport à notre corps, qui serait, par rapportà nos esprits, ce qu'est la couleur par rapport aux vibrations qui lacomposent. Ne croyons donc pas ici non plus que nous soyons devantun fait unique. A chaque niveau d'existence, les choses ont aspiréquelque chose qui planait au-dessus d'elles, vers une nouvellequalité. De là chez certains hommes cet appétit o religieux, cettesoif du divin qu'il importe de
distinguer du sentiment
esthétique etdu sentiment moral.
H y a dans cette œuvre une quantité de points que nous devonsnous contenter de signaler la théorie des sections et des perspectives,la distinction importante entre l'objet contemplé et l'acte en tantque senti. J'étude très curieuse du temps mental et de l'espace mental,la doctrine de l'intuition, la conception de l a liberté, la négation del'immortalité de l'âme.
!i est intéressant de noter les ressemblances de certaines desthéories d'Alexander avec celles de Whitehead même affirmationde la durée, même affirmation de la réalité des qualités secondes.Tous deux d'ailleurs ont médité sur les idées de Minkowski. Mais ceserait aussi, nous l'avons dit, aux théories de M. Bergson, que ferait
penser la lecture de l'ouvrage comme celle des dernières œuvres da
Whitehead. M. Alexanders'est demandé si. en changeant certains traits,essentiels il est vrai, du système de Spinoza, on n'arriverait pas àune philosophie analogue à la sienne. A d'autres moments, on incline-rait à rapprocher plusieurs passages des idées de la Kabbale. Ou
pour revenir a la philosophie grecque, c'est à certaines spéculationsde Platon que l'on pourrait songer, comme aussi parfois au feu d'Hera-clite, et parfois à la sphère immobile de Parménide, et parfois aux
Nombres de Pythagore. Plus loin encore, ce livre si moderne, si nouveaunous fait remonter vers une sorte de mythologie ou les choses naî-traient de l'union de Chronos et de Gaia. La multitude de ces rappro-
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chements ne doit pas nous faire oublier l'originalité de cette ceuvre
importante.
En un style un peu travaillé, mais qui reste agréable, M. Laird,
professeur à Belfast, déjà connu pour ses travaux sur le Problème du
Moi et sur l'Introspection, expose une philosophie qu'il appelle
réaliste. Les choses sont directement révélées ou données à l'esprit;
elles peuvent être connues telles qu'elles sont réellement. Cette
philosophie d'origine écossaise rejoint sur certains points le néo-
réalisme des Américains. M. Laird, comme les néo-réalistes d'Amérique,
croit à l'indépendance des objets, et adopte la théorie de l'extériorité
des relations.
Tout ce qui est connu, que ce soit par la perception, le souvenir,
le jugement, l'imagination, est donné. Le monde est réellement spatial,
temporel, coloré et sonore. Les images que voit un poète sont des
choses. La valeur et la beauté sont en quelque sorte perçues. Et comme
de l'autre côté de l'Atlantique, ce réalisme s'achève en une sorte de
réalisme platonicien.
S'il insiste sur l'existence de l'objet, s'il aboutit ainsi, comme eux,
à une sorte de pan-objectivisme, M. Laird pense qu'il se distingue des
néo-réalistes d'Amérique, parce qu'il insiste également sur la réalité
du sujet.
Il conviendrait de noter quelques questions que soulève son exposé.
Laissons de côté le problème des images. Il reste deux problèmes
essentiels celui de l'erreur, M. Laird déclare qu'il est impossible
d'expliquer l'erreur; en deuxième lieu celui de la signification. Pour
lui, les choses ont des significations indépendamment de l'esprit.
Il croit à des « faits-signaux ». Il y a là comme un subjectivisme
«objectifié », et, ainsi que l'a remarqué Hoernlé dans un compte rendu
pénétrant du AjTmcf,cette théorie pourrait être qualifiée idéaliste
plutôt que réaliste.
Il est intéressant de voir comment cette doctrine, comme nous le
disions, s'accorde sur un assez grand nombre de points avec quelques-
uns des principes des néo-réalistes, et avec certaines des idées d'Alexan-
der, et comment elle s'oppose, de la même façon que ces philosophies,
à la fois à l'idéalisme absolutiste et au pragmatisme en affirmant que
la connaissance n'est pas falsification, création du faux comme on
pourrait le conclure en partant de l'absolutisme, et qu'elle n'est pas
vérification, création du vrai, comme le proclame le pragmatisme
de Schiller.
