Les arts culinaires peuvent-ils être considérés comme un art?

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Les arts culinaires peuvent-ils être considérés comme un art?

Problématisation

• Art : du latin ars, artis = technique, art• Culinaire: ce qui est relatif à la cuisine• Comme dans les expressions: l’art et la manière

de…, Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers, ouvrage d’art, artisan, etc. art = technique.

• Mais le mot art est aussi utilisé pour désigner un mode de production qui se détourne d’une finalité* utilitaire et de la recherche intéressée du profit. L’art est souvent considéré comme ayant pour but la création du beau.

Problématisation (suite)

• Mais alors quelle différence entre l’artisan (boulanger par exemple) et l’artiste?

• Quelle différence faire entre de simples techniques et l’art?

• En quel sens les arts culinaires sont-ils des arts?

I. Art et technique

Confusion originelle entre art et techniqueCf. étymologie étudiée plus haut

Technique = ensemble de règles enseignables et transmissibles destinées à produire des effets jugés utiles

Art et technique

En ce sens, la technique est utilitaire: sa finalité* est d’être utile. Et les activités qui l’utilisent (l’artisanat ou l’industrie

par exemple) ont pour but de fabriquer des objets utiles, de produire des effets efficaces ou de retirer du profit (surplus de revenus par rapport aux dépenses).

Art et technique (suite)

l’art apparaît souvent inutile, sans autre justification que lui-mêmeou, au moins, désintéressé, étranger à recherche du profit.

Au contraire

Certes, l’art peut être mis au service de la religion, de la cohésion sociale, de la notoriété politique, etc.

Art et propagande politique

Art et religion

Art et technique (suite)

l’art apparaît souvent inutile, sans autre justification que lui-mêmeou, au moins, désintéressé, étranger à recherche du profit.

Au contraire

Certes, l’art peut être mis au service de la religion, de la cohésion sociale, de la notoriété politique, etc.

Mais cette utilité n’est pas nécessaire: l’art peut n’être au service d’aucune finalité utilitaire.

Art et technique (suite)

La dimension esthétique* de l’art est étrangère à l’éventuelle utilité de l’œuvre même si elle peut être un argument de vente ou de prix.

Ainsi

Ainsi, le stylisme ou design apporte une plus-value, une valeur supplémentaire à l’œuvre et contribue à son prix.

1) Art et artisanat.

• Ce besoin détermine un certain nombre d’exigences concernant les caractéristiques du produit, une sorte de cahier des charges.

• La production artisanale est utilitaire : elle répond à un besoin précisément déterminé.

• Ces caractéristiques étant bien définies, elles peuvent être produites selon des règles techniques précises.

• En ce sens, la production artisanale peut se réduire à l’application de règles techniques; seule l’habileté acquise par la répétition, l’exercice et l’expérience améliore la production.

2) L’originalité artistique.

• La création artistique ne se résume pas à une production artisanale. En effet, l’œuvre d’art, du moins l’œuvre d’art remarquable, se caractérise par l’originalité.

• Certes le talent d’appliquer avec habileté des règles de production qu’on a apprises peut être valorisé mais alors rien ne distinguerait art et artisanat. Etre un bon pianiste ne signifie pas être un pianiste remarquable ou génial.

2) L’originalité artistique (suite).• Mais comme l’explique le

philosophe allemand Emmanuel KANT (1724-1804), la part de création artistique dans une œuvre dépasse le simple talent.

Il s’agit d’un génie capable de « produire ce pour quoi aucune règle ne peut suffire ».En ce sens, « le génie est le talent de donner des règles à l’art »écrit KANT dans la Critique du jugement.

2) L’originalité artistique (suite).

L’originalité artistique doit être exemplaire: elle est susceptible de donner naissance à un courant, à une école, de donner lieu à des imitations serviles* ou au contraire à de l’inspiration.

Toutefois toute originalité n’est pas géniale: le hasard ou la fantaisie peuvent être originaux sans être géniaux.

Mais l’artiste innove, invente par rapport à ceux qui le précèdent et à ce qu’il a appris.

En effet, tout artiste comme tout artisan, commence par copier les œuvres des autres, par appartenir à une école, à un courant. Tout cuisinier commence par apprendre des recettes et des tours de main.

2) L’originalité artistique (suite).

L’artiste innove, invente par rapport à ceux qui le précèdent et à ce qu’il a appris.

