Post on 13-Sep-2018
1
UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER
Faculté de droit et science politique
UMR 5815 Dynamiques du droit
CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE
MEMOIRE
Présenté par Florent ANDREA
Sous la direction de Malo DEPINCE
– 2015 –
Master 2 Droit Economique, parcours Consommation et Concurrence
(MC2)
L’ACTION DE GROUPE ET LES PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
2
3
L’action de groupe et les pratiques
anticoncurrentielles
4
« Il n’y avait plus alors
de destins individuels, mais
une histoire collective … »
Albert Camus, La peste
5
REMERCIEMENTS
Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à Monsieur Malo Depincé,
maitre de conférences à la Faculté de droit de Montpellier et directeur du Master
II droit de la Consommation et de la Concurrence pour m’avoir offert
l’opportunité de suivre ce parcours.
Je tiens aussi à remercier Monsieur Malo Depincé pour avoir accepté de diriger
ce mémoire, m’avoir constamment accordé du temps que ce soit pour mon
mémoire ou concernant la recherche de mon stage qui fut périlleuse.
Je tiens également à remercier le Professeur Daniel Mainguy, Professeur à la
faculté de droit de Montpellier et Directeur du Master II droit privé économique
pour l’ensemble des enseignements dispensés au cours de l’année universitaire
2014/2015.
Je tiens également à remercier Monsieur ZAMBRANO pour avoir mis à ma
disposition sa thèse intitulée « L’inefficacité de l’action civile en réparation des
infractions au droit de la concurrence » et pour ses enseignements en droit de la
concurrence.
Enfin je remercie l’ensemble des membres de l’équipe pédagogique du Master II
Consommation et Concurrence et du Master II Droit privé économique pour les
enseignements dispensés et les interventions enrichissantes ayant eu lieu dans le
cadre de cette formation.
6
LISTE DES ABREVIATIONS
act. Actualité
ADEIC Association de défense, d'éducation et d'information
du consommateur
aff. Affaire
AFOC Association Force Ouvrière Consommateurs
Aut. de la conc. Autorité de la concurrence
ALLDC Association Léo Lagrange pour la Défense des
Consommateurs
Bull. civ. Bulletin des arrêts des Chambres civiles de la Cour de
cassation
c/ Contre
C.conso Code de la consommation
C.Civ Code civil
CEE Communauté économique européenne
CGL Confédération Générale du Logement
Civ. Arrêt d’une Chambre civile de la Cour de cassation
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
CJUE Cour de justice de l’Union européenne
CLCV Confédération de la Consommation, du Logement et
du Cadre de Vie
7
CNAFAL Conseil National des Associations Familiales Laïques
CNAFC Confédération Nationale des Associations Familiales
Catholiques
coll. Collection
Comm. CE Commission des communautés européennes
Comm. eur. Commission européenne
comm. Commentaire
CNL Confédération Nationale du Logement
Cons. Conc. Décision du Conseil de la concurrence
Cons. de l’Union eur. Conseil de l’Union européenne
CSF Confédération Syndicale des Familles
D. Recueil Dalloz
Déc. Décision
Dir. Directive
éd. Edition
FF Familles de France
FR Familles Rurales
FNAUT Fédération Nationale des Associations d'Usagers des
Transports
Ibid. Ibidem, au même endroit
INDECOSA-CGT Association pour l'Information et la Défense des
Consommateurs
8
Infra Plus bas
JO Journal officiel
JOCE Journal officiel des Communautés européennes
JORF Journal officiel de la République française
p. et pp. Page et pages
P.U.F. Presses Universitaires de France
Rec. Recueil
Supra Plus haut
TGI Tribunal de grande instance
TI Tribunal d’instance
TPICE Tribunal de première instance des Communautés
Européennes
UE Union européenne
UFC - Que Choisir Union Fédérale des Consommateurs
UNAF Union Nationale des Associations Familiales
9
SOMMAIRE
« L’action de groupe et les pratiques
anticoncurrentielles »
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE – LES OBSTACLES PROCEDURAUX DE
L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
TITRE I - L’APPROPRIATION PROGRESSIVE DE L’ACTION DE
GROUPE PAR LES INSTITUTIONS
Chapitre 1 : La découverte de l’action de groupe en matière de
concurrence par le juge
Chapitre 2 : Le nouveau filtre, les associations de consommateurs
TITRE II – LE FAIBLE ENJEU PECUNIAIRE A L’EPREUVE DU
TEMPS
Chapitre 1 : Le temps de l’instance
Chapitre 2 : La réparation de préjudices minimes
SECONDE PARTIE – LES DIFFICULTES DE FOND DE L’ACTION DE
GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
10
TITRE I - L’ECLUSE DE LA DETERMINATION DU PREJUDICE
INDEMNISABLE
Chapitre 1 : L’inhérente difficulté à quantifier la part du préjudice
imputable à la pratique concurrentielle
Chapitre 2 : L’asymétrie probatoire consubstantielle aux conflits
concurrentiels
TITRE II – LA DIFFICILE CONCILIATION DE L’ACTION DE
GROUPE AVEC LES INSTRUMENTS D’ACTIONS DU DROIT DE
LA CONCURRENCE
Chapitre 1 : La remise en cause de l’efficacité des procédures de
coopération
Chapitre 2 : La faveur accordée aux modes alternatifs de règlement des
conflits
CONCLUSION GENERALE
11
INTRODUCTION
1. La loi dite « Hamon », ou loi n°2014 – 344 relative à la consommation a été
promulguée le 17 Mars 2014 et a été publié au Journal Officiel de la République
Française du 18 mars 2014.
2. La mesure principale de cette loi est l’instauration, en droit français, d’une
action de groupe. Cette action de groupe, véritable arlésienne du droit français, se
distingue des autres actions de groupe préexistantes et notamment des actions de
groupe anglo – saxonne.
Cette procédure est en vigueur depuis le 1er
octobre 2014, date de publication du
décret ayant fixé les modalités d’introduction de l’action1.
Mesure phare de la loi Hamon, l’action de groupe est introduite dans notre code
de la consommation aux articles L.423 – 1 et suivants.
Ce dispositif a entièrement été validé par le Conseil constitutionnel2 et s’inscrit
dans un mouvement mené au niveau européen en faveur de ce type d’actions3.
3. L’action de groupe, dans sa conception générale, est une action visant à la
réparation d’un préjudice collectif subi par les consommateurs du fait de
l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’obligations contractuelles de la part
du même professionnel, à l’occasion d’un même type de contrat relatif à une
vente de produits ou une prestation de service4.
L’objectif de celle – ci est donc de faciliter l’action du consommateur victime
d’un préjudice personnel peu élevé, qui hésiterait pour ce motif à demander
réparation.
1 Décret no 2014-1081 relatif à l’action de groupe en matière de consommation, 24 sept. 2014.
2 Décision n° 2014-690 DC, 13 mars 2014
3 communication de la Commission Vers un cadre horizontal européen pour les recours
collectifs et proposition de directive du Parlement et du Conseil relative à certaines règles
régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux
dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne, en date du
11 juin 2013, ayant fait l’objet d’un compromis le 26 mars 2014. 4 Lexique des termes juridiques, 18
e éd., 2011
12
4. Cette action de groupe, dans un premier temps, a un champ d’application
restreint pour le moment : le domaine de la consommation et celui de la
concurrence.
Dans cette argumentation, ne sera développée que l’action de groupe en matière
de concurrence même si elle partage des similitudes avec l’action de groupe en
matière de consommation.
Il faut d’ores et déjà signaler que depuis la promulgation de cette procédure
collective : des projets de loi tentent d’étendre le domaine d’application au
domaine de la santé, de l’environnement et au domaine des discriminations
raciales.
5. Dans son aspect concurrentiel, ce mécanisme collectif doit permettre à au
moins deux consommateurs, placés dans une situation similaire ou identique
d’obtenir, dans le cadre d’un seul et même procès, la réparation des préjudices
individuels ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes
professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles lorsque ces préjudices
résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du droit interne ou du droit de
l’Union Européenne.
Il faut entendre par pratiques anticoncurrentielles tous « les manquements
reprochés au professionnel portent sur le respect des règles définies au titre II du
livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne »5. Seront donc concernés principalement
certaines ententes horizontales portant sur des biens de grande consommation, les
ententes verticales visant à augmenter artificiellement le prix de détail et les abus
de position dominante.
6. Les bénéficiaires de l’action de groupe sont les consommateurs uniquement.
Ceux – ci sont désormais définis comme « toute personne physique qui agit à des
fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle,
artisanale ou libérale »6 ; sont donc exclus de ce dispositif les personnes morales
telles que les petites et moyennes entreprises.
7. Autre caractéristique importante de l’action de groupe, s’opposant nettement
au mécanisme de class action américain, l’action de groupe ne bénéficiera
5 Art L.423 – 17, C.conso.
6 Art prélim., C.conso.
13
qu’aux seuls consommateurs qui auront manifesté leur volonté d’y participer. Le
mécanisme de l’opt – in a été favorisé, il conditionne la jonction par un
consommateur à l’action de groupe à une manifestation de volonté de ce dernier.
8. L’action de groupe sera introduite par une des quinze associations de
consommateurs représentatives au niveau national et agréées ; celles – ci
détiennent le monopole de l’initiative7.
Après l’introduction de cette nouvelle action, la procédure se déroulera en trois
phases.
9. La première est le jugement sur la responsabilité du ou des professionnels.
Ainsi, le juge devra, au vu des cas individuels présentés par l’association
requérante, statuer sur la responsabilité du professionnel.
En matière de pratiques anticoncurrentielles, une condition supplémentaire est
requise : la responsabilité du professionnel ne pourra être prononcée que sur le
fondement d’une « décision prononcée à l’encontre du professionnel par les
autorités ou juridictions nationales ou de l’Union européenne compétentes, qui
constate les manquements et qui n’est plus susceptible de recours pour la partie
relative à l’établissement des manquements »8. Cette décision ne devra plus être
« susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement des
manquements ».
Le législateur a donc fait le choix de la formule dite du « follow – on » ou de
l’action consécutive consistant en la nécessité d’une décision de l’autorité
publique avant que les consommateurs ne puissent engager une action civile.
10. Ensuite, le juge devra définir le groupe de consommateurs concernés avant de
déterminer les préjudices susceptibles d’être réparés pour chaque consommateur
ou chacune des catégories de consommateurs composant le groupe.
11. Le juge devra ordonner les mesures de publicité de la décision afin de
permettre aux consommateurs de se joindre à l’action à des fins d’indemnisation.
En matière de pratiques anticoncurrentielles, par dérogation au dispositif en droit
de la consommation qui nécessite une décision qui ne soit plus susceptible de
recours et de pourvoir en cassation, le juge pourra ordonner l’exécution
provisoire des mesures d’information9.
7 Art L.423 – 1, C.conso.
8 Art L.423-17, C.conso.
9 Art L.423 – 19, C. conso.
14
Les consommateurs auront un certain délai, fixé par le juge, pour adhérer au
groupe. Ce délai sera de deux à six mois après l’achèvement des mesures de
publicité.
Et enfin, le juge indiquera au professionnel les modalités d’indemnisation des
consommateurs.
12. La deuxième phase est la phase d’adhésion au groupe et de l’indemnisation.
C’est une phase non – contentieuse dans laquelle les victimes de la pratique
anticoncurrentielle décident d’adhérer ou de ne pas adhérer au groupe une fois
informées du jugement sur la responsabilité.
L’adhésion au groupe s’effectue selon les modalités décidées par le juge et vaut
mandat aux fins d’indemnisation au profit de l’association requérante. La
conséquence immédiate de cette adhésion est que le jugement sur la
responsabilité du professionnel revêt l’autorité de la chose jugée pour chacun des
membres ayant opté10
.
13. Enfin, la dernière phase est une éventuelle phase destiné à régler les conflits
nés des difficultés d’exécution du jugement par le professionnel11
.
14. Cette procédure de l’action de groupe en matière de concurrence semble donc
en tout point satisfaisante. D’une part, elle permettra une meilleure indemnisation
des victimes de ces pratiques illicites, donc l’idée d’une meilleure justice.
D’autre part, le droit de la concurrence, jusqu’ici cantonné à l’action publique,
sera complété par un volet privé. Ceci permettra une meilleure application du
droit de la concurrence tant au niveau national qu’au niveau européen … .
15. Une grande vague d’enthousiasme déferlait alors sur l’opinion publique
française. Mais après quelques mois d’expérience de l’action de groupe en
matière de concurrence et aucune application, il convient de se demander si ce
nouvel outil juridique revêtira l’habit du sauveur qu’on a bien voulu lui prêter
lors de sa promulgation.
Force est de constater que l’idée d’une action de groupe permettant une meilleure
efficience des droits nationaux et européens ne souffrent d’aucune critique.
Cependant, pour que cette efficience soit réelle et ne reste pas théorique, il est
nécessaire que l’action de groupe en matière de concurrence remporte un franc
succès.
10
Art L.423-21, C.conso. 11
Art L423-12, Art L423-13 et Art L.423-14 C.conso.
15
16. Dès lors, il convient de s’interroger sur le fossé qui pourrait exister entre
cette idée de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles,
très séduisante, et une pratique qui risque de se heurter à de nombreux
obstacles. Cela revient à se demander si l’action de groupe à la française en
matière de concurrence est adaptée à ses objectifs initiaux ?
Il apparait que de multiples obstacles se dresseront entre les consommateurs et ce
nouveau mécanisme de recours collectif qui risquent de retarder son succès.
Deux types d’obstacles peuvent être relevés.
17. D’une part, il convient de se pencher sur les obstacles procéduraux de
l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles (Partie I) avant de
s’attarder sur les difficultés de fond de l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles (Partie II).
16
PREMIERE PARTIE : LES OBSTACLES PROCEDURAUX DE
L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
18. Le succès de l’action de groupe en général et plus particulièrement en droit
de la concurrence dépendra de multiples facteurs. Parmi ceux – ci, il y a des
facteurs procéduraux.
Ces derniers ne seront pas secondaires car ils sont susceptibles d’exercer une
forte influence sur l’appréhension qu’auront les consommateurs et les
associations à utiliser cet outil juridique.
La procédure, souvent sous – estimée par rapport au fond du litige en question,
va jouer un rôle primaire dans ces actions vouées à indemniser les petits
préjudices des consommateurs.
19. Principalement, deux facteurs procéduraux risqueront de retarder le succès de
l’action de groupe et obligeront peut – être le législateur à intervenir rapidement
afin de corriger certains éléments de procédure.
20. Il convient donc de s’attarder sur deux phénomènes que devront résoudre les
intervenants à cette action et le législateur par la suite : l’appropriation
progressive de l’action de groupe par les institutions (Titre I) et le faible enjeu
pécuniaire à l’épreuve du temps (Titre II).
TITRE I : L’APPROPRIATION PROGRESSIVE DE L’ACTION DE GROUPE
PAR LES INSTITUTIONS
21. Les institutions ici doivent s’entendre comme ce terme générique
d’institutions – organes qui sont des organismes dont le statut et le
fonctionnement sont régis par le droit.
Les institutions désignent, dans cette hypothèse, deux entités primordiales dans le
succès de l’action de groupe en droit de la concurrence : le juge et les
associations.
22. Ces deux entités interviendront en amont de l’action collective, pendant
l’action et en aval. C’est ce qui les rend si importantes, a fortiori, dans les
« premières heures » de l’action de groupe.
17
23. Une des problématiques majeures est : comment vont se comporter les juges
et les associations de consommateurs à l’égard de l’action de groupe ?
24. L’opinion publique semble acquise à cette formule de l’action de groupe,
mais il sera intéressant d’analyser la découverte progressive de l’action de groupe
en matière de concurrence par le juge (Chapitre 1) et surtout comment les
associations de consommateurs, ce nouveau filtre (Chapitre 2) va utiliser cette
nouvelle « arme » mise à sa disposition.
Chapitre 1 : La découverte de l’action de groupe en matière de concurrence par le
juge
25. La découverte de l’action de groupe en matière de concurrence par le juge
recouvre deux aspects qui seront essentiels.
D’une part, le magistrat du Tribunal de grande instance sera le juge de la
recevabilité des actions de groupe et pourra en conséquence la concevoir
strictement (Section I). D’autre part, le législateur a fait le choix politique de
confier le contentieux des actions de groupe en matière de concurrence à tous les
Tribunaux de grande instance de France métropolitaine et d’outre – mer, le choix
de la non – spécialisation des tribunaux compétents (Section 2).
Section I : la conception stricte de la recevabilité des actions de groupe
26. Il convient alors de s’attarder sur les exemples nord – américains du Québec
et des Etats – Unis (Paragraphe 1) avant de se pencher sur les possibilités qu’a le
juge français de restreindre l’accès à l’action de groupe (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : les exemples nord - américains
Les exemples du recours collectif québécois et de la class action américaine sont
significatifs pour appréhender le pouvoir du juge sur cette procédure novatrice.
I) Le Québec
18
27. Le Québec est souvent cité comme précurseur de l’action de groupe, qui chez
eux se nomme le recours collectif. Ce recours collectif a été adopté le 8 juin 1978
et est entré en vigueur le 19 janvier 1979.
Bien que précurseur, le recours collectif n’a pas tout de suite été appréhendé par
les juges québécois comme un recours indispensable à la protection des
consommateurs.
28. Ainsi, la procédure québécoise du recours collectif a connu deux importantes
vagues d’interprétation judiciaire.
La première, dès ses tout début jusqu’aux années 1990, année où la Cour d’appel
a rendu trois jugements décisifs. Cette période fut caractérisée par une attitude de
méfiance et une interprétation extrêmement conservatrice et restrictive de la
procédure, qui montrait que les juges n’étaient peut – être pas prêts à la
comprendre et à la recevoir. Le formalisme judiciaire fut porté à son comble. Les
juges québécois, qui ont été formés à une école individualiste du droit, ont été
gênés par cette idée de justice collective.
Le recours collectif venait d’ouvrir les portes des tribunaux aux intérêts privés
des groupes, jusqu’alors confiés exclusivement à l’Etat ou à des personnes
morales structurées et autorisées par le pouvoir public. La procédure civile venait
d’être bousculée par cette loi de 1978 mais, comme l’a dit Mauro Cappelletti,
« l’empreinte des vieux schémas conceptuels n’a pas cessé de se manifester »12
.
Le résultat a été que la plupart des autorisations étaient refusées (36% de refus
contre 30% d’autorisations et 17% de désistements), jusqu’au point où certains
prédisaient à court terme la mort du recours collectif en terre québécoise.
La seconde vague, à compter de 1990, marque un changement de cap radical.
Dans trois jugements rendus la même année13
, la CA donne un coup de barre au
mouvement d’interprétation restrictive et fait place à un courant interprétatif
large et libérale, beaucoup moins formaliste, et porté par des juges conscients des
objectifs sociaux du recours collectif et désireux de participer à l’atteinte de ses
objectifs.
Après une période d’interrogations, d’incertitudes et de craintes, la magistrature
québécoise s’est adaptée peu à peu et a décidé de permettre au recours collectif
d’être efficace. Les détracteurs du recours collectif des premières heures pourront
alors constater que l’ensemble des entreprises québécoises n’ont pas fait faillite
12 Mauro CAPPELLETTI, « La protection d’intérêts collectifs et de groupe dans le procès civil
(métamorphose de la procédure civile) », 1975 27 R.I.D.C. 571, 576 13
Comité d’environnement de la Baie c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan Itée [1990]
R.J.Q. 655 (C.A.) ; Château c. Placements Germarich, [1990] R.D.J. 625 (C.A.) ; Tremaine c.
A.H. Robbins Canada inc., [1990] R.D.J. 500 (C.A.).
19
et l’administration de la justice n’a pas succombé aux assauts du recours
collectif.
29. Certains affirment qu’aujourd’hui la procédure québécoise est entrée dans
une troisième vague d’interprétation, de nouveau restrictive, moins ouverte
qu’avant, avec une inclinaison des tribunaux de première instance à se montrer
plus exigeants et une attitude moins favorable de la CA14
. Un retour du balancier,
en quelque sorte.
30. Devant le grand nombre de dossiers de recours collectif pendants devant les
tribunaux, et devant l’absence de contestation écrite de la requête pour
autorisation, la situation a changé et les juges sont forcés de procéder à un
examen plus rigoureux des conditions d’autorisations. Ni conservatrice ni
restrictive, cette nouvelle tendance pourrait être qualifiée d’équilibrée.
II) Les USA
31. La class action américaine est la première action collective à avoir vu le jour.
En effet, en 1950, une class action a été introduite par des américains victimes
d’une catastrophe industrielle du à l’explosion d’un cargo à Texas City.
32. Ce qui est intéressant de constater à propos de la class action américaine est
que celle – ci est plus ou moins ouverte aux consommateurs victimes de
pratiques anticoncurrentielles selon le parti politique qui gouverne. C’est une
vision très politique de la class action.
Ainsi, la tendance jurisprudentielle est à une très forte limitation
des class actions par les juges. En effet, un durcissement est perceptible depuis
2007 à l’encontre des plaignants dans un contexte d’ensemble marqué par des
flux de balanciers inhérents aux conditions de développement des class actions.
Après la seconde Guerre Mondiale, les class actions ont commencé à se
développer de façon importante. Observant la situation, les milieux d’affaires ont
rapidement réalisé les sommes considérables en cause, avec la problématique des
dommages-triples.
Après un mouvement facilitant les actions de groupe dans les années 1960-1970,
les jurisprudences de la Cour suprême ont surtout encadré les plaintes introduites
sur le fondement du droit antitrust.
14
Notamment Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342 ; George c. Québec
(Procureur général), 2006 QCCA 1204
20
Après les années 1980 et 1990 marquées par une stabilisation jurisprudentielle
inspirée par l’Ecole de Chicago (voir F. Souty, Droit antitrust, concurrence et
innovation..., préc.), c’est au cours de la décennie actuelle que quelques grandes
affaires vont à nouveau marquer un net durcissement à l’encontre des plaignants
et en faveur des défendeurs, souvent en position dominante.
33. Le célèbre arrêt Bell Atlantic v. Twombl de 2007 marque un tournant
jurisprudentiel pour les class actions en relevant le standard de la preuve
d’entente à l’occasion d’une action de groupe pour la fourniture de services
locaux de téléphonie et internet. Cet arrêt a signalé aux opérateurs économiques
que le droit antitrust deviendrait de plus en plus difficile à mettre en œuvre pour
les individus, victimes de pratiques antitrust.
