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FLAREP 2012 Les langues régionales au travail et dans le monde économique
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COLLOQUE DE LA FLAREP / 26E RENCONTRE INTERCOLLOQUE DE LA FLAREP / 26E RENCONTRE INTERCOLLOQUE DE LA FLAREP / 26E RENCONTRE INTERCOLLOQUE DE LA FLAREP / 26E RENCONTRE INTER----REGIONALEREGIONALEREGIONALEREGIONALE
Table rondeTable rondeTable rondeTable ronde
Les langues régionales au travail et dans le monde économique
Interventions de professionnels de domaines variés
Remi Toulhoat
J’ai été sollicité par le Conseil d’Administration et particulièrement par Judith Castel – qui
est l’animatrice du réseau Div Yezh Breizh – pour animer cette table ronde.
Une fois peut-être n’est pas coutume, en introduction je vais me présenter très brièvement et après chaque personne ici présente se présentera aussi personnellement et dira quelle
place occupe la langue bretonne langue régionale dans son quotidien, dans son
environnement professionnel.
Donc je suis administrateur de Div Yezh Breizh et à la suite d’un épisode professionnel délicat, un licenciement économique, je suis apprenti en langue bretonne. Avec un objectif
– et ça correspond parfaitement avec le thème de ce colloque de la FLAREP – c’est de
devenir bilingue et de m’exprimer du mieux possible, à terme j’espère aussi bien en
breton qu’en français. Et plus tard… donc dans la mesure du possible de devenir professeur des écoles dans une filière bilingue français-breton. Ce qui permet de le relier
avec le pourquoi et les raisons qui ont amené Judith et Div Yezh Breizh à me proposer
d’animer cet atelier. Je vais vous présenter les personnes qui ont bien voulu apporter leur témoignage sur cet
atelier, que nous avons intitulé « les langues régionales au travail et dans le monde
économique ».
Nous avons Philippe Jacq qui est directeur de l’Office de la langue bretonne ; Malo Bouëssel du Bourg qui est Directeur de Produit en Bretagne ; nous avons Maiwenn Le
Nedellec qui travaille pour le Teatr Piba ; M. Tony Foricheur qui est là aussi au titre du Teatr
Piba ; M. Patrick André qui travaille pour une structure qui fabrique des produits qui s’appelle Abglenn dans les Côtes-d’Armor.
Je vous propose dans un premier temps de nous dire qui vous êtes, quelle est votre
fonction, dans quelle structure vous intervenez et quelle est la place ou l’utilisation de la
langue bretonne, de la langue régionale dans votre pratique quotidienne ?
Philippe Jacq, directeur de l’Office de la langue bretonne
Donc oui, Philippe Jacq, je suis Directeur de l’Office public de la langue bretonne. Pour faire écho à ce qui vient d’être dit, moi j’ai commencé à apprendre la langue un peu plus
tôt, à partir de mes 16 ans. Et j’ai tout de suite eu pour projet de travailler dans la langue
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bretonne. C’était quelque chose qui était très clair pour moi dès le départ. Et ma foi j’ai 45
ans, donc ça fait presque 30 ans et j’ai toujours trouvé à exercer différentes missions et professions. Jusqu’à présent, j’ai toujours été capable de faire ce que je m’étais mis dans
ma petite tête de breton et donc je travaille en langue bretonne, j’ai toujours trouvé un
travail en langue bretonne. Donc la langue bretonne, c’est la langue de travail de
l’ensemble des salariés de l’Office public de la langue bretonne, nous sommes 23 salariés actuellement répartis sur 5 sites en Bretagne. L’Office en tant que tel, c’est un organisme
chargé de développer la place du breton dans le cadre du bilinguisme dans la société.
Ceci dans tous les domaines : dans le domaine de l’éducation et dans beaucoup d’autres
domaines. Peut-être on pourra parler tout à l’heure de certaines actions spécifiques qu’on a pu mener dans le monde économique, mais je ne vais pas monopoliser la parole. Donc
juste vous dire que la langue bretonne, c’est la langue de travail de l’ensemble des
salariés de l’Office public, donc d’échange quotidien tous les jours au sein de la structure.
Malo Bouëssel du Bourg, directeur de Produit en Bretagne
Produit en Bretagne est une association qui s’est donné pour objectif – il y a à peu près 20
ans maintenant – de développer l’emploi en Bretagne en assurant la promotion des savoir-faire bretons à la fois dans le monde de l’économie et dans le monde de la culture.
Et qui rassemble aujourd’hui à peu près 300 membres dans tous les métiers, aussi bien
l’agroalimentaire que les services que l’ingénierie que la culture… tous les métiers. Il n’y a pas de métier exclu. Nous sommes 7 permanents dans cette petite équipe qui alimente
cette association et ça représente tout de même 100 000 salariés à peu près.
Mon parcours personnel par rapport à la langue bretonne, ça a été longtemps un
parcours un peu en pointillés, j’avais dans ma famille un de mes parents qui était très branché langue bretonne, passionné par la langue bretonne, qui a donné beaucoup de
sa vie pour la langue bretonne et qui a essayé de l’apprendre à ses 6 enfants plus ou
moins. Sans grand succès en fait, la langue de la famille était le français puisque ma
mère ne parlait pas du tout breton. Donc j’ai un petit peu appris comme ça avec mon père pendant des vacances, des choses comme ça. Puis après… bon, ça a commencé plus
sérieusement quand je suis arrivé en seconde à l’école, où là j’ai pris le breton en option
jusqu’au Bac, puis après c’est un petit peu tombé aux oubliettes aussi, j’ai fait une école de commerce, je suis parti dans un autre monde. Mais après mon école de commerce, il
y a eu le service militaire, j’ai passé une licence de breton et puis dans mon premier job
qui était à Saint-Brieuc dans les médicaments vétérinaires, j’ai eu l’occasion d’animer à
côté de mon travail une association de culture bretonne qui s’appelle Oaled Abherve. Après c’est encore un petit peu tombé… pas en désuétude parce que j’avais à ce
moment-là un contact avec la langue bretonne plus par l’écrit. Et puis un peu sur le tard,
j’ai repris sérieusement les études pour passer un Master 2 quand j’étais à Nantes. À
partir de ce moment-là, la langue bretonne est devenue très importante dans ma vie de
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tous les jours, dans le temps libre qu’on a, la part de temps libre pris par la langue
bretonne est devenu dominant. D’ailleurs je suis chez Produit en Bretagne à cause de la langue bretonne. Ça fait 3 ans chez Produit en Bretagne, j’étais auparavant Directeur
général d’une entreprise dans le sud de la France à Perpignan par un concours de
circonstances. En fait à un moment donné j’ai perdu mon emploi, j’ai dû trouver un
emploi, je suis parti dans le Sud. Et par hasard, je suis tombé sur l’annonce de Produit en Bretagne dans le Ouest France qui dans son descriptif a mis en avant un certain nombre
de choses, et notamment une composante culturelle. Ça m’a beaucoup intrigué parce
que moi j’étais uniquement dans le domaine de l’économie et je trouvais ça assez curieux
qu’une association associe les deux. Je suis allé voir sur le site, j’ai vu une affiche dans laquelle le slogan était en breton, « Plijadur penn-da-benn ! », le plaisir d’un bout à l’autre,
rien que du plaisir. Slogan qui avait été utilisé dans le métro à Paris. Alors là du coup ça
m’a vraiment plu, mais aussi étonnant que peut-être ça puisse paraitre, il n’y aurait pas eu de breton dans cette affaire, je ne serais pas venu. Parce que finalement, je n’étais pas
trop mal à Perpignan, je gagnais beaucoup mieux ma vie et j’étais probablement plus
tranquille que je ne le suis dans une association où on fait des journées de 12 heures de
travail. Maintenant, quelle est la place de la langue bretonne réellement dans l’association et
dans le monde des entreprises en particulier ? Elle existe, je pense que Produit en
Bretagne dans une certaine mesure a été assez pionnier dans le monde de l’économie
pour la mise en avant de la langue Bretonne. Notamment par cette action d’un grand slogan sur une affiche dans le métro. Certaines personnes nous reprochent de l’avoir fait
à Paris et de ne pas l’avoir fait en Bretagne. Je comprends très bien ce reproche, je le
partage d’ailleurs, c’est tout à fait clair. Néanmoins, c’était très intéressant de voir que pour la première fois, on utilisait la langue bretonne à des fins relativement économiques.
Parce que si ça a été utilisé dans le métro, c’est parce que ça avait une certaine efficacité.
On a pensé que ça pouvait aider à attirer l’attention… Donc voilà, dans un but marketing,
n’ayons pas peur des mots. Depuis lors, l’association a fait quand même des choses de façon purement généreuse
par rapport à la langue bretonne, il y a du breton sur le site, il y a tous les ans un
prospectus bilingue au moment de la fête de la Bretagne qui est distribué dans 2 millions
de boites aux lettres dans les foyers bretons. Et tout ce qui est dans ce prospectus est entièrement bilingue. Ceci à l’initiative d’un patron d’Intermarché à l’époque qui était
proche de la langue bretonne et qui a réussi à demander et à obtenir ça de la part de
l’association et aujourd’hui c’est entré dans les mœurs. Donc il y a du breton sur le site internet bien sûr.
Et puis de fil en aiguille, on a fait quand même des choses. On a monté un groupe de
travail dont l’objectif est le développement de la langue bretonne dans l’économie. Parce
que c’est loin d’être évident en réalité, très loin d’être évident. Et je dirais que la langue
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bretonne… autant elle a fait des progrès dans beaucoup de domaines – dans le domaine
lexicographique, dans le domaine de la création artistique, dans le domaine de l’enseignement – ; dans le domaine des entreprises, c’est encore très balbutiant. Notre
groupe de travail s’est néanmoins donné comme mission de favoriser l’utilisation de la
langue bretonne dans les entreprises. Alors d’une part ma petite équipe de 7 personnes
suit des cours de langue bretonne, elle apprend le breton. Volontairement hein, ce n’était absolument pas imposé. C’est un peu sur le temps de travail et un peu en dehors, on ne
sait pas trop en fait. C’est de 17h30 à 19h00 tous les lundis. Les gens participent de plein
gré et avec plaisir. On a fait des petites affichettes aussi bilingues pour… vous savez, la
signalétique à l’intérieur des entreprises. C’est du symbolique, mais ça a son importance aussi, parce que tous les gens voient ça tous les jours. Alors ceci dit, pour relativiser, on a
proposé aux entreprises qui étaient volontaires de le prendre… enfin gratuitement bien
sûr, et on s’est aperçu qu’il n’y avait pas tant que ça d’entreprises qui nous l’avait demandé. Seulement une dizaine, ce qui montre que ce n’est pas le sujet numéro 1 qui les
captive.