Le livre du Père Kremer sur le néo-réalisme américain rendra de
réels services. Le renouveau de réalisme en Amérique remarqué par
James dans un passage caractéristique dès 1904, l'influence de l'article
de James sur la conscience, les idées de Montague et de Wpodbridge,
la publication par l'Université de Columbia, des Essays in J=fo;!or of
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W. James où domine une note réaliste, les études critiques de Perrydans le Journal of Philosophy, la formation de cette sorte de syndicatintellectuel des six réalistes (Perry, Holt, Montague, Mar\dn, Spaul-ding, Pitkin) qui publient en 1910 leur programme, dressent leur « plate-forme », tout cela est noté d'une façon précise. M. Kremer met en lumière la votonté qu'ont ces philosophes d'éliminer toutenotion d'un sujet irréductible au monde objectif, leur lutte contre lesubjectivisme idéaliste. I] montre ce qu'est leur méthode empi-risme, analyse, souci de garder une attitude impartiale vis-à-vis dela réalité entière. Ils arrivent à l'affirmation de l'indépendance des
parties de l'univers, ils formulent leur théorie de l'extériorité desrelations, et parviennent ainsi à un intellectualisme analytique,affirmation d'entités subsistantes et neutres qui ne sont par essence nimentales, ni physiques, à l'idée d'un domaine abstrait de la logique,et à la conception exposée au moins par deux d'entre eux (Holt,Spauiding), que grâce à l'analyse même, à condition qu'elle tiennecompte de l'ordre et de !a hiérarchie des entités, une déduction uni-verselle sera peut-être rendue possible à partir des éléments premiers.
Telle est cette théorie qui, par des développements quelque peuimprévus, passe d'un point de vue qui paraît être terre à terre à unvéritable platonisme mathématique ou bien, chez certains de sesadeptes, et, parfois aussi, par une sorte de paradoxe chez les mêmes,
tend à s'achever en une théorie du comportement.La théorie de l'extériorité des relations et la théorie de !a consciencesont ]e fondement du réalisme proprement dit, c'est-à-dire de l'affir-mation de l'indépendance des objets par rapport au sujet. Cettedernière thèse est à la fois l'application la plus remarquable et aussile point de départ de ces théories plus générales dont nous venonsde parler. Le subjectif est simplement un arr gement de certaihesentités simples, physiques ou logiques. Ces entités, transcendantes
par rapport à la conscience, sont en même temps, dès qu'elles sontconnues, immanentes en elle. Le fait de passer dans la consciencen'altère pas tes choses.
M. Kremer examine les diverses conceptions de la consciencechez ces philosophes et les comparaisons parfois ingénieuses dont ilsusent dans leurs explications de l'erreur.
Le travail était plein de dimcultés, d'autant que, comme le remarquei'auteur, sauf sur ia question de méthode, il y a presque autantd' .
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grâce auxquelles elle s'est formée sont elles-mêmes très diverses.Les idées de James sur la conscience, dans lesquelles on peut d'ailleurs
distinguer une thèse instrumentaliste, biologique, presque beha-viorisle d'une part et d'autre part une thèse relationniste, l'empirio-criticisme de Mach et d'Avenarius expliquent la formation de lathéorie de l'immanence de l'objet et le monisme épistémologique;la théorie des relations extérieures peut se réclamer à la fois de Jameset de Russell; l'idée de réalités logiques, de subsistants a son originedans Russell et dans Meinong; les théories de Dewey et de M. Bergson
n'ont pas été sans influence sur certaines conceptions des néo-réalisteset il faut enfin faire une part aux origines biologiques de la doctrine.