Une forte analogie est à rappeler avec l’affaire Trinko, de 2004, dans le secteur
des télécommunications également, dans laquelle la Cour avait, de la même
manière, fait prévaloir les intérêts des opérateurs et la régulation sectorielle au
détriment des plaignants.
À cette occasion, la Cour a révisé son interprétation des règles fédérales de
procédure civile (RFCP) dans un sens qui rend plus difficile les actions privées
non seulement en droit antitrust mais également dans les autres matières.
Ce mouvement jurisprudentiel est confirmé dans un arrêt Comcast et American
Express de 2013 dans laquelle la Cour a débouté les plaignants au motif que la
Règle 23 exige qu’une procédure permette de déterminer des dommages-intérêts
pour l’ensemble d’une « class », laquelle doit permettre de calculer les
dommages pour tous. Dans le cas contraire, il n’y a pas de « class ». Les quatre
juges démocrates se sont opposés à cette vision de la Cour très restrictive envers
la notion de « class ».
Par conséquent, l’ouverture des class actions aux Etats – Unis par les juges
dépendent de leur couleur politique. Ainsi, si les démocrates remportent
l’élection présidentielle de 2017, l’occasion sera offerte de renverser la majorité
de la Cour suprême qui remet en cause la capacité d’action des plaignants. Dans
le cas contraire, les consommateurs ou PME américains éprouveront davantage
de difficultés à obtenir la mise en cause et la sanction des pratiques d’abus de
pouvoir économique.
34. On s’aperçoit donc que l’efficacité de ces mécanismes d’action collective
dans des pays qui n sont pourtant dotés depuis plusieurs dizaines d’années peut
dépendre de plusieurs facteurs que sont le comportement des juges mais aussi la
vision politique d’une telle action. Il se pourrait donc que les magistrats français,
confronté à la nouveauté de cet outil juridique, ne réagissent pas conformément
21
aux souhaits de la plupart des français (91% des français favorables à l’action de
groupe15
).
35. Les juges français, en présence du texte actuel, ont également des possibilités
de restreindre l’accès à l’action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles.
Paragraphe 2 : les possibilités pour le juge français de limiter l’accès à l’action de
groupe
36. Plusieurs aspects pourront restreindre les associations dans leur saisine du
juge du Tribunal de grande instance dans le cadre d’une action de groupe.
Premièrement, dans la saisine du Tribunal, la condition de similarité et
d’identicité des situations présentées au juge pourront être contestée par les
défendeurs à l’action de groupe.
La circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions de la loi n°
2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et du décret n° 2014-1081
du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation
indique que la cette condition devra s’entendre « au regard du manquement
reproché au professionnel .
Ainsi, un même manquement doit être à l’origine de l’ensemble des préjudices
matériels subis par les consommateurs victimes de la pratique
anticoncurrentielle.
La circulaire donne ainsi l’exemple de consommateurs victimes d’un
dysfonctionnement du réseau d’un opérateur de téléphonie mobile.
En revanche, le texte n’exige pas que l’ensemble des consommateurs concernés
aient nécessairement tous subi des préjudices identiques ou de même nature.
Le juge pourra donc considéré, par exemple, que les cas qui lui sont soumis sont
des cas qui ne revêtent pas ces caractères de similarité ou d’identité.
C’est notamment ce qui se passe en Espagne où les juges n’ont pas encore pris en
considération, au sens premier de l’expression, l’action de groupe en rejetant le
peu d’actions collectives engagées pour des questions de procédures et
notamment sur la question de la similarité des situations présentées.
15
Enquête « les Français et les actions de groupe » réalisée par l’Ifop pour Havas Legal &
Litigation et le cabinet d’avocats August & Debouzy.
22
37. Deuxièmement, le juge français a la possibilité de restreindre l’accès des
actions de groupe en droit de la concurrence est de décourager les associations
par l’exemple.
Ainsi, il s’agirait pour le juge réfractaire à cette « ovni juridique » soit de ne pas
condamner le professionnel, soit, plus subtile, de faire peser des frais d’expertise
colossaux sur les associations ou bien encore de les décourager en attribuant de
très faibles sommes de dommages et intérêts aux consommateurs, victimes de
pratiques anticoncurrentielles.
Il est certain que les premières heures du dispositif et surtout les premières
décisions permettront d’afficher la tendance que les juges des Tribunaux de
grande instance et de la Cour de cassation veulent donner à l’action de groupe.
Troisièmement, le juge pourra décourager les consommateurs en allongeant les
délais de procédure.
En effet, les actions de groupe sont destinés à réparer des préjudices d’un faible
montant, il faut donc, pour que le consommateur y adhère en nombre, que celui –
ci sache que cette procédure ne va pas durer une longueur excessive.
Or, en matière de concurrence, c’est ce qu’il risque de se passer avec la
soumission à une décision d’une autorité publique.
On voit donc que le juge français aura les armes pour décourager à la fois les
associations de consommateurs et les consommateurs eux – mêmes, il faudra
donc surveiller comment les juges des Tribunaux de grande instance se
comportent vis-à-vis de ce nouvel outil juridique qui s’offre à eux.
Les tribunaux compétents seront les cent – soixante Tribunaux de grande
instance de France métropolitaine et d’outre – mer en vertu du choix du
législateur de la non – spécialisation des tribunaux compétents.
Section 2 : La non - spécialisation des tribunaux compétents
38. « Une association de défense des consommateurs représentative au niveau
national et agréée en application de l'article L. 411-1 peut agir devant une
juridiction civile afin d'obtenir la réparation »16
.
Ainsi, concernant la compétence matérielle, cet article rend impossible l’exercice
d’une action de groupe en droit de la concurrence devant une juridiction pénale
ou une juridiction administrative, y compris statuant sur intérêts civils.
16
C.conso, Art L423-1
23
En outre, l’article L 211 – 15 du code de l’organisation judiciaire, tel qu’issu de
l’article 2 de la loi du 17 mars 2014, prévoit que seuls les tribunaux de grande
instance connaissent de l’action de groupe. Il est donc exclu qu’une action de
groupe soit introduite devant un tribunal d’instance. Ces derniers ne pourront pas
traiter les actions de groupe en matière de crédits à la consommation par
exemple.
La compétence territoriale a fait l’objet d’un débat plus important au Parlement
français qui consistait en deux visions opposées : certains soutenaient le fait que
les tribunaux qui allaient traiter de l’action de groupe en droit de la concurrence
devaient être spécialisés. D’autres, au contraire étaient pour la non –
spécialisation des tribunaux devant lesquelles l’action de groupe en matière de
concurrence est possible.
Ce débat a fait l’objet d’un conflit politique opposant d’une part, le Sénat qui
était en faveur de la non – spécialisation des tribunaux compétents tandis que
l’Assemblée Nationale et le gouvernement était en faveur de la spécialisation des
tribunaux compétents.
39. Le Parlement a finalement opté pour la non – spécialisation des tribunaux
(Paragraphe 1) mais le gouvernement a apporté une restriction significative
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : la non – spécialisation parlementaire
40. Il convient, pour apprécier les conséquences de ce choix, d’analyser les
forces en présence (I) avant de s’attarder sur les conséquences de ce choix de ne
pas attribuer une compétence exclusive à certains tribunaux de grande instance
(II).
I) Les forces en présence
41. Le texte initial de la loi dite « Consommation »17
prévoyait la spécialisation
de certains Tribunaux de grande instance.
Or, le Sénat, en première lecture, a déposé un amendement pour « supprimer la
désignation de tribunaux spécialisés pour traiter le contentieux des actions de
groupe »18
.
17
Loi n°2014 – 344 du 17 mars 2014 relative à la consommation 18
Compte rendu intégral du débat du 27 janvier 2014 au Sénat. A voir : www.senat.fr
24
Conformément à un rapport rendu en 2010 par MM. Richard Yung et Laurent
Bréteille au nom de la commission des lois, la majorité du Parlement, droite et
gauche confondus, étaient favorables à la spécialisation des tribunaux qui
permettait un « équilibre »19
du dispositif.
La commission des affaires économiques avait également opté pour cette option.
Trois raisons essentielles étaient invoquées.
La première raison est une raison d’administration de la justice. En effet, les
actions de groupe sont des contentieux de masse. Dans certains cas, des millions
de consommateurs pourront être concernés. Il convient donc que les tribunaux en
charge de ce contentieux soit en mesure d’y faire face, qu’ils aient des moyens et
des compétences suffisants pour traiter ce type de contentieux nouveaux.
La deuxième raison est une raison d’expertise du juge. Ainsi, si certains TGI
étaient spécialisés dans le traitement de ce contentieux, comme en matière de
pratiques restrictives de concurrence, le juge développerait une expertise
particulière qui rendrait sa décision à la fois plus légitime mais surtout plus
fondée.
La troisième raison est une raison d’harmonie de la justice. Eviter la disparité du
contentieux et son éparpillement, harmoniser la jurisprudence.
La faveur était alors accordé à huit tribunaux spécialisés en la matière : sept en
métropole et un en outre – mer.
42. D’un autre côté, les Sénateurs voyaient en cette spécialisation quatre
obstacles majeurs.
Premièrement, cette spécialisation serait inutile puisque tous les tribunaux de
grande instance, sont capables de traiter des affaires de la consommation. Selon
le sénateur Henri Tandonnet, « cela fait partie de leur quotidien ». Il convient
tout de même de constater que sur cet aspect, les sénateurs ont laissé de côté
l’action de groupe en matière de concurrence qui exige une expertise tout autre
que celle demandée en droit de la consommation. Cette exigence n’est pas pris en
compte par cette première remarque.
Il serait donc parfaitement inutile de confier cette tâche à certains tribunaux en
France.
Deuxièmement, cette spécialisation contribuerait à « éloigner encore davantage
la justice de nos concitoyens ». Cet argument vise à éviter le piège d’instaurer
quelques tribunaux d’élite, principalement situé autour de la banlieue parisienne,
alors que les actions de groupe peuvent concernées tous les consommateurs à un
échelon local mais aussi régional ou bien encore national.
19
Ibid
25
Les sénateurs étaient alors pour la proximité du juge avec les consommateurs.
Troisièmement, les sénateurs voyaient en cette spécialisation un risque de
nouveaux contentieux. Ils craignaient que les juristes spécialisés exploitent, au
détriment des intérêts des consommateurs, des exceptions d’incompétence.
Enfin, quatrièmement, les sénateurs craignaient la délocalisation du contentieux
dans des grandes métropoles régionales qui seraient « éloignées des affaires
traitées ». Les sénateurs insistaient bien sur le fait que l’action de groupe n’avait
pas vocation à être des actions « extraordinaires » par leur enjeu, « médiatique » ;
ces actions pourront être réservées à des affaires plus locales qui concernent
même une centaine de consommateurs d’un village isolé.
43. Après une nouvelle lecture à l’Assemblée Nationale et après des compromis
politiques, le Parlement a finalement opté pour que l’ensemble des tribunaux de
grande instance en France aient la compétence de traiter ces actions de groupe en
droit de la consommation ou en droit de la concurrence.
Ce choix emporte nécessairement des conséquences.
II) Les conséquences de la non - spécialisation
44. Finalement, le Sénat, abandonnant sur la compétence matérielle des tribunaux
d’instance, a réussi à convaincre l’Assemblée Nationale de ne pas insérer une
disposition dans la loi relative à la consommation qui accorde une compétence
exclusive de certains tribunaux de grande instance pour les actions de groupe,
aussi bien en droit de la consommation qu’en droit de la concurrence.
Ce choix emporte nécessairement des conséquences positives et négatives.
45. L’avantage majeur de cette généralisation du préjudice est la proximité de la
justice vis – à – vis des consommateurs. Ne serait – ce que symboliquement, ce
contentieux pouvant être engagée dans un des 160 tribunaux de grande instance,
les consommateurs, ce que « nous sommes tous, par définition »20
, éprouveront
ce sentiment de protection, une protection proche de chez eux qui plus est. Ce qui
implique nécessairement dans l’imaginaire du consommateur une justice plus
rapide.
Ce dernier élément n’est d’ailleurs pas justifié dans les faits.
20
J.F. KENNEDY, Communication au Congrès américaine, 15 mars 1962 : « Nous sommes
tous, par définition, des consommateurs. Ils constituent le groupe économique le plus important,
influant sur presque toutes les décisions économiques publiques et privées et étant influencé par
elles. Ils sont le groupe le plus important…. mais leur voix n’est souvent pas entendue »
26
Il était donc symbolique d’accorder cette proximité de la justice avec le
consommateur, par facilité politique d’une part, mais aussi parce que la loi toute
entière est tournée vers le consommateur.
46. Néanmoins, des inconvénients majeurs risquent de s’élever dans les
premières heures des actions de groupe. Trois peuvent être évoqués.
Le premier est l’harmonisation des décisions. Comme on l’a vu précédemment,
des conditions, pour qu’une action de groupe soit recevable, sont à respecter.
Ainsi, 160 tribunaux compétents est synonyme de 160 avis différents sur la
condition d’identité ou de similarité des situations par exemple.
C’est aussi cent soixante façons d’indemniser le préjudice des victimes victime
de pratiques anticoncurrentielles.
Ainsi, le ministre délégué à l’économie sociale et solidaire et à la consommation
de l’époque, Benoît Hamon a déclaré vouloir une « justice plus réactive, plus
efficace, plus harmonieuse, à même d’établir une jurisprudence utile ».
De sorte qu’un risque de forum shopping est présent. Les associations de
consommateurs, connaissant l’interprétation de certains tribunaux de grande
instance, pourraient favoriser une action devant tel ou tel tribunal (à condition
qu’un seul consommateur dépende de son ressort) pour s’assurer des décisions
favorables.
Certains argueront que la Cour de cassation est là pour harmoniser la
jurisprudence et qu’elle le fait déjà dans de nombreuses matières actuellement.
Certes, mais la nouveauté de l’action de groupe implique un temps d’adaptation
des juges qui posera de nouvelles problématiques procédurales ou de fond. Or, le
succès de l’action de groupe à la française dépendra, très certainement, des
premières actions intentées, de leur débouché et dans leur couverture médiatique.
Le deuxième problème que vont rencontrer les juridictions est l’hypothèse des
doubles saisines. C’est le cas dans lequel deux associations de consommateurs
différentes, intente, en même temps ou dans des laps de temps très court, une
action contre le même opérateur pour les mêmes pratiques.
Et enfin, le troisième souci majeur que rencontrera le juge du tribunal de grande
instance sera son expertise en matière anticoncurrentielle. Cette matière demande
énormément de formation, nécessite beaucoup de compétence technique en la
matière, des notions économiques et juridiques dont ne disposent pas certains
tribunaux de grande instance français, certains juges français.
La possibilité de demander « l’aide » de l’Autorité de la Concurrence est
intéressante mais celle – ci est chronophage et le succès de l’action de groupe
27
dépendra en grande partie de la rapidité de la décision de sanction compte tenu
des faibles montants en jeu pour les consommateurs.
47. La loi dite « Hamon » a donc opté pour la non – spécialisation de certaines
tribunaux de grande instance malgré ces inconvénients prévisibles.
Néanmoins, le gouvernement, initialement favorable à la spécialisation du
contentieux, est vu apporté une restriction significative à cet aspect procédural de
l’action de groupe en matière de concurrence.
Paragraphe 2 : la restriction gouvernementale
48. Cette restriction significative gouvernementale a été opérée grâce au décret
relatif à l’action de groupe en matière de consommation du 24 septembre 201421
.
Celui – ci vient considérablement limiter le choix des associations de
consommateurs qui introduiront, la plupart du temps, leur action de groupe
devant les tribunaux de grande instance de Paris et Nanterre (I) même si la
possibilité de saisir tous les TGI est encore de vigueur (II).
I) Une concentration du contentieux
49. C’est la précision la plus importante apportée par le décret relatif à l’action de
groupe en matière de consommation.
Le pouvoir règlementaire a court – circuité le choix du Parlement en obligeant les
associations de consommateurs à initier leurs actions de groupe devant le tribunal
de grande instance dans le ressort duquel le professionnel à son siège social.
L’article R 423 – 2 du Code de la consommation dispose :
«Le tribunal de grande instance territorialement compétent est celui du lieu où
demeure le défendeur.
Le tribunal de grande instance de Paris est compétent lorsque le défendeur
demeure à l’étranger ou n’a ni domicile ni résidence connus ».
Il s’agit d’une limitation apportée au champ de l’article L 211 – 15 du Code de
l’organisation judiciaire qui prévoit la compétence de l’ensemble des 161
Tribunaux de grande instance existant en France métropolitaine et en outre –
mer.
21
Décret n°2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de
consommation
28
Le gouvernement a donc dérogé aux règles de compétence classique de
compétence territoriale dans le but d’obliger les associations de consommateurs à
introduire leur action de groupe dans le ressort dont dépend le professionnel.
De fait, cette restriction entraine une concentration du contentieux devant les
Tribunaux de grande instance de Paris et Nanterre.
D’une part, pour toutes les actions intentées contre une entreprise ayant son siège
social à l’étranger, le TGI de Paris sera seul compétent.
D’autre part, les associations de consommateurs, en quête d’un retentissement
médiatique, cherche à « faire tomber » de grosses entreprises connus pour que les
médias relaient l’information auprès de l’opinion publique de manière
importante.
Enfin, toujours liée à la taille de l’entreprise, en matière d’action de groupe en
droit de la concurrence, très rares sont les entreprises qui sont au-delà de
l’ensemble des seuils instaurées en droit de la concurrence (seuil d’exemption par
catégorie, seuil de part de marché, fausser la concurrence …).
La plupart de celles qui pourraient être concernées par une action de groupe en
matière de concurrence sont des entreprises dont le siège social se trouve à Paris
ou en région parisienne.
50. D’ailleurs, si l’on observe les différentes actions de groupe intentées depuis
la promulgation de la loi dite « Hamon » :
- l’action opposant la CLCV à la société Axa et la société d’assurés AGIPI
est intentée devant le tribunal de grande instance de Nanterre,
- l’action concernant SFR est initiée devant le tribunal de grande instance
de Paris,
- l’action de groupe concernant le bailleur social 3F a été initiée devant le
tribunal de grande instance de Paris,
- l’action de groupe qui concerne Paris habitat est initiée devant le TGI de
Paris également,
- L’action de groupe contre Foncia a été introduite devant le tribunal de
grande instance de Nanterre.
On s’aperçoit que la restriction qu’a apporté le gouvernement à la parole du
peuple à de grandes conséquences en fait et impose une concentration du
traitement du contentieux autour de la région parisienne.
Cette concentration sera d’autant plus réelle en matière d’action de groupe à la
suite de pratiques anticoncurrentielles.
29
51. Néanmoins, si l’action de groupe a été conçu pour les grands litiges
nationaux ou du moins régionaux, la possibilité du code de l’organisation
judiciaire de saisir un des 161 Tribunal de grande instance est encore possible.
II) La possibilité de saisir l’ensemble des TGI
52. L’ex ministre délégué à la Consommation, Benoit Hamon, affirmait « la
plupart des actions de groupe porteront sur des contentieux régionaux,
interdépartementaux ou nationaux »22
.
Ceci est très révélateur de l’image que reflète l’action de groupe, notamment
dans le milieu politique parisien. En effet, l’action de groupe serait l’action
contre les grands opérateurs téléphoniques ou bien contre les compagnies
aériennes ou ferroviaires … .
53. Les associations de consommateurs, du moins au départ, vont vouloir aussi,
dans cette même logique, intenté des actions contre des entreprises notoires, des
entreprises nationalement connues pour que l’opinion publique constate les
bienfaits de l’action de groupe et « terrorise » les entreprises, auteurs de pratiques
illicites.
Au début de cette expérience, de grands groupes seront privilégiés par les
associations de consommateurs, avec un nombre significatif d’adhérent.
54. Néanmoins, il est toujours envisageable d’envisager une action de groupe à
quelques personnes isolées. Le groupe commence à deux personnes selon la loi.
Donc, en cas de réel succès de l’action de groupe, on pourrait imaginer des
actions donc le groupe serait constitué de quelques personnes : une centaine voir
quelques dizaines de personnes … .
Ces personnes pourraient très bien être victimes de pratiques anticoncurrentielles
par objet, tels que les hardcore cartels, d’entreprises implantées ailleurs
qu’autour de la banlieue parisienne.
Il sera donc possible pour une association de consommateurs, qui sera confronté
aux problèmes du coût de la procédure à envisager, d’intenter une action auprès
d’un tribunal de grande instance moins connu que ceux de Nanterre ou Paris.
Les cent soixante et un Tribunaux de grande instance sont donc encore
compétents en vertu de la loi et pourront être concernées par une action de
groupe, y compris en matière de pratiques anticoncurrentielles à l’avenir.
22
B. HAMON, séance du 27 janvier 2014. A voir : www.sénat.fr
30
55. La restriction qu’a apporté le gouvernement a été une restriction de façon
indirecte, par une « pirouette » legistique qui, de facto, entrainera quand même
une concentration de la plupart des contentieux dans les Tribunaux de grande
instance de la banlieue parisienne.
Chapitre 2 : Le nouveau filtre, les associations de consommateurs
56. L’article L 423 – 1 du Code de la consommation exige que l’action de groupe
soit intentée par « une association de défense des consommateurs représentative
au niveau national et agréée en application de l'article L. 411-1 ».
Ceci constitue une grande originalité puisque il n’existerait donc pas de « droit
général à l’action de groupe »23
pour les consommateurs, au sens d’une action
ouverte à tout le monde. Les associations de consommateurs n’interviennent pas
dans le processus de class action aux Etats – Unis.