Alors pourquoi ? Je dirais que la mission première de l’entreprise, la préoccupation
première de l’entreprise n’est pas celle-là, donc il faut faire tout un cheminement pour voir que la langue bretonne peut avoir un intérêt pour l’entreprise. En l’occurrence ce que veut
une entreprise, c’est survivre et créer de la valeur pour grandir. Donc il y a deux angles
d’attaque, il y a l’angle d’attaque où on parle au dirigeant et on lui fait prendre conscience
qu’il a un rôle à jouer, une responsabilité et qu’il peut prendre part à la grande aventure de la langue bretonne au XXIème siècle. C’est vrai que là c’est la fibre bretonne et la fibre
généreuse à laquelle on va s’adresser. Puis il y a un deuxième angle d’attaque – plus
utilitaire celui-là – où on va lui faire comprendre que la langue bretonne peut aussi créer de la valeur pour son entreprise.
Alors on a développé des analyses sur l’utilisation qui pouvait être faite de la langue
bretonne sur les emballages pour certains cas, sur l’utilisation de la langue bretonne dans
la communication de l’entreprise, ce que ça pouvait apporter. Sur le fait de proposer aussi un apprentissage de la langue bretonne aux salariés, ce que ça pouvait créer dans un
esprit d’équipe, dans un enracinement, etc. Et donc on est sur cette ligne-là. Je pense que
dans les entreprises c’est sans doute les sociétés de services aux consommateurs
auxquelles il sera le plus facile de faire comprendre l’utilité. Là j’ai choisi mon mot à dessein : l’utilité de la langue bretonne. Pourquoi ? Parce qu’il y a maintenant dans
certaines poches de populations… ça peut aller jusqu’à 20% d’enfants qui sont scolarisés
dans des filières bilingues. Ce sont des chiffres très importants en réalité et quand on est une société de services dans un contexte de concurrence féroce, savoir montrer à la
clientèle qu’on a une attention particulière à leur vie quotidienne et à leurs choix
personnels, ça peut aider à convaincre, à faire la différence. Et donc dans ces endroits-là
on pense que… par exemple par les grands magasins, mais ça peut être aussi tous les
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gens qui ont des guichets : les banques, les assurances, etc. Il y a peut-être une possibilité
plus grande de convaincre ces gens-là en premier. Mais bon, c’est quand même très difficile. Ce n’est pas mission impossible, ça me parait aussi être de première importance
sur le long terme. Parce que c’est quand même… la vie en entreprise, ça concerne
énormément de gens et on y passe 8 heures par jour. Et donc si on veut un avenir à la
langue bretonne, si on veut qu’elle ait une existence publique dans la vie de tous les jours pour ceux qui le souhaitent, ça semble difficile qu’elle soit totalement absente du monde
du travail.
Donc voilà à peu près où on en est. Alors je vous ai apporté une synthèse des réflexions
qu’on a menées sur la place de la langue bretonne dans l’économie, qui est parue dans une revue bretonne qui s’appelle ArMen. Je vais vous en donner un numéro à chacun,
enfin je n’en ai que 20, je ne sais pas s’il y en a assez. Mais je pense que ces réflexions-là
sont valables pour toutes les langues. Moi personnellement je ne dis pas « langue régionale », je n’aime pas du tout ce terme-là parce qu’il établit une hiérarchie
psychologique que je trouve déplacée, mais ça c’est mon opinion personnelle. Donc c’est
une langue tout simplement : le Breton comme les autres langues.
Remi Toulhoat
On va passer la parole à Maiwenn et à Tony pour qu’ils nous parlent un peu de leur
fonction, de leur structure et puis peut-être en quelques mots quelle est la place ou l’utilisation de la langue bretonne dans votre pratique quotidienne ?
Maiwenn Le Nedellec
Alors je suis chargée de diffusion et de production pour la compagnie Teatr Piba. Ce n’est pas forcément très clair pour tout le monde, c’est un nom du jargon culturel. « Diffusion »,
il s’agit d’œuvrer pour faire tourner une production et trouver des représentations à une
création, donc en l’occurrence nos pièces de théâtre. C’est aussi un petit peu de la communication, c’est-à-dire faire parler de l’existence d’une pièce de théâtre auprès des
théâtres, donc des structures qui sont prêtes à les accueillir ou à les diffuser, mais aussi
auprès d’un autre public auprès duquel on travaille pas mal qui est le public scolaire.
Donc les écoles bilingues mais aussi les écoles monolingues – puisque nous sommes une compagnie de théâtre bilingue. Donc on travaille sur les deux langues, avec les deux
langues et pour les locuteurs des deux langues. Donc la diffusion c’est ça. La production
consisterait plutôt à réunir les outils pour permettre la création d’une pièce de théâtre.
C’est-à-dire les outils financiers, les outils administratifs, les partenariats. J’ai 28 ans, je suis bilingue depuis ma naissance ; mon père c’est le français et ma mère
c’est le breton. J’ai suivi toutes mes études jusqu’à la terminale dans le réseau des écoles
Diwan et puis ensuite je suis partie faire mes études dans des universités un peu partout dans le secteur culturel. Donc j’ai été à Lille, au Portugal, au Brésil et à Nantes. Je parle
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aussi le portugais et j’ai d’ailleurs commencé à travailler dans le secteur culturel dans les
pays lusophones. Donc je n’ai pas du tout commencé en France, j’ai déjà un petit peu ripé par rapport à ce qu’on fait généralement. C’est-à-dire qu’on commence au niveau
national et puis ensuite on essaye de viser les grandes institutions nationales toujours
quand on fait des études. Moi je fais partie d’un centre culturel brésilien où il n’y avait pas
du tout de français, ça a été très formateur d’ailleurs, puisque j’ai dû travailler dans une langue que je ne maitrisais pas. Et je pense que ça m’a donné beaucoup d’outils et une
certaine ouverture aussi.
Et là je reviens de deux ans de travail auprès du ministère des affaires étrangères français,
j’ai travaillé à l’institut français de Mauritanie en tant que chargée de mission culturelle, donc je m’occupais de la programmation en Mauritanie. Donc un autre choc, un pays au
niveau linguistique extrêmement compliqué, beaucoup plus que la situation européenne
en général, c’est conflictuel même. Donc c’est assez intéressant aussi et je me suis beaucoup enrichie.
Et puis en revenant en Bretagne, j’ai souhaité continuer à travailler dans le secteur culturel,
mais dans une structure à la fois ouverte sur le monde mais qui me permettait d’être en
adéquation avec mon identité aussi, celle qui me constitue, c’est-à-dire mon identité bretonne. J’ai vraiment bien trouvé parce que je travaille dans une compagnie de théâtre
aujourd’hui qui est inscrite en Bretagne, dont l’identité est très bretonne, notamment au
niveau linguistique, mais aussi culturel et très ouverte sur l’international. Donc je pense
que c’est une chance, je sais aussi que c’est parce que… enfin c’est grâce à mon bilinguisme que j’ai été embauchée dans cette compagnie. Voilà pour mon parcours
personnel.
Et puis la compagnie Teatr Piba qui est une association quimpéroise qui travaille dans les deux langues. On travaille tant sur le plan administratif, le côté institutionnel, les rapports
administratifs entre nous… Ça peut très bien se passer en breton tout comme ça peut se
passer en français. Et aussi dans la création artistique pure. C’est-à-dire qu’on propose
des spectacles qui sont bilingues. Donc le breton comme langue de travail, mais aussi le breton comme langue de proposition artistique.
Tony Foricheur
Mont a ra mat ? Ya ? Mat-tre. [Ça va bien ? Oui ? Très bien.] Je m’appelle Tony Foricheur je
suis cofondateur de la compagnie Teatr Piba que j’ai fondée avec mon collègue Thomas
Cloarec en 2009 suite à 15 ans de mercenariat sur les scènes de Bretagne et d’ailleurs. Au
bout de 15 ans, on a eu envie de créer une compagnie de théâtre contemporaine, pour faire des choses d’aujourd’hui en langue bretonne et ouvertes sur le monde. Puisque mon
collègue revenait de 3 ans et demi au Laos. Donc voilà, on avait envie de créer quelque
chose qui était en même temps ancré ici en Bretagne et en même temps ouvert sur le
monde. La compagnie Piba, c’est un mot Laos qui veut dire « les esprits fous ». Donc c’est
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bien pour nous, ça nous convenait. Et donc Piba c’est entre quatre et vingt-quatre
personnes, entre 4 et 24 salariés suivant les projets, puisque nous embauchons principalement des intermittents du spectacle – dont nous faisons nous-mêmes partie –
dont la moitié parle breton et la moitié ne parle pas breton. Mais on a tous évidemment
une sensibilité autour de la langue et de la culture bretonne. Ce qui explique que dans le
rapport professionnel des fois on utilise le breton et des fois on n’utilise pas le breton. Moi j’ai commencé à apprendre le breton tardivement, j’avais 15-16 ans. C’est une langue
que j’entends depuis que je suis tout gamin avec ma grand-mère. Je suis d’un village qui
s’appelle Plouguerneau. D’ailleurs le village de ce fameux directeur d’Intermarché qui
s’appelle Georges Premel-Cabic et qui a lancé la langue bretonne… ou Produit en Bretagne, je sais pas. Et donc Plouguerneau c’est des pompes à essence bilingues, un
distributeur de billets bilingue… enfin c’est assez rigolo. Même une année un été il y avait
des hôtesses de caisse bretonne, anglaise, allemande et française. Donc il y avait un petit drapeau au-dessus de chaque caisse et puis on choisissait la caisse qu’on voulait. Donc
c’était super, si on voulait pratiquer l’anglais, « tiens, ça fait longtemps que je n’ai pas
parlé anglais », on allait voir l’hôtesse de caisse en anglais ou en breton… C’était très
sympa, ça a œuvré pas mal pour le dynamisme culturel au sein d’une institution économique.
Donc moi, forcément, étant à Plouguerneau depuis gamin : on entend parler breton au
marché le dimanche, on entend parler breton avec les anciens sur la plage, j’entendais
parler breton ma mère avec ses copines, en général quand elles ne voulaient pas que je comprenne… Et puis quand j’en ai eu marre de ne pas comprendre, bah j’ai essayé
d’apprendre. Et donc ma grand-mère m’y a aidé et puis ensuite j’ai fait appel… une
association de Rennes à l’époque qui s’appelait Skol An Emsav et là j’ai commencé… ils m’ont accueilli les bras ouverts : « ah, un petit jeune qui veut apprendre le breton », hop,
c’était parti, stage intensif et compagnie ! Et puis j’ai fini par faire une fac de breton, j’ai fait
quelques années d’études et puis je me suis rendu compte que j’étais plutôt un homme
de terrain. Et puis j’ai commencé mon métier de comédien en langue bretonne. Et c’est par la langue bretonne que je suis devenu comédien professionnel parce que c’est grâce
à la langue bretonne que j’ai été embauché à TV Breizh, c’est là où j’ai commencé ma
carrière de comédien en étant comédien de doublage avec une équipe de jeunes gens. Et
ça fait de ça 12 ans maintenant. Ça fait 12 ans que je travaille, pas uniquement en langue bretonne, mais je peux faire ce métier en partie grâce à la langue bretonne.
