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CHAPITRE 14
Spectrométrie de masse
La spectrométrie de masse est aujourd’hui la méthode qui a le plus vaste champ d’applications par sa polyvalence et
son extrême sensibilité (limite de détection inférieure au nanogramme, parfois au picogramme). Elle est présente dans
des secteurs très divers : chimie organique et inorganique, biochimie, chimie clinique et environnementale, géochimie.
Elle sert à toutes sortes d’analyses dans le but de déterminer la nature, la composition et même la structure des
échantillons analysés. Dans de nombreux laboratoire, la miniaturisation des appareils à rendu possible le couplage de
la spectrométrie de masse avec des techniques chromatographiques telles que la CPG, rendant possible une
identification des espèces chimiques correspondant aux différents pics (le spectromètre de masse joue alors le rôle de
détecteur).
1. Présentation générale de la méthode
1.1. Principe de la spectrométrie de masse
Dans un spectromètre de masse, les molécules de l’analyte (à l’état gazeux) sont soumises à des hautes énergies (sous
forme de bombardements par des électrons, des atomes, ou des photons) ce qui provoque des processus d’ionisation
et de fragmentation. Ces ions / fragments sont alors soumis, sous un très bon vide, à l’action d’un champ électrique
et/ou magnétique qui permet de les séparer et de déterminer leur rapport masse/charge, donc éventuellement leur
nature. L’analyse du spectre de masse permet ainsi de remonter à des informations structurales.
EXEMPLE
Si on ionise, par bombardement d’électrons, un échantillon de méthanol (CH3OH, M=32 g.mol-1) passé à l’état de gaz, une petite fraction des molécules est transformée en espèces porteuses de charges, parmi lesquelles les ions positifs CH3OH+. Ces ions, formés dans un état excité, disposent d’un surplus d’énergie ce qui provoque pour beaucoup d’entre eux leur fragmentation quasi immédiatement. Tous, cependant, ne se dissocient pas de la même façon, si bien qu’il se forme toute une collection d’ions de masses inférieures à celle des molécules de méthanol de départ. Ces fragments sont porteurs d’informations sur la molécule initiale.
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1.2. Le rapport m/z
En 1897, le physicien anglais Joseph John Thomson (1856-1940) réalise une série d’expériences historiques sur les
rayons cathodiques. Les résultats qu’il en tire permettent de prouver l’existence des électrons (et donc des atomes)
et lui vaudront d’obtenir le prix Nobel de physique en 1906.
Lors de ces expériences, Thomson montre que la déviation de particules chargées par un champ magnétique dépend
du rapport de leur masse sur leur charge : rapport m/z. Les recherches ultérieures de J. J. Thomson vont le conduire
à étudier le rapport m/z de plusieurs atomes et de mettre ainsi au point le premier spectromètre de masse.
Dispositif utilisé par J. J. Thomson pour déterminer le rapport m/z des électrons. Ces
derniers sont générés dans des tubes à décharge (C) puis sont accélérés (entre A et B)
et passent à travers des champs électriques et magnétiques. La trajectoire des
particules est alors courbée plus ou moins suivant le rapport m/z. Les électrons sont
détectés sur un écran fluorescent ou d’une plaque photographique.
1.3. Schéma de principe d’un spectromètre de masse
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4 éléments importants constituent un spectromètre de masse :
Le système d’introduction de l’échantillon : l’échantillon peut être introduit directement dans la source
(sous forme gazeuse, liquide ou solide) ou encore par l'association à une méthode séparative
(chromatographie en phase liquide, chromatographie en phase gazeuse, torche à plasma).
La source d'ionisation : l’échantillon y est vaporisé, et les ions sont formés puis fragmentés. Plusieurs types
de sources existent et sont utilisés en fonction du résultat recherché et des molécules analysées.
L’analyseur : il sépare les ions en fonction de leur rapport m/z.
Le détecteur et système de traitement : le détecteur transforme les ions en signal électrique. Plus les ions
sont nombreux, plus le courant est important. De plus, le détecteur amplifie le signal obtenu pour qu'il
puisse être traité informatiquement.
2. Analyse d’un spectre de masse
2.1. Un cas simple : le pentane C5H12 (M=72 g.mol-1)
Lorsque le pentane a été introduit dans l’appareil, il s’est trouvé vaporisé puis soumis à une énergie intense dans la
chambre d’ionisation, par exemple en étant bombardé par des électrons. Cela a conduit à former les ions suivants :
Ion moléculaire C5H12+• (m/z = 72) par arrachement d’un électron : il conduit à la formation du pic dit pic
parent. C’est généralement le pic correspondant au m/z le plus grand. Attention : le pic parent n’est pas
toujours visible ; c’est le cas lorsque les fragmentations sont très nombreuses.
