Post on 29-Jul-2015
UNIVERSITE CLERMONT-FERRAND I – UNIVERSITE D’AUVERGNE
Faculté de droit et de sciences politiques
Master 2 Analyse et Prospective Internationales
Mémoire de recherche en relations internationales
La politique étrangère du Brésil en Amérique du Sud :
Une analyse multi-scalaire du projet régional brésilien
Lucas MANETTI
Sous la direction de Frédéric CHARILLON,
Responsable pédagogique du Master 2 Analyse et Prospective Internationales,
Directeur de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire.
2012
2
Remerciements
Je souhaite tout d’abord remercier Monsieur le Professeur Frédéric Charillon, pour avoir
accepté d’être mon directeur de recherche. Il a fait preuve d’une grande disponibilité et a
accueilli ma proposition de sujet avec enthousiasme. Le fait qu’il m’accorde sa confiance m’a
amené à élever mon niveau d’exigence dans l’écriture de ce mémoire.
Ensuite je tiens à remercier Thibaut Meunier, doctorant en sciences politiques à l’Université
d’Auvergne et administrateur du Master 2 Analyse et prospective internationale à distance.
Travaillant lui-même sur la politique étrangère d’un État sud-américain, sa vision du sujet et
ses conseils bibliographiques m’ont été d’une grande aide.
Je salue également Bruno Muxagato, doctorant en cotutelle à l’Université de Cergy-Pontoise
et à l’Université de Brasilia. Partageant la même thématique de recherche, nous avons
sympathisé lors d’un séminaire du Groupement de Recherche Interdisciplinaire sur le Brésil
en novembre 2011. Son aide concernant certains principes théoriques développés dans cette
étude fut précieuse.
Je remercie Serge Sédille, qui m’a ouvert les portes de la rédaction d’Unasur.fr, site internet
spécialisé dans l’analyse économique et politique de l’actualité sud-américaine, ce qui m’a
permis d’approfondir mes connaissances sur la géopolitique de cette région du monde.
J’en profite pour exprimer ici toute ma sympathie à l’égard de Madame Stéphanie
Boutchicha, responsable de la scolarité de la faculté de droit et de science politique de
l’Université d’Auvergne. Sa disponibilité, son efficacité et sa gentillesse en ont fait un
élément indispensable au bon fonctionnement du master à distance.
Enfin je remercie mes relecteurs, Cécile et Mathieu. Leur vista a permis d’améliorer la
cohérence de ce mémoire. De surcroît, ils ont su m’apporter le soutien moral nécessaire dans
cette entreprise.
3
Sommaire
Remerciements ....................................................................................................................... 2
Sommaire ............................................................................................................................... 3
Introduction ................................................................................................................................ 5
I. La politique étrangère régionale brésilienne, entre hégémonie consensuelle et sous-
impérialisme ............................................................................................................................. 11
A. Une puissance régionale en quête de leadership .......................................................... 12
1. Les composantes classiques de la puissance brésilienne : mise en perspective
régionale ........................................................................................................................... 13
a. Les atouts naturels d’un monster country .......................................................... 13
b. Un essor économique synonyme de moyens d’influence accrus sur la scène
régionale ....................................................................................................................... 19
c. Une puissance pacifique mais renouvelant ses moyens ..................................... 23
2. Une politique régionale pensée pour obtenir le leadership de manière consensuelle
28
a. Une nouvelle approche de la puissance régionale .............................................. 28
b. L’hégémonie consensuelle, une nouvelle approche de la coopération régionale
32
c. Le Brésil, moteur de l’intégration régionale depuis la fin de la Guerre froide .. 34
d. Un médiateur efficace, engagé dans la défense de la démocratie en Amérique du
Sud 39
B. Un leader ambivalent ................................................................................................... 43
1. Une contestation fondée sur le spectre d’un sous-impérialisme brésilien ............... 43
a. Définition historique du sous-impérialisme ....................................................... 43
b. L’expression contemporaine du sous-impérialisme brésilien ............................ 46
2. Le leadership régional, chimère ou pari en passe d’être réalisé ? ............................ 53
a. Les contrecoups de l’expansionnisme économique brésilien............................. 53
b. Une construction régionale émoussée par les divisions idéologiques ................ 55
4
c. La diplomatie de la générosité ou la promesse de la réduction des inégalités
régionales. .................................................................................................................... 59
Conclusion de la première partie .......................................................................................... 62
II. L’assise régionale, outil d’insertion dans un système multipolaire ................................. 63
A. La naissance d’une bipolarité dans l’hémisphère occidental ....................................... 67
1. Entre Brasilia et Washington : une compétition de basse intensité .......................... 67
a. Les négociations sur la Zone de Libre-Échange des Amériques, expérience
fondatrice du tropisme sud-américain de Brasilia ........................................................ 68
b. Le Conseil de Défense Sud-américain, un coup porté à la doctrine Monroe
depuis l’intérieur .......................................................................................................... 72
2. Une confirmation de la dérive du système international vers un modèle multipolaire
77
a. Une intégration régionale partiellement construite sur le rejet de Washington . 78
b. L’obligation de maintenir des liens avec la première puissance mondiale ........ 82
B. Une politique étrangère au service de l’édification d’un pôle régional ....................... 86
1. La région, facteur multiplicateur de puissance ......................................................... 87
a. Une puissance au statut incertain mais aux ambitions globales ......................... 87
b. Les avantages de l’unipolarité régionale dans un système multipolaire ............ 92
2. L’autonomie, à la fois fin en soi et frein de la stratégie brésilienne......................... 97
a. La pratique de l’institutionnalisme pragmatique ou l’essoufflement du
leadership brésilien ....................................................................................................... 97
b. L’existence d’une option alternative à l’intégration régionale ? ...................... 101
Conclusion .............................................................................................................................. 104
Annexes .................................................................................................................................. 106
Bibliographie .......................................................................................................................... 110
5
Introduction
Traditionnellement isolationniste sous la dictature militaire (1964-1985), le Brésil a
connu une vague de bouleversements qui ont contribué à la refonte de sa politique étrangère.
Si l’intérêt national du pays est demeuré le même après la transition démocratique de 1985, à
savoir la préservation de l’autonomie sur la scène internationale pour favoriser le
développement national1, la méthode pour le servir a profondément évolué.
Dans l’esprit des militaires qui se sont succédés à la tête de la junte brésilienne, l’autonomie
ne pouvait s’obtenir qu’en s’abstenant au maximum d’adhérer à des régimes internationaux2,
afin de conserver des marges de manœuvre pleines et entières à la fois à l’intérieur et à
l’extérieur du pays. Toujours selon cette logique, le développement national devait être assuré
par une économie axée sur le marché intérieur. Une stratégie globale baptisée « Autonomy
through distance »3 par le diplomate brésilien Gelson Fonseca.
Cinq facteurs plus ou moins interdépendants et concentrés sur une période d’une quinzaine
d’années expliquent la transformation en profondeur de la politique étrangère brésilienne et
l’intérêt croissant montré pour l’environnement régional, lequel connaîtra son apogée sous les
mandatures de Lula :
- Le premier facteur c’est bien évidemment la transition démocratique elle-même. Celle
du Brésil en premier lieu, mais également celle qui a touché l’Amérique latine dans
son ensemble et que Samuel Huntington inclut dans son concept de troisième vague
démocratique4. Alors que la méfiance caractérisait les relations interétatiques lorsque
la dictature était le régime politique majoritaire dans la région, celle-ci s’est
progressivement estompée, laissant place à un espace propice à la coopération.
- Découlant de la transition démocratique et des réformes menées par les
gouvernements successifs, l’envol économique du Brésil de la dernière décennie est
également une circonstance concourant à l’intérêt croissant du Brésil pour sa région.
1 Il existe une relation de cause à effet dans ce binôme, dans la mesure où un haut degré d’autonomie est
nécessaire pour réussir le développement économique. 2 Tullo Vigevani & Gabriel Cepaluni, « Lula’s foreign policy and the quest for autonomy through
diversification », Third World Quarterly, vol. 28, n°7, 2007, p.1313 3 Gelson Fonseca Jr, « Alguns aspectos da política externa Brasileira contemporânea », in Gelson Fonseca Jr, A
legitimidade e outras questões internacionais. Poder e ética entre as nações, Paz e Terra, 1998 4 Huntington Samuel, « The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century », University of
Oklahoma Press, 1991
6
Premièrement parce qu’elle lui procure des débouchés pour ses exportations de biens
et services ainsi que des opportunités d’investissements pour ses capitaux.
Deuxièmement parce que le poids économique qui en résulte a conféré au Brésil une
influence grandissante en Amérique du Sud.
- La fin de la Guerre froide est également une cause de premier ordre dans la
métamorphose du logiciel de l’action extérieure brésilienne. Si l’immense majorité des
États du globe ont dû repenser leurs politiques étrangères après l’effondrement de
l’URSS, il faut souligner que le Brésil était concerné au premier chef par la mutation
du système international qui s’est produite en 1991. De par son appartenance à
l’hémisphère occidental et en vertu de la doctrine Monroe5, le Brésil a toujours été
confronté à l’influence des États-Unis. Même lorsque l’isolationnisme était à son
zénith durant la dictature militaire, le Brésil n’a eu d’autre choix que de coopérer avec
l’hégémon américain6. C’est pour cela que la chute de l’empire soviétique marque une
étape dans l’histoire de la politique étrangère brésilienne. Alors que les États-Unis
considéraient l’Amérique latine comme leur pré carré pendant la Guerre froide
(essentiellement pour préserver l’hémisphère occidental vierge de tout régime
communiste), celle-ci a subitement perdu de son intérêt stratégique une fois la menace
soviétique disparue. Les États-Unis ont alors desserré leur emprise sur le continent,
faisant naître de nouvelles opportunités régionales pour le Brésil.
- La globalisation qui a rapidement suivi l’avènement de l’hyperpuissance américaine
est un élément de plus dans la liste de ceux qui ont influencé la nouvelle inclination du
Brésil pour l’Amérique du Sud. D’abord perçue comme un danger pour le
développement national, la globalisation a amené le Brésil à reconsidérer son
voisinage pour se prémunir ensemble des chocs externes via des accords douaniers.
Puis, lorsque les exportations brésiliennes ont décollé, la région a ensuite été
envisagée par les dirigeants brésiliens comme un outil d’insertion dans l’économie
globale, que ce soit dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
ou pour la signature d’accords interrégionaux.
5 Doctrine établie par le président américain républicain James Monroe en 1823 selon laquelle les États-Unis
d’Amérique considèreraient comme inamicale toute intervention d’une puissance européenne sur le sol du
continent américain. Elle a contribué à asseoir l’hégémonie américaine dans l’hémisphère occidental. 6 Une situation que l’économiste brésilien Ruy Mauro Marini (1932-1997) a qualifiée de coopération
antagoniste. En effet, tout en s’associant au projet hégémonique américain, la junte brésilienne a cherché à
obtenir des compensations, quitte à provoquer des frictions avec son allié américain, pour préserver certaines
marges d’autonomie.
7
- Enfin après une courte période marquée du sceau de l’unipolarité, la multipolarisation
du système international est l’élément le plus récent à prendre en compte pour
comprendre la rupture opérée dans la politique étrangère régionale brésilienne sous
Lula. A l’instar de Barbara Marque, chercheuse à l’Université catholique de Louvain,
nous prenons pour postulat de départ que « l’ordre international subit une profonde
transition : les dominations évidentes du passé se voient confrontées à l’émergence
déstabilisatrice de nouvelles puissances, motivées par des dynamiques de croissance
fortement désoccidentalisées. Dans cette dynamique, l’avenir des relations
internationales, qui tend vers un monde multipolaire, multicivilisationnel et multi-
enjeux, risque indubitablement de se complexifier »7.
La multipolarisation est la manifestation de deux phénomènes se nourrissant mutuellement :
Premièrement, le déclin de l’hégémonie américaine. Barbara Marque explique :
« Si l’on observe l’évolution de l’ordre mondial depuis la fin de la guerre froide, nous
constatons que sa compréhension est devenue plus complexe qu’auparavant : en
l’absence d’ennemi clair, les États-Unis vont progressivement perdre leur rôle
hégémonique et rentrer dans une période de transition. En d’autres termes, d’un
système unipolaire caractérisé par l’unique présence d’une superpuissance
hégémonique, nous sommes passés à un système uni-multipolaire où l’on retrouve une
superpuissance et d’autres puissances secondaires ».
Deuxièmement, l’apparition de nouveaux acteurs sur la scène internationale, disposant,
corrélativement au déclin de la puissance américain, d’une influence croissante dans les
relations internationales. Le politologue américain A.F.K. Organski prophétisait en 1958 :
« Au fur et à mesure que chaque pays entre dans le processus d’industrialisation […]
il amorce un sprint soudain dans la course à la puissance, laissant loin derrière les
pays qui ne se sont pas encore industrialisés et comblant la distance avec les pays qui
se sont industrialisés avant lui. S’il s’agit d’un pays originellement de grande taille,
son sprint peut bouleverser l’ordre international existant ».