Patrick André
Demat d’an holl. Bonjour à tout le monde. Je m’appelle Patrick André, j’ai 53 ans et j’ai
trois enfants qui ont fait une formation dans le cursus Diwan jusqu’au bac. Je suis
brittophone de naissance, j’ai baigné dans un lieu bretonnant à 100%, c’est-à-dire que
jusqu’à l’âge de 15-20 ans j’étais à la ferme, on entendait peu le français mais c’était rare.
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Même les gens de l’extérieur qui venaient – que ce soit le facteur, le boulanger –, enfin
bref, on entendait très peu de français. Je n’ai parlé que breton avec mes grands-parents, mes parents, etc.
Je suis gérant d’entreprise, donc on a une petite entreprise artisanale de fabrication de
charcuterie et le nom commercial de l’entreprise c’est Abglenn. Elle a été créée il y a une
quinzaine d’années, en 97, donc ça va faire 15 ans. Pourquoi j’ai utilisé un nom en langue bretonne ? C’est parce que j’avais une expérience
professionnelle dans le monde de l’entreprise, puisque j’ai fait partie du mouvement de la
renaissance du blé noir en Bretagne et j’ai fait partie des 5 paysans à moitié fous qui
avaient acheté un moulin il y a une trentaine d’années pour lancer le blé noir en Bretagne. Parce qu’on s’était dit : « bon ça va, le blé noir de Chine, ça suffit ; autrefois les Bretons
produisaient du blé noir, donc il n’y a pas de raisons que nous on ne puisse pas produire
de blé noir en Bretagne ». On achète un moulin, on créer une marque, on planifie 250 producteurs, 500 tonnes dans les silos, etc. Enfin bref, on s’est retrouvé avec 500 tonnes
dans les silos et pas de financement pour payer les producteurs. Enfin bref, c’est les
producteurs qui ont financé en fait. Donc on a créé une marque, on a créé la marque
Harpe Noire Tradition Bretagne, elle existe toujours d’ailleurs. C’est là qu’on a compris l’intérêt de créer une marque identitaire pour lancer un produit. Parce que nous notre
clientèle c’était les crêperies, il y a 1700 crêperies en Bretagne. Donc il fallait faire un
produit de qualité, un produit qui soit identifiable. Et donc on a réussi à réintroduire le blé
noir de Bretagne par la qualité, mais aussi en faisant le lien entre un produit de territoire et l’utilisation d’une marque bien identifiable. Et donc la marque bretonne c’était Telenn Du et
c’est lui qui est utilisé pour le blé noir biologique, le blé noir sarrasin normal c’était Harpe
Noire Tradition Bretagne ; Telenn Du c’était le blé noir biologique. Et on a bien vu que le créneau bio était porteur et donc la marque Telenn Du s’est bien développée. Et on a à
l’époque eu un partenariat avec les bières Lancelot. Bernard Lancelot, que je connais bien,
à l’époque il venait au moulin chercher du blé noir biologique, parce qu’on était les seuls
en Bretagne à faire du blé noir biologique à l’époque. Et lui il cherchait une marque aussi, enfin il s’intéressait à faire le lien entre des produits de qualité, du territoire et puis une
utilisation de la langue petit à petit dans le commerce. Et alors pendant la discussion on
s’est dit : « bah tiens, si tu veux, t’utilises la marque Telenn Du ». Et actuellement vous avez
la bière Telenn Du partout en Bretagne et c’est de cette époque en fait. Donc moi j’ai fait… enfin moi c’est ma formation en fait. Moi la langue bretonne dans le
monde économique, c’est à travers le monde économique. Ce n’est pas parce que je suis
brittophone de naissance, c’est plutôt le monde économique qui m’a mis dans le coup en fait ; pour faire le lien entre le breton, la langue, l’identité, un produit bien identifié.
Alors donc après… bon voilà, le blé noir de Bretagne est lancé, on trouve du blé noir de
Bretagne dans beaucoup de crêperies, etc.
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Et 10 ans après j’ai créé une entreprise et là je ne suis pas parti d’une marque française
que je traduis en Breton, je suis parti carrément d’une marque Bretonne. J’ai créé la marque Abglenn. Donc c’est la fusion de « Ab » (Ab ça vient de Mab, le M tombe, ça veut
dire fils) et « glenn » c’est le petit territoire, le petit champ avec la récolte, la nature, etc. J’ai
fait le lien entre « Ab » et « glenn » : le fils du petit territoire, le fils de la terre. Et donc la
marque Abglenn, on produit des produits de charcuterie, on fait des conserves et je travaille en partenariat avec le réseau Biocoop. Mais j’ai deux autres fournisseurs pour
l’entreprise parce que ma ferme fournit, mais je n’ai pas suffisamment de produits, donc
je suis obligé de travailler avec deux autres producteurs et on a quatre salariés. On
travaille avec le réseau Biocoop, ça se passe super bien. Donc mes produits sont reconnus… bon, il y a la qualité, etc. Puis il y a la reconnaissance par rapport à un produit
bien identifié. Et donc j’utilise la langue bretonne sur les étiquettes, donc tous les
ingrédients sont traduits en langue bretonne. Je vais au-delà d’ailleurs parce que tous mes fax sont bilingues, toutes les entreprises reçoivent mes fax bilingues. Toutes mes
factures sont bilingues. J’ai des relations en langue bretonne avec les personnes des
magasins Biocoop, on trouve des brittophones dans les magasins Biocoop. Donc j’ai des
relations commerciales, d’ailleurs voici un fax… c’est une jeune qui sort des écoles Diwan qui travaille dans un Biocoop qui m’envoie ses fax de commandes en breton. Donc moi je
pense que c’est possible de pouvoir travailler… cette jeune elle m’envoie toutes ses
commandes en langue bretonne. Il n’y a pas eu de réticences ou quoi que ce soit par
rapport à l’introduction de la langue bretonne à ce niveau-là. Peut-être parce que je travaille avec un réseau qui est plus ou moins alternatif, qui est plus ou moins en accord
avec la diversité environnementale et donc la diversité culturelle. Enfin on peut faire le lien
en tout cas. Donc voilà en gros mon expérience. Et moi je pense que c’est un atout pour nos langues… Alors comme a dit M. Bouëssel du
Bourg, je ne suis pas d’accord non plus avec la notion de « langues régionales ». Donc
c’est un atout pour nos langues quelle que soit la langue que de l’introduire dans le
monde économique.
Remi Toulhoat
Dans le point suivant, ce qui serait intéressant… peut-être en passant la parole d’abord à Philippe Jacq de l’Office. C’est de voir un peu et puis après d’avoir vos points de vue
aussi… vous vous êtes un petit peu exprimé sur cet aspect-là déjà l’un et l’autre, mais le
lien qu’on peut faire entre compétences… alors moi j’ai du mal à écrire, même dire
« langue régionale », je préfère dire breton quoi. Compétences en langue bretonne et accès à l’emploi.
Je propose à Philippe Jacq d’essayer un peu de nous introduire cela. C’est en lien
notamment avec des études que l’Office peut mener, des statistiques récentes aussi sur
les emplois directs ou indirects que la maitrise de la langue bretonne peut générer, peut
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engendrer sur notre région. Est-ce que tu peux un petit peu nous parler de cela et peut-
être aussi relier cela avec une enquête je crois récente et qualitative qui a pu être menée aussi par un organisme de formation comme STUMDI ?
Philippe Jacq
Bah disons que ce que l’on peut appeler « le monde de la langue bretonne » s’est beaucoup transformé depuis une trentaine d’années et continue à se transformer et dans
le bon sens. Parce qu’il y a trente ou quarante ans, une personne qui s’intéressait à la
langue bretonne ma foi faisait ça sur son temps libre, la langue bretonne c’était un hobby, c’était quelque chose qu’on faisait pendant les vacances, le week-end, on s’organisait en
associations, on créait des clubs, on créait une maison d’édition, on écrivait des romans…
donc c’était ça. Et puis de temps en temps des colloques. Mais tout ça c’était sur le temps
libre. Et ce qui a tout changé, c’est la création des premières écoles en langue bretonne, la première école Diwan c’est 1977. Et à partir de là, pour la première fois sans doute des
personnes ont commencé à être payées, à avoir un emploi grâce à la langue bretonne. Et
donc ce mouvement des écoles Diwan… donc des professeurs. Alors il existait avant les
écoles Diwan des professeurs qui enseignaient la langue en tant qu’option, mais c’était en plus de leur matière principale. Donc c’est véritablement je crois le changement.
La mutation a débuté à la fin des années ‘70 avec le développement des écoles
associatives Diwan et puis ensuite les classes bilingues du public puis le privé qui est aussi important en Bretagne (40% des élèves). Donc il existe aussi des classes bilingues privées.
Donc tout ça a fait que petit à petit… les écoles se développant, on a eu de plus en plus
de gens – surtout dans le domaine de l’éducation – qui ont commencé à travailler grâce à
la langue bretonne. Parce que souvent on entend en Bretagne… moi-même j’ai entendu par mes parents quand j’ai commencé à vouloir apprendre le breton : « qu’est-ce que tu
vas faire avec ça, ça ne sert à rien, le breton c’est le moyen-âge ! » ; « enfin c’est terrible
quoi, vraiment t’es dans une impasse là mon p’tit gars…Fais autre chose quoi ! ». Et donc
ça, c’est vraiment en train de changer, de plus en plus de personnes commencent à gagner leur vie grâce à la langue bretonne. Alors essentiellement dans le monde de
l’enseignement, mais ce qui est intéressant c’est que le monde de l’enseignement a aussi
généré d’autres besoins périphériques en fait. À l’intérieur de l’Office, il y a un service qui s’appelle l’Observatoire des pratiques
linguistiques, donc qui s’attache à essayer de mesurer toutes ces évolutions autour de la
langue bretonne. On avait fait une enquête il y a 5-6 ans pour essayer de voir le nombre
d’emplois directs équivalent temps plein générés grâce à la langue bretonne. Donc pour être sur le poste, il fallait absolument parler breton. Et c’est une enquête qu’on est en train
de relancer pour voir un petit peu les avancées et on espère que l’année prochaine on
pourra éditer cette étude.