Néanmoins, il peut exister des pics de faible intensité à M+1 en raison de phénomènes d’isotopie : 1,1 % du
carbone existe sous forme de 13C de masse molaire 13 g.mol-1.
L’ion moléculaire étant produit dans un état excité, il va rapidement se fragmenter en ions plus petits :
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Le pic de base correspond au pic le plus intense, c’est-à-dire à la fragmentation la plus fréquente. Par
convention, on lui attribue l’intensité 100. Les autres pics sont donc exprimés en intensité relative par rapport
au pic de base.
Pour un pic fragment, la perte d’atomes d’hydrogène conduit à des pics à M-1, M-2, etc.
2.2. Isotopie
Certains éléments se présentent sous forme de plusieurs isotopes dont les abondances naturelles sont appréciables.
Cela conduit à l’apparition de pics supplémentaires, comme le montre l’exemple ci-dessous. En effet le brome existe
sous forme de deux isotopes 79Br et 81Br dont les abondances relatives sont de 50,7% et 49,3%. La spectrométrie de
masse est ainsi une méthode permettant également de détecter des éléments, connaissant leur profil isotopique
(abondance relative des isotopes).
A VOUS DE JOUER
Proposer une fragmentation pour rendre compte du pic de base.
2.3. Fragments organiques classiques
L’étude des fragmentations permet de connaître la structure moléculaire. En effet, les modes de fragmentation
dépendent des groupes fonctionnels de la molécule.
Les liaisons faibles se coupent plus facilement. La probabilité de rupture d’une liaison est fonction de l’énergie de cette
liaison et de la stabilité des ions formés.
Si présence d’hétéroatomes, alors on aura une ionisation préférentielle sur l’un d’eux. La charge sera localisée sur
l’hétéroatome.
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Voici par exemple le spectre de masse du butanol :
On constate tout d’abord qu’il n’existe pas de pic parent. En effet, en raison de l’hétéroatome (O) les fragmentations sont
très faciles. Pour rendre compte de ces différentes fragmentations, on peut invoquer les mécanismes cités plus haut :
Scission α :
Déshydratation caractéristique des alcools :
Autre exemple, la butanone :
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On trouve ici un mécanisme classique de clivage des carbonyles (scission α) :
3. Instrumentation
3.1. Source d’ionisation
Ionisation sous vide : principalement utilisée en couplage avec la CPG
- Ionisation par impact électronique (IE) : méthode la plus utilisée pour les composés qui peuvent passer à
l’état gazeux, comme les molécules organiques. Les molécules sont soumises à un bombardement
d’électrons, ce qui conduit à l’ionisation puis à la fragmentation.
- Ionisation chimique (IC) : en plus des électrons on bombarde avec des ions issus de molécules telles que le
méthane, l’ammoniac ou l’isobutane.
- Bombardement par atomes rapides (FAB) : réservé aux composés polaires et peu volatils sous vide (en
général grosses molécules biologiques). L’ionisation se fait par impact d’atomes lourds non ionisés (Ar ou Xe)
animés d’une grande vitesse sur l’échantillon dispersé au préalable dans une matrice liquide.
Ionisation à pression atmosphérique : ionisation plus douce, principalement utilisée en couplage avec la
chromatographie en phase liquide.
- Ionisation par torche plasma (ICP-MS) : utilisé principalement en chimie inorganique, pour doser des métaux
par exemple (technique que l’on peut rapprocher de l’émission de flamme). L’échantillon est nébulisé dans
un plasma d’argon formé à proximité d’un petit orifice situé à l’entrée de l’analyseur, ce qui fait passer les
éléments sous forme de cations dans des états excités. On peut placer également un plasma en sortie de
colonne capillaire d’une CPG. Toutes les liaisons chimiques sont détruites, ce qui fait qu’on accède ainsi aux
concentrations élémentaires (analyse de spéciation des composés organométalliques par exemple).
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- Electrospray (électronébulisation) : à pression atmosphérique, les gouttelettes de solutés sont formées à
l'extrémité d'un fin capillaire porté à un potentiel élevé. Le champ électrique intense leur confère une densité
de charge importante. Sous l'effet de ce champ et grâce à l'assistance éventuelle d'un courant d'air coaxial,
l'effluent liquide est transformé en nuage de fines gouttelettes (spray) chargées suivant le mode d'ionisation.