Ainsi, l’exercice d’une action de groupe est subordonné à l’initiative d’une
association agréée. Il existe quinze associations agréées qui sont listées dans la
circulaire du 26 septembre 201424
:
- ADEIC - Association de défense, d'éducation et d'information du
consommateur
- AFOC - Association Force Ouvrière Consommateurs
- ALLDC - Association Léo Lagrange pour la Défense des Consommateurs
- CGL - Confédération Générale du Logement
- CLCV - Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de
Vie
- CNAFAL - Conseil National des Associations Familiales Laïques
- CNAFC - Confédération Nationale des Associations Familiales
Catholiques
- CNL - Confédération Nationale du Logement
- CSF - Confédération Syndicale des Familles
- FF - Familles de France
- FR - Familles Rurales
- FNAUT - Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports
- INDECOSA-CGT - Association pour l'Information et la Défense des
Consommateurs
- UFC-Que Choisir - Union Fédérale des Consommateurs
- UNAF - Union Nationale des Associations Familiales
23
M. DEPINCE, « Quand les associations agréées se font le filter des actions de groupe”, Voir :
http://malodepince.over-blog.com/2015/03/quand-les-associations-agreees-se-font-le-filtre-des-
actions-de-groupe.html 24
Circu. CIV/14/14 en date du 26 sept. 2014
31
57. Cinq actions de groupe ont été introduites par différentes associations :
- La CLCV contre la société d’assurance Axa pour les contrats d’assurance
– vie Cler
- La CNL contre le bailleur social 3F
- La SLC-CSF contre Paris Habitat
- Familles rurales contre l’opérateur téléphonique SFR pour pratiques
illicites
- L’UFC Que Choisir contre le réseau immobilier Foncia.
Il faut cependant se demander si ces associations de consommateurs agrées sont
légitimes à porter ces actions (Section 1) et si elles ne vont pas se montrer
frileuse (Section 2) vis – à – vis de ce nouvel outil juridique.
Section 1 : L’illégitimité des associations
58. Illégitimité d’abord fondé sur leur représentativité en France. Ainsi, le
nombre d’adhérent chez les deux associations de consommateurs les plus connus,
UFC et CLCV, montrent qu’elles sont loin d’être représentatives des
consommateurs en France.
Ainsi, l’UFC Que choisir dispose d’environ 150 000 adhérents et la CLCV25
avait 32 000 adhérents en 2012. Ce qui représente en perspective des 66 317 994
habitants26
en France et donc consommateurs, un pourcentage de 0,22% et 0,05%
de la population français représentée par ces associations. Représentativité dites-
vous …
59. Les associations de consommateurs sont inadaptées pour introduire les
actions de groupe en droit de la concurrence (Paragraphe 1) ; pourtant, il existait
une alternative des avocats (Paragraphe 2), une alternative de droit commun.
Paragraphe 1 : Des associations inadaptées à l’action de groupe en matière de
concurrence
60. La problématique de la légitimité ou l’illégitimité des associations de
consommateurs en la matière doit se résoudre à l’aune de deux paramètres
essentiels : le premier est l’inadaptabilité des associations du fait des coûts trop
25
Chiffres de l’Institut Nationale de la Consommation, 2014. Voir :
http://www.conso.net/content/ufc-que-choisir-association-de-consommateurs 26
Chiffres de l’Institut Nationale de la Statistique et des Etudes Economiques au 1er janv. 2015.
32
importants (I) qu’elles auront à supporter. Quant au second paramètre, c’est celui
des risques d’abus (II) que pourraient engendrer cette situation.
I) Des couts trop importants
61. Une des questions primordiales pour les actions de groupe en matière de
concurrence est la question du financement.
L’article L. 423-6 du Code de la consommation dispose : « Toute somme reçue
par l'association au titre de l'indemnisation des consommateurs lésés est
immédiatement versée en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et
consignations. Ce compte ne peut faire l'objet de mouvements en débit que pour
le versement des sommes dues aux intéressés ».
Cette disposition empêche donc l’association de consommateurs d’utiliser les
fonds à d’autres fins que l’indemnisation et notamment, lui interdit de consacrer
une partie des dommages – intérêts accordés par le juge à la rémunération des
avocats ou des experts mandatés.
Les associations de consommateurs ne pourront donc pas non plus s’adjoindre les
services d’avocats en leur promettant une rémunération indexée sur le résultat.
62. Il est très prévisible, qu’en matière de concurrence, le coût de la procédure
pourrait être très élevé du fait de la complexité inhérente au droit de la
concurrence. Ainsi, selon Frédéric Pelouze, avocat et président de l'association de
consommateurs Open conso « ces associations ne disposent ni des moyens ni de
l'expertise suffisants pour gérer de telles procédures, par définition lourdes,
complexes et coûteuses ».
En vertu du fameux article 700 du Code de procédure civile, le juge pourra
condamner la société défenderesse à prendre en charge les frais d’avocats et les
frais d’huissiers liés notamment à la collecte des adhésions des consommateurs à
l’action de groupe.
63. Néanmoins, il est notoire que les frais de l’article 700 ne couvrent jamais la
totalité des frais d’avocats. Cet aspect financier de la procédure pourrait
constituer un frein très important pour le développement de l’action de groupe en
France, notamment en matière de pratiques anticoncurrentielles.
Les associations ne s’engageront dans des procédures dont elles sont quasiment
sûr de gagner, en n’engageant pas celles ou un doute est possible, et devront
33
prendre en compte leur capacité financière à absorber le coût d’une procédure
judiciaire aussi longue et coûteuse.
64. La loi française devra surement évoluer sur cet aspect-là puisque celui – ci va
constituer un frein inéluctable aux actions régulières et efficaces des associations.
Evoluer peut être dans le sens de la législation québécoise qui a mis en place un
Fonds public d’aide aux recours collectifs.
65. Ainsi, les recours collectifs, au Québec, sont assurés par un fonds public sur
demande et sur satisfaction de certains critères d’attribution. Ces critères sont
notamment des critères économiques, le bien – fondé du recours, la probabilité
d’exercice27
. C’est par ces dispositifs que l’on peut constater la différence
fondamentale qu’a le recours collectif québécois, destiné à « offrir un instrument
d’accès à la justice aux consommateurs »28
et l’action de groupe à la française
qui est un outil de dissuasion, plus que de réparation.
C’est ainsi que dans les premières années, la majorité des recours collectifs était
financée par ce Fonds d’aide. Cette proportion s’est progressivement réduite à
cause de la capacité grandissante des avocats à supporter le risque de la
poursuite, risque compensé par les honoraires indexés sur le résultat du litige29
.
Quelques chiffres illustrent tout de même l’importance de ce fonds d’aide au
Québec et la difficulté qu’auront les associations agréées françaises à intenter des
actions de groupe : en 2003, 53,5% des recours étaient exercées avec l’aide
financière publique et en 2011, ce pourcentage était de 35%30
.
On s’aperçoit donc, à l’aune de la législation québécoise, qui a su identifier la
problématique de l’enjeu financier pour l’association de consommateurs, que les
associations françaises auront bien du mal à exercer de nombreuses actions de
groupe en droit de la concurrence et donc, in fine, de rendre plus effectif
l’application des droits de la consommation et de la concurrence.
66. Ce monopole de l’action de groupe par les actions de consommateurs,
sources d’incertitudes quant à leur financement, est aussi préoccupant pour les
risques que cela peut occasionner.
27
Loi sur le recours collectif, L.R.Q., c. R-2.1, art 23 28
P-C. LAFOND, L’accès à la justice civile au Québec, p149 : « Il était hors de question pour
le législateur québecois, ayant créé d’abord et avant tout un instrument d’accès à la justice, il
était hors de question que le manque d’argent soit un obstacle à l’exercice des recours ». 29
Pellemans c. Lacroix, 2011, QCCS 1345, par 101 30
Fonds d’aide aux recours collectifs, rapport annuel 2003 – 2004 et 2010 – 2011, Montreal.
34
II) Les risques d’abus
67. Le filtre des associations de consommateurs a été instauré par le législateur
pour contourner un autre risque, celui de l’introduction de procédure abusive.
Certains reprochent à l’action de groupe de rééquilibrer les rapports de force
entre les associations de consommateurs et les entreprises ayant commis des
pratiques anticoncurrentielles. Cela constituerait un abus possible.
Or, si l’action de groupe est née en droit français, c’est aussi et surtout pour cette
raison. L’action de groupe a été mise en place pour corriger cette asymétrie, aussi
bien financière qu’informationnelle, qui existait entre le consommateur d’une
part, et les entreprises, d’autre part.
Dire que ce rééquilibrage des rapports de force constitue un abus parce que les
associations de consommateurs pourraient être plus à même de négocier de façon
égale avec les entreprises parait quelque peu outrancier.
68. En revanche, de véritables abus des associations de consommateurs sont
envisageables.
Le premier abus envisageable est celui de la recherche systématique d’un
retentissement médiatique des associations de consommateurs. L’illustration
parfaite de cela est la première action de groupe intentée par l’UFC Que Choisir
contre Foncia le 1er
octobre 2014, jour de l’entrée en vigueur de l’action de
groupe en France.
Chacune des actions de groupe introduites par les associations jusqu’à
aujourd’hui a soigneusement été annoncée, la communication a été préparé, pas
de place à l’improvisation. Chacune des quinze associations, on peut le deviner,
va chercher à tirer un profit personnel à cette exposition médiatique offerte par la
simple annonce d’une action de groupe.
En effet, l’annonce d’une potentielle action est suffisante, pas besoin que l’action
soit effectivement engagée. Le deuxième abus envisageable est celui – ci :
l’annonce d’une action de groupe par une association de consommateurs, même
infondée, qui nuirait durablement à l’image de l’entreprise ou des entreprises
visées.
Cette hypothèse est moins probable pour l’action de groupe en droit de la
concurrence puisque celle – ci serait intentée après une condamnation par une
autorité publique en vertu du principe de l’action consécutive ou « follow on ».
Les menaces d’action de groupe infondée seraient donc minimes en la matière.
35
Le troisième abus que le monopole de l’action de groupe par les associations de
consommateurs pourrait occasionner est la surenchère du préjudice allégué.
Volontairement, les associations de consommateurs exagèrent les dommages et
intérêts en jeu pour, encore une fois, que les médias s’emparent de ces affaires
brulantes.
Or, au stade du jugement de responsabilité, en vertu de la possibilité pour un
consommateur d’adhérer ou non au groupe, les associations ne savent ni combien
de consommateurs adhèreront à l’action ni le montant total que devra verser
l’entreprise ou les entreprises condamnées.
En outre, les associations de consommateurs, disposant du monopole de
l’initiative de l’action de groupe et ayant des facultés financières limitées seront
beaucoup plus enclin à engager une procédure impliquant une société
notoirement connu plutôt que d’intenter une action contre une petite entreprise
d’une petite ville française ayant causé un préjudice pécuniaire à une centaine
d’individus.
L’action de groupe ne sera donc en aucun cas ce remède miracle permettant
d’indemniser toutes les victimes d’entreprises ayant commis une pratique
anticoncurrentielle. Le droit de la consommation sera peut – être mieux appliqué
mais l’effectivité de ce droit ne sera tout de même pas maximal.
Il convient donc de se fier à ce que l’avenir nous montrera : la politique des
associations de consommateurs et leurs comportements vis-à-vis de ce nouvel
outil juridique.
69. L’inadaptation des associations de consommateurs laisse place à une
problématique : si ce n’est pas les consommateurs, qui doivent intenter ces
actions : les avocats ?
Paragraphe 2 : L’alternative des avocats
70. L’alternative des avocats, c’est-à-dire, l’application du droit commun était la
deuxième alternative envisagée et fortement sollicitée par l’Ordre des Avocats.
Christian Charrière-Bournazel, ancien président du Conseil national des
barreaux, avait dénoncé en 2013 « la suspicion que cette loi manifeste, une fois
de plus, à l’égard de la profession d’avocat. ». Il jugeait inacceptable « cette
démarche, qui revient à faire juge de l’opportunité d’une action une association
et non pas le professionnel qu’est l’avocat, heurte de front l’honneur même de la
profession. ».
36
D’autres regrettent qu’ « à travers la négation de notre déontologie, c’est notre
profession et notre serment qui sont dénigrés »31
.
71. Néanmoins, encore une fois, l’expérience américaine a joué les rôles
d’épouvante ce qui a occasionné le monopole des associations de
consommateurs.
En effet, le législateur a voulu éviter les dérives déontologiques auxquelles les
avocats américains s’adonnent.
Les avocats américains utilise de façon abusive la class action aux Etats – Unis
mais cet abus est dû au système juridique américain : la publicité et le
démarchage des victimes autorisés, l’existence du principe du contigency fee,
c’est-à-dire l’indexation des honoraires de l’avocat sur le succès de l’action et
les pactes de quota litis.
De nombreux avocats adoptent donc des comportements peu scrupuleux qui
génèrent des peurs chez les entreprises, craignant une action judiciaire
débouchant sur des dommages et intérêts d’un montant pouvant atteindre des
sommes spectaculaires aux Etats – Unis.
Ainsi, dans la célèbre affaire ENRON, une class action a donné lieu au versement
de 7,2 milliards de dollars au profit des victimes américaines, provoquant la
faillite de la société ENRON. Le législateur français voulait éviter à tout prix que
l’action de groupe, notamment en matière de concurrence, n’entraine des faillites
d’entreprises en cascade.
72. Mais, les faillites des entreprises américaines à la suite des actions de groupe
ne sont pas dus à l’action de groupe elle – même mais à cause des punitive
damages, ou dommages et intérêts punitifs. Ceux – ci ont un avantage et un
inconvénient majeur : ils incitent des justiciables ayant subi un petit préjudice à
intenter une action en justice mais ils peuvent provoquer des faillites importantes
en cas d’affaires importantes, ces faillites pouvant emporter des conséquences
économiques et sociales.
Mais l’objectif premier de l’action de groupe est a priori de permettre à des
justiciables isolés, mais ayant subis des préjudices ayant une origine commune,
d’être indemnisé de leur préjudice. Or, les class actions américaines, parfois
débouchent sur des situations insolites : dans l’affaire Blockbuster Video, les
membres de la class action ont reçu entre 9 et 20 dollars d’indemnisation contre
9,25 millions de dollars d’honoraires pour leurs avocats.
On voit bien dans cette hypothèse ce qu’a voulu éviter à tout prix le législateur
français. Mais celui –ci n’a pas cerné la cause de ces abus américains qui ne
31
Christianne Féral-Schuhl, bâtonnier de Paris, 2013
37
résident pas dans la class action elle – même mais les principes de leur système
juridique permettant des punitive damages et l’indexation des honoraires des
avocats sur les sommes perçus par les consommateurs.
Une action de groupe intentée par les avocats français n’aurait pas
nécessairement conduit à ces abus susvisés du fait des principes déontologiques
de l’avocat en France l’empêchant d’indexer son salaire uniquement sur le succès
de l’affaire auquel il faut ajouter l’impossibilité d’accorder des dommages et
intérêts punitifs aux consommateurs.
Ce dernier point ouvre toute entière la question de la faute lucrative pour les
entreprises ayant été auteurs de pratiques anticoncurrentielles.
73. Au-delà de l’illégitimité des associations de consommateurs françaises pour
ce rôle de rampe de lancement de l’action de groupe, il faut souligner une
certaine frilosité de leur part.
Section 2 : La frilosité des associations agréées
74. Le terme « frilosité », un brin provocateur, désigne le comportement des
associations de consommateurs qui va conduire à ce que l’action de groupe en
droit de la concurrence, sera intentée à de très rares occasions.
Les conditions nécessaires à l’introduction de l’action de groupe en matière de
concurrence et le comportement que laisse transparaitre les associations, en ce
début d’expérience, vont expliquer cette « frilosité » des associations de
consommateurs.
75. En effet, cette timidité des associations de consommateurs que l’on ressent
dans ce début d’expérience s’explique par leur quête de reconnaissance
médiatique (Paragraphe 1) et se vérifie par le faible nombre d’actions engagées
(Paragraphe 2) depuis que cela est possible.
Paragraphe 1 : une quête de reconnaissance médiatique des associations
76. Ce début d’expérience est révélateur de ce que sera l’action de groupe en
général. Il faut appréhender l’action de groupe dans son aspect psychologique.
38
C’est un des effets pervers du dispositif de l’action de concurrence : la forte
médiatisation qui accompagne ces actions. Ce phénomène est décuplé en début
d’expérience comme en ce moment.
Les associations de consommateurs donnent l’impression, lorsqu’ils introduisent
leur action de groupe, qu’il est plus question du retentissement médiatique leur
profitant plutôt que du soulagement de pouvoir enfin avoir un droit de la
consommation efficace et effectif.
Chacune des actions introduites aujourd’hui, même si elles sont peu nombreuses,
a été annoncée à grand renfort de presse. Le but est d’impressionner l’opinion
publique soit en s’attaquant à de grandes entreprises tels que SFR ou Foncia ou
alors d’intenter une action de groupe le jour même de la promulgation du
dispositif dans le Journal Officiel de République Française.
77. En outre, le revers de cette même quête de retentissement médiatique se
trouve dans l’abandon indirecte des « petits » conflits pouvant donner des actions
de groupe.
C’est ainsi que l’ensemble des commentateurs dans les revues juridiques, dans
les colloques ou bien même le ministre délégué, Benoit Hamon ont pour
ambition d’appréhender les plus grandes entreprises, les plus grands cartels
offrant au public des actions de groupe au niveau «régional ou national »32
.
Or, il se peut très bien qu’une action de groupe, en droit de la consommation ou
en droit de la concurrence d’ailleurs, puisse se constituer à un niveau local.
Ne faudrait – il pas davantage encourager les actions de groupe de petites et
moyennes ampleurs sur tout le territoire plutôt que de se focaliser sur les conflits
opposant les associations de consommateurs aux très grandes entreprises du CAC
40 ?
L’instauration de groupe, en premier lieu, nous disait – on, été mise en place pour
les consommateurs, leur indemnisation, le respect de leurs droits et non pour la
notoriété de quelques associations qui ne sont en rien représentatives, en tout cas
par leur nombre d’adhérents.
D’ailleurs, cette frilosité, au-delà de l’explication de ce comportement, se
retrouve quand on se penche sur la pratique des associations depuis maintenant
neuf mois.
32
B. HAMON, séance du 27 janvier 2014 au sénat. A voir :
www.senat.fr/seances/s201401/s20140127/s20140127010.html
39
Paragraphe 2 : Le faible nombre d’actions engagées
79. Le faible nombre d’actions engagées atteste de la frilosité des associations de
consommateurs pour le moment et ce pour l’action de groupe en général.
Seulement cinq actions de groupe sont introduites en ce moment.
Deux d’entre elles ont fini par se résoudre en transaction ou vont le faire dans un
délai très court :
- La SLC-CSF contre Paris Habitat
- L’UFC Que Choisir contre le réseau immobilier Foncia.
Et trois d’entre elles sont encore pendantes devant les Tribunaux de grande
instance de Paris ou de Nanterre en ce moment :
- La CLCV contre la société d’assurance Axa pour les contrats d’assurance
– vie Cler
- La CNL contre le bailleur social 3F
- Familles rurales contre l’opérateur téléphonique SFR pour pratiques
illicites.
Il convient de mettre en perspective ce nombre d’actions de groupe engagées
avec la date de promulgation de la loi Hamon ayant donné le « top départ » aux
associations de consommateurs et le comparer avec les statistiques d’autres pays.
Ainsi, la loi dite « Hamon » est entrée en vigueur le 1er
octobre 2014. Cela fait
donc 9 mois que les associations agréées ont cette nouvelle possibilité.
Or, n’est ressorti de ces neuf mois seulement cinq actions de groupe. Dix autres
associations de consommateurs n’ont toujours pas agit.
Ces associations n’ont toujours pas agit pour différentes raisons évidentes qui ne
tiennent pas à leur volonté de ne pas utiliser cette nouvelle « arme de
dissuasion ». Leur volonté s’est fait ressentir lors de leur lobbying pour avoir le
monopole des actions de groupe donc on peut penser qu’elle désire utiliser cet
outil.
Comme vu ci – dessus, toutes les associations ne peuvent supporter la charge
financière que représente une action de groupe.
80. Un problème logistique aussi est à déplorer : peu d’associations sont capables
de recueillir l’adhésion de centaines de milliers de personnes ou de millions de
personnes. Pour cela, il faut avoir des services administratifs de grande qualité
que les associations n’ont pas pour la plupart.
40
Le faible nombre d’adhérents a une conséquence directe : l’argent des cotisations
ne suffit pas pour que les associations puissent encadrer une action de groupe
comme désiré par le législateur malgré les aides étatiques.
De plus, il faut ajouter que les associations cherchent la bonne action de groupe
en ce début d’expérience. En effet, elles désirent que la première décision rendue
fasse jurisprudence, qu’elle donne l’exemple pour toutes les autres.
Mais pour cela, il faut que l’action soit vouée au succès d’avance et rares sont les
affaires où le succès est assuré.
81. D’autre part, il convient de comparer le début d’expérience française avec les
expériences étrangères.
En Italie, l’action de groupe est possible depuis 2010 et seuls vingt actions de
groupe ont été introduites devant les tribunaux italiens. A ce jour, une seule
d’entre elles a fait l’objet d’une décision positive.
Au Portugal, une quarantaine d’actions de groupe ont été engagées depuis la loi
de 1995 permettant à des particuliers, une fondation, une association ou même
les pouvoirs publics d’engager une telle procédure.
En Finlande, depuis 2007, aucune action de groupe n’a été engagée alors qu’ils
en ont la possibilité.
On voit donc à travers ces quelques exemples européens que très peu d’actions
de groupe sont introduites même quand une large saisine est ouverte ce qui
diffère totalement avec la pratique américaine.
En effet, au Canada, 120 class actions par ans sont introduites, très loin des 5
actuellement en France.
Dans le seul Etat du Québec, 40 actions par an sont introduites devant les
tribunaux canadiens.
Enfin, aux Etats – Unis, en 2012, les class action ont été utilisées six mille quatre
cent fois par les avocats américains.
Il est à noter que dans les pays nord – américains, 90% des actions collectives se
concluent par une transaction donc en 2012, il n’a pas été question de 6400
jugements rendus par les tribunaux américains.
On peut donc s’apercevoir qu’il y a une « frilosité » naturelle chez les européens
quant à cette action collective mise à disposition des consommateurs. Il convient
donc de se demander si les associations françaises vont utiliser cette action à de
41
nombreuses reprises ou si elles vont, comme nos voisins européens, entrer dans
une logique d’actions de groupe très ciblé, très rares.
Il convient de souligner que le nombre d’actions de groupe en matière de
concurrence est pour l’instant au nombre de zéro, ce qui amène quelques
interrogations quant à l’efficacité de telles actions en cette matière.
82. Cette action de groupe semble d’autant plus difficilement être une action qui
sera couronnée de succès à cause de la longueur de la procédure que devront
supporter les consommateurs.
TITRE II : LE FAIBLE ENJEU PECUNIAIRE A L’EPREUVE DU
TEMPS
83. La promulgation de la loi dite « Hamon » a provoqué, à juste titre, un grand
souffle d’optimisme sur le monde juridique mais plus généralement sur les
consommateurs français. En effet, cette action de groupe, dans son principe
faisait l’unanimité. Cependant, quelques mois, après son adoption et peu
d’actions engagées, l’euphorie est retombée.
