Post on 30-Mar-2016
description
RÉVOLUTION ET TERREUR : RÉFLEXIONS SUR UNE CULTURE POLITIQUE DE
LA VIOLENCE PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (1789-1793) 1
! De tous les problèmes auxquels sont confrontés les
historiens de la Révolution française, les origines de la
Terreur est peut-être le plus mystérieux, le plus difficile à
résoudre. Comment expliquer qu'en l'espace de quelques années
seulement, le régime révolutionnaire de 1789 se soit transformé
en un régime qui utilise systématiquement la peur et la violence
comme outils de contrôle étatique ? Un régime sous lequel des
dizaines de milliers de citoyens étaient dénoncés et mis en
prison ? Un régime où des centaines d'autres étaient envoyés à
la guillotine — parfois à travers une parodie du système
judiciaire — ou exécutés sommairement sans procès ? Comment
expliquer que 82 députés de la Convention nationale elle-même
aient été exécutés ou aient trouvé la mort dans les prisons?
Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue les réalisations
extraordinaires de la Révolution : les idéaux politiques et
humanitaires de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, et plusieurs autres décrets qui deviendront un modèle
de la démocratie et de la réforme sociale à travers le monde. Il
ne faut pas sous-estimer non plus les réformes importantes
accomplies après la chute de la monarchie : le suffrage
1
universel masculin, l’expansion des droits des femmes,
l’abolition de l’esclavage, et l’objectif de l’éducation
universelle. Mais sans minimiser l'importance de ces
réalisations positives, les historiens ne peuvent esquiver la
question : pourquoi une portion significative du leadership
révolutionnaire a-t-elle accepté et, jusqu'à un certain point,
embrassé une culture politique de la violence ? Voire, pourquoi
les révolutionnaires ont-ils commencé à s'entretuer ? Cette
question est d'autant plus intéressante et importante, puisque
des périodes similaires de violence et de terreur se sont
produites dans plusieurs autres grandes révolutions ailleurs
dans le monde.
! Évidemment, la question de la violence pendant la
Révolution française n'est pas nouvelle. Depuis les premières
générations révolutionnaires et pendant plus de deux cents ans,
les historiens ont proposé différentes interprétations de la
Terreur. Pendant presque tout le vingtième siècle, deux modes
d'explications ont prévalu. Le premier, issu des travaux de
plusieurs grands historiens marxistes -- tels que Jean Jaurès,
Georges Lefebvre, Albert Soboul, et Michel Vovelle -- met
l'accent sur les «circonstances», les événements extérieurs à la
Révolution elle-même. Accablés par les dangers de la contre-
révolution intérieure et par la guerre contre les grandes
2
puissances d'Europe, les révolutionnaires auraient eut recours à
la répression et à des mesures autoritaires à court terme, afin
de préserver les avancées de la Révolution pour le long terme.
Cette interprétation présuppose que la Terreur était un calcul
essentiellement rationnel, et qu'elle était considérée par les
révolutionnaires comme une mesure défensive purement temporaire,
en place jusqu'à ce que les ennemis de la Révolution soient
finalement vaincus.2 Un second mode d'interprétation, associé
aux travaux d'historiens non marxistes ou anti-marxistes - tels
que François Furet, Keith Baker et Norman Hampson — soutient,
par ailleurs, que la Terreur n'était pas le produit des
circonstances, mais principalement celui de l'idéologie des
Lumières. Sous l'influence de cette philosophie, et surtout des
idées de Jean-Jacques Rousseau, les patriotes de 1789 auraient
naïvement adopté un projet utopique, celui de reconstruire la
société de haut en bas à l'aide de la Raison. Et comme ils
tenaient pour acquis qu'il ne pouvait exister qu'une seule
solution rationnelle à chaque problème, ils rejetaient d'emblée
les idées de pluralisme politique et d'opposition loyale. 3
Quiconque s'opposait à un seul aspect du projet révolutionnaire
était forcément un conspirateur contre-révolutionnaire, et
devait donc nécessairement être neutralisé.
3
! Au début des années 2000, plusieurs chercheurs ont tenté de
rompre avec cette dichotomie simpliste qui souvent divisait les
historiens de gauche et de droite. On peut citer notamment les
ouvrages de Jean-Clément Martin ; mais aussi d’Arno Mayer, David
Andress et Marisa Linton. Tous ont exploré la possibilité de
construire de nouveaux cadres d'interprétation plus nuancés afin
de complexifier notre compréhension de la violence
révolutionnaire.
! À mon avis, ce qui rend l'étude de la Révolution et des
révolutionnaires particulièrement complexe est l'extrême
instabilité du monde qu'ils habitaient. En réalité, les valeurs,
les perceptions et les différentes idéologies qui marquent la
période révolutionnaire étaient en constante évolution, une
évolution qui empruntait des directions souvent imprévisibles.
Même les identités sociales et les valeurs qui les sous-
tendaient étaient fréquemment remises en question et parfois
restructurées. En fait, il semble probable qu'à l'intérieur de
la dynamique révolutionnaire, aucun facteur n'ait joué un rôle
déterminant. La Révolution s'est plutôt transformée de façon
saccadée à travers une série de «changement de phases» (pour
employer le langage de la physique), dont chacune comportant un
réarrangement distinct des forces en présence, une
reconfiguration des relations de cause à effet. A mon avis, ni
4
la culture politique révolutionnaire en général ni celle de la
violence en particulier n'étaient «scriptées» à l'avance. Ainsi,
entre les interprétations inscrites dans la longue durée - que
ce soit au niveau des idéologies ou des conflits de classe - et
celles qui reposent sur le caractère immédiat et impérieux des
«circonstances» à court terme, il est utile d'explorer le «moyen
terme». Ainsi, dans une certaine mesure, on peu considérer les
attitudes sous-jacentes à la Terreur comme étant un produit du
processus révolutionnaire lui-même. L'officier militaire Lazare
Carnot, Conventionnel et membre du Comité de salut public
pendant l’An II, exprime cette idée en peu de mots : « on n'est
pas révolutionnaire. On le devient. »4
! Aujourd’hui, en guise de contribution à ce débat toujours
en cours, j'aimerais me pencher sur le «moyen terme». Plus
particulièrement, je voudrais insister sur le cas des élites
politiques de la Révolution, cette portion éduquée de la
population, issue pour la majorité de la «classe moyenne», et
qui constitue la principale source de leadership durant la
période. Je ne nie pas que certaines circonstances «externes»,
comme la guerre extérieure et la guerre civile, aient pu
effectivement pousser ces élites à embrasser des politiques de
violence et de répression en 1793. Mais je désire avant tout
examiner le processus révolutionnaire interne durant les années
5
qui précèdent 1793. Ces développements ont en effet contribué à
produire un état d'esprit, une psychologie, ou si vous préférez
une mentalité, à l'intérieur de laquelle l’option de la Terreur
devait sembler presque naturelle, voire inévitable.
! Mon analyse est basée sur un large éventail de sources et
de travaux secondaires. Mais j’accorde une importance toute
particulière aux correspondances contemporaines, des lettres
écrites pour la plupart sur une base quotidienne ou
hebdomadaire. Destinées à des collègues, des amis ou des membres
de la famille, ces lettres sont particulièrement révélatrices
des espoirs et des craintes, des incertitudes et des
malentendus, des expériences émotionnelles d'individus qui
n'avaient aucune connaissance des événements à venir. Les
correspondances sont d'autant plus riches lorsqu'elles sont
examinées «en série», c'est-à-dire lorsque l'on compare
plusieurs ensembles de lettres rédigées par des individus qui
vivent des expériences similaires. Dans le cadre de la
présentation d'aujourd'hui, j'ai examiné plus de 150 séries
totalisant plusieurs milliers de lettres. Celles-ci représentent
tous les niveaux de la société lettrée, des hommes comme des
femmes, des nobles comme des roturiers, des Parisiens comme des
provinciaux, pour la période allant de 1789 à 1794. Bien que la
majeure partie de ces correspondances se limite à la période
6
révolutionnaire, nous possédons certaines séries de lettres qui
débutent bien avant 1789. Il est donc possible de suivre
l'évolution des attitudes de certains individus depuis l'Ancien
Régime. 5
! Il est clair d'après ces sources que la mentalité des
partisans de la Terreur ne peut s'expliquer d'une façon
simpliste et unidimensionnelle. Aujourd'hui, afin de réfléchir
de façon analytique sur cette période, j'aimerais me pencher sur
cinq éléments internes du processus révolutionnaire, cinq
éléments qui à mon avis, sont particulièrement importants pour
expliquer les origines d'une disposition terroriste chez les
élites :
! 1) l'intensité des convictions révolutionnaires;
! 2) la contre-révolution;
! 3) le vide du pouvoir;
! 4) l'impact des classes populaires parisiennes; et
! 5) l'émergence d'une culture de la peur et du soupçon.