FLAREP 2012 Les langues régionales au travail et dans le monde économique
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Il y a 5-6 ans, on avait estimé autour de 900 emplois ETP. Je pense qu’aujourd’hui on est
autour de 1200 emplois. Les trois quarts d’entre eux, c’est clairement des emplois qui ont trait à l’éducation. Soit des emplois de professeur ou d’assistante maternelle ATSEM. Et il
reste un quart d’emplois autres. Alors beaucoup dans le monde culturel, le monde
associatif. Ça peut être les médias publics, donc France 3, les radios du service public
également, France Bleu, TV Breizh (qui a été mentionné tout à l’heure et qui a été je pense à sa naissance un outil qui a permis la professionnalisation de beaucoup d’acteurs qu’on
retrouve, même si TV Breizh a périclité). Les gens qui ont été formés par TV Breizh ont
continué pour une bonne part à travailler dans le monde des médias en langue bretonne
qui s’est beaucoup développé. Le monde associatif qui est aujourd’hui le monde culturel de la langue bretonne, de la culture bretonne on peut dire s’est bilinguisé quand même
très fortement. Il y a 20 à 30 ans, on pouvait très facilement travailler pour la langue
bretonne ou faire des choses pour le Breton en ne parlant pas la langue, aujourd’hui c’est de plus en plus difficile, on voit énormément d’associations en recherche de personnes
qualifiées bilingues sur des postes de direction, de secrétariat, de comptabilité… De plus
en plus d’associations utilisent le breton en interne. Le monde de l’édition également s’est
développé, entre 80 et 100 ouvrages sortent en langue bretonne tous les ans ; donc ça veut dire qu’il y a des personnes pour les écrire, il y a des associations pour les… Donc en
général, ça reste dans le cadre du monde associatif, pour les éditer, pour maquetter les
livres… Donc il y a beaucoup de choses qui sont en train de se mettre en place. Donc c’est
vrai qu’on a de plus en plus d’emplois différents tout en sachant que l’enseignement restera pour les 20-30-40 années qui viennent le secteur qui offre le plus de possibilités
pour les personnes qui souhaitent travailler en langue bretonne. Bon la voie royale si on
peut dire c’est l’éducation. Mais à côté de l’éducation, il y a de plus en plus d’autres professions qui demandent la connaissance de la langue, soit absolument soit comme
quelque chose en plus. Par exemple pour être directeur de Produit en Bretagne, il n’est
pas nécessaire de parler breton, mais par contre je pense que quand ils ont reçu les CV,
ils se sont dit : « bon bah à compétences égales, il vaut mieux prendre un bilingue qu’un monolingue » et de plus en plus de structures commencent à penser de cette manière-là.
Tony Foricheur
Une question que je voulais vous poser. Vos études sur justement les gens qui travaillent
et dont la langue bretonne est l’atout principal pour leur travail, je vois que vous comptez
les équivalents temps plein, mais est-ce que vous comptez les intermittents là-dedans ?
Philippe Jacq
Oui je pense.
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Tony Foricheur
Parce qu’il me semble avoir vu votre questionnaire et m’être posé la question de comment j’allais mettre moi… Parce qu’il y a pas mal d’intermittents qui travaillent en langue
bretonne et il ne me semble pas… alors je ne sais pas, peut-être que ça demanderait à
être vérifié, mais il ne me semble pas que ça apparaissait dans vos questionnaires. Parce
que ce statut-là – malheureusement qui est assez méconnu – apparait très rarement dans les études…
Philippe Jacq
Mais pourtant vous avez reçu le questionnaire ?
Tony Foricheur
C’était dans le cadre d’une association, je crois.
Philippe Jacq
À mon avis Teatr Piba a dû recevoir le questionnaire…
Tony Foricheur
Ouais, mais c’est pour les réponses où c’est un peu délicat. En fait je ne savais pas comment intégrer les intermittents en équivalent temps plein. Peut-être que c’est
purement technique mais…
Philippe Jacq
D’accord. Mais de toute façon, ça ne reste que des estimations. Et là en fait on est en train
de faire la deuxième étude et ce qui est intéressant c’est de voir en fait la progression…
Après que ce soit 900 ou 950 emplois, 1200 ou 1300… ce qui est important, c’est de voir que la langue bretonne aujourd’hui devient une opportunité d’emploi, de niche, mais
quand même on peut vivre aujourd’hui grâce à la langue bretonne et de plus en plus.
Remi Toulhoat
Ce qui serait intéressant dans le prolongement de ce que vient d’exposer là Philippe Jacq,
c’est que chacun d’entre vous – même si vous êtes sur quelque chose de très personnel –
d’émettre votre point de vue justement sur ce lien que vous, vous mettez en œuvre ou vous percevez entre la compétence en breton et l’accès à l’emploi. Produit en Bretagne,
c’est plus de 300 adhérents nous a dit Malo Bouëssel du Bourg, donc avec des choses qui
visiblement sont en train de se mettre en place. Donc c’est intéressant de voir comment à
l’intérieur des adhérents de Produit en Bretagne… – qui est une charte avec des engagements, des valeurs, etc., comment vous sentez ou vous constatez concrètement ce
qui se met en place, ce qui se joue là dans les entreprises adhérentes ?
FLAREP 2012 Les langues régionales au travail et dans le monde économique
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Malo Bouëssel du Bourg
Bah en fait dans nos 300 membres, il y en a quelques-uns – rares mais néanmoins
vraiment caractéristiques – qui utilisent le breton dans leur quotidien. C’est en l’occurrence
Stumdi qui est membre de Produit en Bretagne ; c’est Keit Vimp Bev, un éditeur membre
de Produit en Bretagne ; c’est Dizale qui fait des doublages en langue bretonne, donc qui sont membres aussi. C’est des membres assez récents d’ailleurs ceux-là. Donc pour ceux-
là, la question ne se pose même pas, parce que c’est leur langue de travail et donc c’est
comme ça. Après il y a quelques entreprises dans lesquelles le breton est pratiqué je pense au quotidien. Je pense à Ouestélio par exemple, c’est un imprimeur dans la région
de Brest. C’est pour des raisons un peu historiques liées au dirigeant. Mais ça compte
aussi, de toute façon il faut bien qu’il y ait des gens motivés au début de quelque chose,
rien ne se fait sans passion ! Et puis après – donc pour la très grande majorité – je pense que… alors là je n’ai pas de chiffres, d’ailleurs je trouve qu’il y a un peu quand même une
carence de ce point de vue-là d’études fines et approfondies sur ce que seraient prêts à
faire les chefs d’entreprises, sur ces questions de préférence à accorder à quelqu’un qui
aurait la double-compétence. Donc ce que je vous dis, c’est juste ce que je ressens, c’est sous réserve. Je pense que la plupart des chefs d’entreprises sont aujourd’hui comme la
plupart des Bretons : dans une attitude positive mais relativement passive vis-à-vis de la
langue bretonne. Mais enfin ils ont une attitude plutôt accueillante. Il y a certainement un petit groupe de chefs d’entreprises qui sont plutôt contre et qui trouvent que c’est… Mais
bon, la plupart sont dans une attitude ouverte. Ça c’est le premier point.
Deuxièmement, je pense qu’une des choses que recherche un chef d’entreprise quand il
va embaucher quelqu’un… forcément ça sera d’abord la compétence on va dire technique par rapport à un poste donné, un profil donné. Mais bon, ça, ça ne fait pas tout.
Et qu’est-ce qui peut faire la différence à compétence égale ? Et vous savez, quand on
ouvre un poste, on reçoit 250 CV, donc qu’est-ce qui peut faire la différence ? C’est la
faculté à montrer une fidélité à l’entreprise aussi et qui peut passer par une fidélité au territoire. C’est la faculté à montrer qu’on a une personnalité qui n’est pas lisse, qui n’est
pas exactement comme tout le monde. Qu’on a quelque chose qu’on aime et qu’on sait
dire ce que l’on aime et pourquoi on l’aime. En l’occurrence si c’est en rapport avec le territoire, bah ça peut être encore mieux. Tout ça c’est des points extrêmement positifs. Et
puis donc je dirais qu’à compétence technique égale, dans bon nombre de cas le fait de
pouvoir dire qu’on a fait un effort pour maitriser plus ou moins bien, mais en tout cas pour
avancer dans la maitrise de la langue bretonne, je crois que c’est un plus. Je ne sais pas le mesurer mais je pense que c’est un plus. Puis après il y a aussi je pense quelques chefs
d’entreprises chez qui ça va devenir utile, donc ça fera partie du profil technique là pour le
coup parce que… je sais pas moi, si un patron de magasin veut changer un peu ses
écriteaux, les mettre en bilingue, bon le bon réflexe c’est qu’il s’adresse à Office de la
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langue bretonne, mais viendra un jour où ça ne sera plus possible à l’Office de la langue
bretonne de faire tout ça parce qu’il y aura trop de demandes, trop de boulot. Par exemple pour les sites internet, si tout le monde demandait ils seraient débordés. Donc
c’est bien aussi que cette compétence à un moment donné existe dans l’entreprise. Et ça,
ça serait un deuxième âge, mais je pense que ça va commencer à venir un petit peu, tout
doucement quoi. Donc globalement j’ai une perception assez positive du fait que de parler breton peut être un plus pour trouver du travail. Mais encore une fois, la
compétence technique c’est quand même 90% du chemin d’abord. Parce qu’on rencontre
aussi des gens qui viennent vers nous pensant que, comme ils parlent breton, on va les
prendre d’office et puis après ils vont apprendre un métier dans l’entreprise. Ça peut marcher peut-être dans certains cas, mais globalement ce n’est quand même pas ça.
Tony Foricheur
Je suis d’accord à 100% avec vous, je me méfie du « grâce à la langue bretonne » ou « via
la langue bretonne j’ai réussi à trouver un travail ». Non : j’ai réussi à trouver un travail
parce que j’ai des compétences, et ça, ça fait 90% du fait que je vais trouver un travail.
L’atout langue bretonne… la langue c’est un média de communication, donc c’est la manière qu’on a d’échanger avec son environnement dans le cadre de son activité
professionnelle. Mais ça reste un média, il ne faut pas que ça sorte de cette place de
média, il ne faut pas que ça devienne… Parce que bien sûr – comme vous le disiez – on peut se retrouver avec des gens qu’on va embaucher parce qu’ils connaissent la langue
bretonne et qui ne sont pas du tout compétents. On va trouver des gens qui se disent : «
ah bah je vais faire une formation en langue bretonne et comme ça je vais trouver un
boulot ». Parce que je l’ai entendu ça, des gens qui notamment se formaient pour devenir enseignant bilingue : « je fais la formation parce que comme ça je vais être muté en
Bretagne et puis je suis sûr d’avoir du boulot et d’être fonctionnaire ». Moi j’applaudis des
deux mains, enfin je trouve ça assez terrible. Parce qu’on devient enseignant par passion,
on fait un métier par passion, normalement on devrait le faire par passion et pas dans l’objectif d’avoir un travail ou des revenus, même si je sais qu’aujourd’hui on est dans une
période de crise très importante et qu’il faut vivre. Mais bon, la langue bretonne doit
rester… et nous dans Teatr Piba d’ailleurs, depuis qu’on a créé la compagnie c’est le discours qu’on mène : on ne fait pas de la langue bretonne, on fait du théâtre. Voilà, c’est
comme ça qu’on convainc toutes les collectivités territoriales, les structures qui nous
accueillent. Maiwenn dans le cadre de son travail, c’est la première chose qu’on dit : « oui,
alors, vous faites du breton ? » ; « Non, on ne fait pas du breton, on fait du théâtre ! On a une proposition artistique et on utilise le média de la langue bretonne ». Et nos créations,
soit de par leur bilinguisme – comme c’est le cas sur le spectacle jeune public Al Liorzhour
–, soit par le biais d’une accessibilité par un surtitrage ou un titrage projeté : c’est
accessible à tout le monde.