Paradoxalement, une des raisons d’être de ce texte couplé à la longueur d’une
procédure judiciaire semble s’opposer au succès de l’action de groupe en matière
de concurrence.
En effet, la raison d’être de l’action de groupe est le rééquilibrage des forces en
présence, une application plus effective du droit de la concurrence. Pour ceci, les
professionnels doivent réparer les préjudices occasionnés au titre de pratiques
anticoncurrentielles, même si ceux – ci ne sont pas importants. Ces préjudices le
plus souvent, du point de vue du consommateur, constitue de petites sommes,
parfois insignifiantes.
Le consommateur, afin de savoir si le remboursement de ces sommes en vaut la
peine, fait une équation logique : l’enjeu pécuniaire, le coût de la procédure, le
temps de la procédure.
Le coût de la procédure, dans le cadre d’une action de groupe, ne sera pas
supporté par les consommateurs donc ce paramètre est favorable à l’introduction
de l’action de groupe.
42
84. Cependant, quand le consommateur va confronter le temps de l’instance
(Chapitre 1) avec l’enjeu à la clé qui se caractérise par l’indemnisation de
préjudices minimes (Chapitre 2), il n’est pas sûr que celui – ci perçoive l’action
de groupe comme ce remède miracle tant attendu.
CHAPITRE 1 : Le temps de l’instance
85. Le temps de la procédure est régi par des délais qui s’additionnent les uns aux
autres. Nous sommes dans le cadre d’actions en dommages – intérêts contre les
professionnels, auteurs de pratiques illicites.
Dans sa décision Manfredi, la Cour de Justice des Communautés Européennes a
précisé que la prescription applicable en matière d’action en dommages et
intérêts pour pratiques anticoncurrentielles est régie par le droit des États
membres. Ainsi, en France, il s’agit d’une action en responsabilité contractuelle
ou délictuelle de cinq ans33
.
Ainsi l’action de groupe en matière de concurrence ne « peut être engagée au-
delà d’un délai de cinq ans à compter »34
de la décision « prononcée à
l'encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de
l'Union européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus
susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des
manquements »35
.
86. Aussi, dans la problématique du temps dans l’instance de l’action de groupe
en droit de la concurrence, est primordial la question de l’incidence de l’action
publique sur le délai d’action de l’action privée.
L’article 10 de la directive 2014/104/CE affirme que les Etats membres doivent
veiller « à ce qu'un délai de prescription soit suspendu ou, selon le droit
national, interrompu par tout acte d'une autorité de concurrence visant à
l'instruction ou à la poursuite d'une infraction au droit de la concurrence à
laquelle l'action en dommages et intérêts se rapporte. Cette suspension prend fin
33
C.Civ., Art 2224 : « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à
compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant
de l'exercer » 34
C. conso., Art L 423 – 18. 35
C.conso., Art L.423 -17.
43
au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant une infraction est
devenue définitive ou à laquelle il a été mis un terme à la procédure d'une autre
manière »36
. La directive européenne prend donc fait et cause pour une
suspension du délai de prescription pendant la procédure publique.
Le législateur français a suivi son homologue européen ; désormais, la
prescription de l’action civile est interrompue par l’ouverture d’une procédure
devant l’AdlC, une autorité nationale d’un Etat membre ou la Commission,
jusqu’à la date de la décision définitive. Il s’agit d’un changement radical du
droit positif puisque jusqu’à présent l’action de concurrence n’interrompait pas
l’action civile, entraînant régulièrement la prescription d’actions en
responsabilité entamées tardivement.
87. L’action de groupe a aussi adoptée, un mécanisme originale dit du « follow –
on » ou de l’action consécutive. Ainsi, la durée de l’action de groupe sera dictée
par la nécessité d’une décision d’une autorité publique (Section 1) et par le
comportement des parties qui pourront user de manœuvres dilatoires (Section 2).
Section 1 : La nécessité d’une décision d’une autorité de concurrence, le principe
du « follow – on »
88. Le principe du « follow – on » a été introduit par la loi « Consommation ».
On pourrait traduire cette expression anglo - saxonne « follow – on » par « à la
suite de », « consécutif à ». La condamnation au titre de l'action de groupe
n'intervient qu'après le constat de l'infraction par une autorité de concurrence ou
une juridiction.
Cette nécessité d’une action publique a longuement été débattue par les
parlementaires et finalement retenue.
89. Ce principe de « follow – on » ou d’action consécutive emporte deux
conséquences majeures ; d’une part, cela rallonge la procédure puisque la
détection de pratiques anticoncurrentielles prend du temps (Paragraphe 1), et
d’autre part, la décision d’une autorité comme l’Autorité de la concurrence, revêt
l’autorité de a chose décidée (Paragraphe 2).
36
Directive 2014/104/CE relative à certaines règles régissant les actions en dommages et
intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des
États membres et de l'Union européenne, Art 10. 4.
44
Paragraphe 1 : La longueur inhérente à la détection de pratiques
anticoncurrentielles
90. Si l’action de groupe de droit commun est déjà longue et complexe, ces
travers sont renforcés en matière de concurrence.
Ainsi, l’article L.423-17 du Code de la consommation dispose : « la
responsabilité du professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l'action
mentionnée à l'article L. 423-1 que sur le fondement d'une décision prononcée à
l'encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de
l'Union européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus
susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des
manquements ».
Lorsqu’une action de groupe en droit de la concurrence est engagée, le législateur
a opté pour la formule de l’action consécutive, ou « follow – on ». Celle – ci
désigne le fait que l’action privée, en l’occurrence l’action de groupe, soit
soumise à une décision rendue par l’Autorité de la concurrence, une autorité
nationale de concurrence d’un autre Etat membre de l’Union Européenne ou bien
une décision de la Commission européenne.
91. L’avantage principal du système de l’action consécutive est de faciliter la
preuve pour les consommateurs qui interviennent dans l’action privée. En effet,
l’Autorité de concurrence ou toutes autres « autorités ou juridictions nationales
ou de l'Union européenne compétentes » aura déjà caractérisé, et parfois
sanctionné, le comportement anticoncurrentiel. Ainsi, l’action publique simplifie
l’action privée dans la preuve de la faute du ou des professionnels et permet donc
de réduire les frais de justice du demandeur qui découlerait de la démonstration
de la faute (expertises..)37
.
La condamnation au titre de l’action de groupe ne pourra donc intervenir
qu’après une condamnation du professionnel par les autorités compétentes de
l’Union Européenne qui constate les manquements au droit de la concurrence.
Cette dernière ne devra plus être susceptible de recours pour la partie relative à
l’établissement des manquements, ce qui allonge d’autant plus la procédure de
l’action de groupe.
37
KOMNINOS Assimakis, « EC private antitrust enforcement : decentralised application of EC
competition law by national courts », Hart Pub., 2008. p.7
45
92. Afin de se rendre compte de la longueur d’une procédure d’action de groupe
en matière de concurrence il convient de décomposer les différentes étapes que
vont rencontrer les consommateurs :
- Une procédure de la concurrence peut durer jusqu’à cinq ans ;
- L’appel devant la Cour d’appel de Paris et le pourvoi en cassation peuvent
prolonger la procédure de 3 ans minimum ;
La durée de l’action publique peut donc durer, à elle seule, 9 ans.
- A cela, se rajoute la procédure civile devant le TGI, puis devant la Cour
d’appel et enfin devant la cour de cassation : ces différentes étapes
peuvent durer 7 à 8 ans.
Ces durées ne sont qu’indicatives et pourraient être plus longues dans les
premières années de mise en place de l’action de groupe puisque de nombreux
enjeux juridiques seront soulevées par les parties.
En résumé, une action de groupe en droit de la concurrence, en la superposant
avec l’action publique pourrait durer « entre 15 et 20 ans »38
pour les
consommateurs. Cette durée est extrêmement longue et déraisonnable pour un
consommateur qui, a fortiori, n’a pas un grand enjeu financier à la clé.
La saga du Cartel de la téléphonie mobile et l’Affaire de la parfumerie en sont
deux illustrations, puisque l’épuisement des voies de recours est intervenu
dix ans – voire davantage – après les faits, avec trois passages successifs devant
la cour d’appel et la Cour de cassation.
93. En effet, le temps d’une instance doit s’apprécier à l’aune de l’enjeu
judiciaire en cause. Dans le cadre de l’action de groupe en droit de la
concurrence, ces enjeux sont faibles. C’est une des raisons majeures de
l’introduction de l’action de groupe : indemniser les consommateurs de ces petits
préjudices subis quotidiennement.
Par exemple, dans le cadre de l’entente mettant en cause les trois opérateurs
téléphoniques en 2005. En moyenne, chaque consommateur (parmi les 20
millions d’abonnés) avait subi un préjudice patrimonial de l’ordre de 60 euros. Il
38
Vogel et Vogel, « Action de groupe : Les actions civiles de concurrence après la loi Hamon :
quels nouveaux risques pour les entreprises ?, Mai 2004. A voir : www.vogel-
vogel.com/blog/les-actions-civiles-de-concurrence-apres-la-loi-hamon-quels-nouveaux-risques-
pour-les-entreprises
46
faut alors se demander, quel consommateur lambda serait intéresser par le
remboursement de soixante euros, quinze ans après que l’enquête de concurrence
ait démarré.
A cela, s’ajoute le problème de la preuve de l’étendue du préjudice. Cette
longueur excessive des procédures va poser de grandes difficultés pour les
consommateurs. Ceux – ci devront conserver des preuves pendant une quinzaine
d’années pour que le préjudice effectivement subi leur soit indemnisé. Impossible
ou du moins rarissime. Ces preuves ne sont parfois que des facturettes de
supermarché et même les plus comptables d’entre nous ne conservent pas leurs
factures de centre commercial pendant dix ans.
En conséquence, l’action de groupe va se heurter à cet obstacle majeur qu’est la
durée interminable de la procédure pour finalement déboucher sur
l’indemnisation d’un faible préjudice, si celui – ci est démontré. C’est pourquoi,
on peut se demander si la loi, en mettant en place ce dispositif, ne fait pas naitre
de faux espoirs aux consommateurs quant à leur indemnisation.
L’efficacité du remède judiciaire et le succès de l’action de groupe passent aussi
par la rapidité de la réponse judiciaire, ce n’est pas le cas dans l’hypothèse d’une
action de groupe en droit de la concurrence.
94. Au – delà de la « soumission » de l’action civile à la décision rendue par une
autorité ou une juridiction en matière de concurrence, l’autorité de la chose
décidée accordée à ces décisions est inédite en France.
Paragraphe 2 : l’autorité de la chose décidée accordée aux décisions de
concurrence
95. La question est ici de savoir quel force contraignante sur le juge civil la
décision de l’Autorité de la concurrence aura t – elle ?
96. Selon la loi « consommation », le manquement aux règles du droit de la
concurrence liera le juge saisi de l’action de groupe. En effet, l’article L.423-17
du Code de la consommation affirme que la responsabilité du professionnel ne
peut être prononcée que sur le fondement d’une décision prononcée à son
encontre par les autorités ou juridictions nationales ou de l’Union européenne
compétentes, qui constate des manquements et n’est plus susceptible de recours
pour la partie relative à l’établissement des manquements. Plus intéressant, en ce
47
cas, les manquements du professionnel relevé par l’Autorité sont réputés établis
« de manière irréfragable » pour le jugement sur la responsabilité.
C’est ainsi que, par l’effet de cette présomption irréfragable, l’association de
consommateurs n’aura pas à caractériser la preuve de la faute civile. Ce
mécanisme est inédit en droit français : l’Autorité de la concurrence voit sa
décision revêtue de l’autorité absolue de chose décidée et cela même si ce n’est
pas une juridiction.
Certains, dénonçant cette atteinte portée au principe d’indépendance du juge,
affirment : « La recherche d’une meilleure efficience en matière de concurrence
requiert l’effacement du droit civil. L’autorité administrative tient le juge
judiciaire en l’état »39
.
La directive 2014/104/CE, en son article 9, accorde cette même présomption
irréfragable lorsqu’une « infraction au droit de la concurrence constatée par une
décision définitive d'une autorité nationale de concurrence ou par une instance
de recours ».
De plus, lorsque « lorsqu'une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise
dans un autre État membre », cette décision doit être présentée en tant que
preuve « prima facie » pour le juge civil saisi.
97. Usant de la procédure mis en place par le législateur français, les
professionnels pourront user de manœuvres dilatoires afin de décourager les
consommateurs.
Section 2 : Le risque de manœuvres dilatoires des professionnels
98. Au cours de la procédure de concurrence, de nombreux recours sont
susceptibles d’être utilisés par les professionnels. Ces recours sont autant de
voies de droit que le législateur accorde aux entreprises pour prononcer une
décision aux termes d’un procès équitable.
39
N. MOLFESSIS, L’exhorbitance de l’action de groupe à la française, D.2014. p.947 : « les
autorités de concurrence tiennent le civil en l’état »
48
Ainsi, on a vu précédemment que le temps était un élément primordial dans le
cadre d’une action de groupe en droit de la concurrence. Cet élément joue en
faveur du professionnel et contre le consommateur.
Pour les raisons vu ci – dessus, le consommateur ne conserve pas indéfiniment la
preuve de ces achats le liant aux entreprises ayant participé à une pratique
anticoncurrentielle. La durée de conservation des preuves pour le consommateur,
qui tend à prouver son préjudice, est donc limitée.
C’est pourquoi, le professionnel, anticipant l’éventualité d’une action de groupe
postérieure, qui fait l’objet d’une enquête de concurrence puis d’une
condamnation par l’Autorité de la concurrence, pourrait interjeter appel devant la
Cour d’appel de Paris. Si la décision ne lui est toujours pas favorable, le
professionnel pourrait se pourvoir en cassation.
Dans un délai de cinq ans après l’arrêt de la Cour de cassation, une action de
groupe peut être introduite devant le Tribunal de grande instance compétent.
La décision du Tribunal de grande instance pourra suivre le même parcours
judiciaire correspondant à un appel et un pourvoi en cassation. A cela même, on
peut imaginer que les entreprises formeront des recours devant la Cour
européenne des Droits de l’Homme pour faire valoir leur droit.
Par exemple, l’affaire du cartel des opérateurs téléphoniques a fait l’objet de trois
passages devant la Cour d’appel de Paris et devant la Cour de cassation. Cette
procédure représentant plus de dix ans.
99. Néanmoins, à cette possibilité pour les professionnels d’user de manœuvres
dilatoires afin de compliquer la tâche des consommateurs devant prouver
l’étendue de leur préjudice, il faut y adjoindre un contrepoids important : la
détérioration de l’image du professionnel auprès du grand public.
En effet, il ne faut pas sous estimez le risque de la détérioration de l’image. Deux
phases sont à distinguer : la procédure devant l’Autorité de la Concurrence et
celle devant le juge civil.
Devant l’Autorité de la concurrence, quel que soit la longueur de la procédure,
les entreprises ne souffrent pas d’un préjudice d’image important puisque la
procédure peut faire l’objet de négociations entre l’entreprise et l’autorité ou bien
parce que les enquêtes ne sont pas médiatisées.
49
En revanche, devant le juge civil et avec la possibilité d’engager une action de
groupe désormais, la médiatisation va être telle que l’entreprise aura intérêt à
mettre rapidement fin aux actions en dommages – intérêts. L’image de marque
est « fondamentale, à l’heure de l’ultra – médiatisation de l’économie,
l’accélération des modes de commerce, notamment via Internet »40
. La marque
est un actif primordial pour l’entreprise désormais.
Ainsi les entreprises pourront user de recours visant à allonger la procédure afin
de rendre plus difficile la tâche des consommateurs souhaitant se faire
indemniser. Cependant, cette possibilité est fortement contrebalancée par le
risque d’atteinte à la marque de l’entreprise.
100. L’action de groupe en matière de concurrence va donc être sujet à des délais
très longs mais ces délais sont à mettre en perspective avec le faible enjeu
pécuniaire pour les consommateurs.
CHAPITRE 2 : La réparation de préjudices minimes
101. Du point de vue de l’entreprise, l’action de groupe en droit de la
concurrence représente une très forte dissuasion. En effet, dans l’esprit collectif,
et notamment en référence aux class action américaines, les entreprises peuvent
être condamnées à des montants de dommages – intérêts très élevés. Néanmoins,
il faut relativiser cette vision « américaine » des actions collectives car le système
français et notamment il n’admet pas les « punitive damages », si précieux aux
class action américaine.
De plus, les entreprises, déjà condamnées par une autorité de concurrence, ne
pourra contester leur faute civile qui est présumé de manière irréfragable ; elles
sont donc beaucoup plus vulnérables que dans une procédure civile ordinaire.
Se dresseront face à elle, au moins deux consommateurs, mais de telles actions
sont destinées à accueillir bien plus qu’une dizaine de consommateurs.
40
M. HOULLE, Directeur des Affaires Juridiques, Institutionnelles et Réglementaires de Direct
Energie, RLC 2015, p. 42.
50
L’action de groupe vise à réunir des milliers de consommateurs. Ainsi, l’action
de groupe initiée par l’association de consommateurs UFC Que Choisir pourrait
regrouper plus de 130 000 consommateurs.
C’est de leur point de vue qu’il convient de se placer pour apprécier les
préjudices minimes. Tandis que la société Foncia provisionne pour 44 millions
d’euros, les consommateurs victimes de la pratique de Foncia ne s’attendent à
recevoir en moyenne que 138,36 euros pour être indemniser de leur préjudice.
102. On s’aperçoit donc que selon le point de vue adopté, l’action de groupe
dispose d’un fort pouvoir de dissuasion envers les entreprises mais d’un faible
pouvoir d’incitation pour les consommateurs.
En effet, ces derniers, après avoir enduré une longue procédure menant à leur
indemnisation se heurteront à la seule réparation de leurs préjudices
patrimoniaux résultant des dommages matériels subis (Section 1) ce qui
correspond dans les conflits de concurrence à des sommes d’indemnisation futile
(Section 2).
Section 1 : l’unique réparation des préjudices patrimoniaux résultant des
dommages matériels subis
103. L’article L.423 – 1 alinéa 2 du code de la consommation dispose : « L'action
de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux
résultant des dommages matériels subis par les consommateurs ».
Ce texte limite donc le champ d’application de l’action de groupe.
Un constat sémantique nous indique que la distinction faite par une partie de la
doctrine entre le dommage et le préjudice trouve sa consécration dans cet article
du Code de la consommation. Les dommages sont « les atteintes, les lésions
subies par la victime dans sa personne ou dans ses biens »41
. Quant à eux, les
préjudices sont les conséquences du dommage : ceux – ci peuvent être
patrimoniaux ou extra – patrimoniaux.
De plus, la réduction du champ de l’indemnisation ne s’arrêt pas là puisque
l’indication dans la loi aux « dommages matériels » visent à exclure toute
41
C.PELLETIER, « Le bien fondé des actions engagées », RDC, 15 juin 2015, n°2, p.403.
51
indemnisation des dommages corporels que pourraient subir les consommateurs ;
aussi bien, dans leur dimension extra – patrimoniale que dans leur dimension
patrimoniale. Ces dommages sont très peu invoquées en droit de la concurrence
donc la conséquence n’est pas majeure sur l’action de groupe suite à une pratique
anticoncurrentielle.
Le législateur, par cette exclusion a voulu faciliter la tâche des juges civils,
évitant que le préjudice ne soit trop individualisé. Il est à signaler que le projet de
loi du 15 octobre 2014 relatif à la santé qui semble être le support de l’extension
au domaine de la santé de l’action de groupe, vise à réparer les dommages
corporels que peuvent causer la mauvaise utilisation de produit de santé ou leur
défectuosité42
.
104. En outre, sont également écartées les préjudices extrapatrimoniaux, c’est – à
– dire les préjudices moraux qui peuvent découler de dommage matériel.
Pour ces préjudices, les consommateurs devront agir dans le cadre d’actions
individuelles et connaitront les mêmes inconvénients qu’avant la loi Hamon.
Seront donc réparables les préjudices patrimoniaux qui découlent donc d’une
atteinte matérielle aux biens des consommateurs tels que les dégradations ou les
destructions mais aussi les préjudices économiques purs.
Ces derniers ne relèvent pas vraiment d’un dommage matériel de sorte que l’on
aurait pu douter de leur indemnisation dans le cadre de cette loi. Néanmoins, ceci
semble n’être qu’une maladresse « de plume » puisque l’action consécutive à des
pratiques anticoncurrentielles à vocation à s’appliquer seulement dans ces cas de
préjudices économiques.
105. On s’aperçoit donc de la finalité de l’action de groupe par le biais de la
limitation des préjudices réparables dans le cadre d’une action de groupe : il
s’agit de rendre le droit de la consommation plus efficace et de permettre aux
consommateurs subissant des préjudices patrimoniaux de faible importance
d’être indemnisés.
Section 2 : la futilité des demandes d’indemnisation
42
Art 45, Projet de loi de modernisation de notre système de santé (AFSX1418355L)
52
106. Le terme « futilité » est à utiliser avec précaution. Il est ici question de la
« futilité » des sommes du point de vue du consommateur.
107. En revanche, les sommes en jeu sont considérables pour les entreprises
françaises concernées par une action de groupe. Cinq actions ont été lancées
depuis que cette procédure a été rendue possible le 1er
octobre 2014, une a été
abandonnée par l’association SLC – CSF contre Paris Habitat en contrepartie
d’un règlement amiable.
Les actions en cours concernent :
- L’association Familles rurales qui accuse SFR de pratiques commerciales
illicites concernant sa couverture 4G
- L'UFC Que Choisir attaque le réseau immobilier Foncia pour avoir fait
supporter un service « d’avis d’échéance » de 2,3 euros par mois alors
qu’il est interdit de faire supporter ce service par les locataires.
- La CLCV a introduit une action contre le contrat d’assurance vie Cler géré
par Axa.
- La CNL a dénoncé une clause abusive dans les contrats du bailleur social
3F.
Ainsi, à titre d’exemple, l’action opposant l’UFC Que Choisir et le réseau
immobilier Foncia. Celle – ci peut être vue sous deux angles opposés.
Du point de vue de l’entreprise, le risque pécuniaire est de 44 millions d’euros.