Ainsi on pourra distinguer l’imitation simplement scolaire du procédé ou de la recette inventés par un artiste ou un cuisinier de l’inspiration à laquelle ils pourront donner lieu: le procédé pourra être réutilisé dans une autre intention.

2) L’originalité artistique (suite).

Comparons ces deux peintures

Celle de gauche est l’œuvre de Le Caravage (1571-1610) et l’autre est de Georges de Latour (1593-1652).

2) L’originalité artistique (suite).• Ces deux artistes sont contemporains

et utilisent le même procédé : le clair-obscur.• Mais Georges de Latour l'investit d'une

nouvelle intention.

2) L’originalité artistique (suite).• Dans les peintures de Le Caravage, la lumière

vient latéralement et elle est d'origine naturelle; elle souligne l'intensité dramatique de la scène représentée, elle met en valeur la situation.Dans les peintures de Georges de Latour, la lumière a, la plupart du temps, une origine artificielle (une bougie par exemple) et provient du centre de la scène à laquelle elle confère du coup toute son intimité. On a le sentiment d'être complice des sentiments des personnages.

2) L’originalité artistique (suite).Artistes Le Caravage (1571-1610) Georges de Latour (1593-

1652)

Procédé utilisé

Un même procédé: le clair-obscurMais des intentions différentes

Direction de la lumière

Lumière latérale Lumière centrale

Source de la lumière

D’origine naturelle Source artificielle

Effets de la lumière

Souligne l’intensité dramatique

Confère de l’intimité, fait partager une complicité

Titres des œuvres

L'incrédulité de Saint Thomas

Saint Joseph charpentier

II. Le jugement de goût

Le jugement de goût = le jugement concernant la beauté

Goût = l’un des cinq sensMais ici goût = faculté de juger esthétique, faculté de juger de ce qui est beau

Difficulté de définir des critères du beau• Si le goût est une faculté de juger, il

lui faudrait des critères.• Mais est-on capable de produire des

critères du beau?• Les critères esthétiques sont

variables dans le temps et dans l’espace, en fonction de la culture.

Difficulté de définir des critères du beau• Exemple : le beau comme symétrie et

harmonie, éloge de la grandeur mythologique et historique dans la peinture néo-classique du XIXème siècle qui fait écho aux idéaux de l’Antiquité

• Ou, au contraire, le beau « toujours bizarre » selon Baudelaire

• Ou le beau qui guide le travail des peintres réalistes soucieux de représenter le quotidien, toutes les classes sociales, le travail populaire, la condition humaine…

Difficulté de définir des critères du beau• Ou bien encore la beauté convulsive du

surréaliste André BRETON (1896-1966)A la fin de Nadja (1928):

« la beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas »

Ou dans L’Amour fou (1937): « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. »

Difficulté de définir des critères du beau• Si le goût est une faculté de juger, il lui

faudrait des critères.• Or ne juge-t-on pas de ce qui est beau

comme si on disposait de critères ou de règles et pourtant sans pouvoir les définir réellement?

=> Le jugement de goût repose sur un sentiment. Quelle est la nature et quels sont les caractères de ce sentiment?

Le beau n’est pas l’agréable : sentiment du beau et sensation de l’agréable

• L’œuvre d’art est un objet matériel donc sensible puisque c’est par nos sens que nous la percevons. Or ce qui procure du plaisir aux sens relève de l’agréable. Peut-on assimiler le beau et l’agréable ?

• On qualifie d’agréable ce qui flatte nos sens en répondant à un désir ou à un besoin. Par exemple, il est agréable de boire de l’eau quand on a soif ou de s’affaler dans un fauteuil confortable lorsqu’on est fatigué.

Le beau n’est pas l’agréable : sentiment du beau et sensation de l’agréable

• Mais si le beau se réduisait à l’agréable, comment pourrions-nous expliquer que, dans une œuvre d’art, nous pouvons apprécier la représentation de scènes pénibles, angoissantes ou écœurantes ?

• Exemples :- L’huile sur toile intitulée Le cri du peintre

expressionniste Edvard Munch- le Requiem de Mozart - le poème Une charogne de Baudelaire.• C’est pourquoi nous pouvons dire que :

Le beau n’est pas la représentation d’une belle chose mais la belle représentation d’une chose.A gauche : Edvard MUNCH (1863-1944) Le cri

Dessous: Harmen STEENWYCK (1612-1656) Une allégorie des vanités de la vie humaine

(National Gallery – Londres)

Vanité des plaisirs des sens

Brièveté et fragilité de l’existence

Vanité des richesses

Vanité des conquêtes guerrières

Vanité du savoir humain

• Toutefois toute œuvre d’art n’est pas figurative (par exemple, l’art abstrait, l’architecture ou la musique ne renvoient pas à des choses; seul leur titre bien souvent nous aide à les interpréter).