! Je conclurai ensuite avec quelques très brèves réflexions
sur l'importance de la Révolution française pour notre
compréhension des autres révolutions majeures.
1) L'intensité des convictions révolutionnaires
7
! D’abord, et même si cela peut sembler relativement évident,
il est important de souligner l'intensité et l'émotivité avec
laquelle une large partie de la société française embrasse les
nouvelles valeurs révolutionnaires qui émergent en 1789 : des
valeurs qu’on retrouve dans les décrets majeurs de l'Assemblée
nationale de cet été. Il est facile au vingt-et-unième siècle
d'oublier à quel point ces déclarations pouvaient, à l'époque,
être innovatrices, stupéfiantes, inattendues. Les valeurs en
question ne sont pas, à mon avis, qu'une simple appropriation de
la philosophie des Lumières, mais bien une nouvelle idéologie
forgée pendant la prérévolution et les premières années de la
Révolution elle-même. En fait, comme nous le savons, les
Lumières ont généré un ensemble d'idées extraordinairement
complexe et bien souvent contradictoire, pouvant servir de base
à toutes sortes de programmes de réforme ou de justification du
statu quo. Il ne s’agit pas d’un corpus d'idées cohérent et
unifié, mais avant tout d’une nouvelle épistémologie, d’une
confiance dans la capacité de l'Homme à trouver des solutions
rationnelles à ses problèmes. En effet, pendant les semaines
remarquablement créatives du printemps et de l'été 1789, les
patriotes font appel à un large éventail d'idées et de
traditions provenant de sources diverses, qu'ils assemblent de
façon hétéroclite à travers des débats et des compromis. Les
8
révolutionnaires eux-mêmes soulignent le caractère sans
précédent et innovateur des événements qui se déroulent sous
leurs yeux. Ainsi, dans les lettres qu'il écrit à son frère, le
libraire parisien Nicolas Ruault revient toujours à l’image
d'une nouvelle époque qui émerge avec la Révolution : «Tout va
changer», écrit-il à la fin du mois de juillet, «moeurs,
opinions, lois, coutumes, usages, administration. Nous serons
dans peu de temps des hommes nouveaux.» Le député Dominique
Garat exprime les mêmes sentiments dans un discours à
l'Assemblée nationale : en quelques semaines, «tout a changé
parmi nous, les esprits, les principes, le langage, et les
choses !» 6
! Il est important de rappeler qu'avant 1789, la grande
majorité des patriotes ne s'imaginait pas que de telles
transformations puissent réellement survenir. Même la petite
minorité qui avait lu et longuement réfléchi sur les idées
abstraites des Lumières ne l'avait anticipé. Les réalisations de
1789 vont bien au-delà des souhaits exprimés par la population
dans les cahiers de doléances, rédigés au mois de mars. Jérôme
Pétion, membre de l'Assemblée nationale, résume ainsi ses
sentiments : «Le Français est étonné de la situation présente,
il est parvenu sans, pour ainsi dire, y songer.» Ou bien comme
le dit le journaliste Gudin, «ce grand spectacle que la France
9
vient de donner au monde a produit des changements qu'on croyait
tellement impossibles, que personne n'eût osé les imaginer dans
un roman: on les eût pris pour les rêves d'un malade.»7
! Souvent les témoins paraissent dépassés par des événements
si inattendus et ils ont beaucoup de mal à leur donner un sens à
travers l'écrit. Plusieurs d'entre eux font appel à l’image des
époques compressées maintenant en journées. «Il nous semblait
dans ce court intervalle», écrit le magistrat breton Boullé,
«avoir vécu des siècles; notre imagination est confondue et nous
avons peine à nous persuader que ce qui vient de se passer n'est
point un songe.»8 Garat exprime sa stupéfaction devant l'ampleur
des événements : «à peine il y a deux ans ont commencé à
retentir parmi nous ces mots si doux et si fiers: liberté
individuelle, liberté nationale, constitution; et pendant ces
deux années, on dirait qu'il s'est écoulé deux siècles, tant les
événements se sont pressés, tant les lumières et les révolutions
se sont hâtées par des progrès accélérés...» Pour beaucoup,
l'expérience de cet été, la prise de conscience de la
signification des changements en cours et la dévotion au nouveau
système de valeurs, tous ces éléments avaient la force d'un
mouvement millénariste ou d'une conversion religieuse, révélant
une intensité dans l'engagement similaire à la Réforme
protestante 250 ans auparavant.
10
! Cependant, des transformations de cette magnitude peuvent
aussi devenir une source d'inquiétude considérable. Pour ceux
qui n'ont jamais vécu une révolution, il est facile de sous-
estimer à quel point une telle expérience peut être perturbante,
déconcertante, voire douloureuse. Déjà au printemps de 1789,
avant le début des États généraux, on observe dans les
correspondances énormément d'anxiété quant aux répercussions
possibles de tous ces changements, et quant à la réaction
probable des puissances de l'Ancien Régime. Cet amalgame
complexe d'émotions contradictoires, de joie et de crainte,
d'optimisme et de pessimisme, transparait dans les lettres de
plusieurs Français et Françaises durant cette période. «Vous ne
saurez croire», écrit Boullé en juin, «combien le doute me
tourmente. Je suis dévoré d'inquiétude [...] entre l'espérance
et la crainte.» Antoine Durand, avocat à Cahors, exprime les
mêmes sentiments vers la mi-juillet : le «contraste frappant de
bien et de mal, de crainte et d'espérance, de joie et de
tristesse qui se succèdent si rapidement.»9
! Au début, dans la générosité du moment, plusieurs
révolutionnaires font appel à la patience et à la tolérance
envers certains des aristocrates et des membres du clergé, qui
ont du mal à comprendre et à accepter le nouveau système de
valeurs, l'idéal de liberté et d'égalité. Les députés du Tiers
11
encouragent la réconciliation et la fraternité, et plusieurs
sont persuadés qu'avec le temps, les nobles récalcitrants
renonceront aux «préjugés» issus de leur éducation. 10 Mais la
patience et la tolérance des patriotes révolutionnaires ne sont
pas sans bornes : au-delà d'un certain point, la négociation et
le compromis deviennent inacceptables. Ayant goûté au nouveau
système de liberté et d'égalité, ils refusent de se soumettre à
nouveau à un gouvernement autoritaire et de vivre dans une
société hiérarchisée, basée sur la naissance. S'ils deviennent
rapidement impatients et intolérants envers l'opposition, cette
intolérance ne provient pas d'un piège rhétorique, l’artefact du
discours des Lumières, ou d'un engagement les idées de Rousseau—
comme le soutiennent certains historiens. C'est plutôt parce
qu'ils ont la conviction profonde que ces valeurs sont justes et
nécessaires afin de réaliser la nouvelle société qu’ils en sont
venus à prévoir. Ainsi, ils acceptent l'idée que les patriotes
doivent être prêts à faire tout ce qu'il faut pour sauver la
Révolution et en préserver les gains. Voilà l'état d'esprit des
hommes et des femmes partout en France, lorsque ils prêtent le
serment de «vivre libre ou mourir!».