Du point de vue de chacun des 318 000 locataires de Foncia entre 2009 et 2014,
le succès de cette action de groupe représente en moyenne 138,36 euros.
On voit donc cette asymétrie mais celle – ci fait toute la force de l’action de
groupe. La raison d’être de ces actions de groupe est l’existence de ces « petits »
préjudices, ces préjudices subis suite à des litiges « quotidiens ».
Avant que la possibilité d’action collective n’existe, le consommateur qui
subissaient ces préjudices ne faisait pas valoir ses droits en justice puisqu’une
procédure judiciaire lui aurait couté plus cher que ce qu’il réclame au(x)
professionnel(s). Ajouté à cela, l’aléa judiciaire et le consommateur n’agissait
que très rarement.
53
A titre d’exemple, dans le cadre de l’affaire du cartel de la téléphonie mobile, 20
millions d’abonnés pouvait potentiellement demander réparation de leur
préjudice qui s’élevait en moyenne à 60 euros.
Seul 0,13% de ces deux cent millions d’abonnés à des forfaits téléphoniques l’ont
effectivement fait, soit 26 000 individus.
Pour qu’une action privée soit engagée dans ces litiges du « quotidien », deux
motifs principaux guident les consommateurs : l’enjeu pécuniaire du procès et le
temps que prendra ce procès.
On voit donc que la faiblesse des sommes qui seront réclamées est inhérente à
l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles.
Le manque d’attractivité qui découlera de cette procédure n’est pas
fondamentalement du à ces sommes minimes. Le défaut d’attractivité, s’il y en a
un, sera à rechercher en mettant en relation la faiblesse de l’enjeu pécuniaire pour
un consommateur avec le temps que l’instance prendra.
Cette longueur excessive de la procédure couplée à un faible enjeu découragera
un grand nombre de consommateurs qui, même s’ils sont séduits par l’idée d’une
réparation de ces petits préjudices, ne sacrifieront pas du temps et de l’énergie
pour quelques dizaines d’euros.
54
Conclusion Première partie
108. L’action de groupe en matière de concurrence devra, avant de célébrer son
succès, passer deux obstacles de taille : les juges et les associations de
consommateurs.
Si l’enthousiasme semble de mise, il faudra surveiller quel est le comportement
que les juges adopteront quant à l’action de groupe en cette matière : est – ce
qu’ils seront prêts à lui ouvrir les bras pour en faire un moyen complémentaire de
lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.
Ou bien, au contraire, vont – ils estimer que la sanction publique est une sanction
suffisante, à l’heure où celles – ci augmentent d’années en années, en accordant
des dommages et intérêts très faibles aux victimes ou en rallongeant la
procédure ?
Autre interrogation légitime : la non - spécialisation des tribunaux va t – elle
entrainer une disparité des règlements de ces actions collectives particulières ?
109. En outre, il faudra également surveiller le comportement des
consommateurs qui ne semblent pas, pour le moment, armées pour engager des
actions de groupe en matière de concurrence (d’ailleurs aucune n’a été introduite)
et qui rencontreront des problèmes financiers et d’organisation interne.
Ajoutez à cela la « guerre de l’image » opposant les associations et les
entreprises et vous obtiendrez un cocktail qui ne semble pas tout à fait offrir les
garanties d’un succès de l’action de groupe.
110. Toutes ces questions (parait – il qu’il faut en poser pour être un bon
juriste ?) trouveront leur réponse dans les prochaines années, ces premières
années si importantes pour le succès de l’action de groupe, qui ont tant fait défaut
à l’action en représentation conjointe.
55
SECONDE PARTIE : LES DIFFICULTES DE FOND DE L’ACTION DE
GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
TITRE I : L’ECLUSE DE LA DETERMINATION DU PREJUDICE
INDEMNISABLE
110. Le principe de la réparation intégrale des préjudices subis constitue l’un des
principes fondamentaux de notre droit de la responsabilité civile. En vertu de ce
dernier, la victime d’une pratique anticoncurrentielle a droit à la réparation « de
tout le préjudice, rien que le préjudice ». Encore faut – il être en mesure de
chiffrer ce préjudice et le prouver.
Laurence Idot relève le fait que « la preuve du préjudice pose problème (…) la
difficulté n’est pas propre au droit de la concurrence – elle est inhérente au droit
de la responsabilité civile – mais il est vrai qu’elle prend en cette matière une
toute autre ampleur »43
.
111. A ce stade, il convient de préciser et de souligner que cette incertitude quant
à l’évaluation du préjudice ne pose aucun obstacle que le juge ne pourrait
surmonter. Cette difficulté ne s’oppose pas à l’administration de la justice par le
juge. En effet, de tout temps, les juges du fond ont souverainement résolu cette
question. C’est en cela que l’on peut affirmer que l’obstacle fondamental n’est
pas dans l’incertitude mais est le degré de précision attendu d’un magistrat.
Deux problèmes prennent tout leur sens dans le cadre d’une action de groupe en
matière de concurrence. D’une part, l’inhérente difficulté à quantifier la part
imputable à la pratique concurrentielle (chapitre 1) et d’autre part, la difficulté
probatoire consubstantielle aux conflits issus de pratiques anticoncurrentielles
(chapitre 2).
CHAPITRE 1 : L’inhérente difficulté à quantifier la part du préjudice imputable
à la pratique concurrentielle
112. Concernant la quantification du préjudice consécutif à une pratique
anticoncurrentielle, deux difficultés majeures semblent se présenter au juge.
43
L. IDOT, « Rapport de synthèse », in Potentialité et réalité de l’action au civil en matière de
concurrence, La réparation du préjudice causé par une pratique anti-concurrentielle en France et
à l’étranger : bilan et perspectives. Grand’ Chambre de la Cour de Cassation, 17 octobre 2005.
56
D’une part, ce dernier devra évaluer approximativement le préjudice (Section 1)
et d’autre part, le magistrat sera confronté à la question de la répercussion de la
pratique anticoncurrentielle sur le prix (Section 2).
Section 1 : L’évaluation approximative du préjudice
L’évaluation du préjudice qu’auront subis les consommateurs d’une action de
groupe sera nécessairement le fruit d’une approximation.
Le juge français, assisté par les économistes de l’Autorité de la Concurrence,
devra se soumettre à une réalité qu’est l’impossibilité de chiffrer de façon
certaine le préjudice (Paragraphe 1). Cette réalité n’en est pas moins
insurmontable puisque il est demandé au juge de respecter un standard, le
standard de l’approximation « raisonnable » (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L’impossibilité de chiffrer de façon certaine le préjudice
113. Dans le cadre d’une action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, l’association, demanderesse, va se retrouver face à
l’exigence d’échafauder un scénario qui tend à démontrer quelle aurait été la
situation si les opérateurs économiques, défendeurs, n’avaient pas commis
d’infractions au droit de la concurrence.
Grâce au principe du follow on, on pourrait affirmer que la démonstration et la
preuve de l’infraction au droit de la concurrence sera évidente. Néanmoins, la
question qui se posera au juge français sera de déterminer, par exemple dans un
cas d’entente sur les prix, quelle part du prix est due à la pratique concurrentielle
et quelle portion du prix correspond à l’évolution « normale » du marché
appréhendé.
C’est ainsi que Muriel Chagny affirme que face à la complexité de
« l’établissement du préjudice et notamment du scénario contrefactuel, les
méthodes d’évaluation du préjudice proposées par la Commission reposent en
57
effet sur un nombre important d’hypothèses, et ce faisant peuvent atténuer le
caractère certain du préjudice »44
.
Le rapport Oxera, commandé par la Commission européenne, confirme que
s’agissant de la réparation des infractions au droit de la concurrence, il est
impossible d’atteindre un niveau de précision se rapprochant de la « certitude »
ou de la « vérité ». En effet, comme Muriel Chagny le soulignait45
, le
raisonnement intellectuel consistant à mettre le demandeur dans la situation
financière qui aurait été la sienne si les règles de concurrence n’avaient pas été
violés (but for)46
est, de facto, fictif et donc imprécis. Une marge d’erreur est
inéluctable.
Néanmoins plusieurs méthodes économiques sont disponibles pour la
détermination du scénario contrefactuel. Quoiqu’imparfaites, trois approches sont
à la disposition de l’Autorité de la Concurrence ou bien du juge.
Premièrement, l’approche par comparaison qui se décline en deux méthodes.
Ainsi, la première méthode consiste à « comparer l’évolution des prix sur des
marchés de produit ou des marchés géographiques similaires au marché cible
sur lequel on souhaite mesurer l’effet de la restriction de concurrence et qui
n’ont pas été affectés à l’infraction »47
. Il convient alors d’appréhender la
différence de prix entre le marché étalon et le marché considéré, la différence
étant alors imputable à la pratique anticoncurrentielle.
En outre, il est possible de faire une comparaison temporelle. Selon cette
méthode, la comparaison s’opère entre les périodes avant et après la commission
de l’infraction au droit de la concurrence sur le même marché géographique et de
produit. Cette comparaison permettrait au juge d’appréhender la situation du
consommateur avant la commission de l’infraction.
Deuxièmement, l’approche financière est envisageable. Celle – ci permet la
reconstruction du « prix contrefactuel par estimation directe à partir du coût de
44
AFEC, Observations formulées par l’AFEC sur le projet de documentation d’orientation
relatif à la quantification du préjudice, 2011, p.13. 45
supra 46
Rapport Oxera, préc. §2.1 p.30 « to put a claimant into the financial position
that it would have been in but for the breach of the antitrust rules ». 47
G. ZAMBRANO, L’inefficacité de l’action civile en réparation des infractions
du droit de la concurrence, thèse soutenue en novembre 2012
58
production et de la marge bénéficiaire »48
. Ainsi, une augmentation de la marge
bénéficiaire de l’auteur (ou des auteurs) de l’infraction permet de chiffrer la
correction à apporter pour retrouver le prix contrefactuel. L’obtention du prix
contrefactuel passe par l’opération de retranchement de la marge bénéficiaire
anormale du prix observé puisque l’évolution du coût de production est connue.
Enfin, la dernière approche à envisager est l’approche par modélisation. Cette
approche consiste à utiliser des modèles simulant la réalité observée. La théorie
micro – économique moderne de l’Organisation industrielle a permis l’utilisation
de tels modèles49
. Un modèle suffisamment précis parviendra à un résultat simulé
identique au résultat observé. Ainsi, le scénario contrefactuel est élaboré à partir
de données butes réelles dans un modèle de concurrence imparfaite qui
correspond à la situation du marché si l’infraction n’avait pas été commise.
114. Dans le cadre d’une action de groupe en matière de concurrence,
l’imprécision de toutes ces méthodes risquent d’être source de nombreuses
divergences. En effet, un des débats récurrents devant l’Autorité de la
Concurrence dans le cadre du public enforcement, est l’étendue du dommage à
l’économie provoquée par la pratique anticoncurrentielle. Si l’appréciation de ce
dommage à l’économie fait déjà l’objet de contestations récurrentes de la part des
professionnels incriminés, sa conversion en un préjudice individuel indemnisable
sera forcément source de nombreux désaccords devant les tribunaux de grande
instance compétents.
Ces méthodes sont utilisées, de façon usuelle, par les économistes de l’Autorité
de la Concurrence ; néanmoins, dans le cadre de l’action de groupe « à la
française », le juge devra trancher la question du préjudice patrimonial et en
cette matière, les magistrats français sont encore loin d’être à la hauteur des
économistes de l’Autorité.
Néanmoins, même un économiste ne peut chiffrer de façon certaine un préjudice
et, conscient de cette impasse, il est demandé au juge une approximation
« raisonnable » du préjudice.
48
ibid 49
Travaux dérivés de la théorie classique de Joe S. Bain, Industrial Organization (1959),
représentée en France notamment par l’Institut d’Economie Industrielle de Toulouse, et son
directeur Jean Tirole, médaille d’Or du CNRS 2007, Prix Nobel d’Economie 2014.
59
Paragraphe 2 : Le standard de l’approximation « raisonnable »
115. Le principe de réparation intégrale du préjudice ne doit pas être un principe
qui confine à opérer un déni de justice en présence d’une approximation quant au
quantum du préjudice subi par le ou les consommateurs. Ainsi, les juges du fond,
fixant tant bien que mal le montant du préjudice subis par les victimes d’une
pratique anticoncurrentielle, dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation (I)
dans le domaine. Néanmoins, l’approximation qui pouvait paraitre raisonnable
lors de la réparation du préjudice d’un ou d’une dizaine de consommateurs peut,
par le coefficient multiplicateur de l’action de groupe, peut poser problème.
I) Le pouvoir souverain des juges du fond
116. Partons du sacrosaint principe de réparation intégrale du préjudice qui invite
les juges à indemniser les consommateurs « sans qu’il en résulte ni perte ni profit
pour la victime »50
. En vertu de ce principe, les juges semblent enfermer et
contraint à évaluer de façon très précise le préjudice qu’a subi le consommateur.
Or, le juge du fond français dispose d’un pouvoir souverain en ce domaine de la
détermination du préjudice et il l’utilise au gré des espèces et en fonction des
données qu’il a à sa disposition. C’est là tout le rôle du juge.
La Cour de cassation ne s’oppose pas à cette vision quelque peu approximative,
bien au contraire : « les juges du fond apprécient souverainement le préjudice qui
résulte d’une infraction »51
. En conséquence, la Cour de cassation rejette
immanquablement les pourvois critiquant l’appréciation du préjudice faite par les
juges du fond, au motif que le juge « n’a fait qu’apprécier souverainement, dans
la limite des conclusions des parties, l’indemnité propre à réparer le dommage
né de l’infraction »52
. Les juges du fond ont donc toute latitude pour apprécier à
la fois l’existence du préjudice mais aussi son étendue.
50
Cass. Crim. 11 avril 2012, n°11-83007 : « vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale,
ensemble l’article 1382 du code civil ; attendu que le préjudice résultant d’une infraction doit
être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune parties ». 51
Jurisprudence constante : Cass. Crim. 20 novembre 1968, n° 68 -91246 ; Bull. 308. 52
Cass. Crim. 7 février 2012, n°11-83131
60
Conséquence direct de ce pouvoir des juges de première instance et des juges
d’appel : la Cour de cassation n’exerce donc pas de son pouvoir de vérification
sur cet aspect-là de la décision.
117. En matière d’action de groupe, le juge du Tribunal de grande instance
disposera donc d’un pouvoir souverain dans la détermination du préjudice des
différents consommateurs. Ce juge civil devra donc faire face à une multiplicité
de situations différentes. L’évaluation du préjudice ne peut se limiter à un calcul
mécanique mais doit prendre en compte « les spécificités de chaque affaire, de
chaque marché mais également de chaque victime »53
de la pratique
anticoncurrentielle. Comme vu précédemment, le juge devra s’affranchir de ce
travail ; or, en cas d’actions de groupe, ce travail semble fastidieux voire
impossible pour le juge.
Cette appréciation souveraine des juges du fond, en réalité, laisse place à une
forte dépendance à l’égard des experts. Ainsi, certains auteurs souligne le fait que
« le juge se retrouve très dépendant de l’avis de l’expert qu’il nomme pour
l’éclairer sur le calcul du montant du préjudice économique »54
. D’autres, dans
le même sens, redoute « l’abdication du juge » devant l’expert55
.
L’article 17 de la directive 2014/104/CE précise que les juges civils seront
habilités « à estimer le montant du préjudice », il est ici question d’estimation. Et
ces derniers pourront demander de l’aide à l’autorité nationale de concurrence.
L’Union Européenne encourage donc cette collaboration du juge et des
économistes.
Cette dépendance à l’expert n’est pas à blâmer puisque l’expert est spécialiste en
la matière mais cela interroge sur la fonction du juge dans ces conflits.
118. C’est pourquoi, ce standard de l’approximation raisonnable, utilisée pour
combler l’impossibilité d’établir un préjudice conforme à la réalité, semble mis à
mal par le coefficient multiplicateur de l’action de groupe.
53
F. MASMI - DAZI, « Le quantum du préjudice deviendra – t – il le centre de gravité des
actions en réparation de dommages concurrentiels », RLC 2710, p 102. 54
F.BELOT, « Pour une reconnaissance en droit français de la notion de préjudice
économique », Les petites affiches, 28 décembre 2005, p.8. 55
P. NERHOT, « Quelques réflexions sur l’expertise en droit européen de la concurrence »
Archives de Philosophie du Droit, t.33 1988, p. 301.
61
II) L’approximation face au spectre de l’action de groupe
119. Cette approximation raisonnable, communément admise par la doctrine, ne
semble pas adaptée à cette nouvelle action mise en place par la loi dite
« Hamon » : l’action de groupe. D’ailleurs, certaines voix dissonantes existent.
Guy Canivet, par exemple, affirme que « le gros défaut de notre système
d’indemnisation du dommage est son approximation »56
. Claude Lucas de
Leyssac, quant à lui, dénonce le fait que les règles du Code civil de 1804 ne
permettent pas « une sanction adéquate des pratiques anticoncurrentielles »57
.
Ces remarques qui semblaient peu importantes lorsque l’approximation
s’appliquait à quelques demandeurs, personnes physiques, isolés prennent tout
leur sens dans le cadre d’une action de groupe.
Certains argueront qu’après tout l’action de groupe permet l’action de personnes
physiques qui sont dans des situations « similaires » ou « identiques » et donc le
problème se poserait dans les mêmes termes. La seule donnée à modifier serait le
nombre « d’approximations raisonnables » qu’il faudrait multiplier par le nombre
de consommateurs concernés. Il faudrait alors accepter une approximation
raisonnable pour des centaines, des milliers voire des millions de
consommateurs.
Mais, précisément, c’est le coefficient multiplicateur de l’action de groupe qui
rend l’approximation déraisonnable.
120. D’une part, le juge, face à cette multiplicité de situations, ne pourra pas
individualiser son évaluation du préjudice à chacun. Il sera contraint d’établir des
« catégories » de personnes qui pourront prétendre à la compensation de leur
préjudice. Il ne s’agit alors plus d’individualisation du préjudice mais de
catégorisation, ce qui pose problème à une bonne administration de la justice
pour le consommateur.
D’autre part, le juge va rencontrer un souci majeur dans l’évaluation du préjudice
et va devoir opter pour une des deux branches de cette option.
56
G. CANIVET, « Introduire l’action collective est une évolution inéluctable », La Tribune, 16
mai 2006. 57
C. LUCAS DE LEYSSAC, « Rapport de synthèse », Les sanctions judiciaires des pratiques
anticoncurrentielles, Paris I, 29 avril 2004, Les Petites Affiches, 20 janvier 2005, n°14, p.65.
62
Soit le juge, appliquant le scénario contrefactuel, minore le préjudice
effectivement rencontrés par les consommateurs. Dans ce cas, la réparation
intégrale du préjudice ne sera qu’un principe incantatoire pour les
consommateurs mais ne s’appliquera pas à leur situation. Quant au(x)
professionnel(s), ayant commis une infraction au droit de la concurrence, il
n’aura pas réparé l’entier préjudice qu’il aura commis au consommateur, laissant
la porte grande ouverte aux fautes lucratives.
Soit le juge va majorer le préjudice effectivement rencontrés par les
consommateurs, ce qui semble moins probable. Alors, dans cette hypothèse, les
entreprises, après avoir payées une amende pour le dommage causé à l’économie,
indemniseront de façon exagérée des consommateurs. Le principe de réparation
intégrale du préjudice sera tout autant bafoué : rien que le préjudice nous dit-on
… . Cette hypothèse semble néanmoins « d’école » puisque l’entreprise en
question aura, dans la plupart des cas, déjà payée l’amende du public
enforcement et pourra alléguer d’un risque financier, éventuellement social ou
bien encore politique.
C’est donc ce facteur mutiplicateur, correspondant à la multiplicité de
consommateurs ayant usé de leur faculté d’opt – in, qui pourrait faire passer cette
approximation de raisonnable à problématique.
121. Si le juge devra se contenter d’une évaluation approximative du préjudice,
inhérente à la matière concurrentielle, il va devoir appréhender des situations
dans lesquelles les acteurs du marché, dans lequel une pratique contraire au
article 101 et 102 TFUE ou L 420 – 1 et L 420 – 2 du Code de commerce,
répercutent la pratique en question sur les prix.
Section 2 : La répercussion de la pratique anticoncurrentielle sur le prix
122. Deux problèmes majeurs se posent concernant d’éventuelles actions de
groupe en droit de la concurrence : celui du passing on (Paragraphe 1) et la
pratique dite des « prix ombrelles » (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le passing on (la directive européenne prend position art 12)
63
123. Les consommateurs se situent à l’extrémité de la chaine économique, ils
constituent le maillon final de la chaine de distribution. Ils peuvent donc être très
éloignés de l’infraction, par exemple commis par les producteurs ou bien par
certains fournisseurs ; ce qui rend très difficiles la preuve de l’existence d’un
préjudice.
En revanche, les acheteurs directs des opérateurs économiques coupables de
pratiques anticoncurrentielles sont eux en mesure de répercuter le surcoût
occasionné par la pratique sur leur propre prix qu’ils proposeront aux
consommateurs.
Le problème de la répercussion du surcout manifeste donc la spécificité de la
revente58
. Le surcoût occasionné correspond à un gain illicite pour l’auteur de la
pratique anticoncurrentielle. Cette répercussion pose la question de la véritable
victime du surcoût, fruit de la pratique illicite.
En premier lieu, ce surcoût est supporté par l’acheteur direct des auteurs de
l’infraction. Toutefois, il est tout à fait possible que l’acheteur direct soit un
maillon intermédiaire de la chaine de distribution et qu’il répercute donc le
surcoût illégal sur ses propres clients.
Dans cette hypothèse, l’acheteur direct ne peut se prévaloir d’un préjudice
puisqu’il a récupéré en aval ce qu’il a perdu en amont. Elle s’est donc faite
justice elle – même en faisant supporter le surcoût illicite au maillon de la chaine
économique inférieur.
La Commission européenne, dans son Livre Blanc de 2008 relatif aux actions en
dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires de
concurrence, alerte les juges européens en affirmant que si les magistrats civils
ne prennent pas en compte cette répercussion du surcoût par le chainon
intermédiaire alors le risque serait « l’enrichissement sans cause des acheteurs
qui ont répercuté le surcoût » et « occasionner une réparation multiple
injustifiée, par le défendeur, pour les surcoûts illégaux imposés »59
.