Sous l'effet d'un second courant d'air chauffé, les gouttelettes s'évaporent progressivement. Leur densité de
charge devenant trop importante, les gouttelettes explosent en libérant des microgouttelettes constituées de
molécules protonées ou déprotonées de l'analyte, porteuses d'un nombre de charges variable.
L'avantage de cette méthode d'ionisation comme pour l'APCI (ci-après) est l'obtention d'ions multichargés,
pour les macromolécules, polymères. Elle permet d'autre part de générer une ionisation « douce » : des ions
moléculaires sont formés en majorité.
- Ionisation laser assistée par matrice (MALDI) : un faisceau laser pulsé est utilisé, généralement dans le
domaine des ultraviolets, pour désorber et ioniser un mélange matrice/échantillon cocristallisé sur une
surface métallique, la cible (plaque MALDI). Les molécules de matrice absorbent l'énergie transmise par le
laser et s'ionisent. Les molécules de matrice ionisées transfèrent leur charge à l'échantillon.
- Ionisation chimique à pression atmosphérique (APCI) : les échantillons liquides sont directement introduits
dans un nébuliseur pneumatique. Sous l'effet d'un jet d'air ou d'azote, le liquide est transformé en fin
brouillard. Un chauffage assure la désolvatation des composés. Ces derniers sont ensuite ionisés
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chimiquement à pression atmosphérique : en général, la phase mobile vaporisée joue le rôle de gaz
d'ionisation et les électrons sont obtenus à partir de décharges d'électrode couronne. L'ionisation des
composés est très favorisée lors de ces techniques car la fréquence des collisions est élevée à pression
atmosphérique. L'APCI est une technique analogue à l'ionisation chimique (CI), elle fait appel à des réactions
ions-molécules en phase gazeuse, mais à pression atmosphérique et conduit essentiellement à la formation
d'ions [MH]+ ou [M-H]−.
3.2. Analyseur
Les analyseurs se différencient les méthodes de mesure du rapport m/z des ions, qui sont :
La séparation spatiale des ions (instruments à secteur magnétique ou électrique)
La séparation dans le temps, fondée sur la vitesse des ions (analyseurs à temps de vol)
La transmission des ions traversant un champ électrodynamique (quadripôle)
Le mouvement périodique dans un champ magnétique ou électrodynamique (pièges ou trappes à ions)
Spectromètres à secteur magnétique
Les ions sont accélérés et éjectés dans un milieu dans lequel règne un champ magnétique uniforme perpendiculaire au
plan de la trajectoire. La trajectoire se courbe et le point d'impact de l'ion (donc sa déviation) permet de connaître sa
masse à partir de la charge.
Spectromètres à temps de vol (TOF : Time Of Flight)
L'analyseur à temps de vol consiste à mesurer le temps que met un ion, accéléré préalablement par une tension, à
parcourir une distance donnée. Le rapport m/z est directement mesurable à partir du temps de vol. Un analyseur à temps
de vol se compose d'une zone d'accélération où est appliquée la tension accélératrice, et d'une zone appelée tube de vol,
où le champ est nul. La séparation des ions ne dépend donc que de la vitesse acquise lors de la phase d'accélération. Les
ions de rapport m/z le plus petit parviendront au détecteur les premiers. Pour chaque groupe d'ions de même rapport
m/z, un signal est enregistré au niveau du détecteur sous la forme d'une fonction temps/intensité.
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La figure ci-dessus représente un réflectron dont le « miroir électrostatique » égalise les temps de vols (quelques ms) des
ions de même masse mais dont les énergies initiales diffèrent.
Analyseur à filtre quadripolaire (par transmission) : catégorie la plus répandue !
Cette technique a permis de développer des appareils moins encombrants, aux performances plus modestes, mais moins
coûteux. Ils permettent de traiter des applications n’exigeant pas des spectres de grande résolution. C’est dans cette
catégorie, que se situent les appareils à champ électrique seul, basés sur l’utilisation de filtres quadripolaires pour trier les
ions. Ces spectromètres, qui forment la catégorie la plus répandue, sont très utilisés comme détecteurs de masses
(installations couplées CPG ou CLHP /SM ou ICP/SM) ainsi que dans nombre d’applications industrielles concernant
l’analyse des gaz et des atmosphères résiduelles dans les techniques du vide.
Un quadripôle est formé de quatre barres métalliques parallèles. Les barres opposées constituent deux électrodes portées
au même potentiel électrique tandis que les potentiels entre deux barres voisines sont opposés (ddp U). Les ions passent à
travers ce filtre et sont transmis (trajectoire stable) ou non (trajectoire instable) en fonction de leur rapport m/z.