C’est exactement ce qui se produit, approximativement, depuis le début des années 2000 avec
l’émergence, entre autres, de la Chine, de l’Inde, de la Turquie. Fort de sa population de plus
de 190 millions d’habitants, et disposant du cinquième plus grand territoire du monde, le
Brésil rentre dans la catégorie de ces nouveaux acteurs. Une assertion corroborée par
7 Barbara Marque, « Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes », Note d’analyse, Chaire InBev
Baillet-Latour de l’Université Catholique de Louvain, n°16, mars 2011, p.8
8
l’observation suivante : nous avons assisté pendant la dernière décennie à une profusion de
nouveaux concepts cherchant à encadrer théoriquement cette évolution du système
international. Pourtant c’est un économiste et non un internationaliste qui a donné aux pays
émergents leur aura médiatique. Jim O’Neill, analyste de la banque d’affaire américaine
Goldman Sachs, a en effet regroupé en 2001 le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine sous
l’acronyme BRIC car ces pays formaient pour lui un groupe cohérent. Ce n’était pas tant la
superficie et la population de ces pays en tant que valeurs absolues qui avait éveillé l’intérêt
de l’analyste, mais plutôt les formidables marchés intérieurs émergents qu’ils auguraient et
sur lesquels ils ont effectivement bâti leur puissance. Plusieurs concepts ont ensuite été
développés pour interpréter le rôle des pays émergents dans les relations internationales :
nouvelles puissances moyennes, pays intermédiaires, puissances émergentes, États pivots,
would-be great powers etc… Lorsque l’on recoupe ces différents concepts entre eux, on
réduit le spectre des États correspondants à la somme de leurs définitions, lesquelles
s’appuient sur des critères proches mais malgré tout sensiblement différents. Or le Brésil
apparait toujours dans ce « dernier carré ».
Nous en concluons qu’en vertu de la multipolarisation du monde, les acteurs émergents
deviennent de plus en plus pertinents pour l’analyse du système international. Ils constituent
une nouvelle catégorie dans la hiérarchie des puissances. Il existe même un consensus entre
certains auteurs comme Andrew Hurrell et Daniel Flemes pour aller plus loin dans l’analyse
prospective du système international. Ainsi Flemes, chercheur au German Institute of Global
Areas studies prétend qu’il y a de fortes probabilités pour que le système international adopte
une configuration multirégionale8. Les puissances émergentes seraient, selon lui, en train de
constituer autour d’elles des pôles régionaux. En ce sens il faut alors considérer la région
comme une sous-structure du système international et non comme un acteur à part entière9.
Sans préjuger du statut de la puissance brésilienne qui fera l’objet d’une analyse approfondie,
nous en déduisons que, compte tenu de la multipolarisation du système global, il n’est pas
pertinent d’évaluer cette puissance à l’aune de la seule échelle internationale. Au contraire,
8 Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order », Regional Powers Network (RPN)
conference at the German Institute of Global and Area Studies (GIGA), Hambourg, septembre 2008 9 Javier Vadell & Barbara Lamas, « The Brazilian leadership and the concentric circles of integration process:
From South America to Latin America », Congress of the Latin American Studies, Toronto, Canada, octobre
2010, p.3
9
selon Douglas Lemke10
, chercheur à l’Université de Pennsylvanie, la puissance d’un État
s’analyse sur plusieurs échelles. Selon lui, il n'existe pas une hiérarchie internationale mais
une série de hiérarchies parallèles et superposées. Chaque sous-système fonctionnant selon le
même modèle que le système global, c’est à dire avec un État dominant au sommet.
Comme plusieurs auteurs avant nous11
, nous nous rallions au postulat de Lemke sur
l’existence de plusieurs échelles d’analyse. Andrew Hurrell a approfondi cette réflexion et en
est arrivé à la conclusion suivante : les pays émergents modifient l'interaction entre l'échelle
globale et l'échelle régionale12
. Il avance trois arguments. Premièrement, parce qu'en matière
économique, les ordres régionaux organisés par les pays émergents s'insèrent dans le
processus de globalisation économique. Deuxièmement, parce que les dynamiques mondiales
en matière de politique de sécurité leur offre la possibilité de renforcer leur position comme
partenaires ou comme adversaires des États-Unis. Troisièmement parce que les puissances
régionales façonnent le système international au niveau global (unipolaire ou multipolaire,
centralisé ou régionalisé) et que leur propre rôle (leader ou suiveur) est également façonné par
ce système. Tout comme Flemes, Hurrell en déduit que les pays émergents sont des forces
contribuant à la régionalisation du système international.
Notre hypothèse de travail, c’est que la multipolarisation du système international
s’accompagne pour le Brésil d’une quête du leadership régional. Cette position de leader
l’aiderait à satisfaire son intérêt national en fortifiant son autonomie et en accélérant son
développement
Chronologiquement, notre étude se focalise sur les deux mandats de Lula et, dans une
moindre mesure, sur la présidence de Fernando Henrique Cardoso. Etant donné que c’est ce
dernier qui a posé les jalons de la politique régionale brésilienne, il est impossible de ne pas
l’évoquer. Cependant, même si Lula a repris le sillon tracé par son prédécesseur en matière
d’intégration régionale, il a introduit une rupture en accélérant et en élargissant de manière
considérable ce processus. C’est également lui qui, le premier, a osé revendiquer haut et fort
10
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order » op. cit. p.2-3 11
Parmi les plus notables Daniel Flemes, Detlef Nolte, Andrew Hurrell, Barbara Marque. 12
Andrew Hurrell, « Playgrounds of regional powers : Regional powers and the global system », Regional
Powers Network (RPN) conference at the German Institute of Global and Area Studies (GIGA), Hambourg,
septembre 2008
10
son intention de s’emparer du leadership en Amérique du Sud, là où Cardoso s’était montrait
beaucoup plus timoré.
Plusieurs problématiques procèdent de notre hypothèse de travail :
- Quelle stratégie de coopération le Brésil met-il en œuvre dans le cadre de sa politique
régionale pour obtenir ce leadership ?
- Quel est l’impact de cette politique dans les relations américano-brésiliennes sachant
que l’Amérique latine est située dans la sphère d’influence de Washington ?
- Cette politique régionale est-elle un outil contribuant efficacement à l’insertion
internationale du Brésil ?
Pour répondre à ces interrogations, nous estimons que la politique étrangère régionale
brésilienne doit faire l’objet d’une analyse multi-scalaire. Notre plan se divise donc en deux
parties. Dans un premier temps, nous nous étudierons l’aspect purement régional de la
politique de coopération mise en œuvre par le Brésil depuis que le pays a renoué avec la
démocratie. Volontaristes, les projets d’intégration régionale impulsés par le Brésil renvoient
l’image d’une puissance pacifique, cherchant à susciter le consensus autour de son leadership.
Néanmoins, ce comportement proactif se heurte au mécontentement d’une partie des États
sud-américains en raison de l’importance des asymétries existantes entre eux et le géant
brésilien (I). Dans un second temps, nous nous intéresserons aux différentes interactions
engendrées par cette politique régionale. D’abord à l’échelle hémisphérique, où elle contribue
à modifier la configuration des rapports de puissance avec les États-Unis. Puis à l’échelle
planétaire, puisque nous verrons que le Brésil cherche à utiliser l’Amérique du Sud comme
une caisse de résonnance pour s’imposer parmi les futurs leaders d’un monde devenant
multipolaire (II).
11
I. La politique étrangère régionale brésilienne, entre hégémonie
consensuelle et sous-impérialisme
L’objectif de cette première partie est d’analyser la stratégie employée par le Brésil dans
son environnement régional. Nous chercherons dans un premier temps à identifier le statut de
la puissance brésilienne en Amérique du Sud à l’aide des composantes classiques utilisées
dans le paradigme réaliste. Puis à travers une définition plus moderne de la puissance
régionale, nous verrons que le Brésil ne cherche pas à utiliser sa simple supériorité matérielle
pour imposer son leadership régional. Sous Lula, l’État brésilien a en effet entrepris de
poursuivre une stratégie de cercles concentriques initiée depuis la transition démocratique, qui
vise à élargir peu à peu le territoire où s’exerce l’influence brésilienne, via notamment un
processus d’intégration régionale. Ce processus s’accompagne dans les années 2000 d’une
implication croissante du Brésil dans la gestion des crises politiques dans la région.
Deux grilles de lecture peuvent être mobilisées pour analyser l’action régionale brésilienne. À
travers une approche constructiviste de l’ensemble des initiatives diplomatiques brésiliennes,
c’est l’image d’une stratégie hégémonique consensuelle qui se dégage. Celle-ci fournit une
explication valable des progrès substantiels réalisés en matière d’intégration régionale lors de
la dernière décennie (A). A l’inverse, en adoptant une lecture marxiste de la politique menée
par le Brésil en Amérique du Sud c’est bien le spectre d’un sous-impérialisme brésilien qui
apparaît en filigrane. Une lecture des évènements adoptée par certains gouvernements de la
région qui explique pourquoi le leadership brésilien reste contesté (B).
12
A. Une puissance régionale en quête de leadership
Depuis près de 20 ans, le Brésil a connu un processus de transformation de son économie
qui lui a permis de « déposer » ses voisins sud-américains dans la course au développement et
à l’inverse, de combler la distance avec les pays industrialisés. Sorti de sa condition de pays
périphérique13
, le Brésil, déjà doté d’atouts « naturels » tels qu’un vaste territoire et une
population élevée, est devenu une puissance. Cependant qualifier un État de puissance sans
plus de précision revient à galvauder ce concept. L’un des objectifs du présent travail de
recherche est d’analyser la nature de cette puissance ainsi que les stratégies mise en place par
l’État brésilien pour la maximiser14
, et enfin de la resituer dans un contexte. En l’occurrence,
il s’agit dans cette première sous-partie d’examiner la puissance brésilienne dans son
environnement régional.
Tout d’abord, il convient de rappeler que la puissance est un concept-clé du paradigme
réaliste. Traditionnellement elle se mesure en évaluant et en comparant des ressources
matérielles quantifiables. Organski, s’appuyait ainsi sur le territoire, les ressources naturelles,
la population, les capacités économiques et que les effectifs et dépenses militaires pour établir
une hiérarchie des puissances à l’échelle internationale. Il paraît légitime de s’appuyer sur des
données objectives comparables pour établir ce type de hiérarchie à l’échelle régionale.
Dans un premier temps, nous allons donc vérifier le statut de la puissance brésilienne à
l’échelle régionale sur la base de ces critères traditionnels tout en les abordant de manière
critique afin de vérifier la solidité de la puissance auriverde. Précisons d’emblée que dans le
cadre d’une analyse réaliste, l’État désigné comme le plus fort de la région à l’issue de ce
recensement se voit automatiquement attribuer le statut de puissance régionale, comme en
atteste la classification de plusieurs projets d’études néoréalistes :
« Within the Correlates of War Project (COW) and Regions of War and Peace
Regions, the strongest state [in the region] is designated the Regional
Power»15
.
13
Immanuel Wallerstein, The politics of World economy : the States, the movements and the civilizations,
Cambridge University Press, 1988 14
Avec une attention particulière pour les initiatives lancées par Lula, qui avait fait de la région sa priorité en
matière de politique étrangère. 15
Douglas Lemke, « Dimensions of hard power: Regional leadership and material capabilities », Regional
Powers Network (RPN) conference at the German Institute of Global and Area Studies (GIGA), p.6. Lemke
reprend également cette équation à son compte dans sa démonstration.
13
Le principal inconvénient de cette définition de la puissance, est d’envisager la coercition
comme principal moyen pour une puissance régionale d’exercer son influence. Or une simple
observation de la gestion des crises impliquant ses intérêts16
par le gouvernement brésilien
permet de constater que celui-ci n’appuie pas sa politique régionale sur la coercition. A
l’inverse, le Brésil jouit traditionnellement d’une réputation de puissance pacifique. Comme le
soulignent Maria Soares et Monica Hirst, « Brazil’s presence in South America has
represented for the most part a factor of stability and peace that has contributed to the
region’s profile as a zone of relative peace »17
. Ce recensement des composantes classiques
de la puissance est donc nécessaire mais incomplet pour saisir l’essence de la puissance
brésilienne dans son environnement régional. Il ne faut donc pas s’en remettre aux seuls
critères matériels pour définir la puissance régionale brésilienne (1). Une nouvelle approche
de la puissance régionale, intégrant des éléments du paradigme constructiviste, a été
développée depuis plusieurs années pour mieux prendre en compte les spécificités des pays
émergents. Nous reprendrons donc dans un second temps une partie de ce cadre conceptuel
pour aller plus loin dans l’analyse de la politique étrangère régionale brésilienne (2).
1. Les composantes classiques de la puissance brésilienne : mise en
perspective régionale
a. Les atouts naturels d’un monster country
De par sa taille géographique et démographique, le Brésil est, selon le terme inventé par le
diplomate américain George Kennan, un monster country. Bien qu’originellement destinée à
illustrer une démonstration sur l’ingouvernabilité des États-Unis en raison de leurs
dimensions, cette catégorie de pays regroupe les pays dont la population et la superficie
surpassent de manière manifeste celles des autres pays du globe. Kennan lui-même accordait
ce statut au Brésil en 1993 : « We [the U.S.] are, if territory and population be looked at
together, one of the great countries of the world – a monster country, one might say, along
with such others as China, India, the recent Soviet Union and Brazil. »18
16
On pense notamment à la gestion de la crise du gaz bolivien lorsqu’Evo Morales, fraichement élu président,
avait décidé en 2006 de nationaliser la filière bolivienne de Petrobras, la compagnie pétrolière parapublique
brésilienne. 17
Maria Regina Soares de Lima & Mônica Hirst, « Brazil as an intermediate state and regional power: action,
choice and responsibilities », International Affairs, n°82, 2010, p.38 18
George Kennan, Around the cragged hill :A personal and political philosophy, W. W. Norton & Company
1993
14
Dans son acception moderne le terme a perdu sa connotation péjorative, monster country
n’étant plus synonyme de pays ingouvernable. On peut tirer deux premiers enseignements de
l’apposition du label monster country au Brésil. Tout d’abord, il convient de remarquer le
nombre très restreint de pays auxquels Kennan accorde ce statut, ce qui de fait, démontre la
singularité du Brésil, unique représentant de l’Amérique latine. Ensuite, l’expression de
Kennan date de 1993, soit bien avant que soient apposées au Brésil des dénominations telles
que pays émergent, puissance moyenne, would-be great power, ou même celle de membre des
BRIC. Ces dernières ont été massivement utilisées par les médias pour qualifier le Brésil
seulement à partir des années 2000, corrélativement à sa montée en puissance sur la scène
internationale. Nous reviendrons sur l’aspect économique comme facteur de puissance
régionale un peu plus loin. Contentons-nous pour le moment de souligner que le territoire et la
population du Brésil constituent les fondements dits « naturels » de sa puissance au niveau
régional. Monster country s’avère alors une appellation très évocatrice et très utile pour
illustrer la prééminence du Brésil dans son environnement régional immédiat.