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Mais ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’on n’est pas là pour faire de la langue bretonne.
Je pense qu’il y a eu une période très importante pour la langue bretonne qui a été une période très militante, où il y a eu beaucoup d’acquis qu’on a réussi… beaucoup de
choses qui ont été obtenues grâce au militantisme, grâce au travail bénévole d’un certain
nombre de personnes. Ça je parle en dehors du cadre de l’utilisation de la langue
bretonne au quotidien chez certains. Et qu’aujourd’hui, on n’est plus dans cette optique de mobilité et de travailler bénévolement et de… Voilà, on ne fait plus du breton aujourd’hui,
quelque part on utilise cet héritage-là de 20 ans ou de 30 ans de militantisme… on utilise
cet héritage maintenant nous pour travailler, on transforme l’essai. En tout cas c’est l’idée
qu’on a nous les jeunes générations. C’est-à-dire que maintenant on utilise… c’est devenu naturel maintenant : on fait notre travail, mais on va utiliser le média de la langue
bretonne.
Maiwenn Le Nedellec
En partant du principe que c’est quelque chose d’acquis, on n’est plus en lutte pour
prouver qu’on vaut quelque chose parce qu’on parle breton. Non le breton il est là au
même titre, sur le même piédestal que n’importe quel autre outil linguistique et c’est peut-être une des façons les plus élégantes de valoriser la création en langue bretonne sans
mettre en avant que… « Oui mais attendez, c’est en breton » ; « Non, c’est du théâtre » ; «
Ah mais c’est en breton ? » ; « Oui oui, c’est en breton ».
Intervention dans la salle
C’est peut-être aussi parce qu’aujourd’hui vous avez un public et qu’à un moment il n’y en
avait pas. C’est-à-dire que… je pense quand même qu’aujourd’hui le public scolaire… enfin voilà, moi je suis juste parent d’élèves, on essaie aujourd’hui par exemple de
trouver… moi l’intérêt, ce n’est pas de trouver un spectacle bilingue, mais c’est de montrer
aussi aux enfants que cette langue elle peut vivre en dehors du cadre scolaire. Et je pense que si vous pouvez être aujourd’hui sur ce positionnement-là, il ne faut malgré tout pas
qu’on oublie qu’il y a des gens qui avant ont construit ça et qui vous permettent
aujourd’hui de trouver effectivement un public.
Tony Foricheur
C’est exactement ce que j’ai dit quand j’ai parlé de transformer l’essai et quand j’ai parlé
de 30 ans de militantisme. Je n’occulte absolument pas tout le travail qui a été fait derrière, bien sûr, évidemment, ça serait très inélégant de ma part.
Malo Bouëssel du Bourg
Je voulais faire une petite remarque. Justement je pense que cette démarche-là… c’est la création qui prime en fait. Et une création contemporaine de qualité, ça fait un bien fou à
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la langue bretonne. Même si ce n’était peut-être pas le premier combat, mais ça en fait
quand même partie. Mais c’est d’abord la création de qualité, du coup les gens voient qu’on peut créer du théâtre contemporain de très bonne qualité en breton, je pense que
ça fait un bien fou à l’image de la Bretagne et à l’envie d’aller vers la langue bretonne. Et
d’ailleurs je crois que la création en général, c’est un des vecteurs qui peut donner envie
aux jeunes d’aller vers la langue bretonne. Et donc c’est stratégique, c’est vraiment très important d’avoir une création de qualité.
Tony Foricheur
Que ce soit dans l’audiovisuel ou dans le théâtre.
Et pour répondre aussi en partie aux remarques, c’est qu’il n’y a pas uniquement des
enfants des écoles bilingues qui viennent voir nos créations, on a un public monolingue
qui est justement amené vers la langue bretonne via la proposition artistique et pas via la langue bretonne. Et ça c’est intéressant de travailler par ce média-là. Parce que comme
ça on ne se dit pas… Parce qu’avant on téléphone aux journalistes… par exemple on fait
un spectacle en langue bretonne : « ah bah vous n’avez qu’à à aller voir untel, c’est lui qui
s’occupe des brezhoneg quoi ». Bon, non, je ne suis pas d’accord. Par exemple quand on va commencer à demander de l’argent sur certains partenaires, c’est : « ah oui, vous c’est
langue bretonne, bah ce service-là c’est langue bretonne » ; « Non, on fait de la création
artistique, donc on peut aussi être accompagnés sur la ligne culturelle et pas forcément la ligne langue bretonne ». C’est d’ailleurs ce qu’il se passe et ce qu’on défend depuis qu’on
travaille et qu’on a créé Piba. Et justement, ça ouvre des portes, ça créé des ponts. On
pourrait être considéré comme une compagnie comme les autres finalement. Et aussi
exigeante que les autres.
Maiwenn Le Nedellec
Et ça nous permet d’être plus soutenus et d’embaucher encore plus du coup, de donner un accès à l’emploi.
Patrick André
Ce que je pourrais dire, c’est que ma clientèle vient au magasin, à la ferme, ou quand je suis sur les marchés à mon camion. Ce n’est pas parce que je suis brittophone, c’est
parce que mes produits sont bons d’abord ! Ça rejoint un peu… voilà, il faut être
compétent. Moi en ce qui me concerne, je fais d’abord des bons produits, mais le fait que je sois brittophone et que je parle naturellement avec ma clientèle, peu importe si… je
passe du breton au français, du français au breton d’une manière naturelle et je pense
que ça met à l’aise les gens sur le marché. Je pense que ça fait un plus pour mes
produits, ça fait un plus pour la clientèle. Même ceux qui ne sont que francophones, ils apprécient que je parle que breton avec des brittophones, enfin je veux dire… voilà quoi,
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c’est… Et moi je pense que c’est un plus dans mon commerce, parce que je me sens à
l’aise… Je suis plus à l’aise d’ailleurs en breton qu’en français, mais ceci dit, je pense que les gens sentent la sincérité et l’authenticité, c’est ça qui est important aussi. L’authenticité
et la sincérité derrière ce qu’on fait, derrière le produit, derrière son comportement, etc.
Puis là ça roule.
Remi Toulhoat
On va essayer de regrouper les deux derniers points sur lesquels je voulais que vous
puissiez vous exprimer : -Comment vous en tant qu’acteur économique à vos niveaux respectifs vous utilisez
(j’avais mis « vous exploitez », sans que ce soit avec une connotation négative), la langue
bretonne pour déjà en faire la promotion dans vos environnements respectifs, mais aussi
faire la promotion de votre métier, de vos produits ou de votre entreprise. -Puis peut-être de voir un peu comment vous mesurer à vos niveaux les échos et les
retombées, les bénéfices pour vos propres structures ?
-Et puis croiser ce questionnement-là avec… Essayer de tracer des perspectives pour
consolider et développer l’emploi où la compétence dans la langue bretonne est requise ? Si vous pouviez un petit peu exprimer vos points de vue sur ces deux-trois points-là ? Et pu
après on laissera la salle réagir par rapport à ce que vous avez pu dire. Dans l’ordre que
vous voulez.
Maiwenn Le Nedellec
Je peux peut-être juste préciser… par exemple dans mon travail en tant que chargée de
diffusion à Piba, le breton est à la fois très utile et très agréable. Utile parce que dans notre compagnie nous avons la chance de travailler sur deux réseaux. Dans la culture tout
est question de réseaux : si on n’a pas de réseaux, on n’existe pas. Nous travaillons sur
deux réseaux qui est le réseau salle de diffusion/théâtre en général et le réseau bretonnant. Et c’est une vraie chance parce qu’il y a certainement des villes où on n’aurait
pas pu présenter Al Liorzhour cette année pour la tournée qui arrive si on n’avait pas été
soutenus et souhaités par les associations bretonnantes. C’est le cas de l’agence culturelle
bretonne de Nantes, grâce à elle on a accès à une salle Vasse où on va jouer en février. Ce sera la première fois peut-être qu’une pièce de théâtre en langue bretonne passe
dans cette salle. Le Théâtre du Pays de Redon aussi, scène de territoire, le Carré Magique,
une scène nationale qui n’est pas forcément très portée sur la mise en valeur de la langue
bretonne, enfin pas ces dernières années en tout cas. Donc j’ai envie de remercier toutes ces associations avec qui on a travaillé, collaboré, qui sont venues voir notre spectacle, qui
l’ont apprécié, qui se sont battus pour qu’il puisse passer dans leur ville.
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À Redon par exemple, on présente une scolaire le 22 novembre, il y a trop de classes
pour les scolaires, donc on a même pu jouer trois fois dans la même journée tellement il y a des écoles qui sont intéressées. Et pas que des écoles bilingues, donc c’est plutôt positif.
Donc moi ça me permet de travailler vraiment sur deux réseaux. Alors je travaille en
langue bretonne, quand j’appelle des écoles ou quand j’appelle des associations
bretonnes, on parle en breton, on négocie une date en breton, on s’engueule en breton, on rigole en breton. Voilà, on bosse en breton et je fais la même chose avec le côté
français. Donc c’est vraiment utile et puis en même temps c’est une utilisation très sincère
de la langue.
Tony Foricheur
Tu créés des ponts en fait. Et c’est ça qui est intéressant. La question c’est « comment
utilisez-vous la langue bretonne pour en faire la promotion ? ». Ce n’est pas tout à fait ça, ce n’est pas forcément à ça que j’ai envie de répondre. J’ai envie de dire que le travail de
Maiwenn et le travail qu’on faisait nous avant qu’elle arrive à la compagnie, c’était
d’essayer de créer des ponts entre différents réseaux qui avant ne communiquaient pas
forcément. Alors on a des exemples propres comme le Carré Magique. Le Carré Magique ne programme pas de langue bretonne, non, le Carré Magique ne fait pas de langue
bretonne, c’est une scène nationale d’art du cirque. Alors à moins qu’un bretonnant
jongle, je ne vois pas trop comment accueillir la langue bretonne. Par contre il y a des associations, il y a des écoles autour du Carré Magique qui eux recherchent des
spectacles en langue bretonne pour leurs élèves et pour… Donc c’est deux réseaux, deux
réseaux qui ne communiquaient pas avant et qui grâce au travail de Maiwenn peuvent
communiquer à un moment donné. Et ça c’est depuis qu’on travaille nous en diffusion, depuis la création de la compagnie, on passe notre temps à faire ça : à faire des ponts
entre les réseaux.