Un balayage de U permet ainsi l'observation successive de tous les ions formés.
Pièges à ions
Dans ce type d’appareil, les ions sont confinés entre deux électrodes (électrode annulaire / électrode chapeau) dont
la différence de potentiel est variable, comme dans le cas précédent. Ces analyseurs, de construction moins
coûteuse, sont toujours associés à une méthode séparative en amont (CPG).
De manière simplifiée, le fonctionnement peut se résumer comme suit : le composé soumis à un très bref
bombardement d’électrons conduit à des ions qui pénètrent ensuite dans la partie centrale du filtre. Une
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radiofréquence fixe, appliquée à l’électrode annulaire, confine ces ions dans l’espace central en leur faisant décrire
des trajectoires complexes, amorties par effet d’une faible pression d’hélium, également introduit dans cette trappe.
Pour analyser les ions présents on augmente graduellement la tension de radiofréquence. Tour à tour, dans l’ordre
des valeurs croissantes du rapport m/z, l’amplitude d’oscillation des ions croît dans la direction axiale et va jusqu’à
leur expulsion par une série de petits trous percés dans l’électrode dite de sortie.
3.3. Détecteur
Les détecteurs sont basés sur des principes physiques différents, mais leur rôle est le même : compter les ions.
Plaques photographiques : détecteur historique. La plaque est enduite d'une émulsion de bromure d'argent, son
noircissement donne une valeur relative de l'intensité du flux (quantité d'ions). Cette technique est très peu
sensible.
Cylindre de Faraday. Le transfert de charge de l'ion est détecté sur une surface conductrice, puis le signal est
amplifié. Cette technique est précise mais peu sensible, avec une certaine lenteur de mesure et un bruit de fond
important.
Multiplicateur d'électrons : le détecteur le plus courant. Le signal est amplifié par la formation d'électrons
secondaires à l'aide de tubes en verre dopés au plomb (dynode). Il possède une bonne sensibilité, avec une
amplification forte mais il est moins précis que le cylindre de Faraday.
Multiplicateur de photons : dérivé du multiplicateur d'électrons. Le signal est amplifié par la formation d'électrons
secondaires à l'aide de tubes en verre dopés au plomb (dynode). Ces électrons sont accélérés vers un écran
phosphorescent où ils sont convertis en photons. Ces photons sont ensuite détectés par le photomultiplicateur. Il
présente une bonne sensibilité, avec amplification forte mais le balayage est moins rapide qu'avec un
multiplicateur d'électrons.
3.4. Spectrométrie de masse en tandem : MS / MS
Pour obtenir des informations plus précises sur la structure des ions fragments issus de la décomposition des composés
moléculaires introduits, on fait appel à des spectromètres de masse comportant au minimum deux analyseurs en série :
Secteur magnétique + quadripôle
Quadripôle+quadripôle
TOF+quadripôle
3 quadripôles en série = « triple quad »
L'analyse MS/MS peut être menée selon quatre modes différents selon l'information recherchée :
Mode descendant : recherche de filiations. Le plus utilisé pour obtenir des informations structurales : l'ion à
étudier est sélectionné en focalisant le premier analyseur sur son rapport m/z (il joue donc le rôle de filtre). Les
fragments formés dans la cellule de collision sont séparés par le deuxième analyseur et analysés.
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Mode ascendant : recherche des parents. Le premier analyseur balaie une gamme de masse tandis que le
deuxième est focalisé sur un seul rapport m/z. Tous les ions générés en source et capables de donner un fragment
de même rapport m/z seront donc ainsi détectés.
Mode perte de neutre : recherche des neutres. Les deux analyseurs balaient une gamme de masse simultanément
et avec un décalage de masse constant. Le spectre établi présentera alors tous les ions parents capables de se
fragmenter en générant un neutre de masse égale au décalage imposé.
Mode MRM (Multiple Reaction Monitoring), l'ion parent à étudier est sélectionné par le premier analyseur et
fragmenté dans la cellule de collision, comme en mode descendant. En revanche, le second analyseur est focalisé
sur l'ion produit. Ce mode de fonctionnement présente une double sélectivité, au niveau des sélections de l'ion
parent et de l'ion produit. En outre les deux analyseurs étant fixées à des tensions constantes, la sensibilité de
détection est améliorée par rapport à d'autres modes de balayage, faisant de la MRM un mode de choix pour la
quantification simultanée de plusieurs composés.