Une population nombreuse, ressource ambivalente
La population brésilienne a rapidement augmenté ces trente dernières années passant
de 121 millions d’habitants en 1980 à 146 millions en 1991 et 169 millions d’habitants en
2000. D’après les estimations de la Banque Mondiale, la population totale du Brésil s’élève à
environ 200 millions d’habitants. La pyramide des âges dessine une population jeune, les
moins de 25 ans représentant plus de 30% de la population. Bien que la densité actuelle de
22,4 habitants au kilomètre carré reflète un espace capable de supporter une croissance
démographique importante, cette statistique est malgré tout quelque peu trompeuse. En effet,
la répartition spatiale est déséquilibrée et l’essentiel de la population est concentrée dans de
grandes aires métropolitaines à proximité des côtes atlantiques. La plus grande du pays, celle
de Sao Paulo, regroupe plus de 19 millions d’habitants, la seconde, celle de Rio de Janeiro,
environ 16 millions. Ce qui pose des problèmes de logements et de transports importants, les
infrastructures n’étant pas à la hauteur de la densité de population.
Il s’agit du cinquième pays le plus peuplé au monde (derrière la Chine, l’Inde, les États-Unis
et l’Indonésie), et du deuxième au niveau hémisphérique. Mais dans le cadre d’une étude sur
son statut de puissance régionale, c’est surtout le fait que le Brésil soit le pays le plus peuplé
d’Amérique du Sud qui importe. À titre de comparaison les deuxième et troisième pays les
plus peuplés d’Amérique du Sud, la Colombie et l’Argentine, comptent respectivement
15
44 725 000 et 41 729 000 habitants19
. Pour mieux mettre en perspective le poids
démographique du Brésil, il faut le resituer par rapport à la population totale du continent sud-
américain.
Figure 1: Population totale des dix États les plus peuplés d'Amérique du Sud. Source : Banque Mondiale
Soulignons l’existence de communautés brésiliennes importantes dans les pays sud-
américains voisins, en relevant par exemple le néologisme « Brasiguayos », qui désigne les
brésiliens installés au Paraguay. Ces communautés sont évidemment des vecteurs importants
de la culture brésilienne à travers l’Amérique du Sud et révèlent l’interdépendance croissante
entre le Brésil et les États voisins en terme économiques, commerciaux et infrastructurels20
.
Selon le paradigme réaliste, la population est une des composantes de la puissance. Plus la
population d’un État est élevée, meilleures seront ses chances d’accéder au statut de
puissance. Elle est la garantie d’effectifs militaires importants et d’une main d’œuvre
abondante. Cependant, comme le rappelle Patrice Gourdin, professeur à l’École de l’Air
française, « la population n’a pas une valeur absolue »21
. Ce qui compte c’est la manière dont
l’État mobilise cette forte population. C’est seulement par une bonne gouvernance que l’on
peut transformer le potentiel démographique en puissance. Dans le cas contraire, celui-ci peut
devenir un handicap. Or le Brésil était dans les années 90 un pays connu pour ses profondes
inégalités sociales. Si le pays ne brille toujours pas par l’homogénéité de sa société (avec un
coefficient de Gini de 0,53 en 2009 le plaçant au 13ème
rang des pays les plus inégalitaires du
19
Source : World Factbook 2011, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/, consulté le
21/12/2011. 20
Alfredo Valladao, « Brazil : an ambiguous leader », p.4 21
Intervention de Patrice Gourdin dans Géopolitique, le débat, RFI, émission du samedi 13 novembre 2011
consacrée à la puissance au 21ème
siècle
16
monde), Lula a entrepris dès le début de son premier mandat de remédier à cette faiblesse via
des programmes sociaux ambitieux. Dans le cadre du programme Fome Zero (Faim Zéro) de
son prédécesseur, Lula créa la Bolsa Familia (Bourse Familiale)22
, une aide financière
attribuée sous conditions de scolarisation et de vaccination des enfants des foyers brésiliens.
Durant le même laps de temps, la croissance économique du pays a contribué à sortir 20
millions de brésiliens de la pauvreté, lesquels sont venus grossir les rangs de la classe
moyenne brésilienne23
. Le chemin à parcourir pour faire de cette population un atout reste
important, notamment en matière d’éducation : la qualité de l’école primaire brésilienne reste
médiocre (elle est classée 119ème
mondiale)24
. De même, selon le Programme for International
Student Assessment (PISA) de l’Organisation de Coopération et de Développement
Économiques (OCDE), les étudiants brésiliens se classent 54ème
sur 57 nationalités pour leur
compréhension des mathématiques et 48ème
sur 61 pour leurs aptitudes en lecture.
Un pays géopolitiquement satisfait depuis le 19ème siècle
La deuxième caractéristique des monster countries concerne leur dimension
géographique. Le Brésil étend sa souveraineté sur un territoire de 8 514 876 kilomètres
carrés25
, soit plus de quatorze fois la surface de la France, mais surtout quatre fois l’Argentine
voisine, pourtant deuxième plus grand pays d’Amérique du Sud. Là encore il est utile de
remettre en perspective la taille du territoire brésilien par rapport à ceux de ses voisins sud-
américains :
Figure 2: Surface en millions de km2 des dix plus grands États d'Amérique du Sud. Source : Banque Mondiale
22
Pierre Salama, « Brésil, bilan économique, succès et limites », Problèmes d’Amérique latine, p.10 23
Bartlomiej Znojek, « Brazil’s global aspirations: challenges after Lula », Bulletin of PISM, p.398 24
World Economic Forum’s 2008-09 Global Competitiveness Report 25
Source : Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE)
17
Le Brésil est selon l’expression de Maria Soares de Lima et Monica Hirst26
, un pays
« géopolitiquement satisfait » depuis la fin du 19ème
siècle. La conquête de l’Amazone, à
partir des côtes atlantiques et des premières implantations coloniales portugaises s’apparente à
la conquête de l’Ouest américain du 19ème
siècle27
, de par l’esprit pionnier qui animait les
colons portugais. Le traité de Tordesillas de 1494 qui prévoyait le partage du Nouveau Monde
entre le Portugal et l’Espagne fut rapidement enfreint et le cap des 600 kilomètres qui avait
été fixé comme limite initiale d’expansion à partir de la côte atlantique, dépassé.
Mais c’est le Baron de Rio Branco, diplomate puis ministre des Affaires étrangères de
l’Empire brésilien de 1902 à 1910, qui a donné au Brésil ses frontières actuelles. Le père de la
diplomatie moderne brésilienne28
est en effet célèbre pour avoir annexer trois importants
territoires. Ainsi, en 1895, il obtint du président des États-Unis Grover Cleveland, une
décision arbitrale en sa faveur dans le litige qui l’opposait à l’Argentine pour la
reconnaissance de sa souveraineté sur les territoires de Santa Catarina et Paraná. Puis ce fut
l’Amapa, disputé à la France, qui fut attribué au Brésil par un arbitrage du gouvernement
suisse en 1900. Enfin, en 1904 il négocia le traité de Petrópolis entre le Brésil et la Bolivie et
qui mit fin au conflit que se livrait les deux États sud-américains à propos du territoire d’Acre.
Le Brésil étendit sa souveraineté à ce territoire et l’incorpora comme État fédéré contre
compensations financières (110 000 $) et de petites concessions territoriales29
. Dans chaque
litige frontalier, le Baron Rio Branco sut faire un usage pragmatique de l’uti possidetis30
. Les
frontières du Brésil sont stables depuis cette époque, ce qui a permis de procéder sereinement
à la construction de l’État brésilien.
L’immensité de ce territoire se traduit par un nombre important de frontières communes : dix
États sud-américains31
composent le voisinage direct du Brésil. Seuls deux pays manquent à
l’appel : le Chili et l’Équateur, tous deux situés sur la côte pacifique du continent. Rien que
par sa situation géographique, le Brésil peut légitimement prétendre jouer un rôle central dans
la région. Ce fut pour Lula un atout appréciable lorsqu’il décida de relancer le processus
d’intégration régionale.
26
Maria Soares de Lima & Monica Hirst, « Brazil as an intermediate state and regional power: action, choice
and responsibilities », International Affairs, p.22 27
Raul Zibechi, « Brazil and the difficult path to multilateralism », Americas Program Special Report, p.1 28
Son nom fut donné à l’école diplomatique brésilienne créée en 1945, l’Instituto Rio Branco. 29
Raul Zibechi, op. cit. p.2 30
Luigi Einaudi, « Brazil and the United States: the need for strategic engagement », Strategic Forum of
National Defense University, p. 7 31
cf. Annexe 1
18
Un territoire considérable, source de richesses
Ce que Patrice Gourdin soulignait à propos de la population en tant que composante de
la puissance, peut-être repris par analogie pour le territoire : il n’est un atout que s’il est riche
et correctement exploité. Le Brésil a réussi à réaliser le potentiel de son territoire, notamment
en développant un secteur agricole très performant. Le pays est l’un des mieux dotés au
monde en terres arables. En effet, selon l’Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária
(Embrapa, un laboratoire détenu par le Ministère de l’Agriculture brésilien), « sur les
851millions d’hectares du pays, 402 sont cultivables et seulement 62 sont utilisés pour
l’agriculture. Les superficies occupées par les forêts sont de 440 millions d’hectares, dont
350 millions en Amazonie. Il resterait donc 340 millions d’hectares à cultiver sans trop
causer d’impact environnemental, dont 90 millions d’hectares immédiatement disponibles
(soit trois fois la surface agricole utile française) »32
. Le pays s’est ainsi imposé comme le
premier producteur mondial de viande de bœuf, de sucre de canne et de café. Il est également
le deuxième plus gros producteur de soja33
. Le Brésil est régulièrement désigné comme étant
la « ferme du monde »34
.
La production agricole n’est pas uniquement destiné à la filière alimentaire : le Brésil peut se
targuer d’être le premier producteur mondial d’éthanol à base de canne à sucre. C’est le
résultat d’un programme gouvernemental dénommé Pro-Alcool, mis en place en 1975 en
réponse au premier choc pétrolier pour diminuer la dépendance énergétique du pays35
. Une
dépendance qui n’a fait que diminuer depuis, en partie grâce à l’éthanol, mais aussi grâce aux
substantielles découvertes de gisements offshore de gaz et de pétrole réalisées depuis le début
des années 2000. Le pays est devenu autosuffisant en pétrole en 2007 et cherche à mettre en
place un programme d’exploitation des trois grands champs pétrolifères découverts au large
de Rio de Janeiro la même année. Ces pré-sels, ainsi nommés pour avoir la particularité
géologique d’être contenus sous une couche de sel de plus d’un kilomètre d’épaisseur,
pourraient hisser le pays parmi les plus gros producteurs de brut de la planète. Les réserves
prouvées s’élèvent à 10 à 15 milliards de barils, mais pourraient en réalité atteindre les 80
milliards de barils36
. Cette découverte constitue indéniablement un atout pour le Brésil, lequel
32
Hervé Théry, « Le Brésil et le Monde », in. Denis Rolland & Antonio Carlos Lessa (Dir.), Relations
internationales du Brésil, les chemins de la puissance : volume 1, p.62 33
Samuel Bodman, James Wolfensohn, Julia Sweig (Dir.), « Global Brazil and U.S.-Brazil Relations », p.10 34
Christian Girault, « L’entrée du Brésil sur la scène mondiale », Rayonnement du CNRS, n°56, juin 2011, p.8 35
Ibid. 36
Bruno Muxagato et Bruna Le Prioux, « La découverte des gisements d’hydrocarbures du ‘pré –sel’ : un défi
pour l’avenir de la puissance brésilienne », La Chroniques des Amériques, n°4, mai 2011
19
cherche désormais à créer une intégration énergétique en Amérique du Sud et à développer les
infrastructures permettant d’exporter plus efficacement (notamment vers l’Asie) ces nouvelles
ressources énergétiques. Le sous-sol brésilien est également très riche en minerais. Il dispose
des plus importantes réserves mondiales prouvées de minerai de fer et des sixièmes pour
l’uranium. On trouve en outre d’importantes réserves d’or et de diamant, notamment dans
l’État du Minas Gerais37
.