2) La contre-révolution
12
! Et il devient rapidement évident que les craintes d'une
opposition à la Révolution ne sont pas sans fondement, que
certains groupes d'individus sont eux aussi prêts à mourir
plutôt que d'accepter le renversement de l'Ancien Régime. En
effet, et c'est là ma seconde thématique, il est impossible de
comprendre les motivations et le comportement des élites
révolutionnaires sans tenir compte des forces contre-
révolutionnaires, bien réelles et très déterminées, auxquelles
elles sont confrontées. Plusieurs historiens (anglais et
américains) ont souligné l'existence d'une noblesse dite
«libérale», des grands aristocrates de l'Ancien Régime qui
s'investissent dans la Révolution dès le départ.11 Cependant, il
est clair que la très grande majorité de la noblesse est
profondément mécontente et souvent ouvertement hostile à ces
changements. Elle adhère en effet à un système de valeur
radicalement différent de celui fondé par la culture politique
révolutionnaire. De longues années passées par beaucoup de
nobles dans l'armée leur ont inculqué un idéal d'honneur,
d'obéissance et de hiérarchie qui est à l'opposé de celui du
Tiers-état. La plupart d'entre eux croient à une société
fondamentalement inégalitaire, une société en fin de compte
«raciste», basée sur la supériorité biologique et ethnique de la
noblesse. Ainsi, alors que les patriotes ont embrassé une série
13
d'innovations et l’image de «l'homme nouveau», les nobles
valorisent plutôt la tradition et l'ordre ancien. Si les
révolutionnaires veulent établir une Déclaration des droits, les
nobles insistent plutôt sur une «déclaration des devoirs». 12
! Tout comme les patriotes, ceux qui s'opposent à la
Révolution développent graduellement une série de positions
idéologiques, élaborées à partir d'une variété de thèmes et
d'idées issus du dix-huitième siècle, afin de justifier leurs
actions. Eux aussi font appel à certains éléments des Lumières
et de la pensée de Rousseau, et ils emploient volontiers un
langage de la «raison», de la «nature» et de la «patrie». Mais
certains sont aussi influencés par le courant des «anti-
lumières» de l’Ancien Régime, qui dénonce une conspiration de
philosophes, de protestants et de francs-maçons, vouée au
renversement de la monarchie et de l'Église. De plus, ils
peuvent également s'inspirer de la «littérature troubadour» de
l'Ancien Régime : ces histoires, romans et poèmes, largement
ignorés par la plupart des chercheurs, qui glorifient les
chevaliers du Moyen-Âge.13 Ils se voient d'emblée comme de fiers
et braves guerriers au service de leur Roi, engagés dans une
croisade pour la reconquête de la sainte terre de France.
! Plusieurs historiens associent la «contre-révolution» à des
événements qui se produisent seulement après 1791 ou 1792. Mais
14
pour les patriotes, cette opposition déterminée à détruire tout
ce qu'ils ont accompli est réelle, menaçante, et bien en
évidence dès la seconde moitié de 1789. Les efforts du frère du
roi, le comte d'Artois, pour mettre sur pieds un gouvernement et
une armée contre-révolutionnaires sont bien connus.14 Si, en
rétrospective, ces tentatives apparaissent remarquablement
ineptes et improbables, pour les révolutionnaires il est
extrêmement difficile d'évaluer le danger qu'elles représentent.
Il leur est impossible d'ignorer des individus, qui ont toujours
été très influents par le passé et qui pourraient établir des
liens avec des milliers de nobles à travers la France.
! De plus, deux autres organes de la contre-révolution
confrontent directement les leaders patriotes à Paris. Le
premier est le groupe d'opposition, au sein de l'Assemblée
nationale elle-même, composé de la majorité des députés de la
noblesse et du clergé qui y siègent. À partir de l'automne 1789,
ces représentants forment une coalition parlementaire bien
organisée afin de bloquer ou renverser, à l'intérieur du nouveau
système démocratique, les décrets révolutionnaires. Avec
plusieurs orateurs de grand talent à leur tête, ils s'opposent
systématiquement à presque tous les décrets votés par les
patriotes et prédisent l'effondrement du Nouveau Régime.15
15
Le second organe de la contre-révolution durant cette
période est la presse réactionnaire. Bientôt huit à dix de ces
journaux paraissent régulièrement à Paris, avec un lectorat
total plus de 100 000 lecteurs. Associée de près aux députés
"aristocrates" de l'Assemblée, qui bien souvent écrivent dans
ces journaux, la presse réactionnaire se fait elle aussi un
malin plaisir de narguer les révolutionnaires. Grâce à une
liberté de presse pratiquement illimitée et à des lois anti-
libelle jamais appliquées, on observe une escalade rapide de la
rhétorique antirévolutionnaire. En fait, des journalistes
conservateurs mobilisent un langage tout aussi violent que celui
de certains écrivains patriotes, tels que Marat ou Fréron.16
! Par ailleurs, la politique religieuse de la majorité
patriote fera fortement augmenter le potentiel d'actions des
contre-révolutionnaires. La réorganisation massive de l'Église,
qui culmine avec la Constitution civile du clergé en juillet
1790, est une histoire bien connue. Je vous rappelle seulement
que cette législation introduit des mesures qui, dans le
contexte du catholicisme français, sont extraordinairement
radicales.17 Il n'est donc pas surprenant qu'une certaine
proportion du clergé et des laïques en arrive rapidement à la
conclusion que les révolutionnaires ont embrassé l'hérésie de
Luther et de Calvin. Et à partir du moment où l'Assemblée
16
nationale force l'acceptation de ces mesures, en exigeant du
clergé un serment formel et religieux à la Constitution dans son
ensemble, la nation entière se retrouve divisée par un profond
schisme religieux.18 Dès lors, la noblesse contre-révolutionnaire
pourra prétendre défendre non seulement les vraies valeurs de
l'Ancien Régime, mais également la vraie foi chrétienne.
! À partir de 1791, les patriotes se sentent profondément
menacés par l'opposition, et à l'étranger et à l’intérieur de la
France. Comme le décrit le député Pierre Ramel, «ces chimériques
idées de contre-révolution [...] désolent le peuple français, le
privent des douceurs que la nouvelle constitution devait
nécessairement lui procurer». 19 Au cours des années suivantes, la
Révolution et la contre-révolution vont constamment interagir,
se confronter et se menacer l'une et l'autre, évoluant de façon
dialectique dans un processus d'action et de réaction. Ainsi, en
s'affrontant, les deux groupes développent une forme d'analyse
manichéenne qui diabolise et déshumanise l'adversaire. D'une
certaine façon, l'intensification de cette violence verbale
préfigure la violence physique qui éclatera à travers le pays
peu de temps après.
Le vide du pouvoir
17
! Par ailleurs, les tensions et les anxiétés issues du choc
entre Révolution et contre-révolution s'intensifient en raison
d'un autre développement : l'émergence rapide d'un véritable
vide du pouvoir en France. Et ce phénomène, bien mis en lumière
récemment par Jean-Clément Martin, constitue mon troisième
thème. En effet, les événements de l'été 1789 déclenchent une
crise majeure de l'autorité publique, une crise de nature à la
fois institutionnelle et psychologique.
! À l'été 1789, l'Assemblée nationale considère que la
plupart des structures institutionnelles de l'Ancien Régime
doivent pour l'instant demeurer intactes, jusqu'à ce que de
nouvelles institutions soient créées pour les remplacer. Mais
après tous les événements de l'été, il est pratiquement
impossible pour celles-ci de fonctionner comme avant, et
plusieurs institutions se retrouvent rapidement au bord de
l'effondrement. Ainsi, l’intendance, pivot du système
administratif d'Ancien Régime, perd presque toute son autorité.
Plusieurs intendants et leurs subdélégués démissionnent ou
abandonnent carrément leurs fonctions, terrifiés par le lynchage
de l'intendant de Paris en juillet 1789. 20 Des collecteurs
d'impôt, des commissaires de police, des magistrats royaux
choisissent eux aussi de prendre la fuite ou de se faire
discrets pendant tout l'été, et parfois pour une période bien
18
plus longue. 21 Il existe bien entendu des variations importantes
d'une région à l'autre, mais dans beaucoup de cas, les
administrations municipales sont les seules sources d'autorité
encore en fonction à l'automne 1789. Mais les municipalités
sont elles aussi balayées par une série de révolutions locales,
dans lesquelles les oligarchies d’Ancien Régime sont expulsées
ou forcées de partager leur pouvoir. Dans plusieurs cas, ces
luttes de pouvoir et rivalités personnelles deviennent la source
d’intenses confrontations entre factions rivales pendant toute
la décennie.