Ainsi, dans sa directive relative aux actions en dommages et intérêts des victimes
d’infractions au droit de la concurrence publiée au Journal Officiel de l’Union
58
D. MAINGUY, La revente, Litec, 1996, [Doctorat : Droit : Univ. Montepellier
I] 59
Commission européenne, Livre Blanc sur « les actions en dommages et intérêts pour
infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante » point
2.6 « répercussion des surcoûts », 2008.
64
européenne du 5 décembre 201460
, l’Union Européenne admet ce moyen de
« passing – on defence » (article 12).
124. En vertu de ce moyen, l’auteur de la pratique anticoncurrentielle, à
l’occasion d’une action en dommages et intérêts de son acheteur direct, peut lui
invoquer le fait qu’il a répercuté l’augmentation des prix sur ses propres clients et
qu’en conséquence il n’a subi aucune perte, aucun préjudice. Cet argument
permet donc à l’auteur de la pratique de ne pas indemniser un acquéreur qui
n’aurait, de facto, pas supporter le surcoût illicite.
Mais cet argument de « passing – on defence » pourra être utilisée par
l’association de consommateurs introduisant une action de groupe en matière de
concurrence. Cet argument sera donc profitable aux acheteurs indirects
également.
En effet, les acheteurs indirects pourront invoquer ce moyen dans le but de
démontrer que ce sont eux les « véritables » victimes de la pratique
anticoncurrentielle.
125. Néanmoins, cet argument juridique rencontre une difficulté majeure : du fait
de leur éloignement, les acheteurs indirects éprouveront des difficultés à produire
la preuve permettant d’évaluer l’ampleur de la répercussion. Faute de preuve, les
acheteurs indirects, parties à une action de groupe, ne pourront être indemnisé de
leurs préjudices61
. La directive suscitée, pour faciliter cette preuve, pose une
présomption réfragable : le surcoût illégal amené par la pratique se répercute en
totalité sur ces dernières.
Avant l’édiction de la directive européenne n°2014/104/CE, l’argument du
passing – on defence a été consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation
dans plusieurs cas de demande de réparation d’un acheteur direct se prétendant
victime d’une pratique anticoncurrentielle. Ainsi, en 2006, le tribunal
commercial de Nanterre dans l’affaire des vitamines a débouté la partie
demanderesse, arguant que la possibilité pour cette dernière de répercuter à la
hausse le prix de vente pratiqué à ses clients exluait toute demande en réparation,
60
Directive 2014/104/CE relative à certaines règles régissant les actions en dommages et
intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des
Etats Membres et de l’Union Européenne, 26 nov. 2014, JOUE L.394, p.1). 61
En ce sens Avis de l’Autorité de la Concurrence « relatif à l’action de groupe en matière de
pratiques anticoncurrentielles », 21 sept. 2006.
65
sans rechercher si elle avait concrètement augmenté ses prix ou non62
. Le tribunal
a donc fondé sa décision sur la base d’une présomption de répercussion du
surcoût.
La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la question en 201063
en
admettant le moyen tiré du « passing – on defence ». Elle censure un arrêt de la
Cour d’appel de Paris en indiquant que celle – ci aurait dû vérifier si les
entreprises plaignantes avaient répercuté le surcoût sur leurs propres clients. La
position est donc sensiblement différente de celle du tribunal de Nanterre puisque
la Cour de cassation ne se fonde pas sur une présomption de répercussion du
surcoût illicite.
126. En conclusion, les juges du fond français, devrait admettre un tel argument
dans le cadre d’une action de groupe en matière de concurrence en appliquant la
présomption réfragable de la directive européenne 2014/104/CE.
Il est intéressant de signaler, qu’à l’heure actuelle, cet argument n’a été invoqué
que de manière défensive, c’est – à – dire par l’auteur de la pratique
anticoncurrentielle pour se défendre contre une action de son acheteur direct. Il
n’existe pas encore d’illustrations dans lesquelles des victimes indirectes (ou bien
même une victime) invoquent cet argument.
L’action de groupe en matière de concurrence pourra, peut – être, être précurseur
en la matière en invoquant de manière « offensive » ce passing on defence.
Outre la question de la répercussion du surcoût, un autre phénomène d’actualités
pourrait intéresser le juge civil saisi d’une action de groupe en matière de
concurrence : c’est la problématique des prix ombrelles.
Paragraphe 2 : le prix ombrelle
127. Le prix ombrelle, ou « umbrella pricing » ou encore le phénomène de prix
de « protection » consiste, pour des entreprises étrangères à la pratique
anticoncurrentielle de profiter de ses conséquences sur le marché en augmentant
ses prix.
62
Trib. Com. Nanterre, 11 mai 2006, SA Laboratoires Arkopharma c/ Sté Roche et sté F.
Hoffman La Roche 63
Cass. Com., 15 juin 2010, Ajinomoto Eurolysine c/ Doux Aliments Bretagne e.a., n°09-15816
66
Le contractant est donc une victime indirecte de la pratique anticoncurrentielle
puisqu’il contracte avec une entreprise qui n’a pas pris part à la pratique
anticoncurrentielle, ayant provoqué une hausse des prix sur le marché, mais qui
en a profité pour augmenter les prix de ses prestations.
L’arrêt Kone du 5 juin 2014 évoque cette hypothèse de « l’umbrella pricing »64
.
La victime indirecte du cartel dit « des ascenseurs » demandait aux entreprises
ayant pris part à ce cartel de réparer le préjudice qui consiste en l’écart du prix
qui aurait été pratiqué en l’absence de pratique anticoncurrentielle et le prix qui
s’était établi du fait de l’entente.
128. La singularité et la nouveauté de cette situation tient dans le fait que la
victime « finale » n’a aucun lien avec les auteurs de l’infraction au droit de la
concurrence. Cette dernière a contracté avec un opérateur économique qui n’est
pas fautif puisqu’il n’a pas participé à l’entente et il n’est pas non plus victime
puisqu’il a profité des effets de la pratique pour s’enrichir. Cet opérateur
économique a déterminé sa stratégie de façon isolée, sans le concours des
membres du cartel et donc le seul lien qui existe entre la victime et les auteurs de
l’entente est le marché « des ascenseurs ».
Plusieurs problématiques du droit civil sont soulevées par cet arrêt de la Cour de
Justice de l’Union Européenne. D’une part, il faut se demander si l’écran que
forme l’intermédiaire empêche le préjudice d’être direct au sens de l’article 1151
du Code civil par exemple. On peut ainsi évoquer la théorie de l’équivalence des
conditions : le comportement opportuniste de l’intermédiaire est la conséquence
directe de la commission de l’infraction par les membres du cartel. Néanmoins,
cet opérateur économique intermédiaire, qui a agi de façon parfaitement
autonome, s’oppose au critère de prévisibilité entre la faute et le dommage,
exigée par la théorie de la causalité adéquate65
. Effectivement, les auteurs de
l’infraction au droit de la concurrence n’ont sans doute pas prévus les
comportements opportunistes de concurrents ne participant pas à la commission
de l’infraction.
64
CJUE, Kone c. ÖBB – Infrastruktur, 5 juin 2014, C - n°557 - 12 65
G. PARLEANI, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne (Paris I), « Prix ombrelle,
responsabilité des participants à l’entente, et européanisation du lien de causalité », AJ Contrats
d’affaires – Concurrence – Distribution 2014, p.235.
67
129. La Cour de Justice a, dans cette décision, cherché à élever le pilier du
« private enforcement » en retenant une conception pragmatique de lien de
causalité.
La Cour commence par affirmer que la question de la responsabilité civile relève
de la compétence du droit de l’Union et que les consommateurs doivent
bénéficier dans tous les Etats membres de la même protection afin d’éviter le
forum shopping.
Ensuite, la Cour poursuit en estimant que les victimes finales d’une telle situation
ne peuvent être privé de toute action pour faire valoir leurs droits et indemniser le
préjudice subi.
Enfin, elle impose un lien de causalité « suffisamment direct » pour que les
victimes puissent être indemnisées. Un lein de causalité « suffisamment direct »
n’impose pas un lien contractuel entre la victime et les membres du cartel mais
les victimes doivent tout de même prouver que le marché en question rendait
possible un phénomène de prix ombrelle et que les membres du cartel ne pouvait
l’ignorer. Cette deuxième condition ne doit pas conduire à une preuve impossible
pour les consommateurs de l’intention des membres du cartel. Cela passera par
l’analyse de la structure du marché et d nombre d’entreprises concernés par
l’entente en question.
Cette décision de la Cour de Justice est très instructive et pourrait se révéler
destructrice pour certaines entreprises, membres d’un cartel. En effet, dans le
cadre d’une action de groupe en matière de concurrence, les membres du cartel se
verrait infliger une amende dans le cadre de l’action publique ; à cela, pourrait y
succéder une action de groupe des consommateurs ayant été liés
contractuellement avec les auteurs de l’infraction. Et enfin, cerise sur le gâteau,
des consommateurs ayant contracté avec des concurrents qui n’avaient pas pris
part à la pratique anticoncurrentielle pourrait introduire à leur tour une action de
groupe par le biais d’une association de consommateurs afin d’être indemnisé du
préjudice subi, préjudice consistant à la hausse des prix. Cette hausse étant rendu
possible grâce à l’infraction au droit de la concurrence des autres membres du
marché.
130. Cette menace est à prendre très au sérieux pour les entreprises puisqu’il est
nécessaire de provisionner ce risque de condamnation et le phénomène
d’ « umbrella pricing » élargi considérablement l’assiette des consommateurs
susceptibles de se joindre à l’action de groupe.
68
Le juge civil, malgré l’assistance de l’Autorité de la Concurrence va donc se
trouver confronté à l’obstacle du préjudice indemnisable. Mais cette difficulté
n’est pas propre au juge. En effet, les consommateurs, membres d’une action de
groupe, vont être confrontés à cet obstacle majeur.
Ceux – ci devront avant tout prouver qu’ils ont subis un préjudice et une fois cela
démontré, ils devront chiffrer ce préjudice toujours à l’aide de documents
probatoires qui peuvent s’avérer extrêmement périlleux à obtenir.
CHAPITRE 2 : L’asymétrie probatoire consubstantielle aux conflits
concurrentiels
131. L’article L423 – 17 du Code de la consommation dispose : « Lorsque les
manquements reprochés au professionnel portent sur le respect des règles
définies au titre II du Livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102
du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la responsabilité du
professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l'action mentionnée à
l'article L. 423-1 que sur le fondement d'une décision prononcée à l'encontre du
professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l'Union
européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus
susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des manquements.
« Dans ces cas, les manquements du professionnel sont réputés établis de
manière irréfragable pour l'application de l'article L. 423-3 ».
Le manquement du professionnel constaté par une autorité nationale de
concurrence ou par la Commission établit de manière irréfragable la faute dans le
cadre du jugement sur la responsabilité.
Cette solution qui constitue une rupture par rapport au droit français classique est
identique à celle retenue par l’article 9 « Effet des décisions nationales » de la
directive 2014/104/CE :
« Les États membres veillent à ce qu'une infraction au droit de la concurrence
constatée par une décision définitive d'une autorité nationale de concurrence ou
par une instance de recours soit considérée comme établie de manière
irréfragable aux fins d'une action en dommages et intérêts introduite devant
leurs juridictions nationales au titre de l'article 101 ou 102 du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne ou du droit national de la concurrence.
Les États membres veillent à ce que, lorsqu'une décision définitive visée au
paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse,
conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions
69
nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu'une infraction au
droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être
examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties ».
La directive européenne et la loi « Consommation » confèrent donc une autorité
de la chose jugée à la procédure de l’Autorité de la Concurrence. Cette situation
est inédite puisque les Autorités Nationales de Concurrence et la Commission ne
sont pas des juridictions. Or, jusqu’alors, seules les juridictions pouvaient édicter
une décision revêtant l’autorité absolue de chose jugée.
132. L’action de groupe en matière de concurrence étant une action aux fins
d’indemnisation, il convient alors de démontrer une faute, un dommage et un lien
de causalité entre la faute et le dommage. La faute étant irréfragablement
présumé par la procédure de concurrence préalable, il restera à l’association de
consommateurs d’établir le préjudice occasionné et le lien de causalité.
Cette tâche, bien qu’un accès aux preuves figurant dans le dossier d’une autorité
de concurrence soit facilité par la directive européenne 2014/104/CE (Section 1),
semble périlleuse pour les associations de consommateurs qui devront, avec les
consommateurs, s’affranchir de l’obstacle de la non – conservation des
documents probatoires par les consommateurs (Section 2).
Section 1 : Un accès facilité aux preuves figurant dans le dossier d'une autorité de
concurrence
133. L’action en dommages concurrentiels nécessite classiquement la preuve
d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité. La faute ne retiendra pas
notre attention dans cette section puisque dans le cadre de l’action de groupe
celle – ci est présumée en cas de décision de l’Autorité de la Concurrence ; en
revanche, il est clair que « l’asymétrie d’informations entre les victimes et les
participants des pratiques anticoncurrentielles figure parmi les principaux
obstacles à l’engagement des procédures »66
d’indemnisation consécutive à des
pratiques anticoncurrentielles.
La directive européenne 2014/104/CE a réduit cette asymétrie en permettant un
accès facilité à la preuve par un renforcement des pouvoirs du juge national
66
F. MASMI – DAZI, « Le quantum du préjudice deviendra – t – il le centre de
gravité des actions en réparation de dommages concurrentiels ? », RLC 2710, p.
104.
70
(Paragraphe 1) tout en limitant cette accès à la preuve (Paragraphe 2) pour des
cas bien définis.
Paragraphe 1 : Le renforcement des pouvoirs du juge national
134. Les dispositions relatives à l’accès à la preuve sont l’un des apports majeurs
de la directive 2014/104/CE. Celle – ci conserve comme principe d’une
communication de pièces entre les parties dans la mesure du possible mais elle
permet l’accès à des documents lui permettant de fonder son action en
réparation ;
Les victimes de pratiques anticoncurrentielles, dans le cadre d’une action de
groupe notamment, pourront ainsi demander au juge civil la communication de
pièces susceptible de prouver l’existence de leur préjudice ou bien même de le
quantifier.
Pour cela, les parties devront identifier les documents ou la catégorie de
documents sur la base « de données factuelles raisonnablement disponibles »67
.
L’association de consommateurs devra donc identifiée plusieurs éléments : la
nature, l’objet ou bien même le contenu des documents.
135. Toutefois, ces demandes sont soumises au contrôle du juge du Tribunal de
grande instance qui jugera si cette demande est pertinente ou pas. Plus
exactement, le juge devra déterminé si la production de preuves est
« proportionnée » en prenant en compte l’intérêt des demandeurs, des défendeurs
et des tiers. Le juge doit donc évaluer si la production de preuves est basée sur
des données factuelles suffisamment raisonnable, si le « coût » de la production
de preuves n’est pas déraisonnable mais aussi la potentialité que les documents
demandés contiennent des informations confidentielles. Tous ces éléments sont à
prendre en considération.
Cette possibilité constitue un réel progrès pour les victimes de pratiques
anticoncurrentielles. Ainsi, les victimes d’un cartel, qui par nature ne disposent
d’aucune information sur l’impact de la pratique sur les prix pratiqués, pourront
demander l’obtention de documents susceptibles de quantifier leur préjudice.
67
Art 5.2 de la directive 2014/104/CE
71
Ces victimes pourront réclamer aussi la production de preuves figurant dans le
dossier d’une autorité de concurrence. L’article 6 de la directive 2014/104/CE
affirme cela et pose les conditions d’une telle demande. Dans ce cas, le juge
devra, là aussi, apprécier si les intérêts des défendeurs sont respectés mais aussi
si l’efficacité de la mise en œuvre de la concurrence par la sphère publique n’est
pas impactée par cette demande.
Les demandeurs pourront ainsi réclamer, à tout moment, la production de
documents qui préexistaient à l’enquête de concurrence ou bien même certains
documents issus de cette procédure.
Concernant les documents qui existaient avant qu’une enquête de concurrence
s’ouvre, ceux – ci pourront être divulgués à tout moment. Le juge, s’il estime que
la demande est proportionnée, pourra enjoindre aux défendeurs de produire
certaines de ces pièces.
136. De plus, certains documents issus de l’enquête de concurrence pourront
aussi être demandés par les demandeurs. C’est en ce point que réside tout
l’intérêt de ces dispositions. Ainsi, les réponses d’une partie à une autre
concernant une demande de renseignements ou la communication des griefs de
l’Autorité aux parties sont protégés temporairement, jusqu’à la clôture de la
procédure.
Néanmoins, cette limite temporelle n’a pas vocation à s’appliquer pour les
actions de groupe en droit de la concurrence. En effet, en vertu du principe du
« follow on », l’action de groupe en matière de concurrence sera nécessairement
engagée après la clôture de la procédure de l’Autorité, en conséquence ces
documents pourront être réclamés par les associations de consommateurs et
devront être examinées par le juge civil.
137. Si l’accès à la preuve a été facilité pour de futurs consommateurs victimes
de pratiques anticoncurrentiels, il n’en reste pas moins que le juge opèrera un
contrôle de la «proportionnalité de cette demande par rapport aux intérêts
légitimes du défendeur à l’instance.
Paragraphe 2 : Les limites de l’intérêt légitime du défendeur
72
138. La directive ouvrant cet accès à la preuve par les demandeurs a pris soin de
protéger certaines informations, certains documents qui irait, de façon
déraisonnable, à l’encontre des intérêts du ou des défendeurs à l’instance.
Ainsi, l’article 6.6 de la directive pose les limites d’une telle demande en
restreignant l’accès à certains documents :
« Les États membres veillent à ce que, pour les besoins d'une action en
dommages et intérêts, les juridictions nationales ne puissent à aucun moment
enjoindre à une partie ou à un tiers de produire les preuves relevant des
catégories suivantes:
a) les déclarations effectuées en vue d'obtenir la clémence; et
b) les propositions de transaction".
Il est donc inenvisageable qu’un juge enjoigne à une entreprise ou à une autorité
de la concurrence de divulguer des documents relatifs à des demandes de
clémence et également les documents se rapportant à des propositions de
transaction. Cette limite se comprend aisément puisqu’ils vont à l’encontre des
propres intérêts du défendeur et le juge ne peut obliger une partie à divulguer un
document d’une telle force probatoire pour l’adversaire.
Une autre catégorie de documents se soustrait à une demande potentielle de
divulgation : ce sont l’ensemble des correspondances échangées entre l’entreprise
et l’autorité de la concurrence. Ces documents ne peuvent être divulgués à la
partie adverse.
139. Autre difficulté que rencontreront les demandeurs : l’accès à des documents
contenant des secrets d’affaires, couverts par le sceau de la confidentialité. La
directive prévoit que le juge civil devra les modifier afin de masquer les éléments
« sensibles », accorder des audiences « à huit clos » ou bien encore « faire
injonction à des experts de produire des résumés » de ces documents.
On s’aperçoit donc que certains documents disposent d’une protection empêchant
leur divulgation aux demandeurs.
La démarche de la Directive est louable notamment dans le cadre d’une action de
groupe en droit de la concurrence. Les demandeurs seront plus aptes à établir un
préjudice. Néanmoins, les contours de ces productions de preuves ne sont pas
encore tracées par le juge. Les demandes de documents donneront lieu à de
nombreux débats et à de nombreuses décisions des juges des Tribunaux de
grande instance français.
73
Cette problématique va nourrir de nombreux contentieux, notamment dans son
aspect « secrets d’affaires » et dans l’organisation de la procédure d’accès aux
informations. Au fur et à mesure des contestations et des décisions, le juge
définira ce qu’est exactement une demande proportionnée aux intérêts des parties
en cause.
140. Cette Directive pourra permettre à de nombreux consommateurs d’avoir
accès à des documents susceptibles de quantifier le préjudice qu’a engendré
l’infraction au droit de la concurrence. Néanmoins, chaque consommateur devra
prouver l’étendue de son préjudice pour être indemnisé à hauteur du préjudice
qu’il a subi. A ce stade, le consommateur se heurtera à une dernière difficulté
pratique : la non conservation des documents probatoires.
Section 2 : La non - conservation des documents probatoires par les
consommateurs
141. Le législateur a opté pour qu’une action de groupe soit intentée après que la
décision de constat de l’infraction soit définitive. Or, cette décision définitive
peut intervenir très longtemps après la commission des faits, ce qui pose
nécessairement un problème de conservation des preuves.
« Pas de preuve, pas de droit ». Cet adage, quelque peu simpliste, va prendre tout
son sens pour les actions de groupe en matière de concurrence. Le
consommateur, ayant usé de sa faculté d’adhérer au groupe, devra prouver
l’étendue du préjudice que le professionnel aura à lui indemniser.
Cet aspect éminemment pratique va être au cœur de l’étendue de l’indemnisation
des consommateurs.
Prenons le cas d’un cartel : une fois que le juge connaitra les conséquences de la
pratique illicite (très souvent une hausse des prix), il faudra, pour chaque
consommateur, prouver qu’il a acheté des biens sur ce marché et prouver sa
fréquence d’achats si l’opération a été renouvelée.
Une distinction est alors à opérer :
74
- Les hypothèses où les consommateurs seront liés par un « lien stable »
avec l’entreprise auprès de laquelle il achète les biens ou les services68
.
C’est le cas des relations qui se contractualisent autour d’un abonnement ;
par exemple, dans le secteur des télécoms ou le secteur bancaire.
Ces consommateurs n’éprouveront aucune difficulté à prouver leur
préjudice puisque la preuve de la consommation de services ou de biens
résulte de ces abonnements.
- les hypothèses dans lesquelles les consommateurs font des achats
occasionnels.
Dans le cas présent, comment imaginer qu’un consommateur conserve la
totalité des tickets de caisse dans l’éventualité d’une pratique
anticoncurrentielle dévoilée dans le futur. Il faudrait imaginer des
consommateurs qui regrouperaient, pendant plusieurs années, l’ensemble
de leurs facturettes qui indiquent l’achat de leurs pâtes, de leur dentifrice
… .
142. L’actualité la plus significative est celui du cartel de la lessive condamné en
2011 par les autorités européennes et française. Etant précisé, qu’une action de
groupe contre ce cartel n’est pas envisageable puisque le constat d’infraction est
devenu définitif avant que la loi dite « Hamon » n’entre en vigueur.