De cet espace et de cette population considérables, le Brésil a su faire un moteur de son
développement. Longtemps abonné aux espoirs déçus et aux crises à répétition, le pays a
retrouvé sous l’impulsion de Fernando Henrique Cardoso (FHC) la stabilité économique et
financière qui lui faisait défaut.
b. Un essor économique synonyme de moyens d’influence accrus sur la scène
régionale
Pays régulièrement promis à grand avenir en matière économique, le Brésil a souvent
déçu les espoirs placés en lui au long du 20ème
siècle. Les chocs pétroliers des années 70,
l’inflation galopante dans les années 80 et 90, une importante dette extérieure, auront été
autant de freins à son développement. L’envol économique du Brésil des années 2000 est,
paradoxalement, le fruit de deux politiques macroéconomiques aux fondements doctrinaux
opposés.
Tout d’abord, la politique économique du Brésil plonge ses racines dans le modèle
développementaliste prôné par la Commission économique pour l'Amérique latine et les
Caraïbes (la CEPAL, commission régionale de l'ONU fondé en 1948). Ce modèle a
grandement influencé la politique macroéconomique brésilienne depuis les années 50
jusqu’au début des années 80. De manière schématique, il était basé sur la théorie de la
dépendance38
, selon laquelle les pays en développement (dit « pays périphériques ») ne
rattraperaient jamais leur retard sur les pays industrialisés (les « pays du centre ») s’ils
continuaient à s’approvisionner auprès de ces derniers en biens manufacturés à haute valeur
ajoutée. Les termes de l’échange leur seraient alors perpétuellement défavorables puisque
leurs exportations reposaient essentiellement sur des matières premières à faible valeur
37
Dont le nom signifie « mines générales ». 38
Fernando Henrique Cardoso, président de la République fédérale brésilienne de 1994 à 2002, avait lui-même
participé aux travaux de la CEPAL et avait contribué à l’élaboration de la théorie de la dépendance ainsi qu’à sa
diffusion.
20
ajoutée. La CEPAL recommandait aux pays latino-américains de se débarrasser de ce lien de
dépendance en appliquant un programme de Substitution des Importations par
Industrialisation (ISI) et en stimulant la demande intérieure. Un programme particulièrement
suivi par le Brésil, y compris sous la dictature militaire et qui contribua à l’édification d’un
secteur industriel conséquent. Mais comme le souligne Enrique Ventura, « les déséquilibres
apportés par la crise de la dette et la crise de l’inflation des années 1980 ainsi que
l’incapacité des gouvernements successifs à restaurer la stabilité et la croissance vont miner
la crédibilité du modèle développementaliste »39
.
Il faudra attendre l’élection de Fernando Henrique Cardoso à la présidence de la République
fédérale brésilienne en 1994 pour assister à un changement de cap radical. Le sociologue
d’orientation marxiste qu’il était dans les années 60-70, décida une fois élu, de prendre le
taureau par les cornes et de mettre un terme à l’instabilité financière du Brésil, principal fléau
de son économie dans les années 80-90 via un programme néolibéral. Tout d’abord, il mit en
place le Plan Réal qui indexa la monnaie nationale sur le dollar afin de stabiliser son cours.
Puis, le pays adopta progressivement le libre-échange, notamment à travers le régionalisme
ouvert mais sans réussir à bénéficier de la mondialisation. FHC, décida alors en 1999 de
dévaluer le réal afin de relancer les exportations brésiliennes.
En 2003, l’élection de Lula, un ancien leader syndicaliste, suscite la panique du monde
économique et financier qui craint de voir le Brésil retourner vers ses démons. Cependant,
malgré une campagne teintée de rhétorique marxiste, Lula s’engage rapidement auprès des
acteurs économiques brésiliens et des institutions financières internationales à poursuivre la
politique macroéconomique engagée par FHC. Cette continuité garantit la stabilité financière
brésilienne et les réformes entreprises dans les années 90 portent enfin leurs fruits.
La réussite économique brésilienne est donc le résultat d’une équation complexe entre
développementalisme et réformes néolibérales. L’émergence d’une immense classe moyenne,
constitue depuis les années 2000, le principal moteur de la croissance du pays. À titre
d’exemple, la consommation des ménages a augmenté de 11 % entre 2003 et 2006, ce qui a
39
Enrique Ventura, « La diplomatie sud-sud du Brésil de Lula », Observatoire Politique de l’Amérique latine et
des Caraïbes, IEP de Paris, juin 2010, p.14
21
créé pour la première fois au Brésil un réel marché interne40
. Celui-ci offre des débouchés à
l’industrie nationale, déjà bien en place depuis la deuxième moitié du 20ème
siècle grâce à au
programme ISI. L’autre nouveauté sur le plan macroéconomique, c’est que le Brésil a appris à
exporter grâce à l’adoption du libre-échange. D’abord confronté selon les mots de FHC à une
« globalisation asymétrique », les années 2000 sont celles d’un boom exportateur. Celui-ci
s’explique par « L’augmentation de la valeur des produits primaires et semi-manufacturés
exportés (soja, minerai de fer), dopée par la demande chinoise, et par l’augmentation du
volume des produits manufacturés exportés, suite à la dévalorisation de 1999 qui augmente la
compétitivité-prix des produits brésiliens »41
. Alain Rouquié rapporte42
:
« Alors qu’à la fin des années 1990, le Brésil parvenait difficilement à passer la barre
des 60 milliards de dollars d’exportations, son commerce extérieur a doublé et atteint
138 milliards de dollars en 2005, ce qui est peu rapporté au PIB (moins de 15 %) ou
comparé à d’autres États du continent, mais n’en représente pas moins une profonde
mutation qualitative pour une économie longtemps centrée sur son marché intérieur ».
Le pays a su tirer profit de son territoire de monster country. Les richesses de son sous-sol
ainsi que son énorme surface agricole utile lui ont permis de s’appuyer sur une industrie
minière prospère et un agrobusiness performant. Mais son important secteur industriel lui
permet également d’exporter des biens manufacturés à plus haute valeur ajoutée. Embraer est
ainsi le troisième constructeur d’avions au monde derrière Airbus et Boeing. Les relations
commerciales du Brésil sont diversifiées : L’Union Européenne (UE) est son premier
partenaire. En 2010, elle a absorbé 21,5% des exportations brésiliennes. Viennent ensuite la
Chine (16,5%), les États-Unis (9,7%) et l’Argentine (9,2%).
L’importance relativement moyenne de la part des exportations dans le PIB brésilien lui
permet de plus de se prémunir des contrecoups de l’économie mondiale. Le pays est ainsi le
dernier au monde à être entré en récession en 2008 et le premier à en être ressorti en
septembre 200943
. Comme le fait remarquer Marco Aurelio Garcia44
, conseiller spécial aux
affaires internationales de Lula lors de ses deux mandats, la réaction du Brésil à la crise
40
Catherine Leterrier, « Du conflit Nord-Sud à la coopération Sud-Sud : le modèle alternatif du Brésil de Lula »,
Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur le Brésil (GRIB), avril 2009, p.5 41
Enrique Ventura, op. cit. p.16 42
Alain Rouquié, « Le Brésil, un État sud-américain parmi les grands ? », In Christophe Jaffrelot, L’enjeu
mondial, les pays émergents, Presses de Sciences Po-L’Express, 2008, p.108 43
« Le Brésil sort de la récession », La Tribune, 11 septembre 2009, consulté le 10/12/11 44
Marco Aurelio Garcia in « Prioridades da política externa brasileira à luz do interesse nacional », CEBRI
Dossiê, Centro Brasileño de Relaciones Internacionales (CEBRI), vol.1, an 9, 2010
22
démontre la consistance et la solidité du processus économique en cours : il ne s’agit plus
d’un « miracle éphémère ».
Entraîné par ces deux moteurs, le produit intérieur brut a fortement augmenté. Bien que moins
importante45
qu’en Chine ou en Inde, la croissance économique lui a permis de devenir
l’acteur économique majeur du continent sud-américain.
Figure 3: Évolution du PIB des cinq plus grandes économies d'Amérique du Sud (1990-2010). Source: Banque
Mondiale.
Sa participation commerciale et financière dans les États voisins a littéralement décollé. Entre
2000 et 2009 ses échanges commerciaux avec les pays membres du Mercado Común del Sur
(Mercosur en espagnol ou Mercosul en portugais, composé de l’Argentine, du Brésil, du
Paraguay et de l’Uruguay ainsi que du Venezuela depuis 2011) ont augmenté de 86% et ceux
avec les pays du Pacte Andin de 253%46
. Les sociétés transnationales brésiliennes tels que
Vale (extraction minière), Odebrecht (construction), sont devenus des acteurs incontournables
en Amérique du Sud et réalisent des profits importants grâce au développement de leurs
activités dans la région.
L’essor économique du Brésil, allié à une situation financière stabilisée n’a pas manqué de
retenir l’attention des investisseurs étrangers. Le pays est devenu le principal pôle d’attraction
d’Investissements Directs Étrangers (IDE) en Amérique du Sud. Alors qu’ils atteignaient
péniblement les 2 milliards de dollars au début des années 90, ils ont dépassé le cap des 30
milliards en 2000 avant de replonger à 10 milliards en 2003 en raison de la crise économique
argentine qui avait sapé la confiance des investisseurs. Puis les capitaux ont de nouveau afflué
45
4,2% par an en moyenne entre 2003 et 2008 46
Julia Sweig, « A new global player », Foreign Affairs, vol.89, n°6, 2010, p.183
23
lorsque ces derniers se sont aperçus que la crise argentine n’avait eu que peu d’effet sur les
prévisions de croissance brésilienne à moyen terme. Le Brésil a ainsi reçu 45 milliards d’IDE
en 2008, 25 milliards en 2009 en raison de la contraction de l’économie mondiale, et 48
milliards en 2010
Après examen de ces différents indicateurs, il ne fait aucun doute qu’en matière économique
le Brésil est la puissance régionale de l’Amérique du Sud. Il domine tous les compartiments
de l’économie régionale, comme le prouve ses bons résultats en matière de PIB, de
commerce, d’investissements et de diversité de son économie. Or comme le souligne Robert
Kappel47
: « The economics of regional powers are of outstanding importance for the status of
the regional power in the region ».
c. Une puissance pacifique mais renouvelant ses moyens
Il nous reste à dresser un rapide état des lieux sur les forces armées du Brésil, dernière
mais importante composante de la puissance dans le paradigme réaliste. Le Brésil bénéficie
depuis longtemps d’une image de pays pacifique, et il aime à entretenir ce mythe. Il est vrai
que le pays n’a pas connu la guerre depuis plus de 140 ans48
. La tension avec ses voisins a
parfois atteint des sommets sous la dictature mais sans jamais déboucher sur un conflit ouvert.
D’où l’image résiliente d’un peuple préférant la conciliation et la négociation à l’épreuve de
force.
L’Amérique du Sud est elle-même historiquement une région pacifique au sens diplomatique
du terme, sachant que le continent n’a connu aucun conflit interétatique majeur depuis le
19ème siècle et les guerres de décolonisation. Il n’agit pas ici de nier les différentes formes de
violence qui traversent ou ont traversé l’Amérique du Sud ni l’émergence de nouvelles
menaces transnationales, mais bien de relever l’absence de guerre totale c’est-à-dire d’un
conflit mobilisant toutes les ressources disponibles d’un État contre un autre. Le continent a
été épargné par les deux Guerres Mondiales car aucun pays n’était enfermé dans un système
d’alliance qui aurait pu l’impliquer dans les combats et importer le conflit sur son territoire.
Pendant la Guerre Froide, l’Amérique du Sud a essentiellement été le terrain de guerres
civiles et autres conflits internes inhérents à la lutte d’influence des deux blocs idéologiques
soviétique et occidental. Depuis la fin de la Guerre Froide, les tensions régionales ont été
47
Robert Kappel, « On the economics of regional powers : comparing China, India, Brazil, and South Africa »,
GIGA Working Papers, German Institute of Global and Area Studies (GIGA), n°145, septembre 2010, p.26 48
Il a cependant envoyé une force de 25 000 hommes en Europe lors de la Seconde Guerre Mondiale.
24
limitées grâce au développement de coopérations dans le domaine économique et militaire.
De plus lors des transitions démocratiques, les gouvernements nouvellement élus ont cherché,
y compris au Brésil, à contrôler les dépenses militaires et à soumettre constitutionnellement
les armées nationales, celles-ci ayant souvent joué un rôle prépondérant dans les dictatures
sud-américaines.
Néanmoins, le Brésil a entrepris ces dernières années de faire l’acquisition de capacités
militaires modernes tel que des hélicoptères de combat russes Mi-35 en 2008, des sous-marins
conventionnels classe Tupi de l’allemand Thyssen Krupp Marins Systems (TKMS) en 2006.
Le montant du budget national brésilien dédié aux dépenses militaires était de l’ordre de 27
milliards de dollars (Mds $) en 2009 contre un peu moins de 20 Mds de $ en 2000. À ce titre
il représente plus de 50% des dépenses militaires totales du continent sud-américain. Le Brésil
n’est pas le seul État sud-américain à s’être lancé dans l’achat de matériel militaire. Il a été
suivi en cela par la Colombie, le Chili et l’Équateur dont les budgets militaires ont
spectaculairement augmenté, et par le Venezuela dont le partenariat stratégique avec la Russie
a beaucoup fait parler dans les chancelleries. En comparant la période 2000-2004 à celle de
2005-2009, les experts du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) ont
calculé qu’en Amérique du Sud les achats d’armes avaient augmenté de 150%. Oscar Arias,
deux fois président de la République du Costa Rica de 1986 à 1990 et de 2006 à 2010 et prix
Nobel de la paix en 1987, a été un des premiers à tirer la sonnette d’alarme en septembre 2006
lors du 16ème
Sommet ibéro-américain de Montevideo. Il a publiquement dénoncé ce qu’il a
qualifié de « course à l’armement en Amérique du Sud ».