! Les députés de l’Assemblée nationale sont bien conscients
de cette situation. Ainsi, pour Riberolle, «l’anarchie s’accroit
journellement et le royaume [est] à deux doigts de sa perte.» 22
Dès lors, les représentants travaillent d’arrache-pied afin de
créer de nouveaux systèmes administratif et judiciaire pour
implanter les lois qu’ils formulent à Paris. Rapidement, ils
conçoivent une hiérarchie bureaucratique des départements, des
districts et des municipalités.
! Toutefois, l’organisation et l’implantation de ce système
prennent presque une année. De plus, les nouveaux
administrateurs doivent prendre le temps de se familiariser avec
leurs fonctions et d’assimiler l’immense corps de lois produit
par l’Assemblée nationale. Ainsi, ce long interrègne
19
administratif persiste pour plus d’une année, jusqu’à l’automne
1790 et parfois même jusqu’au printemps 1791. D’ailleurs, la
période est aussi marquée par une vaste réaction contre
l’autoritarisme de l’Ancien Régime, une véritable
«décentralisation à outrance» comme l’écrit Georges Lefebvre. 23
En théorie, les relations d’autorité à l’intérieur de la
bureaucratie révolutionnaire sont parfaitement claires. Mais en
pratique, il est difficile de faire obéir les échelons
inférieurs de la hiérarchie gouvernementale, qui parfois
appliquent mal les lois et les directives qui leur sont
envoyées. On observe de nombreux cas d’attitudes récalcitrantes,
de résistance passive, ou de désobéissance ouverte aux
instructions qui viennent d’en haut. Cette situation est par
ailleurs exacerbée par la coexistence physique assez fréquente,
dans une même ville, des différents paliers bureaucratiques,
chacun avec son propre agenda et un électorat sensiblement
différent. En 1791, le député Legendre se plaint que «la
malheureuse division dans les différentes sections de
l’administration politique est devenue le plus grand obstacle au
retour de la tranquillité générale». 24 Cette décentralisation
atteindra son paroxysme à l’été 1793, lorsqu’une douzaine de
départements se révolteront ouvertement contre le gouvernement
20
central, bien souvent au nom de la souveraineté populaire, au
cours des insurrections dites «fédéralistes».
! Par ailleurs, l’effondrement de l’autorité n’est pas
uniquement de nature institutionnelle. Il est aussi
psychologique. Les nouveaux idéaux de liberté, d’égalité et de
démocratie pénètrent rapidement la culture et la société
entière, et mènent à une remise en question de l’autorité et des
relations de pouvoir traditionnelles - et cela à presque tous
les niveaux. Plusieurs années après les événements, le vitrier
Jacques-Louis Ménétra se souvient de l’émotion que ses amis et
lui ont ressentie lors de ces journées enivrantes qui marquent
le début de la Révolution. Comme il l’écrit, «ce mot de liberté
si souvent répété fit un effet comme surnaturel et échauffa
toutes les têtes.» 25 En effet, les concepts de liberté et de
démocratie sont si fondamentalement nouveaux que personne n’est
vraiment certain des limites de leur application. Mirabeau en
comprend rapidement les dangers. «Il faut un certain temps,»
écrit-il, «après qu’on a effacé les anciennes bornes, pour que
les nouvelles limites soient connues et respectées.»26
! Au cours des années suivantes, presque partout en France,
les effets «surnaturels» de la liberté encouragent les citoyens
à défier les autorités traditionnelles auxquelles ils étaient
auparavant soumis. Bien vite, les membres des corporations de
21
travail, les soldats et les marins, de larges segments des
populations rurales, les esclaves dans les Amériques, et même un
grand nombre de femmes courageuses : toutes et tous remettent en
question les hiérarchies traditionnelles de la politique, de la
société et de la famille.27
D’ailleurs, la situation se complexifie davantage avec
l’émergence de plusieurs structures de pouvoir parallèles, qui
souvent entrent en compétition avec le système administratif
créé par l’Assemblée nationale. Souvent ils apparaissent
précisément durant l’interrègne administratif et judiciaire des
années 1789-1791. Trois de ces groupes, on le sait, ont une
importance particulière : les gardes nationales municipales, les
«sections» - ces organisations de quartiers ad hoc à Paris et
dans plusieurs autres villes — et puis les clubs politiques ou
«sociétés populaires». Tous les trois entretiennent des
relations difficiles avec les autorités municipales. Au début de
l’année 1791, tous les trois exercent une pression considérable
pour que le gouvernement adopte des politiques plus répressives.
Dans bien des cas, d’ailleurs, des sections individuelles, des
unités de gardes nationales ou des administrations de districts
agissent illégalement de leur propre chef, souvent avec la
complicité des clubs locaux, afin de réprimer les trahisons
d’aristocrates qu’elles suspectent. 28 La vague de
22
décentralisation et la perte de légitimité entraînent également
des luttes de pouvoir féroces entre des élites concurrentes. En
fait, il est de plus en plus difficile pour les contemporains de
déterminer qui est véritablement en charge, et qui manipule
peut-être la situation au profit des ennemis de la Révolution.
! L’impact des classes populaires parisiennes
! La rhétorique du soupçon et les demandes pour plus de
mesures répressives sont aussi influencées, à travers le
leadership d’une élite militante radicale, par les actions des
classes populaires parisiennes, ce qui constitue mon quatrième
thème. Nous n’avons pas le temps d’aborder la riche
historiographie consacrée au rôle de la foule dans la Révolution
française — bien explorée par des historiens comme Albert Soboul
et George Rudé. Clairement, la culture et le registre émotionnel
de la masse des artisans, boutiquiers et travailleurs de Paris
diffèrent largement de ceux des élites révolutionnaires.
Cependant, deux aspects de cette culture méritent d’être
soulignés. D’abord, il n’y a pas de doute que la violence joue
un rôle beaucoup plus important dans la vie quotidienne et la
communauté émotionnelle à laquelle appartiennent bien des hommes
de la classe ouvrière parisienne. Plusieurs études consacrées à
23
la ville de Paris sous l'Ancien Régime — et notamment d’Arlette
Farge, de David Garrioch, et de Thomas Brennan - ont documenté
les nombreuses bagarres et vendettas qui éclatent presque tous
les soirs entre divers groupes ou individus.29 Les confrontations
surviennent dans les rues, dans les cours ou les cabarets, pour
des motifs très variés. La plupart sont spontanées et se règlent
habituellement aux poings, avec des bâtons, ou avec tout autre
objet qui leur tombe sous la main. Mais dans certains cas, des
conflits plus violents prennent la forme de véritables duels
préparés d'avance, engagés dans les ruelles ou le long des
quais, souvent assistés par des seconds. En ce sens — et là on
peut se baser sur les recherches de Pierre Serna - la culture
masculine de l'honneur et de la vengeance que l'on observe chez
les artisans parisiens est remarquablement similaire à celle de
la noblesse. À l'inverse, les duels semblent beaucoup moins
fréquents chez les élites du Tiers état. 30
! La seconde caractéristique des classes populaires
parisiennes qui mérite d'être soulignée est leur propension
marquée pour les rumeurs. Avec un taux d’alphabétisation
«fonctionnel» relativement limité, la plupart des Parisiens
vivent d'abord et avant tout dans une culture orale. Au cours du
dix-huitième siècle, des rumeurs de toutes sortes résonnent sans
cesse à travers la ville. Nous savons grâce aux recherches
24
menées en psychologie sociale que lorsque les rumeurs sont ainsi
colportées et répétées, elles sont généralement modulées et
simplifiées afin d'en faire des histoires plus faciles à
raconter. Les nuances sont habituellement laissées de côté,
amplifiant les oppositions; reflétant et justifiant aussi les
ressentiments déjà existants envers des antagonistes de longue
date. «On croit aisément», comme le dit Marc Bloch, «ce qu'on a
besoin de croire». Ces recherches nous montrent également que
des émotions peuvent être propagées avec le contenu des rumeurs,
et particulièrement les émotions liées à la peur et à la colère.