Néanmoins, œuvre de l’esprit, si une action de groupe « à la française » avait été
possible contre les membres du cartel dit « de la lessive », comment les
consommateurs auraient prouvé l’étendue de leurs préjudices patrimoniaux ? Les
consommateurs auraient été contraints de délivrer au juge l’ensemble de leurs
tickets de caisse de grande surface pendant toute la durée de l’entente, c’est – à –
dire des années 1997 à 2004.
Il n’est pas absurde de penser que la plupart des consommateurs ne conservent
pas des tickets de caisse qui correspondent à des achats quotidiens d’il y a dix –
huit ans.
De plus, sans même s’appesantir sur l’étendue du préjudice subi, quel part de
consommateurs, en 2015, ayant acheté des produits de lessive, conservent ne
serait – ce qu’un ticket de caisse datant de 2004 ? Ici, la problématique est tout
autre puisqu’il s’agit de prouver l’existence d’un préjudice, même pas son
étendue.
68
B. LASSERRE, Président de l’Autorité de la Concurrence, « Les actions indemnitaires des
pratiques anticoncurrentielles après la loi sur l’action de groupe et la directive européenne », 25
sept. 2014, RLC janv. 2015.
75
On peut alors considérer qu’une grande majorité de consommateurs n’auraient
pas pu adhérer à l’action de groupe, faute de preuve.
143. Il convient donc d’observer que, théoriquement, l’action de groupe en
matière de concurrence est une avancée significative pour les consommateurs
souhaitant être indemnisés du préjudice patrimonial subi, aussi minime qu’il soit.
Cependant, le consommateur lambda va se trouver confronté à cet obstacle qui
semble irrémédiable. Il ne pourra pas prouver l’étendue de son préjudice, et a
fortiori, l’existence même de son préjudice du fait de l’exigence d’un constat de
l’infraction définitif.
L’écluse de la détermination du préjudice indemnisable.
144. Les juges du fond vont donc veiller à ce que les préjudices des
consommateurs, victimes directes ou indirectes de pratiques anticoncurrentielles,
soient intégralement indemnisés avec les armes qui sont les siennes et avec l’aide
des économistes de l’Autorité de la concurrence.
Mais le juge devra aussi, dans les premières années de mise en marche de
l’action de groupe, devra aussi concilier la naissance de l’action de groupe avec
les instruments d’actions du droit de la concurrence.
TITRE II : LA DIFFICILE CONCILIATION DE L’ACTION DE
GROUPE AVEC LES INSTRUMENTS D’ACTIONS DU DROIT DE LA
CONCURRENCE
145. Durant la seconde moitié du vingtième siècle, la mondialisation a eu pour
effet de modifier les rapports entre l’économie et le droit. Dans les années 1990,
avec l’ouverture des marchés, le droit économique a pris une place plus
importante et a permis le renforcement des instruments juridiques permettant de
réguler la concurrence.
146. La problématique qui s’est posée et qui se pose encore aujourd’hui est : quel
est l’entité la plus apte à contrôler le bon fonctionnement des marchés : le juge ou
des autorités indépendantes ?
76
147. L’action publique, ou « public enforcement », permet de prévenir, dissuader
et punir les comportements anticoncurrentiels grâce à des moyens
d’investigation, des pouvoirs d’injonction, des amendes, le programme de
clémence … . Les sanctions prononcées contre les opérateurs économiques,
auteurs de pratiques anticoncurrentielles, sont destinés à indemniser le préjudice
fait à l’économie.
En revanche, l’action privée, « le private enforcement » vise à la réparation du
préjudice causé par les auteurs de pratiques anticoncurrentielles.
En Europe, contrairement aux Etats – Unis, l’action publique a joué ce rôle de
régulateur de marché. Cependant, le « private enforcement » dispose d’une autre
vertu : cela permet de dissuader les comportements anticoncurrentielles des
entreprises puisqu’elle fait planer sur eux la menace d’une action de tous les
consommateurs ayant subi un préjudice au travers de dommages et intérêts.
Ces deux actions sont, en réalité, deux actions complémentaires ; l’action
publique sanctionnant le dommage qu’a subi l’économie de marché et l’action
privée destinée à indemniser les victimes des pratiques anticoncurrentielles. La
France, et l’Union Européenne à travers la directive 2014/104/CE, a renforcé le
« private enforcement » grâce à l’action de groupe et grâce à la loi dite
« Hamon » en général.
Le système juridique français dispose donc de ces deux pans de l’application des
règles de concurrence. Néanmoins, il faut se demander si le renforcement des
actions privées n’a pas porté préjudice à l’efficacité des actions publiques en la
matière.
148. Concernant l’action de groupe en matière de concurrence, celle – ci est
subordonnée, en vertu de l’exigence du « follow – on », à l’action publique. Elle
ne peut être engagée qu’à la suite d’une décision condamnant une ou plusieurs
pratiques anticoncurrentielles d’opérateurs qui n’est plus « susceptible de recours
pour la partie relative à l’établissement des manquements »69
. Certains évoquent
même une « soumission » du droit civil au droit de la concurrence70
.
Cette action publique dispose de moyens propres permettant la détection des
pratiques anticoncurrentielles : c’est le cas des procédures de clémence ou de non
69
C. consom., art L.423-17, al 1er 70
N. MOLFESSIS, L’exhorbitance de l’action de groupe à la française, D.2014. p.947 : « les
autorités de concurrence tiennent le civil en l’état »
77
– contestation des griefs. Ce sont des procédures de coopération avec l’Autorité
de la Concurrence. Leur efficacité est réelle.
149. Il convient donc de se demander si l’instauration de l’action de groupe « à la
française » n’a pas eu pour conséquence la remise en cause de l’efficacité de ces
procédures de coopération (Chapitre 1), favorisant ainsi les modes alternatifs de
règles des conflits (Chapitre 2).
CHAPITRE 1 : La remise en cause de l’efficacité des procédures de coopération
150. En droit de la concurrence, les autorités publiques ont, très tôt, compris que
la détection des pratiques anticoncurrentielles nécessitaient de grands moyens.
Tout d’abord des moyens d’investigation permettant aux enquêteurs de déceler
des abus de position dominante ou bien des ententes.
Mais ces moyens ne peuvent suffire pour des pratiques anticoncurrentielles
comme les ententes secrètes ou cartels. C’est l’hypothèse dans laquelle deux
entreprises ou plus se concertent, par écrit ou de toute autre façon, afin
d’empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence.
Dans ces cas précis, les moyens d’investigation n’ont que très peu d’effet
puisque, par définition, l’entente est secrète et seuls les participants au cartel en
connaissent l’existence.
En 2001, le législateur a voulu renforcer les moyens permettant la détection de
telles pratiques71
. Pour ce faire, il a mis en place des mécanismes incitatifs pour
les entreprises qui participent à des pratiques anticoncurrentielles : la clémence et
la procédure de non – contestation des griefs.
Ces dernières sont des procédures de coopération qui ont conquis une place
importante dans l’action publique contemporaine. Ces actions visent à détecter
les pratiques anticoncurrentielles le plus tôt possible grâce à l’aide des opérateurs
économiques présents sur le marché.
71
Loi n° 2001 – 420 du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques, dite loi
NRE.
78
151. Ainsi, il convient de se demander si, au regard du rôle majeur dont dispose
ces procédures de coopération en droit de la concurrence (Section I), l’action de
groupe ne va pas décourager les entreprises à l’utilisation de ces procédures
(Section II).
Section 1 : Le rôle majeur des procédures de coopération dans la détection des
pratiques anticoncurrentielles
152. Avant de s’apercevoir de la place grandissante que ces procédures dans le
paysage concurrentiel français, il convient de les présenter.
153. La procédure de non – contestation des griefs, ou « transaction », insérée
dans le Code de commerce en 2001, à l’article L 462 – 2 III, permet aux
entreprises de renoncer volontairement à contester les griefs notifiés par les
services d’instruction de l’Autorité de la concurrence, en contrepartie d’une
réduction de la sanction encourue si la mise en œuvre de cette procédure est
jugée opportune par le rapporteur général de l’Autorité. Les entreprises peuvent,
en parallèle de cette procédure, prendre des engagements structurels (filialisation,
cessions …) ou comportementaux (modifications de clauses contractuelles par
exemple) pour l’avenir afin de bénéficier d’une réduction de sanction
supplémentaire.
La transaction permet à l’Autorité de la concurrence d’accélérer des dossiers
d’entente et d’abus de position dominante et leur permet d’allouer des ressources
à d’autres dossiers. De leur côté, les entreprises réduisent leur risque financier en
cas d’infraction, cela peut aller jusqu’à 25% d’économie sur l’amende
prononcée.
154. La procédure de clémence apparait dans l’article L 464 – 2 IV du Code de
commerce inséré par le biais de la loi dite NRE.
Elle incite les opérateurs économiques, parties à des accords anticoncurrentiels, à
les dénoncer à l’Autorité de la concurrence en contrepartie de se voir exonérer
par l’Autorité de tout ou partie des sanctions pécuniaires encourues. L’entreprise
qui dénonce les autres doit contribuer de façon positive avec l’Autorité en
apportant des preuves de l’entente, en coopérant de façon véritable, totale et
permanente.
79
Ainsi, la clémence permet à la première entreprise dénonciatrice d’être exonéré
totalement d’amende et permet une exonération partielle pour les entreprises
suivantes (jusqu’à 30% devant l’Autorité de la Concurrence).
155. Ces deux procédures sont donc des procédures incitatives. En effet, elles ont
vocation à démanteler les ententes illicites puisque chaque membre du cartel, se
méfiant de son « partenaire », doit se demander s’il n’est pas plus profitable pour
lui de dénoncer le groupe avant qu’un autre ne le fasse. Ces procédures en
appellent à la moralité et au porte – feuille des opérateurs économiques.
Le rôle grandissant, et désormais majeur de ces procédures de coopération, vont
de pair avec le phénomène de « croissance exponentielle du montant des
amendes prononcées »72
. En effet, les amendes pour violation des règles de
concurrence ont fortement augmenté ces vingt dernières années.
Pour preuve, entre 1990 et 1999, le montant cumulé des amendes infligées par la
Commission européenne pour entente était de 730 millions d’euros.
Pour la période 2000 – 2009, ce montant atteint le chiffre de 12,8 milliards
d’euros.
Encore plus révélateur, pour la période 2010 – 2013, la Commission européenne
avait déjà atteint le nombre de 7,3 milliards d’euros d’amende73
.
Les entreprises sont ainsi confrontées à une forte inflation des amendes
prononcées à la fois par la commission européenne mais aussi par l’Autorité de la
concurrence. Alors que les amendes, dans les années 1990, n’excédaient jamais
les 25 millions d’euros, en 2011, Procter & Gamble a été condamné à une
amende de 234 millions d’euros dans l’affaire dite du cartel de la « lessive ».
156. Logiquement, l’aggravation des sanctions a entrainé un essor de l’efficacité
des procédures de clémence et de non – contestation des griefs. Logiquement,
plus le niveau de l’amende susceptible d’être prononcée est élevé, plus les
entreprises sont incitées à opter pour des procédures qui leur permettront de
s’exonérer, partiellement ou totalement, d’amendes.
Le rôle majeur de ces procédures de coopération se démontrent par des chiffres
éloquents : parmi les dix – huit ententes sanctionnés par la commission
européenne entre 2010 et 2013, dix – sept ont été dénoncées via la procédure de
72
F. BRUNET, A. DUPUIS, E. PAROCHE, « L’action de groupe : l’indemnisation des
consommateurs favorisée au détriment de la détection des cartels ? », D. 2014, p.1600 73
Pour les ententes, V. http://ec.europa.eu/competition/cartels/statistics/statistics.pdf
80
clémence. Et dans trois de ces affaires, toutes les entreprises, auteurs de
l’infraction, s’étaient dénoncées à la Commission.
Par ailleurs, concernant l’Autorité de la concurrence, sur les onze cartels
sanctionnés depuis 2005, sept ont été dénoncées dans le cadre de la demande de
procédures de clémence, soit plus de 63%74
.
157. Par conséquent, les procédures de coopération, en particulier la clémence,
sont devenus, en quelques années, le principal instrument de détection des
ententes secrètes.
Or, la nouvelle procédure de l’action de groupe en droit de la concurrence
pourrait entrainer une baisse de ces statistiques puisque son éventuel succès futur
pourrait nuire aux programmes de clémence.
Section 2 : Une incitation moindre aux procédures de collaboration
158. Comme vu précédemment, ces procédures de coopération ne tiennent que
par leur aspect incitatif. Celui – ci se matérialise par une exonération pouvant
aller jusqu’à 100% de l’amende encourue.
159. Or, l’article L 423 – 17, alinéa 1er
, du Code de la consommation dispose :
« Lorsque les manquements reprochés au professionnel portent sur le respect des
règles définies au titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et
102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la responsabilité du
professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l'action mentionnée à
l'article L. 423-1 que sur le fondement d'une décision prononcée à l'encontre du
professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l'Union
européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus
susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des
manquements ».
L’article L 423 – 17 du code de la consommation affirme donc qu’une action de
groupe ne peut être introduite qu’après une « décision prononcée à l’encontre du
professionnel (…) qui constate les manquements ».
74
Source : www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=292&id_article=1004.
81
Ainsi, une action de groupe ne pourra être engagée en cas de décision de non –
lieu de l’Autorité de la concurrence ou d’une autre autorité nationale de
concurrence. Ceci est parfaitement logique lorsque le non – lieu est fondé sur
l’absence de pratiques illicites ou sur l’insuffisance de preuves de ces pratiques.
En revanche, cela est plus contestable lorsque la décision de non – lieu est fondée
sur une absence d’atteinte suffisamment sensible à la concurrence. La pratique
est bel est bien caractérisée dans cette hypothèse et les consommateurs ne
pourront alors se constituer en groupe.
Sont aussi exclus du bénéfice de l’action de groupe, les actions consécutives à
une prise d’engagements d’un professionnel. Ni acte d’accusation ni constat
d’infraction n’est dressé donc aucune action de groupe n’est envisageable.
160. En revanche, sont évidemment concernées par cette définition de l’article L
423 – 17 al 1er
, toutes les décisions qui ont prononcé une amende ou une
injonction administrative mais aussi toutes celles dans le cadre desquelles
l’infraction a été constatée, imputée à des entreprises, quand bien même celles –
ci auraient échappé à une partie ou à la totalité de leur sanction. C’est l’hypothèse
des décisions consécutives à l’utilisation de programmes de clémence.
En effet, la première entreprise se dénonçant, et dénonçant l’ensemble des
auteurs de l’infraction au droit de la concurrence, voit clairement sa culpabilité
établie dans le cadre de cette procédure. La seule contrepartie de cette
collaboration est une minoration de la sanction. La décision accordant la
clémence aux entreprises pourrait donc servir de fondement à une action de
groupe ultérieure.
La procédure de non – contestation des griefs pourra aussi être poursuivie d’une
action de groupe puisque la Cour de cassation a très clairement affirmé que si la
renonciation ne valait pas aveu de culpabilité, elle vaut néanmoins constat de
l’infraction75
.
A fortiori, il en est de même pour les décisions de transaction européenne, dans
lesquelles les entreprises reconnaissent expressément leur culpabilité.
161. Il convient donc de s’interroger sur l’attractivité que va susciter ces
procédures de collaboration si l’action de groupe connaissait un franc succès.
Dans l’hypothèse d’une entreprise qui dénonce la première l’existence d’un
cartel, ayant nécessairement entrainé la hausse des prix, celle – ci sera exonéré au
titre de la sanction prononcée par l’Autorité de la concurrence. Néanmoins,
75
Cass. Com., 29 mars 2011, n° 10-12.913, Manpower
82
l’immunité dont elle dispose auprès de l’Autorité de la concurrence n’existe pas
pour les demandes de dommages et intérêts demandés par les consommateurs
finaux.
Juridiquement, ceci est logique, l’Autorité ne sanctionne que le dommage fait à
l’économie alors que l’action en dommages et intérêts sanctionnent le préjudice
patrimonial causé par la pratique anticoncurrentielle aux consommateurs.
162. Néanmoins, pour une entreprise, ce qui prévaut est le risque financier
encouru. Alors qu’auparavant elle savait qu’en dénonçant ses « camarades » en
premier elle ne supporterait aucune perte financière, désormais une action de
groupe pourrait être introduite la condamnant à payer des dommages et intérêts à
l’ensemble des consommateurs ayant adhéré à l’action. Le risque financier est
donc réel.
On s‘aperçoit donc que l’action de groupe, par ses conditions de recevabilité,
vient mettre à mal ces procédures de coopération en les amputant d’un certain
attrait financier.
Si les actions de groupe en droit de la concurrence devaient connaitre un grand
succès et aboutir à de lourdes condamnations à des dommages – intérêts, les
entreprises pourraient être moins tentées, voire être dissuadées de dénoncer
l’existence de pratiques illicites.
163. Bien que complémentaires, le « public enforcement » et le « private
enforcement » ne s’articulent pas parfaitement entre eux : le succès du second
pourrait limiter fortement l’attractivité du premier.
Ceci pourrait constituer un cercle vicieux : pour que les actions privées soient
introduites, il faut qu’une décision ayant constaté les manquements au droit de la
concurrence soit prononcé. Or, au préalable, il faut détecter ces pratiques illicites
et cette mission est rendue plus difficile si les procédures de coopération sont
moins utilisées.
164. L’introduction de l’action de groupe en matière de concurrence en droit
français semble affaiblir les politiques publiques de détection des pratiques
anticoncurrentielles. En revanche, très clairement, le législateur européen et
français semblent accordés leur faveur aux modes alternatifs de résolution des
conflits.
83
CHAPITRE 2 : La faveur accordée aux modes alternatifs de règlement des
conflits
165. Plusieurs modes alternatifs de règlement des conflits existent, comme
l’arbitrage, mais il s’agira, dans ce chapitre d’évoquer deux autres modes de
règlement des litiges que sont la médiation et la transaction.
La médiation consiste à « confier à un tiers impartial, qualifié et sans pouvoir
sur le fond que l’on appelle le médiateur, la mission d’entendre les parties en
conflit et de confronter leurs points de vue au cours d’entretien, contradictoires
ou non, afin de les aider à rétablir une communication et à trouver elles – mêmes
des accords mutuellement acceptables »76
.
La directive européenne 2014/104/CE et le législateur français encourage cette
pratique alternative. Ainsi, dans le cadre d’une action de groupe, l’article L. 423 -
15 du code de la consommation dispose : « seule l’association requérante peut
participer à une médiation (…) aux fins d’obtenir la réparation des préjudices
individuels » des consommateurs. L’article L. 423 – 16 du même code
soumettant cet accord à l’homologation par le juge qui vérifiera si celui – ci est
« conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer ».
166. La transaction est définie comme le « contrat par lequel les parties
terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître »77
Les parties, dans ce contrat, font des concessions réciproques. La transaction peut
être la fin d’un processus de médiation qui a pour effet de clore le litige.
La transaction est très usitée parmi les pays qui disposent déjà d’une « action de
groupe ». Cette transaction, cet accord est parfois soumis à une validation par le
juge : c’est le cas au Canada, aux Etats – Unis, au Royaume – Uni ou même en
Suède. Précurseur en la matière, le juge américain doit vérifier le caractère juste,
raisonnable et adéquat sans pouvoir modifier cet accord.
76
Définition de la Cour de cassation,
www.courdecassation.fr/publications_26/bulletin_information_cour_cassation_27/hors_serie_2
074/mediation_8925.html 77
C. civ., Art 2044.
84
De façon originale, au Royaume – Uni la transaction homologuée par un juge ne
lie pas nécessairement l’ensemble des parties et ceux qui la refusent peuvent
poursuivre l’action collective.
Ce mode alternatif de règlement des litiges trouvent très souvent à s’appliquer
car il présente plusieurs caractéristiques qui « séduisent » les entreprises, parties
à une action de groupe.
167. En effet, la médiation qui se conclut finalement par une transaction a deux
avantages majeurs : la prévisibilité de la sanction pécuniaire et la confidentialité.
C’est ainsi que les entreprises vont raisonner dans les actions de groupe en
matière de concurrence en prenant en compte d’une part, le poids des chiffres
(Section I) et d’autre part, la force de l’image (Section II).
Section 1 : Le poids des chiffres
168. L’aspect financier de l’action de groupe en matière de concurrence est un
aspect primordial pour les entreprises, auteurs de pratiques anticoncurrentielles.
En plus, de la réparation du préjudice causé à l’économie, en plus des actions
individuelles de leurs distributeurs, ils devront désormais faire face à l’action
collective réunissant de nombreux consommateurs.
L’action de groupe a été créée pour permettre une meilleure indemnisation de ces
préjudices « quotidiens », de ces préjudices d’un faible montant. Certes, le
montant de l’indemnisation pour chaque consommateur est faible mais, du point
de vue de l’entreprise, le coefficient multiplicateur, généré par le nombre de
consommateurs, peut faire parvenir le montant de dommages et intérêts à des
sommes astronomiques.
169. Deux exemples sont éloquents.
Si une action de groupe avait été possible contre les opérateurs de téléphonie
mobile consécutive à la décision de condamnation pour entente en 2005. La
condamnation des trois opérateurs s’élevait à 534 millions d’euros par le Conseil
de la concurrence. Le préjudice par abonné était situé autour de 60 euros environ.
Le préjudice était minime. Cependant, 20 millions étaient concernés. Le montant
de dommages et intérêts destinés à réparer les préjudices patrimoniaux des
85
abonnés aurait culminé à 1,2 milliards d’euros soit 400 millions d’euros par
entreprise en moyenne.
C’est pratiquement le double de ce qu’ils ont payé en 2005 … .
Autre exemple, dans le même esprit, une action opposant l’UFC Que Choisir à la
société Foncia est en cours de traitement. L’UFC réclame l’indemnisation de
318 000 locataires, ayant indument payé des frais d’expédition de quittance, pour
un total évalué à 44 millions d’euros : soit 138 euros et 36 centimes par personne
en moyenne. Du point de vue du consommateur, l’enjeu pécuniaire est faible
tandis que du point de vue de Foncia, l’enjeu pécuniaire est majeur.
Au stade du jugement de responsabilité, les consommateurs ne sont pas encore
partie à l’instance, l’association de consommateurs doit présenter seulement un
minimum de deux cas individuels ayant subi un préjudice patrimonial du fait de
la pratique illicite. Le professionnel n’est donc pas en mesure, à ce stade de la
procédure, de connaitre le nombre de consommateurs qui sera susceptible
d’adhérer au groupe par la suite.