Une inquiétude alimentée depuis le début des années 2000 par la multiplication des tensions
frontalières, allant jusqu’à frôler l’affrontement armé en 2008 lors de la crise diplomatique qui
opposa l’Équateur et le Venezuela à la Colombie. La gravité de cette crise, qui mine encore
aujourd’hui la construction régionale mérite que l’on s’attarde un court instant sur les faits. Le
1er mars 2008 la Colombie, dans le cadre de sa lutte contre les FARC, lance un raid aérien
(nom de code « Opération Phénix ») sur un campement de guérilleros situé en territoire
équatorien. L’opération est un succès pour l’armée colombienne puisqu’elle aboutit à
l’élimination de Raul Reyes, second commandant en chef des FARC. Un succès à un détail
près mais d’une importance colossale : la Colombie n’a jamais informé l’Équateur de ses
intentions. Le président équatorien Rafael Correa, lorsqu’il prend connaissance de l’opération,
proteste vigoureusement contre cette violation de l’intégrité territoriale de son pays et rappelle
25
son ambassadeur de Bogota, expulse l’ambassadeur colombien et rompt les relations
diplomatiques avec le gouvernement colombien. Hugo Chavez, politiquement proche de
Correa se joint à ses protestations et enjoint à Alvaro Uribe de s’abstenir de tenter la même
chose sur le sol vénézuélien sous peine de déclaration de guerre. L’exécutif colombien ne
cherchera absolument pas à calmer le jeu, puisque le 2 mars il déclare avoir recueilli sur
l’ordinateur de Raul Reyes des preuves irréfutables que le Venezuela et l’Équateur servent de
base arrière aux FARC. Ces derniers ont alors envoyé des troupes stationner à leurs frontières
respectives avec la Colombie. Le 20ème sommet du Groupe de Rio du 8 mars à Saint-
Domingue est l’occasion pour la Colombie de faire amende honorable. Chavez déclare à cette
occasion -et le terme est d’importance- que le conflit est désactivé. Correa quant à lui se
contente de prévenir qu’il faudra du temps pour que se rétablissent les relations bilatérales
entre Équateur et Colombie.
Toutefois, il convient de relativiser le terme de course à l’armement en Amérique du Sud,
encore plus dans le cas du Brésil. En approfondissant un peu les analyses comparatives que
l’on peut faire avec les statistiques du SIPRI, institut de référence pour la recherche sur les
conflits et le contrôle des armes, on relativise très vite l’importance de cette soi-disant course
à l’armement et des investissements brésiliens.
- Premièrement, en comparant les différentes régions du monde, on s’aperçoit que
l’Amérique du Sud a certes connu une rapide augmentation de ses dépenses militaires,
mais le montant effectif de celles-ci est bien inférieur à celui d’autres zone du globe : à
titre d’exemple, le montant total des dépenses militaires des États d’Europe
occidentale et centrale s’élève à 326 Mds de $ en 2009 (en valeur courante) contre
51.8 Mds de $ en Amérique du Sud.
- Deuxièmement, Brasilia dispose certes du plus gros budget militaire sud-américain
mais au petit jeu des comparaisons, on relativise son importance. En 2009, ses dépense
militaires s’élevaient à hauteur de 27 Mds de $. Faut-il rappeler que les États-Unis, qui
se sont publiquement inquiétés des tendances à la hausse des dépenses militaires sud-
américaines, ont disposé la même année d’une manne de plus de 660 Mds de $ ? Sans
forcer autant le trait, le total des dépense militaires françaises s’élevait quant à lui à
63,8 Mds de $, soit 12 Mds de plus que les États sud-américains réunis. Enfin le Brésil
est le seul État membre du groupe des BRIC à ne pas disposer de l’arme nucléaire. Il y
a renoncé constitutionnellement et a ratifié le Traité de Non-Prolifération lors de la
transition démocratique. Ses dernières acquisitions de matériel militaire peuvent
26
s’expliquer pour deux raisons : le renouvellement d’un équipement devenu obsolète et
la protection de nouveaux sites stratégiques pour son développement.
Une nécessaire modernisation de fond
Comme nous l’avons vu précédemment, le renversement de la dictature militaire à la
faveur de la transition démocratique de 1985 a conduit à la soumission des forces armées à un
pouvoir civil. Les gouvernements brésiliens qui ont suivi ont, pour limiter l’influence des
militaires, opéré des coupes dans les budgets consacrés à la défense. Par conséquent
l’équipement militaire des forces armées brésiliennes -déjà de conception ancienne pour
l’époque puisque datant des années 70 voire des années 50 en ce qui concerne certaines pièces
d’artillerie et les chars d’assaut- a vu sa durée de vie prolongée dans les années 90 via des
programmes de modernisation. Depuis cette « mise à jour », l’entretien de ces armes
conventionnelles (chars, avions, pièces d’artillerie, navires de surfaces) est devenu
extrêmement coûteux pour un rapport coût/efficacité plus que discutable, les technologies des
années 70 étant devenues obsolètes. Joao Fabio Bertonha a dressé en 2008 un tableau
préoccupant des forces armées brésiliennes49
. D’après lui les 300 000 soldats composant les
effectifs brésiliens sont quasiment statiques en raison de l’absence d’équipement moderne,
d’entretien et d’entrainement. 30% seulement des véhicules blindés seraient opérationnels. La
même statistique s’applique à l’armée de l’air, laquelle était composée de 719 appareils, dont
seulement 267 en état de vol, tout en étant relativement obsolète : elle possédait en effet
encore 57 chasseurs F-5, modèle dont la fabrication a débuté en 1962. À titre de comparaison
le Chili dispose depuis 2007 de chasseurs F-16 bien plus performants. Enfin, seulement la
moitié de l’armada brésilienne était en état de prendre la mer.
En 2007, le Brésil décide de remédier à la décrépitude qui frappe ses forces armées. La
Stratégie de Défense Nationale (SDN) de 2008, souhaitée par Lula et élaborée par le
Ministère de la défense, est presqu’exclusivement consacrée à la modernisation de
l’équipement militaire. Globalement ce livre blanc émet le même constat que Bertonha : un
équipement inadapté aux défis Brésil, technologiquement obsolète, précaire. Un vaste
programme de modernisation concernant tous les corps de l’armée brésilienne fut proposé,
celui-ci nécessitant un effort budgétaire sur le long terme. Ces recommandations furent
validées par Lula et devraient transformer peu à peu le paysage militaire brésilien. Les
49
Joao Fabio Bertonha, « Brazil: an emerging military power? The problem of the use of force in Brazilian
international relations in the 21st century », Revista Brasileira de Política Internacional, vol.53, n°2, 2010
27
objectifs sont cependant fixés à long terme de sorte que le renouvellement ne pourra se faire
que progressivement. Il ne faut donc pas attendre de saut qualitatif dans l’immédiat. Pour
preuve, l’appel d’offre FX-2 portant sur la livraison de 36 avions de chasse modernes est
toujours en suspens pour cause de réorganisation des priorités budgétaires50
.
De nouveaux intérêts stratégiques à protéger
Au-delà des raisons structurelles de modernisation, les dépenses militaires du Brésil
ont vocation à assurer la sécurité de nouveaux sites stratégiques. La découverte de réserves de
pétroles off-shore au large de ses côtes l’a incité à investir massivement dans de l’équipement
militaire à fort potentiel dissuasif, via le programme de développement de sous-marins
ProSub. Alors que les quatre SMC classe Scorpène commandés à la DCNS française n’ont
pas encore été livrés, et que le sous-marin à propulsion nucléaire de construction franco-
brésilienne n’en est qu’au stade de projet, la Marine brésilienne a annoncé fin 2010 son
intention de se doter 6 sous-marins nucléaires et 20 autres à propulsion classique d’ici à 2047.
La protection de ces champs pétrolifères (ou pré-sel) au potentiel estimé entre 50 et 80
milliards de barils revêt une importance capitale pour le Brésil, car des pans entier de son
économie sont liés à l’exploitation de ces nouvelles ressources. Elles permettent
premièrement au Brésil de s’assurer une indépendance pétrolière, et deuxièmement de se
placer parmi les premiers exportateurs mondiaux d’hydrocarbures. Cette priorité se retrouve
dans la hiérarchie des objectifs stratégiques et tactiques de la Marine du Brésil de la Stratégie
de Défense Nationale :
« La priorité est d’assurer les moyens de nier l’utilisation de la mer à toute
concentration de forces ennemies qui s’approcherait du Brésil par voie maritime.
L’organisation de la stratégie de défense maritime du Brésil passe par le déni de
l’utilisation de la mer à l’ennemi, et ce avant tout autre objectif stratégique. Cette
priorité implique des conséquences pour la reconfiguration des forces navales […] Le
déni de l’utilisation de la mer, le contrôle des zones maritimes et le développement de
sa puissance doivent viser, sans considérer une hiérarchie des objectifs [dont] la
défense proactive des plateformes pétrolières »51
.
L’Amazonie est l’autre grande zone d’intérêt stratégique pour le Brésil : en tant que puissance
régionale il se doit d’asseoir la souveraineté sur l’ensemble du territoire et ne pas tolérer la
50
Dilma Rousseff souhaite en effet concentrer les dépenses publiques sur les infrastructures, notamment en
prévision de la Coupe du Monde de football 2014 et les Jeux Olympiques de 2016. 51
Stratégie de Défense Nationale, Ministère de la Défense brésilien, p.21
28
présence de menaces non-militaires52
sur son sol comme c’est le cas en Colombie. L’objectif
de la Stratégie de défense nationale est d’instaurer une force de présence mobile pour
quadriller le territoire.
Enfin, constatons également que la part du PIB brésilien consacrée aux dépenses militaires est
restée stable et largement en dessous des standards permettant d’authentifier une attitude
belliqueuse. Le Brésil a simplement profité de l’effet d’aubaine créé par sa croissance
économique, pour se lancer dans l’acquisition de nouveaux équipements.
Figure 4 : Évolution de la part du PIB consacrée aux dépenses militaires en Amérique du Sud. Source : SIPRI53
Il est temps désormais d’examiner la politique régionale initiée par le Brésil à la fin de la
Guerre froide à travers le prisme de cette fameuse culture du consensus, présumée inhérente à
la tradition diplomatique brésilienne.
2. Une politique régionale pensée pour obtenir le leadership de manière
consensuelle
a. Une nouvelle approche de la puissance régionale
Après ce passage en revue des composantes classiques de la puissance brésilienne, en se
plaçant dans un cadre strictement réaliste, nous pourrions affirmer que le Brésil est la
puissance régionale de l’Amérique du Sud. En effet l’examen de ses capacités matérielles
nous a servi à démontrer sa supériorité sur les autres États sud-américains dans tous les
compartiments formant la puissance réaliste à l’exception de la défense.
52
On pense notamment à la guérilla marxiste des FARC et aux narcotrafiquants 53
Note : les 5 pays retenus sont ceux qui en Amérique du Sud consacrent les plus grandes part de leur PIB aux
dépenses militaires.
29
Cependant, une majorité de chercheurs estime que cet examen ne suffit plus à caractériser les
nouvelles puissances régionales. Selon Detlef Nolte54
, pour analyser les puissances régionales,
il est nécessaire de combiner les différentes approches existantes en relations internationales.
La structure d’un système régional (c’est-à-dire la distribution de la puissance telle que nous
l’avons étudié précédemment) est un facteur important de l’émergence des puissances
régionales, donc la perspective réaliste reste indispensable pour les analyser. Mais les idées
générées par les puissances régionales aspirantes concernant l’exercice du leadership, le type
d’ordre régional souhaité et la définition des frontières de la région sont également décisives :
une approche constructiviste est donc également requise. D’après Nolte,
« Therefore, most approaches to conceptualising regional powers combine elements of
different IR approaches; they include […] the power resources (realist) and their
application (realist), role definitions and strategies (constructivist), and interaction
patterns in the region with a special emphasis on the role of regional institutions »55
.
Par conséquent la difficulté à classer un État en tant que puissance régionale est due au fait
que ce statut est lié aux ressources de cet État (en hard power et en soft power56
) mais aussi à
sa perception de la hiérarchie des puissances à l’échelle régionale et enfin à la place qu’il
pense occuper dans cette dernière. D’un point de vue constructiviste, la puissance régionale
est autant le fruit des capacités matérielles d’un État, que d’un certain équilibre entre la
revendication de ce statut par ce même État et la reconnaissance de ce statut par les autres
États de la région.
Detlef Nolte livre sa vision d’une puissance régionale57
:
« A regional power is defined as a state :
- which articulates the pretension (self-conception) of a leading position in a region
that is geographically, economically and political-ideationally delimited;
- which displays the material (military, economic, demographic), organizational
(political) and ideological resources for regional power projection;
54
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », Review of
International Studies, vol.36, 2010 55
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », op. cit. p.883-884 56
Définie par Joseph Nye, le soft power est « la capacité d’un Etat à dresser l’ordre du jour politique d’une
manière qui modèlera les préférences exprimées par les autres ». Dario Battistella, « Théorie des relations
internationales », Les presses de Sciences Po, 3ème
édition, 2009, p.490 57
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », op. cit. p.893
30
- which truly has great influence in regional affairs (activities and results). »
Le cœur de cette définition réunit bien un versant constructiviste (la prétention à exercer le
leadership dans une région définie par une construction sociale) et un versant réaliste (les
ressources matérielles, organisationnelles et idéologiques58
pour la projection de puissance à
l’échelle régionale). Une obligation de résultat (une réelle influence sur les affaires
régionales) complète cette définition.