Alors du coup on utilise la langue bretonne… oui, de fait, avec les associations, les
ententes de pays bien sûr. Et on en fait la promotion du coup pas forcément en l’utilisant. Parce qu’on l’utilise avec les ensembles de pays, mais après avec les régies municipales
ou les scènes de théâtre, on ne parle pas breton. Mais le fait de permettre la collaboration
entre le réseau bretonnant et ces salles de spectacle, finalement grâce à ça on fait la promotion de la langue bretonne dans ces salles-là qui avant ne l’accueillaient pas. Pas
forcément en la parlant, mais en travaillant sur les réseaux. Même si nous on la parle
entre nous.
Et comment aider pour la promotion de la langue bretonne ? En faisant des choses naturellement en langue bretonne, comme vous le disiez, en parlant naturellement breton
avec les gens avec qui on a envie de parler breton et en faisant des bons produits, en
étant de bons artisans !
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Malo Bouëssel du Bourg
À titre personnel, j’utilise assez souvent la langue bretonne, dans le cadre du travail du coup. Bah des gens qui parlent breton savent qu’ils peuvent s’adresser directement en
breton à moi, donc on correspond par mail, par téléphone en breton. Il y a souvent aussi
des demandes de la part des médias pour parler de choses économiques en langue
bretonne. J’ai l’occasion aussi de présenter l’association à la demande d’associations, à la demande d’élèves, des choses comme ça. Ça arrive relativement fréquemment. Donc moi
ça existe vraiment dans mon quotidien, dans le monde du travail quoi. Je ne saurais pas
donner un pourcentage, mais bon, ça existe vraiment. Après, collectivement Produit en Bretagne s’est engagé, on a signé la charte Ya d’ar
brezhoneg !, donc on s’est engagé sur douze points concrets de progrès et entre autres
depuis on a un répondeur bilingue, une signalétique bilingue, tout le papier à en-tête, tout
ça c’est bilingue. Enfin un certain nombre de choses. Un des engagements, c’était aussi de montrer pourquoi on faisait ça vis-à-vis des autres membres, pour l’aspect
pédagogique des choses. Donc ça c’est notre site internet, il y a quelques petites
explications.
Est-ce qu’on peut parler de bénéfice ? Là c’est justement très délicat ce point. Tout à l’heure je vous ai dit qu’il y avait deux façons d’approcher les chefs d’entreprises : sous
l’angle de l’utilité et sous l’angle de la générosité. Et c’est très difficile en fait de faire vivre
ensemble les deux. Et pourtant les deux sont présents, j’en suis persuadé. Mais je pense qu’il faut quand même d’abord faire appel à la fibre généreuse, à la fibre passionnelle,
affective, parce que c’est celle-là qui fonctionne.
Et si vous abordez le sujet de la langue bretonne en disant aux gens : « t’as intérêt, c’est
ton intérêt », c’est dommage. Et d’ailleurs quand j’en discute avec certains patrons de magasins par exemple, qu’ont fait des efforts, qui ont vraiment une signalétique bilingue
voire quelquefois à certains endroits du magasin juste monolingue parce que c’est
évident. Par exemple au-dessus du pain ils mettent bara, ce n’est pas la peine de traduire
quoi. Bah ils me disent : « moi, non, ça ne me rapporte rien ; j’ai fait ça parce que j’avais la conviction que c’était bien de le faire, j’avais envie de le faire ». Donc c’est important de ne
pas gâcher ce côté généreux en arrivant tout de suite avec un raisonnement rationnel,
« c’est votre intérêt » et tout ça. Mais je pense néanmoins que c’est intéressant, ça apporte un bénéfice de pouvoir identifier une proximité avec la langue bretonne, un produit par
exemple. Ça peut être très bénéfique dans le quotidien. On a des gens qui mettent du
breton sur leurs emballages quand même, en pourcentage très peu, mais ça existe.
Lancelot en l’occurrence, ils viennent de sortir un pack de bières où il y a vraiment tout un côté qui est entièrement en breton, je n’avais jamais vu un si long texte en breton sur un
emballage, ça doit être vous qui l’avez traduit parce qu’ils ne l’ont pas demandé à moi !
Quelquefois ils me demandent. Et donc voilà pour l’aspect bénéfice.
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Donc j’ai la conviction que oui ça apporte un bénéfice, il faut expliquer comment. Mais
difficulté à en faire un argument et surtout ne pas gâcher la générosité qui est quand même la plus belle chose qui puisse animer le cœur d’un être humain !
Et alors du coup que faire pour l’avenir ? Bah il y a un énorme travail quand même de
pédagogie pour les chefs d’entreprises. Je suis persuadé que pour la plupart ils n’ont pas
bien compris. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais encore une fois ils ont d’autres chats à fouetter. Et donc l’idéal – si on en avait les moyens – ça serait vraiment de pouvoir
aller les voir un par un et d’engager la conversation sur la langue bretonne, discuter de ça
avec eux. Et d’ailleurs dans notre groupe de travail on a deux volontaires, deux chefs
d’entreprises volontaires qui vont aller voir d’autres patrons de magasins qui ont été répertoriés parce qu’ils étaient en train d’engager un changement de leur signalétique,
enfin une rénovation de magasin. Donc c’est le moment où mettre du breton ne va rien
leur coûter en fait, c’est juste le choix à faire au bon moment. Je crois que pour nous c’est un vrai chantier : de réussir à faire ce travail de pédagogie par divers moyens, l’idéal étant
toujours quand même le contact humain et l’explication, pour leur ouvrir les yeux en fait
d’une certaine manière. Parce qu’il y a quand même une frilosité, plein de choses qui
viennent polluer le raisonnement.
Philippe Jacq
Alors nous on ne travaille pas directement dans… enfin on n’est pas un acteur économique. Ce qu’on peut constater quand même par rapport à tout ce mouvement
d’enseignement bilingue qui s’est développé depuis 30 ans ; bah oui, il y a des gens qui
ont été formés, il y a des jeunes qui ont été formés qui sont sortis de l’enseignement
bilingue, qui ont fait des études et qui aujourd’hui sont rentrés et rentrent de plus en plus nombreux sur le monde du travail. Et ces jeunes-là, eh bah on commence à les retrouver.
Tout à l’heure on avait l’exemple d’une personne qui amène des fax, qui passe ses
commandes en breton. Et nous dans notre travail au quotidien, on se rend compte que de
plus en plus… nous on travaille par exemple beaucoup avec des collectivités locales, bah de plus en plus au bout du fil on a une personne qui a 25 ans, qui a 30 ans… alors il n’y
en a pas encore des milliers et des milliers, mais ça commence, on sent… ils sont passés
soit par Diwan, soit par les classes bilingues, et donc eux ils n’ont pas de problème avec la langue bretonne ou avec le français. Bah voilà, ils ont l’occasion de parler breton, bah
dès qu’ils savent que telle structure ou telle personne parle breton, eh bah ils vont parler
breton au téléphone, ils vont faire les courriers en breton sans aucun souci, ils ne se
posent même pas la question. Alors c’est encore délimité, on ne peut pas les compter en centaines, mais on commence
à avoir quelques dizaines un petit peu partout. Et ça c’est vraiment l’avenir je pense, parce
que c’est la réussite de tout ce mouvement d’enseignement bilingue, c’est bien de
resocialiser la langue et le monde du travail, l’économie. C’est bien sûr l’endroit par
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prédilection où on peut resocialiser la langue et on commence à les retrouver ces jeunes-
là et puis aussi les personnes… tu as commencé en disant que tu faisais une formation en langue bretonne, je crois qu’en Bretagne on a une grande chance d’avoir des
organismes de formation, ça n’existe pas pour toutes les langues et ça c’est extrêmement
important parce qu’on ne peut pas reporter l’avenir d’une langue simplement sur les
épaules des enfants, c’est aussi aux adultes de montrer l’exemple. Et tous ces gens qui sont formés… je crois que l’année dernière on a passé la barre des 200 personnes qui se
sont formées sur les stages de 6 mois, eh bien ça ce sont des personnes qu’on retrouve
ensuite soit dans le monde de la langue bretonne, soit ailleurs dans d’autres métiers,
mais qui vont pouvoir à un moment donné de leur vie professionnelle se raccrocher à la langue bretonne. Et dès qu’ils vont avoir l’occasion d’utiliser la langue, ils vont le faire. Et
c’est ça qui fait… j’ai entendu le mot « réseau » tout à l’heure, c’est extrêmement
important. La langue bretonne aujourd’hui dans l’économie c’est des réseaux et c’est des réseaux qu’il faut densifier, c’est des liens : on a des neurones, il faut faire les synapses et
il faut faire des liens, il faut retisser le lien social et ça pour le faire il faut avoir des
locuteurs. Et la chance qu’on a aujourd’hui, c’est que les locuteurs qu’on forme et les
jeunes qui sortent des classes bilingues, ils ont envie de pratiquer la langue quand ils en ont l’occasion. Et c’est en multipliant les occasions de pratiquer la langue de manière
naturelle, eh bien que la langue va se réinstaller petit à petit dans le monde du travail.
Intervention dans la salle
Des gens justement qui quittent l’enseignement et qui arrivent dans le monde du travail et
puis qui sont bilingues, qui parlent breton. Mais on ne le sait pas, comme ils sont
dispersés on les perd de vue. Et c’est là, comment faire pour… ça c’est pas évident, enfin moi je ne sais pas comment faire pour garder le contact pour savoir que dans telle ou telle
entreprise il y a des gens qui parlent breton, même entre eux dans les entreprises.
Tony Foricheur
Par bracelet électronique peut-être (Rire.)
Philippe Jacq
C’est une difficulté mais c’est parce que pour le moment, on a une vraie coupure, parce
que parmi les locuteurs, on a une majorité de locuteurs qui est âgée, donc qui est à la
retraite, donc qui n’est plus dans le monde du travail et à l’autre bout de la chaine on a des jeunes qui sont en formation. Mais entre 20 ans et 60 ans, on a très peu de locuteurs.
Donc les locuteurs qu’on a, c’est vrai, ce sont des unités, ils sont un petit peu perdus dans
le monde du travail, mais d’année en année on a quand même de plus en plus de
personnes qui sont formées et qui sortent des classes bilingues. Et ça, dans 5, 10, 15 ou 20 ans, au lieu d’avoir une personne qui parle breton dans l’entreprise, bah il y en aura 2, il y
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en aura 3, il y en aura 4 et à un moment donné ils vont recommencer à se parler en
breton entre eux et donc la langue va recommencer à vivre dans l’entreprise de manière naturelle comme autrefois. Pas à 100%, très loin de là, on a encore beaucoup de travail à
faire. Mais l’élan c’est aussi une question de nombre, c’est de la communication mais
pour communiquer il faut être plusieurs. Donc plus on est à connaitre la langue, plus il y a
de chances qu’on va l’utiliser. Après c’est des occasions, c’est pour ça, c’est des réseaux, c’est se rencontrer, créer le
lien, savoir que telle personne… Bah voilà, peut-être que la personne qu’a amené le fax,
elle travaille avec 30 entreprises, elle ne travaille en breton qu’avec Abglenn. Mais parce
que là le lien a été créé et peut-être que dans deux ou trois ans elle va créer un autre lien avec une autre personne dans une autre entreprise. Et c’est ça.