• Ne faut-il pas alors substituer à l’idée de

l’art comme représentation (idée que partage Kant) l’idée de l’art comme expression ?

• Exemples empruntés à l’architecture

Frank Gehry, Musée Guggenheim de Bilbao

Architecture déconstructiviste

Frank Gehry, DZ Bank à Berlin

Architecture déconstructiviste

Une façade extérieure qui s’intègre à l’achitecture de la Pariser Platz

Une salle de réunion et une voûte intérieures déconstructivistes.

Architecture high-tech

Lloyd’s building à Londres par Richard Rogers

Centre Georges Pompidou à Paris par Richard Rogers et Renzo Piano

• Exemples empruntés à la musique…• Les concertos de Antonio VIVALDI (1678-1741) intitulés

Les quatre saisons: en dépit des quatre sonnets du compositeur qui accompagnent les saisons, peut-on par exemple à l’audition sans aucune indication reconnaître que le 3ème mouvement du 2ème concerto « L’été » exprime réellement un orage?

Version de Trevor Pinnock: http://www.youtube.com/watch?v=TLO4r32JVNU

Version de Nigel Kennedy: http://www.youtube.com/watch?v=u9GJVGlGOUk#t=65

• Nikolaï RIMSKI-KORSAKOV (1844-1908) Le vol du bourdon interprété par Maksim Mrvica : même questionnement : peut-on sans indication reconnaître le vol du bourdon?

Extrait: http://www.youtube.com/watch?v=h6A-JYbu1OsNe faut-il pas alors substituer à l’idée de l’art comme représentation (idée que partage Kant) l’idée de l’art comme expression ?

Quel but pour l’art?

• L’art apparaît nécessaire : il ne peut pas ne pas exister en société; toute société manifeste une production artistique. Il est essentiel aux hommes. • Mais pourquoi?Mais pourquoi?

Réponses possibles– Donner à penser, à ressentir aussi

bien qu’à réfléchir. « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. » écrit Paul KLEE (1879-1940).

Voir le réel tel que nous n’avons pas coutume de le voir, transformer notre perception de la réalité.

L’œuvre d’art peut simplement donner à penser comme un ready-made de Duchamp (Fontaine par exemple, voir notre bref commentaire en annexe) ou 210 bouteilles de Coca-Cola de Andy Warhol.

Duchamp (1887-1968) Fontaine (1917)

Dadaïsme

Surréalisme

Andy Warhol (1928-1987) 210 Coca-cola bottles, 1962

POP

ART

Il peut aussi simplement donner à ressentir sans forcément que l’intention de l’auteur puisse faire l’objet d’une interprétation certaine : Jaune et Or de Mark Rothko par exemple.

L’art apparaît donc, à travers toute sa diversité, difficile à réduire à des finalités précisément identifiables. Du coup, son appréciation est accessible à l’homme instruit autant qu’à l’homme simplement ouvert d’esprit.

- Mais, corrélativement*, l’art apparaît comme une manifestation privilégiée de la pensée de l’homme, une extériorisation de son intériorité, sans forcément chercher une utilité, sans forcément chercher à dire la vérité.

« Cette conscience de soi, l’homme l’acquiert de deux manières : Primo, théoriquement, parce qu’il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du cœur humain et d’une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement, aussi bien dans ce qu’il tire de son propre fond que dans les données qu’il reçoit de l’extérieur. Deuxièmement, l’homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu’il est poussé à se trouver lui-même, à se retrouver lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s’offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu’il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L’homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu’il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. » HEGEL (1770-1831) Esthétique

« Cette conscience de soi, l’homme l’acquiert de deux manières : Primo, théoriquement, parce qu’il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du cœur humain et d’une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement, aussi bien dans ce qu’il tire de son propre fond que dans les données qu’il reçoit de l’extérieur.

Deuxièmement, l’homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu’il est poussé à se trouver lui-même, à se retrouver lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s’offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu’il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L’homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu’il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. » HEGEL (1770-1831) Esthétique

Il est le moyen pour l’homme de prendre conscience de lui-même et de sa complexité plus qu’à travers n’importe quelle autre production.Comparaison: œuvre du maçon, du chef cuisinier ou du compositeur par exemple.