Au surplus de ces trois critères clés, Nolte a répertorié plusieurs caractéristiques secondaires
d’une puissance régionale type. En pratique, il précise que les puissances régionales existantes
ne remplissent que de manière partielle ces critères additionnels59
:
« In addition, it is expected that a regional power is a state :
- which is economically, politically and culturally interconnected with the region;
- which influences in a significant way the geopolitical delimitation and the political-
ideational construction of the region;
- which exerts this influence by means of regional governance structures;
- which defines and articulates a common regional identity or project;
- which provides a collective good for the region or participates in a significant way in
the provision of such a collective good;
- which defines the regional security agenda in a significant way;
- whose leading position in the region is recognized or at least respected by other states
inside and outside of the region, especially by other regional powers;
- which is integrated in interregional and global forums and institutions where it
articulates not only its own interests but acts as well, at least in a rudimentary way, as
a representative of regional interests ».
Dans les développements qui vont suivre nous vérifierons si le Brésil rempli ces critères et si,
par déduction, il occupe réellement le statut de puissance régionale.
Dans le paradigme réaliste et en particulier dans les théories développées par Robert Gilpin60
,
l’État prédominant du système international est qualifié d’hégémon. Dès lors, en reprenant
notre postulat sur l’existence dans le système international d’une série de hiérarchies
parallèles et superposées (chaque sous-système fonctionnant selon le même modèle que le
58
C’est-à-dire le soft power, bien que cette notion soit à la croisée du réalisme et du constructivisme puisqu’elle
s’appuie l’image que renvoie un État. 59
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », op. cit. p.892-893. 60
Dario Battistella, « Théorie des relations internationales », op. cit. p.148-149
31
système global avec un État dominant au sommet), il serait opportun de qualifier le Brésil
d’hégémon régional.
Or, comme le souligne Sean Burges, « Brazilian diplomats are extremely uncomfortable with
any linkage of their country to terms such as ‘hegemon’ or ‘hegemony’ »61
. Les fonctionnaires
de l’Itamaraty ne sont pas les seuls à refuser qu’on l’on prête au Brésil des intentions
hégémoniques : ainsi dans la SDN proposée par le Ministère de la défense, on trouve la
déclaration d’intention suivante : « Pays émergent, le Brésil accèdera au premier plan sur la
scène internationale sans exercer ni hégémonie ni domination »62
. L’hégémonie est
effectivement synonyme dans le paradigme réaliste de domination, de coercition, et surtout
d’unilatéralisme (le système étant organisé selon un schéma imaginé par l’hégémon).
Il est vrai que les dirigeants brésiliens n’ont jamais souhaité mettre en place un régime
hégémonique en Amérique du Sud au sens réaliste du terme. Premièrement, pour de simples
considérations matérielles. Pour Gilpin, sans suprématie militaire, il n’y a pas de projet
hégémonique possible. Or comme nous l’avons démontré précédemment, le Brésil ne dispose
toujours pas de cette suprématie militaire dans la région : en raison de la vétusté de son
équipement, mais aussi parce qu’il existe dans son voisinage des États dotés d’un équipement
militaire suffisamment important pour limiter l’influence du hard power brésilien.
Deuxièmement parce qu’il ne s’agit pas d’une attitude correspondant à la culture
diplomatique brésilienne. En effet le Brésil aspire à plus de multilatéralisme dans le système
international63
. Quelle serait alors sa légitimité sur la scène internationale s’il cherchait à
instaurer unilatéralement un ordre hégémonique en Amérique du Sud ?
Pour Burges il faut se débarrasser du réflexe réaliste selon lequel l’hégémonie implique la
domination. Ce dernier a développé la théorie de l’hégémonie consensuelle, dans laquelle
l’hégémonie est débarrassée de ses oripeaux réalistes. Celle-ci se montre alors nettement plus
en adéquation avec le versant constructiviste du concept de puissance régionale défini par
Detlef Nolte (notamment sur la prétention à exercer le leadership dans une région définie par
une construction sociale).
61
Sean Burges, « Consensual hegemony : theorizing brazilian foreign policy after the Cold War », International
Relations, vol. 22, n°1, 2009, p.67 62
Stratégie de Défense Nationale, Ministère de la Défense brésilien, p.8 63
On peut penser notamment à ses revendications concernant une représentativité accrue pour les pays
émergents au Fonds Monétaire International.
32
b. L’hégémonie consensuelle, une nouvelle approche de la coopération régionale
Contrairement aux théories réalistes et néoréalistes qui fondent le concept d'hégémonie
sur la base de l'action coercitive, l'approche consensuelle se construit à partir de l'idée
gramscienne selon laquelle l'hégémonie tire sa force du consentement et non d'une crainte
latente de se voir imposer des décisions. L'idée centrale de l'hégémonie consensuelle repose
sur la construction d'une vision structurelle (l'hégémonie), incluant les puissances inférieures
d’une région grâce à un processus multilatéral de dialogue et d'interactions, et les amenant à
s'approprier le contenu et les conditions de l'hégémonie comme étant bénéfiques pour eux-
mêmes. Le seul aspect « coercitif » de l’hégémonie consensuelle réside dans le coût (ou plutôt
l’absence d’avantages) supporté par les États restant en dehors des mécanismes de
coopération (ou la disparition de ces avantages pour ceux qui cherchent à en sortir).
Par conséquent, l’hégémonie consensuelle n’est pas associée à un acteur spécifique mais à un
groupe d’acteurs qui participent à un système à la propriété diffuse (puisqu’il n’y a pas
d’hégémon clairement défini à proprement parler mais plutôt un État que nous qualifierons de
« force de proposition »). Cet État-force de proposition est le véritable leader et doit alors
organiser et diriger l’ordre consensuel pour s’assurer que les autres acteurs se sentent inclus
dans le projet en tant que participants proactifs défendant leurs propres intérêts. Selon la
formule de Giovanni Arrighi64
reprise par Burges : « Hegemony [is] an additional level of
power that a dominant state accumulates when it is able to articulate and implement an
ordering of the system that is perceived as being in the universal interest »65
. L’intérêt de
l’hégémonie consensuelle pour l’État leader réside dans la propension du système à
transcender ses intérêts, qui devenus communs, sont satisfaits plus rapidement que s’il avait
mené seul une stratégie pour y pourvoir.
Enfin, selon Burges l’hégémonie consensuelle est beaucoup moins coûteuse pour l’État
leader/force de proposition. En effet, « the shared nature of constructing and maintaining the
hegemony, the combining and intermingling of vested interests, means that the provision of
‘goods’ needed for perpetuation of a particular order can, to a certain extent, be
collectivized ».
64
Auteur de « The Three Hegemonies of Historical Capitalism », in Stephen Gill, Gramsci, Historical
Materialism, and International Relations, Cambridge University Press, 1993 65
Sean Burges, « Consensual hegemony : theorizing brazilian foreign policy after the Cold War », op. cit. p.71
33
Dire que le Brésil a sciemment cherché à construire une hégémonie consensuelle serait
exagéré, mais selon Sean Burges, le concept permet néanmoins de mieux comprendre le
schéma de l'action régionale brésilienne. Le Brésil est un État qui avec des capacités
économiques ou militaires « limitées » a su tirer profit de son aptitude à générer des idées
pour construire une vision d'un système régional et obtenir le « consentement actif » des États
de la région à son projet hégémonique. Nous nous proposons ici d’analyser l’action régionale
du Brésil à travers cette grille de lecture. Depuis les années 90, le Brésil a cherché à
démontrer à ses voisins que seule l’unité sud-américaine leur permettrait d’atteindre leurs
objectifs communs. Or le Brésil est passé maître dans la création de dynamique de consensus :
c’est en effet l’une des grandes forces institutionnelles de l’Itamaraty. Pour Leslie Armijo et
Sean Burges66
, il est essentiel dans une approche constructiviste de la politique étrangère
brésilienne de prendre en compte la nature démocratique du régime brésilien ainsi que sa
culture diplomatique et son inclination pour la négociation. La rhétorique est ainsi un élément
important de cette stratégie : la répétition des idées ainsi que le lancement de propositions (via
notamment des sommets de haut-niveau à l’échelle régionale) font partie des procédés utilisés
pour emmener dans son sillage les pays voisins et concrétiser l’idéal d’une Amérique du Sud
unie, démocratique, organisée autour d’un marché commun pour mieux s’insérer dans
l’économie globale.
Pour Daniel Flemes, le leadership brésilien se base sur trois valeurs susceptibles de devenir
des objectifs communs aux États sud-américains dans le cadre d’une stratégie d’hégémonie
consensuelle : « democracy, economic growth, and regionalized responses to the challenges
of globalization »67
. Selon nous, la prise en compte de ces objectifs communs par la politique
régionale brésilienne s’effectue par le biais de deux canaux. Premièrement, le rôle moteur que
cherche à jouer le Brésil dans le processus d’intégration, car celui-ci inclut une attention
particulière à la croissance économique et aux défis posés par la globalisation.
Deuxièmement, son engagement pour la défense des valeurs démocratiques en Amérique du
Sud s’exprime à travers sa position de médiateur régional, acquise notamment grâce à
l’engagement personnel de Lula.
66
Leslie E. Armijo & Sean Burges, « Brazil, the Entrepreneurial and Democratic BRIC », Polity, vol.42, n°1,
janvier 2010, p.36 67
Daniel Flemes & Thorsten Wojczewski, « Contested leadership in international relations: power politics in
South America, South Asia and Sub-Saharan Africa », GIGA Working Papers, German Institute of Global and
Area Studies, n°121, février 2010, p.12
34
c. Le Brésil, moteur de l’intégration régionale depuis la fin de la Guerre froide
Ainsi que nous l’avons présenté en introduction, la croissance économique (pour ne pas
dire le développement qu’elle induit) constitue l’intérêt national qui guide la politique
étrangère brésilienne dans son ensemble. Étant donné l’indice de développement des
économies voisines, il semble assez évident que la croissance économique est un objectif
faisant facilement consensus pour une politique d’intégration régionale. Dès lors l’attraction
qu’exerce l’économie brésilienne sur la région constituait une excellente base pour obtenir le
leadership en Amérique du Sud. Sous Cardoso déjà, le possible leadership régional du Brésil
était conçu comme le résultat de sa prééminence économique dans la région.
En observant l’histoire du pays, on s’aperçoit premièrement que les principaux projets
d’intégration régionaux émanent du Brésil. Deuxièmement, on réalise qu’à chaque nouveau
projet, le Brésil s’adresse à un public de partenaires potentiels toujours plus large. Cette
politique régionale en cercles concentriques, n’a certainement pas été planifiée dès le départ
par l’Itamaraty. Mais elle est le reflet de l’influence grandissante du Brésil dans la région
depuis que celui-ci est sorti de son isolement. Durant la dictature militaire, le pays était
géopolitiquement satisfait, mais entretenait une rivalité féroce avec son voisin argentin. Dans
leurs dernières années, les deux régimes dictatoriaux réussirent malgré tout à s’entendre sur
des mesures de confiance dans le domaine du nucléaire, chacun soupçonnant son voisin de
vouloir en acquérir la technologie militaire. Ce n’est qu’une fois leurs transitions
démocratiques achevées que les deux pays ont commencé à dialoguer de manière plus
fréquente. Le vrai rapprochement fut l’œuvre des présidents argentin et brésilien, Raul
Alfonsin (1983-1989) et José Sarney (1985-1990). Les deux chefs d’État ont rapidement
compris que leurs pays possédaient des intérêts convergents. Leurs institutions démocratiques
venaient à peine d’être restaurées et étaient encore fragiles. Il fallait donc normaliser leurs
relations afin d’éviter toute tension bilatérale qui aurait pu les déstabiliser tous deux. Au-delà
de la stabilité de leurs institutions, les deux ont pris conscience qu’ils avaient tout à gagner
d’un partenariat économique. Comme le fait remarquer Laurent Rapin, ancien ambassadeur
français en Uruguay :
« Le Brésil entendait tirer profit du potentiel agro-industriel argentin ainsi que de sa
main-d’œuvre qualifiée, tandis que l’Argentine voyait dans son voisin un pôle
35
technologique important et un vaste marché susceptible d’absorber un pourcentage
significatif de ses productions nationales »68
.
Un premier traité de libre-échange fut signé en 1988 ainsi qu’une vingtaine de protocoles
spécifiques entre 1986 et 1990. Cette alliance stratégique constitue le noyau de la politique
régionale en cercles concentriques du Brésil.
Très rapidement il fut décidé de donner suite à ce réchauffement des relations argentino-
brésiliennes et c’est en 1991, à Asunción, que naît le Mercosur. Cet accord d’intégration
commerciale entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay prévoyait la mise en place
d’un marché commun à l’horizon avant la date butoir du 31 décembre 1994. Le texte
prévoyait la libre circulation des biens, services et facteurs de production, la mise en place
d’un tarif douanier unique, une politique commerciale commune, la coordination des
politiques macro-économiques et l’harmonisation des législations. Côté institutionnel, le traité
mettait en place un Conseil du marché commun, un Groupe du marché commun. À l’initiative
de la présidence tournante, des réunions ad hoc de ministres pouvaient être organisées. Enfin
une Commission parlementaire conjointe, émanation des parlements nationaux, fut établie. En
clair, il s’agit d’une structure purement intergouvernementale où la prise de décision se fait à
l’unanimité, préservant ainsi le multilatéralisme cher aux dirigeants brésiliens. C’est le
deuxième cercle de la politique régionale brésilienne.