Ceci va poser un problème majeur aux entreprises : quelle somme doit – elle
provisionner dans le cadre de ce litige si elle ne connait pas le risque pécuniaire ?
170. L’entreprise devra s’adapter en provisionnant de façon importante ou bien si
l’entreprise veut garder la maitrise de ses dépenses futurs, elle engagera une
procédure de médiation découlant sur une transaction avec l’association de
consommateurs. Cette procédure leur permettra de maitriser une part de leur
risque financier en s’adressant à l’association de consommateurs ayant engagé
l’action.
L’article L. 423 -15 du code de la consommation dispose : « seule l’association
requérante peut participer à une médiation (…) aux fins d’obtenir la réparation
des préjudices individuels » des consommateurs. L’article L. 423 – 16 du même
code soumettant cet accord à l’homologation par le juge qui vérifiera si celui – ci
est « conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer ».
Les entreprises, ayant déjà été condamnées par l’Autorité de la Concurrence ou
une autorité nationale de concurrence de l’Union européenne, aura donc intérêt à
passer par la voie d’un accord négocié pour déterminer précisément l’assiette du
préjudice.
171. Néanmoins, il y a fort à parier, notamment durant les premières années
d’application de l’action de groupe, que les associations de consommateurs ne
86
seront pas toujours enclines à passer par la voie de la médiation afin de parvenir à
une reconnaissance médiatique de leur action.
Cet aspect psychologique de la négociation joue un rôle majeur dans le
dénouement de ces litiges et les associations disposent d’un grand pouvoir sur la
réputation des entreprises qui sont mis en cause.
Section 2 : La réputation, la force de l’image
172. Autre avantage de la médiation se concluant en transaction est la
confidentialité de tes accords négociés.
La directive européenne 2014/104/CE dans son préambule encourage « les
auteurs de l'infraction et les parties lésées (...) à se mettre d'accord sur la
réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence au
moyen de mécanismes de règlement consensuel des litiges, tels que les
règlements amiables (notamment ceux que le juge peut déclarer contraignants),
l'arbitrage, la médiation ou la conciliation ».
Comme le législateur français, l’Union Européenne encourage la possibilité
qu’ont les parties au litige de transiger.
173. Les entreprises ont d’autant plus intérêt à transiger que l’enjeu pécuniaire
n’est peut-être pas l’enjeu majeur d’une action de groupe en matière de
concurrence.
L’enjeu financier n’est qu’un enjeu immédiat tandis que l’image de l’entreprise,
sa réputation est un enjeu pour l’avenir. Il est beaucoup plus compliquée à
rétablir.
La forte médiatisation d’une action de groupe, dont joue les associations de
consommateurs, a pour conséquence « une atteinte immédiate et durable à
l’image des professionnels concernés, et cela même si aucun jugement n’a été
rendu, voire que l’action n’a pas été introduite »78
. De sorte que, le professionnel
pourrait tout faire pour éviter une exposition prolongée dans les médias.
78
K. HAERI et B. JAVAUX, « L’action de groupe : entre incertitudes procédurales et instrumentalisation», Droit et Patrimoine 2015, n°243.
87
Afin de mettre un terme à une action de groupe, ou bien même d’éviter qu’une
action de groupe soit introduite, les entreprises devront réagir rapidement avant
que l’action ne s’ébruite dans les médias. Les associations, par ce biais, dispose
d’une arme redoutable contre les entreprises ayant commis des pratiques
anticoncurrentielles.
D’ailleurs, il se murmure que l’action introduite par l’association UFC Que
Choisir contre Foncia ne parviendra pas jusqu’à son terme. En effet, les deux
parties auraient décidé de transiger.
Foncia est, sans aucun doute, la partie la plus encline à conclure un accord
négocié afin d’éviter d’être la première entreprise à indemniser des centaines de
milliers de consommateurs.
174. En outre, l’article L 423 – 4 du Code de la consommation prévoit que le
jugement, lorsqu’il retient la responsabilité du professionnel, ordonne les
mesures de publicités adaptées pour en informer les consommateurs et leur
permettre d’adhérer au groupe. Le tribunal pourrait ainsi ordonner au
professionnel de financer et mettre en œuvre une campagne de publicité à la
télévision, à la radio dont le but serait d’informer le public de sa condamnation et
des conditions d’indemnisation.
Les conséquences en termes d’image seraient très graves pour l’entreprise.
Il en va donc de la bonne image de l’entreprise de transiger, de conclure un
accord négocié avec l’association de consommateurs afin d’éviter que son image,
si importante de nos jours dans le marketing d’une entreprise n’en pâtisse de
façon considérable.
88
Conclusion seconde partie
175. Le droit de la concurrence est un droit difficile à appréhender pour les
consommateurs. Celui – ci se montre très dur à comprendre, mêlant des règles
très techniques de droit avec des notions d’économie.
Cette complexité se retrouve à la fois pour les consommateurs, mais aussi pour
les juges et les avocats, dans la preuve du préjudice à indemniser et ce sera l’une
des questions essentielles de ces actions collectives.
176. D’une part, les juges devront faire face à la difficulté majeure d’évaluer le
préjudice qu’a causé la pratique anticoncurrentielle pour chaque consommateur.
Cette difficulté est à la hauteur de l’enjeu : si les juges indemnisent correctement
les victimes de pratiques anticoncurrentielles, les consommateurs seront prêts à
ré-adhérer à de nouvelles actions ; en revanche, en cas de sous – évaluation d’un
préjudice déjà mineur, les consommateurs tourneront le dos à cette nouveauté
juridique.
Cet enjeu est à mettre en perspective avec le temps que prendra ces procédures et
sur la conséquence sur la conservation de la preuve qu’aura ce paramètre
temporel.
177. Le deuxième enjeu majeur sur le fond est l’articulation que cette action de
groupe aura avec les procédures de coopération du « public enforcement » que ça
soit les procédures de clémence, de non – contestation de griefs, d’engagements.
Ces procédures connaissent un grand succès auprès des entreprises qui trouvent
un interlocuteur qu’est l’Autorité de la Concurrence ou une des autorités du
Réseau Européen de Concurrence, qui permettent soit de prévenir des infractions
au droit de la concurrence, soit de les déceler.
Il est donc primordial, au nom de l’efficacité du droit de la concurrence, que ces
procédures ne se trouvent pas trop impactées par la venue de l’action de groupe.
178. En revanche, l’action de groupe semble être un facteur incitateur
d’envergure pour les procédures alternatives de règlement des litiges tel que la
médiation. Cette procédure étant longue et coûteuse à la fois pour les associations
89
et les entreprises pourraient voir, comme aux Etats – Unis et au Canada, la
plupart des affaires finir grâce à la médiation, et pas par un jugement de
responsabilité. Cela d’autant plus, en matière de concurrence puisque la faute des
professionnels sera irréfragablement présumée.
Il faudra donc observer le comportement des entreprises, qui auront intérêt à
mettre en jeu ces procédures à des fins de confidentialité, et des associations de
consommateurs.
90
CONCLUSION GENERALE
179. L’analyse détaillée du pan concurrentiel de l’action de groupe soulève de
nombreuses interrogations quant à l’efficacité de ce dispositif qui semble de
prime abord, destiné à un succès fulgurant.
En effet, l’absence d’expérience pratique et de décisions judiciaires après neuf
mois d’expérience ne permet pas d’envisager un avenir serein à ce dispositif.
180. D’une part, un grand point d’interrogation est en suspens sur le
comportement qu’aura le juge vis – à – vis d’un dispositif qui lui est pour le
moment inconnu. L’expérience outre – atlantiques et européennes montrent que
l’euphorie de l’opinion publique, souvent, n’est pas partagée par les magistrats en
charge de mettre en mouvement ce concept de recours collectif.
181. D’autre part, les associations de consommateurs, soit disant représentatives
au niveau national, à qui le législateur a attribué ce monopole de l’action de
groupe, ne semblent pas armées pour appliquer l’ensemble de leurs promesses.
Ces associations se heurtent à des difficultés financières et logistiques évidentes.
En l’absence d’aides publiques, seules quelques associations pourront se
permettre d’engager deux actions de groupe dans la même année et encore faudra
– t – il que ces actions aboutissent sur des succès.
Ce filtre associatif ne semble pas propice à l’objectif d’une meilleure application
du droit de la concurrence par les entreprises puisque, de fait, les associations
devront trier parmi les requêtes des consommateurs en favorisant une action
plutôt qu’une autre. Choisir c’est renoncer parait – il … .
182. De plus, les délais mis en avant dans la loi relative à la consommation,
compte tenu des sommes en jeu pour les consommateurs, semblent
interminables. Entamer une bagarre judiciaire pouvant se conclure une dizaine
voir une quinzaine d’années plus tard pour quelques dizaines d’euros pourrait
décourager certains adeptes de l’action de groupe, voire pire, les laisser
indifférents.
91
183. A cela, il faut ajouter cette incertitude consubstantielle au droit de la
concurrence qui consiste à ne pas savoir exactement quel est l’étendue du
préjudice qu’a subi le consommateur. L’enjeu, face à cette incertitude, est le
comportement du juge qui, s’il minore des sommes déjà faibles, risque de
décourager de nombreux consommateurs qui privilégieront la voie de l’action
individuelle ou bien n’agiront pas en justice.
184. Et enfin, le dernier inconnu majeur que cette action de groupe soulève est la
question de l’articulation du « private enforcement » avec le « public
enforcement ». L’expérience nous indiquera si le risque pour une entreprise de se
voir sanctionner par des dommages – intérêts civils ne provoquera pas un rejet de
la procédure de clémence qui est un dispositif essentiel de détection des pratiques
anticoncurrentielles de nos jours.
Autant d’interrogations qui trouveront leur réponse dans la pratique judiciaire,
dans le renouvellement de l’expérience, peut être avec l’aide d’une réforme
législative mais force est de constater que, pour le moment, l’action de groupe en
matière de concurrence ne remporte pas le franc succès que la majorité de la
doctrine nous promettait.
185. Les premières années seront primordiales au succès ou à l’échec de l’action
de groupe en matière de concurrence : demandez à l’action en représentation
conjointe … .
92
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- Comm. CE, Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de
position dominante, 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final.
- Version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne, C-83/47, 30 mars 2010.
- Directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles
régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les
95
infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres
et de l'Union européenne.
B) Source de droit interne
1. Lois
- Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
2. Décrets
- Décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en
matière de consommation.
3. Circulaires
- Circu. CIV/14/14, 26 sept. 2014.
4. Codes
- Code de la consommation, éditions 2015, Dalloz.
- Code du commerce, éditions 2015, Dalloz.
C) Source de droit étranger
- Loi sur le recours collectif, L.R.Q., c. R-2.1, art 23.
II. TABLE CHRONOLOGIQUE DES DECISIONS, ARRETS,
JUGEMENTS ET AVIS
Juridictions et autorités de l’Union Européenne
- CJUE, Kone c. ÖBB – Infrastruktur, 5 juin 2014, C - n°557 – 12.
A) Juridictions et autorités internes
1. Juridictions internes
96
Cour de cassation
- Cass. Crim. 20 novembre 1968, n° 68 -91246 ; Bull. 308.
- Cass. Com., 15 juin 2010, Ajinomoto Eurolysine c/ Doux Aliments
Bretagne e.a., n°09-15816
- Cass. Com., 29 mars 2011, n° 10-12.913, Manpower
- Cass. Crim. 11 avril 2012, n°11-83007
- Cass. Crim. 7 février 2012, n°11-83131
Tribunal commercial
- Trib. Com. Nanterre, 11 mai 2006, SA Laboratoires Arkopharma c/ Sté
Roche et sté F. Hoffman La Roche
B) Juridictions étrangères
- Comité d’environnement de la Baie c. Société d’électrolyse et de chimie
Alcan Itée [1990] R.J.Q. 655 (C.A.).
- Château c. Placements Germarich, [1990] R.D.J. 625 (C.A.).
- Tremaine c. A.H. Robbins Canada inc., [1990] R.D.J. 500 (C.A).
- Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342.
- George c. Québec (Procureur général), 2006 QCCA 1204.
- Pellemans c. Lacroix, 2011, QCCS 1345, par 101.
97
WEBOGRAPHIE
LAURIE SCHENIQUE, “Action de groupe : le recours à la médiation, un bon
point de la nouvelle loi ? », 09 avril 2014, site Internet de la revue Dalloz,
http://www.dalloz-actualite.fr/.
KAMI HAERI et BENOIT JAVAUX, « L’action de groupe à la français, une
curiosité », la semaine juridique, Ed Gén, n°13, 31 mars 2014,
http://www.august-debouzy.com.
Colloque « Les actions indemnitaires des pratiques anticoncurrentielles après la
loi sur l’action de groupe et la directive européenne », 25 septembre 2014,
www.lamyconcurrence.fr
Jean – Jacques GANDINI, propos recueilli par Anne Portmann, « Même s’il est
critiquable, le projet de loi sur l’action de groupe est une avancée », Dalloz
actualité, www.dalloz-actualité.fr.
R. BECKER, Présentation du Livre blanc, Revue Concurrences n° 2-2009 –
Colloque – Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante –
Paris, 13 juin 2008, site Internet de la revue Concurrences,
www.concurrences.com - 2009.
D. FASQUELLE et R. MESA, Livre vert de la Commission sur les actions en
dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes
et les abus de position dominante, Revue Concurrences, n° 1-2006 – Doctrines –
pp. 33-37 – site Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com.
B. HAMON, Benoît HAMON : Un droit de la consommation plus efficace pour
une économie plus compétitive, Revue Concurrences n° 2-2013, pp. 7-11 –
Interview – site Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com -
2013.
98
C. PRIETO, Inciter les actions en dommages et intérêts en droit de la
concurrence : Le point de vue d’une concurrentialiste, Revue Concurrences n° 2-
2009 – Colloque – Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position
dominante – Paris, 13 juin 2008, site Internet de la revue Concurrences,
www.concurrences.com - 2009.
J. VOGEL et L. VOGEL, Private enforcement - Le paquet législatif prévu par la
Commission pour renforcer les droits des victimes de pratiques
anticoncurrentielles est - il suffisant et cohérent ?, 28 juin 2013, site Internet du
blog Vogel & Vogel, http://www.vogel-vogel.com/blog/le-paquet-legislatif-
prevu-par-la-commission-pourrenforcer-les-droits-des-victimes-de-pratique.
SORAYA AMRANI - MEKKI, « Inciter les actions en dommages et intérêts en
d roit de la concurrence – Le point de vue d’un processualiste », 2008, Doctrines,
Concurrences N° 4-2008, www.concurrences.com
L.VOGEL et J.VOGEL, Loi Hamon, L’action de groupe à la française entre en
vigueur à compter du 1er
octobre 2014, 26 septembre 2014, site Internet du blog
Vogel & Vogel, http://www.vogel-vogel.com/blog/l%E2%80%99action-de-
groupe-la-francaise-entre-en-vigueur-compter-du-1er-octobre-2014
N. PETRIGNET, Un risque juridique nouveau : action de groupe et pratiques
anticoncurrentielles, 10 février 2014, site Internet du blog CMS Bureau Francis
Lefebvre, http://www.cms-bfl.com/Un-risque-juridique-nouveau--action-de-
groupe-et-pratiques-anticoncurrentielles-20-02-2014
99
GLOSSAIRE
Abus de position dominante : L'abus de position dominante est l'exploitation
abusive d'un pouvoir de marché correspondant à une position dominante et ayant
pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence.
Contigency fees : principe permettant à un avocat de recevoir une part des
sommes attribuées à son client si ce dernier gagne son procès.
Class action : recours collectif en justice.
Ententes anticoncurrentielles : L'entente anticoncurrentielle est un accord ou
une action concertée qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché de produits ou de
services déterminé.
Opt – in : option d’inclusion ou de participation volontaire, mécanisme par
lequel les personnes doivent manifester leur assentiment pour intégrer l’action de
groupe.
Opt – out : mécanisme par lequel l’ensemble des membres d’un groupe défini
par un juge sur des critères objectifs sont considérés comme partie à l’instance
tant qu’ils ne se sont pas manifestés pour se retirer de l’instance dans une période
prédéterminée.
Pacta de quota litis : Contrat par lequel une partie convient avec une autre que
sa rémunération portera uniquement sur une partie du capital litigieux obtenu en
cas de victoire au procès et qu'il renoncera à tout ou partie de ses honoraires en
cas d'issue défavorable de la procédure.
Trust : entité juridique constituée par des personnes physiques ou des sociétés
qui lui apportent soit des actifs soit des liquidités à charge pour le trust de gérer
ces actifs en suivant les consignes qui lui ont été données par les créateurs du
trust et éventuellement à l'échéance donnée de restituer les actifs et le produit des
investissements aux créateurs du trust
100
TABLES ALPHABETIQUES
A T
Action consécutive: 68, 113, 136. Transaction: 79, 153, 160, 166.
Associations agréées: 8,56, 65, 79.
C
Class action: 7, 26, 31, 32, 33, 7, 72, 81, 101.
Clémence: 138, 147, 150, 154, 156, 160.
Contigency fees: 71.
F
Follow – on: voir action consécutive
O
Opt – in: 7, 120.
P
Passing – on: 122, 123, 125.
Prix ombrelle: 122, 127, 129.
Public enforcement: 114, 120, 147, 163, 177, 184.
Private enforcement: 129, 147, 163.
101
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS ……………………………………………………… 5
LISTE DES ABREVIATIONS …………………………………………… 6
SOMMAIRE ………………………………………………………………. 9
INTRODUCTION ………………………………………………………… 11
PREMIERE PARTIE : LES OBSTACLES PROCEDURAUX DE
L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES …………………………………..……….16
TITRE I - L’APPROPRIATION PROGRESSIVE DE L’ACTION DE
GROUPE PAR LES INSTITUTIONS…………………………………..16
Chapitre 1 : La découverte de l’action de groupe en matière de concurrence
par le juge ……………………………………………………………….. 17
Section I : la conception stricte de la recevabilité des actions de groupe 17
Paragraphe 1 : les exemples nord - américains ………………………. 17
Paragraphe 2 : les possibilités pour le juge français de limiter l’accès à
l’action de groupe …………………………………………………… 21
Section 2 : La non - spécialisation des tribunaux compétents ………… 22
Paragraphe 1 : la non – spécialisation parlementaire ………………… 23
Paragraphe 2 : la restriction gouvernementale ……………………… 27
Chapitre 2 : Le nouveau filtre, les associations de consommateurs …… 30
Section 1 : L’illégitimité des associations …………………………… 31
Paragraphe 1 : Des associations inadaptées à l’action de groupe en matière
de concurrence ……………………………………………………… 31
102
Paragraphe 2 : L’alternative des avocats ………………………………. 35
Section 2 : La frilosité des associations agréées ………………………… 37
Paragraphe 1 : une quête de reconnaissance médiatique des associations 37
Paragraphe 2 : Le faible nombre d’actions engagées …………………… 38
TITRE II : LE FAIBLE ENJEU PECUNIAIRE A L’EPREUVE DU
TEMPS ………………………………………………………………………. 41
CHAPITRE 1 : Le temps de l’instance …………………………………….. 42
Section 1 : La nécessité d’une décision d’une autorité de concurrence, le
principe du « follow – on » ……………………………………………… 43
Paragraphe 1 : La longueur inhérente à la détection de pratiques
anticoncurrentielles ……………………………………………………. 44
Paragraphe 2 : l’autorité de la chose décidée accordée aux décisions de
concurrence ……………………………………………………………. 46
Section 2 : Le risque de manœuvres dilatoires des professionnels ……… 47
CHAPITRE 2 : La réparation de préjudices minimes ……………………… 49
Section 1 : l’unique réparation des préjudices patrimoniaux résultant des
dommages matériels subis ……………………………………………… 50
Section 2 : la futilité des demandes d’indemnisation …………………… 51
Conclusion Première partie ………………………………………………. 54
SECONDE PARTIE : LES DIFFICULTES DE FOND DE L’ACTION DE
GROUPE EN MATIERE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
……………………………………………………………………………… 55
TITRE I : L’ECLUSE DE LA DETERMINATION DU PREJUDICE
INDEMNISABLE ………………………………………………………… 55
103
CHAPITRE 1 : L’inhérente difficulté à quantifier la part du préjudice imputable
à la pratique concurrentielle ………………………………………………… 55
Section 1 : L’évaluation approximative du préjudice …………………… 56
Paragraphe 1 : L’impossibilité de chiffrer de façon certaine le préjudice 56
Paragraphe 2 : Le standard de l’approximation « raisonnable » ………. 58
Section 2 : La répercussion de la pratique anticoncurrentielle sur le prix 62
Paragraphe 1 : Le passing - on …………………………………………. 62
Paragraphe 2 : le prix ombrelle ………………………………………… 65
CHAPITRE 2 : L’asymétrie probatoire consubstantielle aux conflits
concurrentiels ……………………………………………………………….. 68
Section 1 : Un accès facilité aux preuves figurant dans le dossier d'une
autorité de concurrence ……………………………………………………69
Paragraphe 1 : Le renforcement des pouvoirs du juge national ………. 70
Paragraphe 2 : Les limites de l’intérêt légitime du défendeur …….……71
Section 2 : La non - conservation des documents probatoires par les
consommateurs …………………………………………………………. 73
TITRE II : LA DIFFICILE CONCILIATION DE L’ACTION DE
GROUPE AVEC LES INSTRUMENTS D’ACTIONS DU DROIT DE LA
CONCURRENCE …………………………………………………………….75
CHAPITRE 1 : La remise en cause de l’efficacité des procédures de
coopération ……………………………………………………………………77
Section 1 : Le rôle majeur des procédures de coopération dans la détection
des pratiques anticoncurrentielles ………………………………………….77
104
Section 2 : Une incitation moindre aux procédures de collaboration ……… 80
CHAPITRE 2 : La faveur accordée aux modes alternatifs de règlement des
conflits ……………………………………………………………………… 82
Section 1 : Le poids des chiffres …………………………………………. 84
Section 2 : La réputation, la force de l’image …………………………….. 85
Conclusion seconde partie …………………………………………………. 88
CONCLUSION GENERALE ……………………………………………… 90
BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………. 92
WEBOGRAPHIE ………………………………………………………….. 97
GLOSSAIRE ………………………………………………………………. 99
TABLES ALPHABETIQUES …………………………………………… 100
TABLE DES MATIERES ……………………………………………….. 101