Mais il n’y aura pas de miracle non plus, c’est de la communication et donc pour la
pratiquer il faut être plusieurs. Donc c’est vrai qu’une personne qui travaille dans une banque qu’est tout seul dans son bureau, même s’il y a 20-30 personnes autour de lui, si
personne ne connait la langue, bah même si lui personnellement il a été formé, bah il va
avoir du mal à utiliser la langue sur son lieu de travail.
Patrick André
Pour faire le lien, il faut émettre des signaux.
Les signaux, ça peut être justement le fait de mettre des aliments en langue bretonne. Quand ça arrive sur les rayons… voilà, on regarde les ingrédients puis on s’aperçoit : «
bah zut alors, c’est quoi cette langue, c’est du breton là ? ». La fille elle a vu ça sur les
rayons, elle s’est dit : « tiens, peut-être que l’entreprise-là peut… ». Voilà, il faut émettre
des signaux en fait.
Philippe Jacq
Il y a un signal qui est « Produit en Bretagne », le logo Produit en Bretagne et maintenant qui est traduit en langue bretonne.
Malo Bouëssel du Bourg
Oui, ceux qui veulent peuvent l’utiliser en langue bretonne, il y a Coreff qui a commencé à le faire par exemple.
Philippe Jacq
Et l’Office pour sa part a développé également une campagne qui s’appelle Ya d’ar
brezhoneg !, « Oui à la langue bretonne », qu’on propose aux entreprises avec un logo,
avec un niveau de labélisation. Abglenn fait partie des signataires de cette charte, Produit
en Bretagne également et les entreprises qui annoncent qu’elles ont signé Ya d’ar brezhoneg !, « oui à la langue bretonne », c’est aussi un signal qu’ils envoient à l’extérieur,
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aux clients et également aux personnels qui travaillent dans ces entreprises. Et donc
ouais, tout à fait, c’est important de communiquer également sur la langue.
Intervention dans la salle
Ce qu’on peut dire c’est qu’on peut parler breton partout, que ce soit dans le monde du
travail ou ailleurs. Moi personnellement je travaille dans une entreprise de 700 salariés à peu près, du service public, et je ne connais pas tout le monde, mais je sais que moi je
suis identifié comme « le mec qui parle breton ». Il y en a quelques-uns qui parlent breton
dans la boîte et c’est vrai que quand on se voit on parle breton spontanément comme ça. Jusqu’à présent, c’est vrai que c’est plutôt des anciens qui partent en retraite maintenant.
Il y a un gros trou, je n’ai pas encore trouvé de jeunes, mais… ça va venir !
Intervention dans la salleIntervention dans la salleIntervention dans la salleIntervention dans la salle Moi je veux bien utiliser le plus possible la langue bretonne, seulement je ne parle pas
breton, donc j’ai à chaque fois recours à des personnes pour me traduire… Je voudrais
bien faire un livre qui soit bilingue, je ne peux pas parce que ça devient trop compliqué
pour moi. Mais ça sinon c’est ma volonté : de faire toujours bilingue.
Philippe Jacq
Bah après il y a des personnes qui peuvent partir en formation 6 mois, donc là on voit que…
Intervention dans la salle
Moi je fais de la formation aussi, toutes les semaines un stage d’un jour à Plésidy ; vous
savez, les retraités ont beaucoup d’occupations, donc 6 mois c’est impossible pour moi !
Et ça coûte cher aussi pour quelqu’un qui…
Tony Foricheur
Mais il n’y a pas que les retraités, c’est vrai que… On a une comédienne qui travaille avec
nous et pareil qui ne parlait pas du tout breton avant de venir travailler avec nous. Et puis du coup qui a commencé à se former, bon parce qu’il faut qu’elle parle breton à un
moment donné quoi. Et du coup elle ne peut pas faire la formation de 6 mois non plus
parce qu’elle est comédienne et qu’on peut l’appeler n’importe quand pour aller travailler,
elle ne peut pas refuser quoi, il faut qu’elle fasse son statut. Et du coup elle fait des stages d’une semaine par-ci par-là, mais bon du coup c’est vrai que c’est beaucoup plus long.
Par contre on a un autre de la compagnie qui a fait la formation de 6 mois : c’est
impressionnant, lui il sort de là… je ne dirais pas qu’il est bretonnant parce qu’après il y a
beaucoup de pratique derrière pour arriver… comme on dit, une langue il faut la parler ! Mais il y a de belles bases quand ils sortent de là, ça c’est sûr.
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Intervention dans la salle
Moi j’insiste sur le côté important de la langue bretonne, de l’économie et de la langue
bretonne. Premièrement – comme on l’a dit tout à l’heure – la plupart des gens travaillent,
c’est 7 heures par jour. Ensuite le commerce, l’économie en général, c’est essentiellement
de la relation, c’est de la publicité que vous voyez, c’est de la signalétique, c’est un contact que vous avez. Donc c’est une partie importante de l’activité humaine quotidienne.
On voit bien que la reconquête se fait par les écoles, mais elle ne se fera pas uniquement
par l’école, donc il faut déborder. Et elle débordera de toute façon : plus il y aura d’élèves dans les écoles, plus ça va déborder. Ce qu’il faut, c’est aller le plus vite possible pour
justement réalimenter l’école elle-même.
Et l’argument économique est important, les premiers… les pionniers qui ont dit : « moi je
veux créer une école bilingue », c’était raison pédagogique, raison identitaire. Mais alors maintenant, il faut rajouter un autre argument qui est l’argument économique « pour
gagner ta vie » ; combien d’entre nous avons entendu : « apprendre le breton, pourquoi
faire, ça sert à quoi ? ». Il faut leur dire : « à gagner ta vie et en plus en Bretagne ». Parce
qu’il s’avère que les Bretons veulent de plus en plus rester en Bretagne et ils ont raison. Donc moi je dis qu’il faut qu’on utilise les pouvoirs qui sont en notre possession. On
commence à utiliser notre pouvoir politique. Est-ce que vous connaissez des gens qui
veulent être réélus dans une commune où il y a plus de 10% des élèves qui sont dans une école bilingue ? Avant il y avait plein de cons pour dire « ça sert à rien, la langue de la
République c’est le français, dégagez, il n’y a rien à voir ! ». Maintenant dans une ville où il
y a plus de 10% d’élèves scolarisés, ils sont tous pour parce qu’ils veulent le pouvoir. Le
problème c’est qu’on n’a pas 10% dans toutes les écoles et tous ceux qui se présentent aux élections régionales sont tous pour l’enseignement de la langue bretonne. Donc on a
gagné de ce point de vue-là, il faut renforcer.
Alors maintenant il faut y aller sur le domaine économique. Ce n’est pas un hasard si c’est
le représentant, Malo Bouëssel du Bourg, qui a dit : « il y a des communes où il y a déjà 10% des commerçants qui voient le potentiel, le marché ». Est-ce que vous connaissez une
entreprise qui n’est pas intéressée par le potentiel d’un marché ? Non, sinon ce n’est pas
un commerçant. Donc il faut leur faire comprendre qu’ils peuvent améliorer les résultats de leur entreprise grâce au breton. Parce que le breton en plus ne fera pas fuir leurs
clients, mais il peut au contraire en apporter.
Alors il faut qu’on organise ça, moi je dis… j’ai proposé mais ça n’a pas encore été pris
comme idée. On va aller dans quelques villes – au moins une pour commencer – et on va aller voir les deux boulangers qu’il y a. On va leur demander : « tu veux vendre ton pain en
breton ou tu veux pas ? ». Il y en a un qui dit « moi je veux bien » ; l’autre qui dit « moi je ne
veux pas ». Bon je fais savoir qu’il y en a un qui veut vendre du pain en breton et l’autre
pas. Je suis persuadé que vous retournez les voir un an après : « toi qu’est-ce que ça fait
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ton chiffre d’affaires ? » ; « moi j’ai gagné 10% » ; « et toi ? » ; « j’ai perdu 10% ». Bah vous
pouvez être sûr que celui qui ne voulait pas de breton va s’y mettre dès l’année d’après. Les banques en Bretagne il y en a deux grosses qui ont le marché : Crédit Agricole, CMB.
Ils se battent pour pouvoir dire « nous sommes la première banque dans tel domaine » ;
ils décomposent les secteurs des particuliers, les entreprises, etc. Donc ils veulent pouvoir
dire : « on est les premiers ». Il y en a un qui est à 46 et l’autre qui est à 45%… On leur dit : « écoute, tu mets du breton, t’en mets plein, tu recrutes des bretonnants et puis tu vas voir
si ton chiffre d’affaires va pas grimper ». Ça c’est l’utilisation de notre pouvoir économique.
Pouvoir politique, pouvoir économique, vous allez voir ça va aller tout de suite beaucoup
plus vite !
Remi Toulhoat
Il faut faire « Produit en breton » (Rires.)
Intervention dans la salleIntervention dans la salleIntervention dans la salleIntervention dans la salle
L’important c’est de faire savoir. Moi je suis en train de rêver d’un petit montage… on fait
venir la télévision là, on fait venir tout ça, « moi j’ai gagné 10% en utilisant le breton », vous allez voir s’il n’y en a pas d’autres qui vont s’y mettre ! La communication c’est important, il
faut leur dire : « voilà, avec le Breton j’ai pu gagner ». Et alors ceux qui n’en veulent pas,
ceux qui sont timides ils ne vont pas mettre très longtemps !
Philippe JacqPhilippe JacqPhilippe JacqPhilippe Jacq
On n’a pas souvent l’occasion de faire un lien direct entre utilisation de la langue et gain
économique ou gagner un marché. Mais hier à Carhaix s’est ouvert le premier bureau de Poste bilingue en Bretagne et d’ailleurs en France, parce que c’est une première. C’est à
l’initiative de l’association Ai'ta qui a beaucoup travaillé depuis quelques années en
faisant des sitings, des meetings, des votes populaires devant la Poste pour demander
une signalétique bilingue. Donc voilà, Carhaix a été choisi, sans doute pas par hasard, pour être pilote.