Le Mercosur est tout d’abord le reflet de l’idéologie néolibérale qui se propage à travers le
monde au début des années 90. Le régionalisme est alors perçu comme la meilleure façon de
se préparer aux défis de la globalisation en intégrant de manière compétitive le système
commercial mondial. La globalisation est en effet vécue à la fois comme une opportunité et
une menace. Une opportunité, car elle est synonyme d’une augmentation significative du
commerce extérieur. Une menace parce qu’elle débouche sur une compétition international
accrue pouvant tourner à la défaveur des économies sud-américaines.
Or d’après Matias Spektor, si le Brésil propose et adhère au Mercosur dans les années 90 c’est
parce qu’il sait que ses partenaires argentins, paraguayens et uruguayens redoutent autant que
lui la globalisation. La région (le Mercosur) est alors pensée comme un bouclier protégeant le
68
Laurent Rapin, « Qu'est devenu le Mercosur ? », Chronique, Centre d’Etudes Interaméricaines de l’Université
de Laval, novembre 2006
36
développement brésilien des effets déstabilisants du marché69
, une sorte de bulle permettant
de s’ouvrir progressivement au libre-échange. Conformément à une stratégie d’hégémonie
consensuelle, l’initiative du Mercosur a fonctionné car elle répondait à un intérêt commun (la
protection des économies des pays membres par un tarif douanier commun), mais dont
l’économie brésilienne (plus avancée) pouvait tirer un peu plus profit via le marché commun.
L’expérience Mercosur est cependant caractérisée par son inachèvement. Dans un premier
temps, le processus entamé en 1991 permet des progrès substantiels en matière de commerce
intrazone, puisque les relations commerciales entre les quatre membres augmentent de 312%
entre 1991 et 1997 pour une part de 23% du commerce des États membres la même année
(contre 13% en 1991)70
. De plus, il permet d’attirer des capitaux étrangers accélérant le
développement des entreprises des pays membres. Mais le cycle de crises latino-américaines
qui débute à la fin des années 90 refroidit rapidement l’enthousiasme général. Les crises qui
ont traversé l’Argentine et l’Uruguay ont reporté sine die toute avancée significative. Le
marché commun, objectif de départ, devient un lointain horizon tandis que le tarif douanier
commun reste incomplet. Comme le souligne Laurent Rapin « c’est essentiellement l’absence
de coordination entre les États du Mercosur pour enrayer le développement de la crise, puis
la politique de sauve-qui-peut que chacun d’eux adopta, qui donnèrent l’impression d’une
débandade à la faveur de laquelle les uns et les autres se tournèrent vers l’extérieur pour
relancer leurs exportations et reprendre pied, sans trop se préoccuper des intérêts communs :
la part du commerce intrazone redescendit ainsi à 10 % »71
.
Fernando Henrique Cardoso s’est lui aussi prêté au jeu de l’hégémonie consensuelle, afin de
favoriser l’émergence d’intérêts communs au-delà des limites du Cône Sud, où l’intégration
est en panne, et de faire naître de nouvelles dynamiques. Ainsi en septembre 2000, Cardoso
organise à Brasilia, capitale fédérale du Brésil, le 1er
Sommet des chefs d’États sud-
américains. Cette conférence marque le début d’une nouvelle ère pour la politique étrangère
régionale brésilienne, laquelle s’adresse alors à l’ensemble de l’Amérique du Sud, troisième
cercle d’influence du leader brésilien. Cardoso présente alors des propositions concrètes dont
une pour assurer l’intégration physique de la région sud-américaine : l’Initiative pour
69
Matias Spektor, « Les différentes logiques de la politique régionale du Brésil », In Isabelle Vagnoux & Daniel
Van Eeuwen (Dir.), Les relations interaméricaines en perspective : entre crises et alliances, Edition de l’Institut
des Amériques, 2010 70
Vadell Javier & Barbara Lamas, « The Brazilian leadership and the concentric circles of integration process:
From South America to Latin America », op. cit. p.9 71
Laurent Rapin, « Qu'est devenu le Mercosur ? » op. cit. p.6
37
l’intégration des infrastructures régionales (Iniciativa para la Integración Sudamericana,
IIRSA). Il s’agit d’un projet de planification territoriale à l’échelle régionale très ambitieux72
ayant pour objectif d'intégrer tous les moyens de communication, routes, aéroports, voies
navigables, chemin de fer, liaisons à fibre optique, mais aussi intégration énergétique et les
travaux que l'on projette de construire dans les pays d'Amérique du Sud dans le but de
promouvoir le commerce et les échanges et aussi d'offrir toutes les meilleures conditions pour
la libre exportation.
L’IIRSA correspond typiquement à une initiative de puissance régionale En effet, si l’on se
reporte à la définition de puissance régionale donnée par Nolte (cf. supra), on constate que
l’IIRSA permet au Brésil de remplir un certain nombre de critères additionnels de cette
définition : mieux se connecter au reste de la région ; définir les limites géopolitiques de la
région où il entend exercer son influence ; définir et articuler un projet régional commun.
C’est un projet qui illustre également la théorie de l’hégémonie consensuelle brésilienne.
L’IIRSA est :
- une proposition de projet émanant du Brésil (qui renforce là son rôle de leader/force
de proposition),
- présentée lors de la première conférence des chefs d’État sud-américains organisée par
le Brésil à Brasilia (ce qui lui permet d’asseoir symboliquement son leadership)
- et qui doit satisfaire les intérêts de l’ensemble des participants (puisque tous sont
situés sur un ou plusieurs des dix axes de communication prévus par le projet).
Mais en dernier ressort, c’est le Brésil qui en retire un avantage supérieur. À titre d’exemple,
le projet de route transocéanique doit certes permettre au Pérou d’exporter plus facilement
vers l’Union Européenne, mais il va surtout faciliter l’accès du Brésil aux marchés asiatiques.
Lula reprendra à son compte la stratégie des cercles concentriques à son arrivée au pouvoir.
S’il n’y a pas de rupture sur le fond, c’est sur la forme que Lula marque sa différence : Soares
et Hirst notent que : « significant change took place after the Lula administration came into
power. Itamaraty became much more explicit about its desire and its determination to move
rapidly towards South American leadership »73
. Ainsi dans son discours inaugural de 2004,
Lula déclare vouloir faire d’une Amérique du Sud stable et prospère la priorité absolue de sa
politique étrangère. Dès la première année de son mandat, une nouvelle édition du Sommet
72
L’IIRSA articule plus de 300 projets allant de la rénovation de voies ferrées à la construction de centrales
hydroélectriques, répartis sur 10 axes stratégiques Pour plus de détails sur le tracé des axes voire l’annexe n° 3. 73
Maria Soares de Lima & Mônica Hirst « Brazil as an intermediate state and regional power: action, choice and
responsibilities », op. cit. p.30
38
des chefs d’État sud-américains est organisée à Cuzco. Le chef d’État brésilien, constatant la
stagnation du Mercosur, décide de lancer un nouveau projet d’intégration régionale
s’adressant à l’ensemble des États d’Amérique du Sud, entérinant ainsi le troisième cercle de
la politique régionale brésilienne esquissé sous Cardoso avec l’IIRSA : la Communauté sud-
américaine de nations (CASA). Après quatre années d’atermoiements et un changement de
nom (la communauté devient l’Union des nations sud-américaines ou Unasur), un traité
constitutif est finalement signé le 23 mai 2008 à Brasilia par les douze pays d’Amérique du
Sud. Là encore c’est le consensus qui fait office de règle pour la prise de décision. Les
structures restent dans la lignée des précédentes réalisations régionales, à savoir
principalement intergouvernementales. Il faut noter toutefois l’apparition d’un Parlement sud-
américain dans le traité constitutif de l’Unasur via un amendement de 2010. Ce parlement
n’est cependant pas encore entré en fonction. Du reste, l’Unasur est constitué d’un Secrétariat
Général à Quito dont le rôle est d’exécuter les mandats que lui confient les autres organes de
l’organisation régionale ainsi que d’assurer leur représentation. L’ex-président argentin
Nestor Kirchner assurait le rôle de Secrétaire général jusqu’à son décès le 27 octobre 2010. La
colombienne Maria Emma Mejia Vélez a été désignée pour assurer l’intérim.
Le Conseil des chefs d’États est l’organe principal : c’est principalement un forum de
discussion de très haut-niveau, dérivé des précédents Sommets de chefs d’États sud-
américains. Différentes formations de Conseil de ministres des États membres sont également
mis en place74
y compris un Conseil de Défense Sud-Américain75
. Enfin la présidence de
l’Unasur est exercée pro-tempore à tour de rôle par chacun des États membres par ordre
alphabétique.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que l’Unasur possède un caractère beaucoup plus politique
que le Mercosur, même s’il a été conçu au départ comme une fusion du Mercosur et de la
Communauté Andine des Nations, l’autre bloc commercial de la région regroupant la
Colombie, la Bolivie, l’Équateur, le Pérou et le Venezuela76
. D’après Michelle Bachelet
ancienne présidente du Chili et présidente pro-tempore de 2008 à 2009 de l’organisation
régionale, l’Unasur est un puissant instrument d’intégration. Maria Cano Linares va plus loin :
74
À la manière de ce qui se fait déjà dans l’Union Européenne avec les Conseils Gymnich (Affaires étrangères),
Ecofin, etc… 75
Lequel fera l’objet d’une analyse spécifique dans la deuxième partie compte tenu de ses implications
géopolitiques à l’échelle hémisphérique. 76
Jusqu’à ce que ce dernier décide de s’en retirer en 2006.
39
pour elle, l’Unasur est « un procédé d’intégration des intégrations »77
. Ce n’est pas une
nouvelle association d’États vierge de tout précédent ; au contraire l’Unasur cherche à
cimenter les dispositifs d’intégration régionale préexistants entre eux : une convergence est
particulièrement recherchée entre le Mercosur et la Communauté Andine des Nations (CAN).
L’Unasur vise à créer un nouvel instrument de coordination politique entre les pays
d’Amérique du sud autour des questions d’infrastructures, de finances, de politiques sociales,
d’énergie et de défense (ces deux derniers thèmes étant considérés comme prioritaires).
L’Unasur a surtout été un moyen pour le Brésil de délimiter de façon définitive la région dans
laquelle il entend jouer un rôle de leader. En effet comme le fait remarquer Matias Spektor :
« Les régions sont des constructions sociales liées aux perceptions d’acteurs clés au sein et en
dehors de la région, [même si la notion est] souvent contestée par les acteurs clés qui
définissent les frontières régionales en fonction de leurs intérêts et valeurs »78
.
Il faut noter que Lula a sans doute bénéficié d’une conjoncture politique sud-américaine qui
lui était favorable. En effet la vague de victoire de la gauche sud-américaine dans les années
2000 a contribué à faciliter les convergences de vues sur le rôle de l’intégration régionale.
En effet, « As most of these new governments had demonstrated a major interest in regional
integration, it clearly created a propitious environment for the integration projects of the
Brazilian government »79
. Des liens politiques particulièrement étroits ont été établis avec les
gouvernements uruguayens du progressiste Tabaré Vásquez, élu en octobre 2004 et le
gouvernement chilien de Michelle Bachelet, tous deux issus du Parti des Travailleurs (PT), à
l’instar de Lula.
d. Un médiateur efficace, engagé dans la défense de la démocratie en Amérique
du Sud
La protection de la démocratie est le second grand cheval de bataille de la politique
étrangère régionale du Brésil sous Lula. Cet engagement a fourni l’occasion au Brésil
d’affirmer un peu plus son leadership en fournissant par ses bons offices un bien public à
77
Maria Cano Linares, « La Union de Naciones Suramericanas : un ambicioso proceso de construccion de
integracion regional », Revista electronica Iberoamericana, vol. 4, n°1, 2010, p.15 78
Matias Spektor, « Les différentes logiques de la politique régionale du Brésil », op. cit. 79
Manuel Mejido Costaya, Peter Utting & Gloria Carrion, « The changing coordinates of trade and power in
Latin America : implications for policy space and policy coherence », Markets, Business and Regulation
Program, United Nations Research Institute for Social Development, mai 2010, p.42
40
moindre coût : la stabilité régionale. En effet selon Daniel Flemes, « With a view to the
application of material resources, the partial acceptance of and acquiescence to the […]
Brazilian leadership seems to be connected with the readiness of both regional powers to
provide the public good of regional stability. Brasilia engages in regional peacekeeping and
mediation ». Les premières tentatives de médiation remontent cependant à 1997 lorsque le
gouvernement paraguayen fut l’objet d’une tentative de coup d’État de la part du Général
Oviedo. À cette époque, le gouvernement Cardoso avait prévenu qu’il pèserait de tout son
poids contre les comploteurs car ces derniers agissaient dans un pays membre du Mercosur,
que le gouvernement Cardoso considérait déjà comme sa mini-zone d’influence80
. Finalement
le coup d’État échoua et l’année suivante une clause démocratique fut inscrite dans le traité
constitutif du Mercosur. Entre 1995 et 1998, le Brésil propose sa médiation à l’Équateur et au
Pérou dans le litige territorial qui les oppose.