! Nous n'avons pas le temps aujourd'hui d'explorer toute la
profusion de rumeurs qui courent à travers la ville pendant les
premières années de la Révolution, et qui sont bien documentées
dans plusieurs séries de correspondances. Cependant, on peut
souligner qu'au début de la Révolution, la circulation des
rumeurs est sensiblement amplifiée par l'apparition soudaine
d'un grand nombre de journaux non censurés qui rivalisent pour
accroître leur lectorat. De plus, elles sont amplifiées par
leurs colporteurs qui, par centaines, circulent matin et soir en
criant leurs interprétations souvent bien déformées des
dernières «nouvelles», conçues pour mieux vendre les journaux.
Quoi qu'il en soit, deux types de rumeurs doivent être mis en
évidence ici, dont tous les deux ont le potentiel de générer des
25
comportements violents: d'abord, les rumeurs qui annoncent des
disette de grains; ensuite celles qui dénoncent l'existence de
grands complots, parfois en lien avec l'accaparement des grains,
parfois plus politisées, et liées avec les trahisons réelles ou
imaginaires de divers hommes politiques.
! Il est clair qu’au début de la Révolution, la grande
majorité des élites patriotes demeure éloignée du registre
émotionnel de la foule parisienne et qu’elles sont horrifiées et
consternées par les actes de violence populaire. Cela dit, dès
le départ une petite minorité de leaders patriotes endossent et
embrassent les actions du peuple, y compris ses actes de
violence. À cet égard, les militants radicaux regroupés sur la
rive gauche, sont particulièrement importants. Souvent membres
fondateurs du club des Cordeliers, des personnages comme Danton,
Desmoulins, Marat, Hébert, Fréron et Chaumette, font très tôt la
promotion d’une égalité sociale, de la démocratie directe, et
après l’été 1791, du républicanisme. En partie parce qu’ils
veulent gagner l’appui du peuple, mais aussi à cause de leurs
convictions démocratiques, les membres de ce groupe cherchent
sciemment à politiser les masses parisiennes, notamment à
travers le développement d’un réseau de «sociétés fraternelles»,
soutenues ou mises en place par les Cordeliers. Lorsque la
citoyenneté passive est abolie à l’été 1792, les assemblées de
26
sections deviennent un autre lieu de rencontre privilégié entre
militants radicaux et classes populaires. De plus, il ne
faudrait pas sous-estimer le rôle des journaux radicaux, dont
certains réussissent particulièrement bien à faire la promotion
de leur conception de la démocratie républicaine, tout en
reflétant et renforçant les peurs, les rumeurs, et les appels à
la vengeance de ceux qu’ils projettent comme étant leurs
lecteurs.
! En même temps, les militants radicaux élaborent une vision
qui exalte, voire qui idolâtre le peuple de Paris, une vision
qui, à mon avis, va bien au-delà de la simple démagogie. Que ce
soit à travers l’influence de Rousseau ou en réponse à la
dynamique révolutionnaire elle-même, ces militants sont
persuadés que «le peuple» est doté d’une sagesse naturelle et
d’une bonté instinctive. Comme ils le répètent sans arrêt, c’est
bien «le peuple» qui a sauvé la Révolution: d’abord en juillet
et en octobre 1789, puis en août 1792. Cette vision du peuple
idéalisée est évidente dans les correspondances de cette
période, à la fois chez les militants parisiens et chez les
radicaux qui siègent dans les assemblées nationales. Comme
l’écrit le jeune député Michel Azéma à ses amis dans l’Aude, «le
peuple est tout, nous sommes peuple, nous ne sommes rien que par
lui et pour lui, nous sommes tout pour lui.» 31
27
! En fin de compte — et ici je me base surtout sur l’analyse
de Haim Burstin — il se développe une véritable coalition
politico-culturelle entre les élites militantes radicales et les
masses militantes, une coalition que les contemporains et les
historiens désignent sous le terme de «sans-culottes». 32 À
l’origine, le mot a sans aucun doute une connotation sociale et
vestimentaire spécifique. Lorsque Rosalie Jullien, épouse d’un
député montagnard radical, commence à utiliser cette expression
en 1792, elle distingue soigneusement le «bourgeois», plus riche
et menant une existence confortable, du «sans-culotte», qu’elle
décrit comme étant «habillé en haillons». «S’il y a des vertus
sur la terre,» écrit-elle à son fils, «c’est sous les haillons
de ceux qu’on a voulu flétrir du nom de ‘sans-culottes.’» 33
Néanmoins, il est clair que la signification du mot se
transforme avec le temps, pour éventuellement désigner les
militants révolutionnaires radicaux de toutes les franges de la
société. C’est là une alliance politique à la fois curieuse et
originale, un «front populaire» social comme le dit Georges
Lefebvre.
! En tout les cas, le «front populaire» sans-culottes élabore
rapidement tout un répertoire d’actions collectives, conçues
pour influencer les positions et le comportement des députés
révolutionnaires plus modérés. En plus des pétitions aux
28
Assemblées nationales et l’action des militants dans les
«tribunes» de l’assemblée, il ne faut pas sous-estimer les
nombreuses manifestations non violentes, comme ces
rassemblements en masse à l’extérieur de l’Assemblée, ou encore
ces manifestations dans les rues, durant lesquelles des hommes
et des femmes marchent bras dessus, bras dessous, en chantant et
en brandissant des pancartes. Dans certains cas, on donne la
permission à la foule de marcher à l’intérieur de l’Assemblée,
ou même de prendre place dans le côté droit de la salle,
généralement laissé vacant. Comme nous le savons, ces actions
collectives sont particulièrement influentes pendant certaines
des journées les plus célèbres. Flanqués de gardes nationales
armées, la coalition «sans-culottes» pousse le leadership
révolutionnaire à adopter des mesures de répression et de
vengeance contre ceux qu’ils croient être des «suspects» et des
conspirateurs.
! La culture de la peur et du soupçon
! En effet, le désir intense de préserver les nouvelles
valeurs révolutionnaires, l'existence d'une contre-révolution
active, les effets du vide de pouvoir, ainsi que l'influence des
militants parisiens et sans-culottes : tous sont
29
inextricablement liés à ce qui devient bientôt une véritable
obsession des conspirations. Ainsi, le cinquième élément de mon
analyse des origines d'une mentalité de la Terreur est dérivé
des quatre premiers. Toutefois, la culture de la peur et du
soupçon va au fil du temps devenir une force historique à part
entière, et se répandre rapidement dans toutes les couches de la
société. C'est pourquoi ce thème doit être considéré séparément
ici.
! Bien entendu, l'obsession des conspirations s'observe aussi
dans la France d'Ancien Régime. Beaucoup de travaux font état
d'une susceptibilité aux théories du complot au sein des classes
populaires bien avant 1789. Il existe en effet, chez celles-ci,
une tendance à attribuer toutes sortes de malheurs aux actions
et à la volonté de certains individus. Mais en fait, à la veille
de la Révolution, il existe peu de traces de préoccupations
semblables chez les futures élites révolutionnaires - ni dans
leurs correspondances, ni dans leurs pamphlets, ni dans leurs
discours. 34
! La propagation de la suspicion après le début de la
Révolution provient en partie d'une supposition rationnelle :
les groupes auparavant très puissants au sein du gouvernement et
de la société, et qui ont le plus à perdre sous le Nouveau
Régime, vont inévitablement tenter de le renverser. Il semble
30
évident à tout le monde que certains aristocrates tentent de
reprendre le pouvoir à la mi-juillet 1789, lorsque des troupes
sont rassemblées autour de Paris et de Versailles. C'est
précisément à ce moment qu'une théorie du «complot
aristocratique» se propage au sein de beaucoup d’élites à Paris.35
Cette idée est cependant plus lente à pénétrer les provinces. Il
est maintenant clair qu'à l'extérieur de la capitale — et là je
diverge par rapport à l'interprétation de Georges Lefebvre — la
propagation de la Grande Peur est davantage liée à
l'effondrement des autorités publiques et au vide du pouvoir
qu'à la peur des aristocrates. C'est seulement dans les semaines
qui suivent que les élites provinciales commencent à accorder
plus de crédibilité aux théories du complot.36 La généralisation
de la peur des conspirations à l'extérieur de Paris est sans
doute favorisée aussi par le long interrègne qui suit l’été
1789. Alors que le gouvernement devient de plus en plus
décentralisé, un contraste marqué avec l'Ancien Régime, il est
difficile de savoir qui est aux commandes, qui tire
véritablement les ficelles du pouvoir. Il est ainsi bien plus
facile pour les patriotes d'imaginer des blocs de pouvoir,
formés d'anciens ministres royaux, de nobles et de membres du
clergé, qui manigancent en coulisses pour leur propre bénéfice. 37
31
Initialement, l'obsession des complots semble être plus
répandue chez les élites situées aux deux extrémité de
l’échiquier politique : à l'extrême droite et à l'extrême
gauche. Déjà au début de l'année 1790, les patriotes et les
aristocrates s'accusent mutuellement de fomenter des complots.