M. Kremer approuve beaucoup des tendances des néo-réalistes
rappel opportun des droits de l'intelligence et d e l'analyse, soucide se tourner vers l'objet, volonté de préserver les « différences deschoses », thèse de la présence directe de l'objet aux sensations et à
l'intelligence, importance accordée au milieu, continuité du physiqueet du psychique, objectivité de la logique, ce sont là autant d'idéesou de besoins de l'intelligence qu'il sent également en lui. Il fait
remarquer les analogies qui peuvent exister entre le néo-réalismeet le thomisme; il compare la théorie de la fonction des idées et cellede la ressemblance intentionnelle, la théorie du comportement etcelle du composé humain. C'est que le véritable réalisme, penseM. Kremer, c'est le thomisme qui affirme à la fois la
pensée personnelleet les lois objectives de la pensée e t de l'être, et qui, par les idées
d'être, de cause et de substance, remonte vers l'objet suprême et fait
comprendre rationnellement ce qui restait d'obscur dans le néo-réalisme.
On trouve, dans les appréciations portées sur chacun des néo-réalistesen particulier et sur le mouvement dans son ensemble, bien des remar-
ques qui montrent une réelle pénétration. Tous ces philosophes nesont pas d'égale valeur, tant s'en faut; et le lecteur peut s'en rendre
compte en étudiant le livre, bien que M. Kremer se montre assezréservé sur ce point. Les articles d'une critique si perspicace de Perry,l'ouvrage de Holt, ingénieux et vigoureux, quelques-uns des essais de
Montague, obscurs, confus, mais dont certaines idées pénètrent assez
profondément, les études de Marvin sur lesquelles M. Kremer semble
avoir moins insisté, sont les œuvres marquantes.Des observations nombreuses seraient à retenir, sur le caractère
à la fois rigide et compliqué de la doctrine, telle qu'elle se présentechez quelques-uns des néo-réalistes; sur l'utilité d'une histoire desidées et d'une étude plus scrupuleuse, plus approfondie que celle
que l'on trouve parfois dans certains de leurs ouvrages; sur la
critique plus précise des résultats et des méthodes de qui la science
peut-être eût été nécessaire; sur la contradiction qui paraît exister entre l'idée de ce mécanisme logique auquel les réalistes tendent à
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J. WAHL. KËO-nËAUSTh'S D'ANGLETERRE ):T ))'AMËRtQUE iH
~L. ~> .1.1.1.1.réduire le monde et l'affirmation d'un élément non rationnel; sur leur
théorie de la valeur et de la religion; sur l'absence d'une unité profonde
entre les deux tendances empiriste et intellectualiste, qui semblent
dominer leur pensée.La critique de M. Kremer est souvent vive dans sa justesse
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des pages de son livre, M. Kremer paraît accepter un peu facilementll'argumentation des néo-réalistes et croit qu'ils ont « dépasse le
prédicamerit ego-centrique .). En fait, la théorie de l'extériorité desrelations n'est nullement prouvée rationnellement, et ne semble
pas, d'autre part, pouvoir être le résultat de l'observation empirique.TI y a souvent dans la doctrine, non pas seulement des néo-réalistes,mais aussi de ceux que M. Kremer range avec eux, quelque chosede verbal et de scolastique; et dans plusieurs passages que cite en lesapprouvant M. Kremer, on pourrait peut-être trouver ce défaut, demême
qu'un certain manque de sûreté dans le raisonnement parfois.Plus étroitement ramassé autour de certaines idées fondamentalesl'exposé et la critique auraient pris plus de valeur encore. Mais i)faut reconnaître la difficulté d'exposer et de juger une philosophiequi se caractérise tantôt par le dédain de l'esprit de système, tantôt
par un besoin de déduction universelle, qui se développe à la fois sousl'influence de l'instrumentalisme et de la psychologie biologique ducomportement, et d'autre part de lalogique mathématique des relations,qui se rapproche tantôt de l'idéalisme absolu et tantôt du matérialisme.
Dans son essence, le réalisme, tel qu'il nous est ici présenté, répond,nous dit M. Kremer dans sa conclusion, à un besoin profond de l'esprit.Mais en même temps, continue-t-il, il doit s'assimiler ce que l'idéalismea de vital. On peut ajouter et nous nous éloignerions sans doute icide la pensée de M. Kremer, que cette assimilation d'une philosophie
par une autre ne peut jamais être complète, mais que cet effort peulêtre Incessamment poursuivi, et que les contradictions du réalisme,comme celles de l'idéalisme, sont moins encore des défauts de cesdoctrines, que leur inépuisable richesse.
JEAN WAHL.