Le bureau vient d’être rénové, toute la signalétique a été rénovée. Donc on parle bien de
La Poste, une entreprise nationale avec une signalétique qui est normée au niveau national, tout est normé, il y a des marchés, tout est fait… Donc la Poste a accepté la
signalétique bilingue – en partie, mais enfin bon c’est un début – dans le bureau de
Carhaix. L’entreprise qui a fait cette signalétique bilingue est une entreprise bretonne qui
n’est pas l’entreprise qui a le marché national Poste. Je sais que le slogan de Produit en Bretagne c’est aussi « relocalisons ». Donc le fait de mettre du breton à la poste de
Carhaix, ça a permis de donner un marché à une entreprise de signalétique bretonne
alors que le marché global national est discuté ailleurs. Et également ce qui a été mis en
place, c’est un gilet pour l’ensemble des salariés du bureau de Poste. Là aussi le gilet était
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normé avec le logo de la Poste et « bienvenue », maintenant ils ont rajouté « Degemer
Mat » et ce marché a été donné à Armor-Lux. Là on a un exemple d’effet direct d’utilisation de la langue et de sollicitation d’entreprises
locales. Donc ça c’est extrêmement important, à ma connaissance c’est vraiment le
premier exemple vraiment direct de…
Tony Foricheur
Je suis sûr que s’ils mettaient en vente les gilets, il y en aurait plein pour les acheter !
Intervention dans la salle
Alors moi il y a une chose qui m’étonne dans vos 5 interventions, c’est que le seul mot
qu’on entend revenir régulièrement c’est « utilisation ». Alors que j’avais compris venir ici
pour voir ce qu’on pouvait faire pour la promotion. Et en fait vous êtes tous des utilisateurs. Il y en a un qui a parlé de promotion pour son théâtre, qui a dit « peut-être qu’on fait un
peu de promotion, mais peu importe, c’est dans un but… ». J’ai entendu plus souvent
utilisation que promotion.
Philippe Jacq
Nous on fait de la promotion l’Office public.
Enfin nous notre travail c’est la promotion, mais la promotion pour que la langue soit utilisée.
Tony Fauricheur
Mais c’est de par l’utilisation, de par la promotion…
Intervention dans la salle
Moi je viens d’une région touristique où on a des saisonniers qui viennent et on a des
gens qui viennent pour s’implanter dans la région. Ceux qui viennent pour s’implanter
s’intéressent à la langue parce qu’ils veulent comprendre ce qu’il se passe dans leur
milieu et se différencier des saisonniers qui viennent travailler trois mois puis qui partent. Alors là d’accord, là la langue elle a un impact ; toujours dans la communication, ce n’est
pas parce qu’un Savoyard parle Savoyard et que l’autre ne le parle pas à côté… C’est
comme le breton, on ne peut pas être protectionniste à ce point-là, ce n’est pas possible,
on ne va pas laisser un emploi à un qui parle deux langues pour un qui ne parle pas. Je pense que l’on est moins dans le schéma de l’utilisation de la langue et plus de la
promotion.
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Malo Bouëssel du Bourg
En tout cas nous je pense qu’on est plutôt à 95% dans la promotion. En l’occurrence on a ça, c’est un outil de promotion, c’est une boite à outils en fait de promotion pour que les
gens puissent se servir de la langue, c’est pour leur donner envie. Après on fait des
affiches tout en Breton maintenant un petit peu, mais elles ne convainquent que ceux qui
sont déjà convaincus, parce qu’on les fait paraitre dans des revues bretonnes. Mais sinon je pense qu’il y a la promotion par la communication, il y a la promotion aussi par le « bon
exemple ». C’est ce que je disais : un théâtre de qualité, une pièce de qualité, ça fait un
travail extraordinaire de promotion et donc voilà. En tout cas ça je pense que c’est de la promotion, ça a été conçu dans cet esprit-là !
Intervention dans la salle
Moi j’avais envie de dire qu’il y en a qui ont très bien compris l’intérêt qu’il y a à parler breton, c’est les jeunes qui offrent leurs services, les baby-sitters en langue bretonne.
Parce que là ils ont un marché captif et ils sont sûrs d’avoir des places baby-sitter s’ils
parlent breton. Tous les parents des plus petits qui sont dans les filières bilingues, ils les prennent. Ça c’est un effet concret et immédiat sur…
Philippe JacqPhilippe JacqPhilippe JacqPhilippe Jacq
C’est aussi un effet réseau, ça plus on arrivera à renforcer les liens, plus la pratique de la langue augmentera.
Intervention dans la salleIntervention dans la salleIntervention dans la salleIntervention dans la salle
Je voulais parler un petit peu de notre langue flamande, parce que nous on se situe tout au nord d’une grande région qu’est le Nord-Pas-de-Calais, donc l’amalgame le plus
complet qu’on puisse faire d’une grande région comme celle-là. Moi je suis Présidente
d’une association Het Reuzekoor qui fait du chant, de la danse, des instruments, des costumes et de la langue flamande depuis 1976 et notre Flandre française tout en haut a
été une région très riche pendant de longues années avec l’industrie lourde, la
construction navale, etc. Avec un grand brassage de populations. Bien que notre langue
flamande a eu toujours du mal à vivre et à trouver son « utilité ». Mais maintenant… bon moi j’ai travaillé à l’ANPE toute ma vie et les gens ne trouvaient pas d’utilité à faire vivre
leur langue flamande.
Jusqu’au moment où notre région a été atteinte d’un taux de chômage énorme et que
toutes ces industries florissantes qu’on nous promettait pour l’éternité, bon bah ça tombait en désuétude et il a fallu trouver du travail ailleurs et d’autres types d’emplois. C’est vrai
que nous avons tout prêt de chez nous la Flandre Belge, pour nous il y a encore 60 000
locuteurs de flamand et de l’autre côté de la frontière qui n’existe plus il y a un 1,5 million de personnes qui parlent encore le flamand. Et le taux de chômage de l’autre côté de la
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frontière est de 5%, chez nous il est de 13%. Donc beaucoup de gens passaient la frontière
pour aller travailler en Belgique et donc nous ANPE on a dit : « bon, puisqu’il faut pratiquer le Néerlandais qui est parlé de l’autre côté de la frontière, il faut que nos électriciens, nos
soudeurs, nos vendeuses, nos serveurs de restaurant puissent parler le néerlandais ».
Donc on a mis massivement en place des stages de néerlandais et les gens revenaient
nous voir en disant : « mais Madame, c’est pas comme ça qu’on parle ; sur la chaine de travail, sur le chantier et tout ça ». Et pour s’intégrer et connaitre la culture et pouvoir
travailler en bonne et due forme, il fallait connaitre la langue de l’autre. Les gens dans la
journée faisaient des stages intensifs de néerlandais et revenaient dans des cours
associatifs pour apprendre le flamand. Et de l’autre côté de la frontière, les Flamands belges sont beaucoup plus riches que nous.
Comme chez eux, rien n’est fait pour que leur langue flamande puisse vivre, ils viennent
chez nous retrouver leur langue. Donc ils viennent en France pour retrouver leur langue à eux. Et ils ont beaucoup plus de finances que nous. Donc dans les offices de tourisme,
nous on met en place des formations en langue flamande. Et ça fait venir des gens. Dans
les musées c’est pareil : il y a un musée à Lochten où il y a les audioguides en quatre
langues : le français, le néerlandais (qui est normalement leur langue imposée), l’anglais et le flamand. Et 70% des visiteurs de flamand belge prennent les audioguides en
flamand. Pareil dans les estaminets où ils viennent pour retrouver cette convivialité
flamande qu’ils ne trouvent plus chez eux et la langue flamande. Et chez nous les
personnes se sont dit : « bah mince, c’est vrai qu’on a une langue flamande qui peut vivre, revivre et nous faire vivre ». Donc c’est vrai que maintenant… nous on est passé avec
l’institut de la langue régionale flamande qui a été créé en 2004. Donc on est passé de
quelques locuteurs à environ 600 locuteurs actuellement apprenant pour essayer de retrouver, de faire vivre leur langue.
Et ils ont créé aussi… bon bah nous aussi, on a reconnu qu’on savait faire autre chose
que des bateaux et de l’acier – parce que c’est vrai que ça a tué chez nous beaucoup de
métiers, parce qu’ils ont embauché 12 000 personnes et parmi ces 12 000 personnes il n’y avait que 17% de gens qui venaient vraiment de l’acier. Donc ils nous ont tués nos
charcutiers, nos bouchers, nos cuisiniers, nos carreleurs, nos plombiers qu’il a fallu après
au bout de 20 ans retrouver leurs savoir-faire et pouvoir les mettre en valeur. Et c’est vrai
qu’on a retrouvé chez nous des mini-brasseries et on fait aussi des bons produits ! Alors pour l’instant ils appellent ça « saveurs du Nord », nous on voudrait que ça s’appelle «
saveurs de Flandre ».
Intervention dans la salle
Moi j’ai un petit ressenti à vous exprimer, parce que depuis le temps que je milite je
n’avais jamais eu ce sentiment. C’est à travers vos échanges inter-réseaux, la dose
d’humanité que peut apporter cet échange à travers deux langues différentes. La
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sympathie qui peut passer, la connexion de réseaux qui allaient en parallèle au lieu de se
rencontrer, ça c’est quelque chose de super intéressant qu’on n’évoque jamais ou pas souvent dans le travail que font les gens.
Intervention dans la salle
Moi je rebondis… même en pensant à ce que vous disiez là : c’est pareil quoi, c’est la même chose quoi. C’est à partir du moment où on arrête d’être prescriptif que ça devient
intéressant. Et d’ailleurs vous le disiez, quand vous alliez voir les chefs d’entreprises vous
disiez : « bon, bah il faut faire, il n’y a qu’à… ». Mais bon, quand on arrête de dire : « il faut, il n’y a qu’à » ; là c’est…
Intervention dans la salle
Oui mais ça, c’est le côté affectif d’une langue.
Intervention dans la salle
Non, c’est le côté militantisme qui caractérise aussi toute une époque, les années 60-80 dans beaucoup de choses. Et c’est vrai que votre façon de l’aborder, on sent une autre
génération, mais avec un développement qui met en avant d’autres qualités de l’échange
inter-langues qui est valable certainement pour toute langue.
Christine Riou, Présidente de Div Christine Riou, Présidente de Div Christine Riou, Présidente de Div Christine Riou, Présidente de Div Yezh LannionYezh LannionYezh LannionYezh Lannion
Moi je suis Présidente de Div Yezh Lannion. Donc l’atout dans la vie professionnelle, ça
nous intéresse, parce que nous notre objectif c’est de promouvoir l’enseignement du Breton à l’école publique et donc en tant que parent d’élèves, il faut montrer aussi à quoi
ça peut servir. Parler la langue mais aussi est-ce que ça peut avoir un atout. Donc ça, ça
m’a beaucoup intéressée. Et justement, on veut montrer l’atout aux élèves qui sont à
Lannion et on va organiser un forum des métiers en mars prochain et je vous invite parce qu’on a besoin de professionnels pour venir rencontrer les élèves et pour que vous leur
expliquiez votre métier, mais aussi pour dire que le breton c’est un atout dans la vie
professionnelle.
Remi Toulhoat
Je propose que l’on conclue sur ça. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation et
de vos témoignages riches par leur vécu et riches par les enseignements et les
perspectives qu’on peut en retirer. Donc merci beaucoup à vous. Mersi bras e brezhoneg.