Les deux camps s'appuient en partie sur des passages tirés de la
littérature romaine classique, et notamment sur certains écrits
de Salluste, appris par coeur durant leurs cours de rhétorique
avant la Révolution. Mais ces peurs sont certainement
renforcées, à gauche, par les rumeurs de complots qui courent
dans les rues de Paris au sein du menu peuple. Comme nous
l'avons vu, les journalistes patriotes radicaux et les clubistes
s'identifient de plus en plus avec ce «peuple» qu'ils
idéalisent, et ils commencent à intérioriser les craintes et
l’imaginaire des classes populaires. D’ailleurs, nous savons
grâce aux recherches en psychologie sociale que lorsque
l'anxiété et le besoin d'action deviennent suffisamment
intenses, certaines rumeurs peuvent facilement se propager d’une
classe à l’autre, et être acceptées par les élites normalement
plus sceptiques à l'égard du bouche-à-oreille. Dominique Garat a
bien saisi la nature contagieuse des rumeurs : «quand j’ai vécu
parmi tant de gens qui pensaient et se conduisaient par leurs
32
soupçons,» écrit-il, «il est impossible que je n'aie pas eu
aussi quelquefois des soupçons moi-même.» 38
! De plus, la culture de la peur et du soupçon s'intensifie à
travers la pratique grandissante de la dénonciation.39 Durant les
moments de tension accrue, les élites patriotes encouragent la
communauté révolutionnaire entière à être à l'affût d'activités
suspectes. «La dénonciation», écrit Mirabeau en novembre 1789,
«doit être regardée au milieu des périls qui nous environnent,
comme la plus importante de nos nouvelles vertus, et comme le
palladium de notre liberté naissante.»40 Renforcée par l'attitude
des clubs patriotes et par les sections parisiennes, la
popularité des dénonciations se répand rapidement au sein de
toute la société. Bien que le fonctionnement de ces pratiques au
début de la Révolution aient été relativement peu étudiés, il
semble clair que les dénonciations ont un effet profondément
troublant. Nous savons qu'à partir de 1791, le club des
Jacobins, tout comme les centaines de clubs qui leur sont
affiliés à travers le pays, exigent de tous leurs membres qu'ils
prêtent un serment de chercher et de dénoncer les contre-
révolutionnaires partout où l’on les trouve. 41 A Bordeaux, par
exemple, depuis le début de 1791, des centaines de lettres
dénonçant toutes sortes de comportements présumés contre-
révolutionnaires sont adressées à la société populaire
33
principale. On y accuse des nobles, des prêtres, ou même des
voisins ayant tenu des propos antipatriotiques, parfois sur la
base de simples rumeurs. Plusieurs de ces dénonciations sont
ensuite formellement lues à l'assemblée de la société.42 Et la
logique d'accusations publiques à répétition contre de présumés
conspirateurs peut avoir un effet cumulatif puissant et
dévastateur. Par peur d'être dénoncés à leur tour, plusieurs
individus se mettent en effet à accuser leurs voisins avec
encore plus de vigueur. Ainsi, les pratiques de dénonciation
sont largement répandues chez les révolutionnaires de certaines
villes bien avant qu'elles ne soient institutionnalisées dans
les comités de surveillance en 1793.
! De plus, l'obsession des conspirations s'intensifie et
trouve ses justifications dans une série de trahisons de haut
niveau, de la part d’ individus longtemps admirés par les
patriotes. En juin 1791, la fuite spectaculaire de Louis XVI et
de sa famille hors de Paris ébranle profondément la population
entière. 43 Comme nous le savons, la famille royale est rapidement
capturée et forcée de rentrer à Paris. Mais l'enquête qui suit
révèle une grande conspiration, impliquant de nombreux
participants au sein de l'armée et chez les émigrés en
Allemagne, de même qu'une série de tromperie et de parjures de
la part du roi lui-même. Même après que Louis XVI ait été remis
34
sur le trône et officiellement pardonné, une profonde
incertitude demeure quant à savoir s'il sera possible de lui
faire confiance à nouveau. Et au cours des années suivantes, les
patriotes vont apprendre qu’au moins trois autres individus
jadis admirés et honorés comme de grands partisans de la
Révolution - Lafayette, Mirabeau et Dumouriez - ont tous trahi
leur pays en se liguant secrètement avec la cour ou avec les
ennemis de la France. Ainsi, la référence aux peurs des
conspirations devient de plus en plus fréquente dans la
rhétorique de l’Assemblée législative, même avant le début de la
guerre en avril 1792, un phénomène que j’ai documenté dans une
étude numérique du langage des députés. Ce langage est, en
effet, de plus en plus dominé par l’idée d’un «grand complot»,
selon laquelle toutes les menaces sont directement reliées à un
seul et même plan monolithique provenant d'une source unique,
soit d’un gouvernement étranger, soit d’un comité secret à
l’intérieur de la France, soit d’un groupe de députés à
l’Assemblée elle-même. 44
! Lorsque l’atmosphère de suspicion et de dénonciation
s’intensifie à la fin de l’Assemblée législative et sous la
Convention, il devient commun pour les députés de sombrer dans
le manichéisme des militants radicaux et «sans-culottes», et de
diviser la société entière entre les bons patriotes et les
35
contre-révolutionnaires infâmes. L’évolution de cette mentalité
est à mon avis centrale dans l’émergence de la factionnalisation
toxique et meurtrière qui caractérise la politique de la
Convention. Il est clair qu'un grand nombre de Feuillants et de
Jacobins, et plus tard de Girondins et de Montagnards, sont
convaincus que leurs opposants ne sont pas seulement égarés,
mais qu’ils sont bel et bien des traîtres, ligués avec les
ennemis intérieurs ou extérieurs de la France. Les opposants
avérés ou suspectés sont ainsi déshumanisés et perçus comme des
monstres qui, par extension, doivent être éliminés du corps
social afin que la l’état lui-même puisse survivre. 45
Conclusion
! En fait, aujourd’hui je vous ai très peu parlé du règne de
la Terreur tel qu’on l’imagine habituellement. Je n’ai rien dit
du Comité de salut public de l’An II, du tribunal
révolutionnaire, des comités de surveillance ou de la
guillotine. Je me suis plutôt concentré sur l’état d’esprit des
élites révolutionnaires de Paris et de la province avant le
début de la Grande Terreur. Le but de ma présentation était de
démontrer que, dans une certaine mesure, les conditions
préalables d’une culture politique de la violence chez les
36
élites étaient en place avant le déclenchement de la guerre en
1792 et de la contre-révolution de masse de 1793. Vers la fin de
l’année 1791, la culture révolutionnaire était déjà profondément
marquée par une peur obsessionnelle des conspirations fomentées
par une variété de personnages infâmes, par une polarisation
accrue de l’univers politique qui diabolisait régulièrement
l’opposition, et par l’empressement à accepter toutes les
mesures nécessaires afin de «sauver la Révolution», dont la
répression étatique au sens large.
! En effet, l’un des fils conducteurs de cette présentation,
lié de près aux cinq thèmes que nous avons abordés ensemble, est
le rôle des émotions dans les origines de la Terreur. En fait,
plusieurs historiens ont tenté d’intégrer les émotions dans une
explication des origines de la violence révolutionnaire, le plus
influent d’entre eux étant sans doute William Reddy avec son
ouvrage The Navigation of Feeling. Cependant, la perspective de
Reddy, centrée sur le sentimentalisme et les «passions»
véhiculés à travers certains textes (romans, pièces de théâtre,
etc...), est à mon avis trop générale et très peu utile. Nous
devons plutôt nous demander «quelles sont ces passions, quelles
sont ces émotions», et «au sein de quels groupes sociaux» ? Pour
mieux comprendre la Terreur, il est à mon avis impératif
d'accorder plus d'attention aux origines et aux interactions
37
complexes d'une gamme précise d'émotions, dans laquelle on
retrouve l’enthousiasme, la peur, la colère et le désir de
vengeance. Nous devons aussi explorer l'interrelation entre
différentes «communautés émotionnelles» dans la France
révolutionnaire. Il s'agit ici d'un concept popularisé par
l’historienne du Moyen Age, Barbara Rosenwein, et qui renvoie à
des groupes sociaux avec des normes et des styles d'expression
relativement différents. Il est clair, d’ailleurs, que dans des
périodes de peur et d’incertitude accrues — comme par exemple au
moments de paniques générales (en mai 1792, en septembre 1792,
en mars 1793) — des communautés émotionnelles normalement bien
séparées, peuvent se mêler. Ainsi, on le sait, les Massacres de
septembre ont été largement acceptés, voire salués, par la forte
majorité des élites au sein de toutes les factions.
! Mon intention n'est pas du tout d’éliminer le rôle de la
contingence, la force des «circonstances» dans l'intensification
ou la modification de la situation révolutionnaire. Des
événements imprévus comme la fuite du roi, l'assassinat de
Marat, ou l'effondrement soudain du front belge en mars 1793,
ont certainement changé la donne de façon considérable. Mais mon
hypothèse est plutôt que des circonstances n’auraient pas été
suffisantes pour provoquer la Terreur sans la transformation
préalable de la mentalité des révolutionnaires. De plus, cette
38
transformation ne peut s’expliquer par la rhétorique de Rousseau
de l’Ancien Régime, ni par la littérature sentimentale, ni
encore par diverses théories abstraites du droit naturel. Au
contraire, il s’agit d’une évolution qui, en dernière analyse,
fait partie intégrante du processus de la Révolution française—
et qui est peut-être inhérente au phénomène révolutionnaire lui-
même.
! En effet, on pourrait dire que toutes les révolutions
majeures reposent sur la conviction profonde que la société peut
et doit être changée, une conviction qui peut facilement
engendrer de l’impatience et de l’intolérance envers
l’opposition. Toutes les révolutions engendrent des activités
contre-révolutionnaires chez ceux qui voient leurs intérêts
menacés et attaqués. Toutes les révolutions, au cours de leur
inévitable processus de transition, tendent à produire des vides
de pouvoir et à remettre en question toutes les sources
d’autorité. Toutes les révolutions impliquent habituellement
l’influence imprévue des classes populaires. Et il se pourrait
bien que toutes les révolutions soient aussi en proie à des
périodes d’obsession pour les complots, de suspicion intense et
de manque de confiance; d’incertitude angoissante à l’égard de
l’autre, et où il est difficile de distinguer ses amis de ses
ennemis, de véritables patriotes des loups déguisés en agneaux,
39
qui se cachent derrière le masque de l’engagement
révolutionnaire.
! Il serait donc intéressant de comparer la Terreur sous la
Révolution française avec des phases similaires pendant d’autres
grandes révolutions: la Révolution anglaise, américaine, russe
et chinoise. Qu’est-ce que ces événements ont en commun et en
quoi sont-ils différents ?
! Mais cela devra être le sujet d’une autre étude, et peut-
être l’objet de vos suggestions et de vos observations.
! ! ! ! ! ! Timothy Tackett
! ! ! ! ! ! University of California, Irvine
! ! ! ! ! ! (Traduction : Nicolas Déplanche)
40
NOTES ( en anglais )
41
42
1 May I express my appreciation to Claude Langlois, Peter McPhee, David Garrioch, Helen Chenut, and Nicolas Tackett for their assistance at various points in the development of this paper.
2 Among the important recent exponents of this thesis, one could cite Georges Lefebvre, The French Revolution, 2 vols. (New York, 1962-64); Albert Soboul, A Short History of the French Revolution, 1789-1799 (Berkeley, 1977); and Michel Vovelle, La Révolution française, 1789-1799 (Paris, 1992).
3 See notably, François Furet, Interpreting the French Revolution, trans. Elborg Forster (Cambridge, 1981); also Keith Michael Baker, Inventing the French Revolution (Cambridge, 1990).
4 Charles-Eugène Mathiot, Pour vaincre: Vie, opinions et pensées de Lazare Carnot (Paris, 1916), 255.
5 For a list of the correspondence of the deputies to these assemblies see Tackett, Becoming a Revolutionary, bibliography; and "Etude sérielle de la psychologie Révolutionnaire: La correspondance des députés des assemblées nationales, (1789-1794)" in Archives épistolaire et histoire, ed. Mireille Bossis and Lucia Bergamasco (Paris, 2007), 171-88.
6 Nicolas Ruault, Gazette d'un Parisien sous la Révolution. Lettres à son frère, 1783-96, ed. Christiane Rimbaud and Anne Vassal (Paris, 1976), 161 (letter of July 30, 1789); Courier de Provence, no. 21, July 31, 1789; Archives parlementaires de 1787 à 1860, recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises. Première série (1787-1799), eds. Jérôme Mavidal, Emile Laurent, et al., 82 vols. (Paris, 1867-1913), 8:603, speech of Sept. 9, 1789; Romme, letter of Sept. 8, 1789, cited in Galante Garrone, 529.
7 Courier de Provence, No. 22 (Aug. 3, 1789); Jérôme Pétion de Villeneuve, Avis aux Français sur le salut de la patrie (n.p., 1789), 226; Dominique-Joseph Garat, Memoires (Paris, 1795), 211; Pierre-Philippe Gudin, Supplément au contrat social applicable particulièrement aux grandes nations (Paris, 1790), cited in Roger Barny, Le droit naturel à l'épreuve de l'histoire. Jean-Jacques Rousseau dans la Révolution (débats politiques et sociaux) (Paris, 1995), 15.
..
8 Jean-Pierre Boullé, "Ouverture des Etats généraux de 1789," ed. Albert Macé, Revue de la Révolution. Documents inédits, 14 (1889), 114 (letter of July 21, 1789).
9 Boullé, letter of May 9, 1789; Durand, letter of July 14, 1789. See also the magistrat Lamarque, letter of July 15, 1789. All three were serving as deputies to the Estates General. For other examples, see Tackett, Becoming a Revolutionary, 150-51.
10 Adrien-Cyprien Duquesnoy, Journal d'Adrien Duquesnoy, ed. R. de Crèvecoeur, 2 vols. (Paris, 1894), 1:138, entry of June 28, 1789; and François-Emmanuel Toulongeon, Histoire de la France depuis la Révolution, 7 vols. (Paris, 1801), 1:111.
11 See, e.g., Elizabeth L. Eisenstein, "Who Intervened? A Commentary on The Coming of the French Revolution," American Historical Review, 71 (1965), 77-103; William Doyle, Origins of the French Revolution (Oxford, 1980).
12 See notably, Jean Tulard, ed. La Contre-Révolution (Paris, 1990), "Introduction".
13 Jean-Christian Petitfils, "Les origines de la pensée contre-révolutionnaire" in Tulard, La Contre-Révolution, 16-32.
14 Jacques Godechot, La Contre-Révolution: Doctrine et action, 1789-1004, 2nd ed. (Paris, 1984), 161-67.
43
15 See the author's Becoming a Revolutionary (Princeton, 1996; and University Park, Pa, 2006), esp. chap 6.
16 See, e.g., Willaim James Murray, The Right-Wing Press in the French Revolution: 1789-92 (Woodbridge, England, 1986), 228-29; Harvey Chisick, The Ami du Roi of the Abbé Royou (Philadelphia, 1992), 40-42.
17 See the author's "The French Revolution and Religion to 1794" in Enlightenment, Revolution, and Reawakening (1660-1815), vol. 7 of The Cambridge History of Christianity, Stewart J. Brown and Timothy Tackett, eds, (Cambridge, 2006), 536-55.
18 See the author's Religion, Revolution, and Regional Culture in Eighteenth-Century France (Princeton, 1986), especially chap. 1.
19 Ramel, letter of Oct. 29, 1791.
20 The intendants of Caen, Soissons, Amiens, Dijon, Riom, Perpignan, Orléans, and Bourges all seem to have disappeared from their posts: Félix Mourlot, La fin de l'ancien régime et les débuts de la Révolution dans la généralité de Caen (Paris, 1913), 328-30; Pierre Vidal, Histoire de la Révolution française dans le département des Pyrénées-Orientales, 3 vols. (Perpignan, 1885-88), 57-62; Marcel Bruneau, Les débuts de la Révolution dans les départements du Cher et de l'Indre (Paris, 1902), 88-89; Jean Bart, La Révolution française en Bourgogne (Clermont-Ferand, 1996), 139; Alain Cohen, "Les procès des anciens intendants durant la Révolution," Annales historiques de la Révolution française, in press. Cf. Nicolas Ruault's assertion that "tous les intendants des généralités désertent leurs places, abandonnent leurs hôtels et, s'enfuient au plus vite": Ruault, Gazette, 161 (letter of July 30, 1789).
21 Les Révolutions de Paris, no. of July 26, 1789; Jean-Sylvain Bailly, Mémoires d'un témoin de la Révolution, ed. Berville et Barrière, 3 vols. (Paris, 1821-22), 2:136 (entry of July 26, 1789); Vidal, Histoire de la Révolution, 60; Bruneau, Les débuts de la Révolution, 90.
22 Marquis de Mirabeau, Dix-neuvième lettre...à ses commettans, July 24, 1789; Francisque Mège, Notes biographiques sur les députés de la Basse-Auvergne (Paris, 1865), 126-27 (letter of Aug. 24).
23 Georges Lefebvre, La Révolution française. La fuite du roi (Paris, 1939), 22. See also Alison Patrick, "Paper, Posters, and People: Official Communication in France, 1789-1794," in Revolution for Beginners. Reflections on the History of Late Eighteenth-Century France (Melbourne, 2006), 117-39.
24 Laurent-François Legendre: Aarchives municipales de Brest, 2 D 16-18, letter of June 13, 1791.
25 Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier au 18e siècle, ed. Daniel Roche (Paris, 1982), 259.
26 Courrier de Provence, no. 26 (Aug. 10, 1789). By this date portions of the paper were actually written by Mirabeau's collaborators.
27 See, e.g., William H. Sewell, Jr. Work and Revolution in France: The Language of Labor from the Old Regime to the Revolution (Cambridge U. Press, 1980), 97-98; R. Barrie Rose, The Making of the Sans-Culottes. Democratic Ideas and Institutions in Paris, 1789-92 (Manchester, 1983), 98-105, 110-12; Jean-Paul Bertaud and Daniel Reichel, eds., Atlas de la Révolution française. Vol. 3. L'armée et la guerre (Paris, 1989), 15; P.M. Jones, The Peasantry in the French Revolution (Cambridge, 1988), 181-84; Olwen Hufton, Women and the Limits of Citizenship in the French Revolution (Toronto, 1792); Susanne Desan, The Family on Trial in Revolutionary France (Berkeley, 2004).
28 See, eg., Dupuy, La garde nationale, 200-205.
29 See esp. Farge, La vie fragile, 292; Brennan, Public Drinking, chap.1; Garrioch, Neighbourhood and Community, esp. 33 and 48; Roche, Ménétra, 319. On inter-guild violence, see Kaplan, La fin des corporations, 294-95. On rural fights and feuds, see esp. Sutherland and Le Goff, "The Revolution and the Rural Community," 96-119.
44
30 Serna, in Croiser le fer, 362-63. By Daniel Roche's count, 6 of the 50 violent encounters related by Ménétra ended in formal duels: Ménétra, 319.
31 "Correspondance des députés de l'Aude pendant la Révolution de 1791-1793," ed. Camille Bloch, La Révolution française, 30 (1896), 163 (letter of July 13, 1792).; Jean-Baptiste Monestier, B.N., Nouv. Acq, Fr. 6902 , letter of Oct. 30, 1792.
32 I have relied in particular on Rose, op. cit.; and on Haim Burstin, L'invention du sans-culotte (Paris, 2005).
33 Rosalie Ducrolay Jullien, A.N. 39 AP, esp. letters of Aug. 5 and 18, 1792.
34 See the author's "Conspiracy Obsession in a Time of Revolution: French Elites and the Origins of the Terror: 1789-1792," American Historical Review, 105 (2000), 691-713; and "The Emergence of a Revolutionary Mentality: The Old Regime Correspondence of Five Future Revolutionaries," French Historical Studies, 32 (2009), in press. For a counter view, see also Peter R. Campbell, Thomas E. Kaiser, and Marisa Linton, Conspiracy in the French Revolution (Manchester, 2007).
35 Mirabeau began to write of such fears at the time of the closure of the hall of the Estates General and the Tennis Court Oath: Mirabeau, Douzième lettre...à ses commettans, June 20, 1789; compare his Treizième lettre...à ses commettans of June 23. Adrien-Joseph Colson first began writing of widespread plot fears in early July: letter of July 5, 1789: Archives départementale of Indre, 2 J 11A. Colson first used the phrase "aristocratic plot" in his letter of July 12. However, he initially believed that it was the aristocrats who had fomented popular riots in Paris on the eve of the Bastille.
36 See the author's "La grande peur de 1789 et la thèse du complot aristocratique," Annales historiques de la Révolution française, no 335 (Jan.-Mar. 2004), 1-17.
37 Cf. the analysis of Gordon Wood, "Conspiracy and the Paranoid Style: Causality and Deceit in the Eighteenth Century," The William and Marry Quarterly, 39 (1982), 401-441.
38 Garat, 125. See also the descriptions of Nicolas Ruault and Adrien Colson. Both did their best to sort through the truth and fiction of the stories of plots they heard circulating in the streets of Paris during the Revolution. But when a situation seemed especially dangerous and when no other information was available, they did sometimes take rumors into consideration and give them credence: Ruault, Gazette, 176 (letter of Dec. 28, 1789); Colson, A.D. Indre 2 J 11A, letters of Dec. 20 and 22, 1789.
39 See Colin Lucas, "The Theory and Practice of Denunciation in the French Revolution," in Sheila Fitzpatrick and Robert Gellately, eds., Accusatory Practices: Denunciation in Modern European History, 1789-1989 (Chicago, 1996).
40 Brissot set the tone in his own paper with the epigram published at the top of each issue of Le patriote francais: "Une gazette libre est une sentinelle qui veille sans cesse pour le peuple". See also Claude Labrosse and Pierre Rétat, Naissance du journal révolutionnaire: 1789 (Lyon, 1989), 194-201; and Charles Walton, Policing Public Opinion in the French Revolution: The Culture of Calumny and the Problem of Free Speech (New York, 2008).
41 See, e.g., Roger Dupuy, La garde nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789-mars 1793) (Paris, 1972); Rose, The Making of the Sans-Culottes, passim; Michael L. Kennedy, The Jacobin Clubs in the French Revolution, 3 vols (Princeton, 1982-88; and New York, 2000).
42 Archives départementales de la Gironde, 12 L 20, 1791 through the Directory. According to one witness, such letters "ne tendent qu'à introduire le trouble, non seulement dans ma famille, mais encore dans le quartier que j'habite."
43 For the development in this paragraph see the author's When the King Took Flight (Cambridge, Mass., 2003).
45
44 Tackett, "Conspiracy Obsession."
45 See, notably, Antoine de Baecque, Le corps de l'histoire: Métaphore et politique, 1770-1800 (1993), 195-225.