Les diplomates de l’Itamaraty essayèrent de justifier l’implication croissante du Brésil dans
les affaires régionales, alors que dix ans auparavant le pays brillait par son isolationnisme et
son attachement au principe de non-ingérence (qui pouvait s’expliquer par l’importance que le
pays accorde à son autonomie). D’après Matias Spektor, « The argument [is] that at least on
issues of democracy and democratic rule Brasilia could not afford to turn a blind eye to
developments among neighbors »81
. Le respect des règles démocratiques est en effet un
prétexte consensuel (et difficilement critiquable dans l’Amérique du Sud du 21ème
siècle) pour
s’investir diplomatiquement dans la région. De fait le Brésil continue à prendre part à la
résolution des crises politiques qui secouent l’Amérique du Sud. En 2002, lorsque Chavez est
victime d’une tentative de coup d’État à Caracas, alors qu’il était au pouvoir depuis trois ans,
les brésiliens organisent la dénonciation du coup d’État par les États d’Amérique du Sud.
L’arrivée au pouvoir de Lula constitue là encore un changement non pas sur le fond mais sur
la forme. Dans son discours présidentiel inaugural, Lula faisait remarquer aux brésiliens que
« Beaucoup de [leurs] voisins vivent dans des situations difficiles » et que le Brésil entendait
apporter sa « contribution ». En 2004, dans un discours prononcé en Chine, ce constat se
transforme en doctrine : « Growing approximation and consolidation of Brazil’s relations
with its region require that the situations of instability in these countries deserve a more
attentive follow up on the part of the Brazilian government, which is oriented by the principle
80
Matias Spektor, « Les différentes logiques de la politique régionale du Brésil », op. cit. 81
Ibid.
41
of non-intervention, but also by an attitude of ‘non-indifference’ ». Le principe de non-
indifférence s’exprime donc par une action étrangère basée sur la médiation, l’arbitrage et la
recherche de consensus. Toujours dans la cadre d’une approche constructiviste il faut tenir
compte des facteurs responsables de la naissance de cette idéologie : le territoire brésilien n’a
jamais été le théâtre d’opération de guerre, et le pays grâce au Baron Rio Branco a pu définir
ses frontières par des moyens diplomatiques et juridiques. Par conséquent les brésiliens et
l’État lui-même se perçoivent comme pacifiques et conciliants. Ce qui aurait pu passer pour
une faiblesse dans d’autres États, Lula en a fait une force82
. Comme le souligne Burges,
« Being neither a military nor an economic hegemon capable of coercing its neighbors, Brazil
only became a regional power following near universal democratic transitions in the
region »83
.
La stabilité qu’apporte à la région la défense de la démocratie est importante pour le Brésil,
car elle constitue le terreau sur lequel il a pu échafauder ses projets d’intégration régionale. A
l’inverse une instabilité politique risquerait d’affecter les intérêts immédiats du Brésil
(investissements, communauté d’immigrés). Par conséquent, Lula a cherché avant tout à
accompagner en priorité les États sud-américains où la transition démocratique n’est pas
consolidée. C’est ce qui explique le déplacement de Celso Amorim, son ministre des affaires
étrangères, à La Paz en 2005 : celui-ci venait assurer le premier président indigène du
continent sud-américain Evo Morales de son soutien, alors que les provinces de l’est, plus
riches, exprimaient violemment des velléités autonomistes. Les crises andines de 2008 et
2009 opposant la Colombie à l’Équateur et au Venezuela, ont pu être résolues dans le cadre
de réunions de crise convoquées par le Brésil, l’une dans le cadre du groupe de Rio, l’autre
via un sommet des chefs d’États membres de la toute nouvelle Unasur. Ces crises ont conduit
les États membres à créer le Conseil de Défense Sud-américain (CDS), afin de construire une
identité sud-américaine en matière de défense et à instaurer des mesures de confiance pour
éviter que ces tensions ne se répètent84
.
En assurant un rôle de médiateur, et en défendant les valeurs démocratiques comme
fondement de la région sud-américaine, le Brésil a su renforcer son leadership. Mais il l'a fait
82
Ricardo Seitenfus, « Lula et les Amériques : l’indispensable affirmation régionale pour un nouvel acteur
global », In Isabelle Vagnoux & Daniel Van Eeuwen (Dir.), Les relations interaméricaines en perspective : entre
crises et alliances, op. cit. 83
Leslie E. Armijo & Sean Burges, « Brazil, the Entrepreneurial and Democratic BRIC », op. cit. p.36 84
Nous reviendrons sur la création du CDS dans notre deuxième partie pour analyser son rôle à l’échelle
hémisphérique.
42
habilement via notamment les institutions qu'il a contribué à créer comme le CDS. C'est une
illustration de plus du principe de non-indifférence. Un Brésil trop intrusif dans les affaires
intérieures de ses voisins aurait pu susciter une méfiance voire une défiance de la part de ces
derniers. Or la résolution des crises par le biais d’organisations multilatérales lui permet de
rassurer les États sud-américains sur ses intentions et son engagement à maintenir la région le
plus stable possible en les intégrant au processus de gestion de crise.
D’après Jean Daudelin, « Au cœur de cette toile de plus en plus dense d’arrangements plus ou
moins formels de coopération, de dialogue et de coordination, le Brésil s’impose comme un
joueur clé dans pratiquement toutes les initiatives internationales qui affectent le continent,
agissant rarement seul et mobilisant plutôt l’un ou l’autre de ces arrangements »85
. Ce
constat flatteur ne doit pas pour autant faire oublier que le Brésil demeure un leader contesté.
En effet sous couvert d’une stratégie d’hégémonie consensuelle au niveau politique, certains
chefs d’État soupçonnent le Brésil de poursuivre en réalité ses seuls intérêts économiques et
de ne pas veiller assez à ceux de ses partenaires.
85
Jean Daudelin, « Le Brésil comme puissance : portée et paradoxes », Problèmes d’Amérique latine, Choiseul
éditions, n°78, automne 2010, p.33
43
B. Un leader ambivalent
À l’opposé d’une interprétation basée sur la théorie de l’hégémonie consensuelle, de
nombreuse voix issues de la société civile sud-américaine se sont élevées ces dernières années
pour dénoncer une mainmise croissante du Brésil sur les intérêts économiques et financiers de
la région. La transition de puissance qui vit le Brésil depuis la dernière décennie a en effet
entraîné de profondes asymétries régionales, et certains acteurs sud-américains accusent le
Brésil de pratiquer un sous-impérialisme à travers sa politique d’intégration, en vue de
consolider son développement économique. Avec l’apparition concomitante de
gouvernements de gauche radicale en Amérique du Sud, ces protestations ont trouvé un écho
politique, qui se manifeste par une obstruction à la tentative brésilienne de s’emparer du
leadership régional (1). Depuis l’apparition des premiers signes de tension, le Brésil a tenté de
mettre en place une politique de réduction de ces asymétries via une « diplomatie de la
générosité » et une « patience stratégique » (2).
1. Une contestation fondée sur le spectre d’un sous-impérialisme brésilien
a. Définition historique du sous-impérialisme
Avant de qualifier les faits qui peuvent être interprétés dans leur globalité comme une
attitude sous-impérialiste, il convient de définir le contenu de cette notion. Le sous-
impérialisme est un concept ayant été développé dans les années 60 par le politologue
marxiste brésilien Ruy Mauro Marini pour décrire la politique extérieure de la junte militaire.
La genèse de la théorie du sous-impérialisme dérive de la théorie de la dépendance, qui lui
était contemporaine puisque développée également dans les années 60 par la CEPAL.
Rappelons que selon cette dernière, le système capitaliste est divisé en deux entités. Un centre
développé, composé des grandes puissances économiques ayant connu une révolution
industrielle précoce (Les États-Unis mais aussi plus généralement les pays occidentaux) et
une périphérie formée par le reste du monde, c’est-à-dire des pays en voie de développement,
avec une économie essentiellement organisée autour du secteur primaire. Selon la division
internationale du travail basée sur la théorie des avantages comparatifs de Ricardo et propre
au système capitaliste, l’économie des pays du centre est organisée autour de la production de
biens manufacturés à haute valeur ajoutée, tandis que celle des pays périphériques est orientée
vers la production de matières premières à bas coût. Ces matières premières sont nécessaires
aux économies du centre dans le processus de transformation des biens intermédiaires en
biens manufacturés. Or ces biens manufacturés ne sont pas produits par les pays en voie de
44
développement qui sont donc obligés de les importer. Les pays périphériques en plus de
fournir des matières premières, constituent des débouchés important pour la production du
centre. Les termes de l’échange sont donc inégaux, instaurant des liens de dépendance entre le
centre et la périphérie. Parmi les effets secondaires de la dépendance, on recense, une
inhibition de la demande intérieure entraînant l’incapacité de constituer un marché intérieur
attractif pour les entreprises nationales et une baisse sensible de l’investissement national, ce
qui complique l’achat de machines-outils. Par conséquent, le processus d’industrialisation est
freiné voire paralysé. Il en résulte une quasi-impossibilité pour les pays de la périphérie de se
développer et de s’insérer dans l’économie du centre.
La théorie du sous-impérialisme de Marini découlait d’une observation : celle de l’émergence
d’acteurs intermédiaires, trop peu développés pour appartenir au centre, mais assez pour ne
plus être considérés comme de simples pays en voie de développement86
. En cela, il s’inspire
très largement du concept de semi-périphérie développé par Immanuel Wallerstein dans The
Modern World-System87
. Cette semi-périphérie agit en tant que périphérie par rapport au
centre et comme centre par rapport à la périphérie, c’est-à-dire qu’elle domine la périphérie
mais reste dominée par le centre du système économique mondial.
Pour Marini, le Brésil des années 60 est un pays semi-périphérique. En effet il a su, grâce à
son programme de substitution des importations par industrialisation (industrializacion por
sustitucion de importaciones, ISI), développer un secteur secondaire supérieur en diversité et
en taille à celui de ses voisins. Cette industrie devait permettre au Brésil une production
autosuffisante, limitant les importations en provenance du centre afin de sortir de la
dépendance. Mais le marché intérieur qui, selon le modèle développementaliste, devait
absorber la production industrielle brésilienne n’était pas suffisamment important. La
population dans sa grande majorité ne disposait pas des ressources pour acheter des biens
manufacturés de technologie avancée. Par conséquent, le Brésil a dû changer de modèle
économique afin de fournir des débouchés à son industrie tout en restant dépendant du centre.
Pour Marini, le sous-impérialisme désigne donc l’arrivée du Brésil à un stade économique
plus avancé, caractérisé par l’exportation de capitaux et de biens manufacturés, tout en restant
dépendant et subordonné, sous-entendu à l’impérialisme américain. Concrètement au Brésil,
86
Ces acteurs sont identifiés grâce à la part que représente la production de biens manufacturés dans leur PIB,
laquelle doit être supérieure à 25%. 87
Immanuel Wallerstein, The politics of World economy : the States, the movements and the civilizations, op. cit.
45
cela signifia l’échec du projet national développementaliste. Les élites brésiliennes virent en
l’acceptation de l’impérialisme américain une solution alternative pour préserver leur statut.
L’appel aux capitaux étrangers fut pensé comme un moyen de poursuivre le processus
d’industrialisation entamé avec l’ISI et l’accent fut mis sur le commerce extérieur pour
compenser la faiblesse du marché intérieur. En tant que pays semi-périphérique, le Brésil a
donc déployé, sur le système politique subrégional, une stratégie expansionniste similaire à
celle des États impérialistes, tout en conservant de liens de dépendance avec les économies
dominantes.
Historiquement, la mise en place de l’ensemble de ce processus correspond à l’arrivée des
militaires au pouvoir (1964). Cependant Marini relève que le pouvoir brésilien en place n’a
pas été qu’une simple courroie de transmission des États-Unis. En effet, tout en s’associant au
projet hégémonique américain, l’État brésilien a cherché à obtenir des compensations à sa
situation de dépendance, quitte à provoquer des frictions avec son allié américain, le tout pour
préserver certaines marges d’autonomie. Marini nomma cette dynamique contradictoire
« coopération antagonique ». La position intermédiaire du Brésil dans la division
internationale du travail était accompagnée de cette coopération antagonique avec la
puissance hégémonique, afin de dégager une zone d’influence propre à l’État brésilien, dans
lequel celui-ci pouvait mener une politique expansionniste autonome. D’après Marini cette
politique conjuguée à une présence économique croissante des entreprises et capitaux
brésiliens dans la région, a conduit à une division régionale inégalitaire de la production, dans
laquelle le Brésil importait des matières premières en provenance des États voisins et
exportait des biens manufacturés à destination de ces mêmes pays. Selon le même schéma, le
Brésil exportait ses capitaux et rapatriait les dividendes. Dans le même temps, il était lui-
même soumis à cette dépendance vis-à-vis de l’hégémon. De fait que cette politique
expansionniste n’était que relativement autonome.
À nos yeux ce sous-impérialisme des années 60 nous paraît être une vision excessive du rôle
joué par le Brésil au niveau régional lors de la dictature militaire. Le pays mettait en effet un
point d’honneur à s’isoler du reste du l’Amérique du Sud et ses intérêts économiques se
situaient essentiellement à l’intérieur des frontières nationales. Le seul cas qui pourrait
réellement illustrer ce sous impérialisme est la construction du barrage d’Itaipu au Paraguay à
la fin des années 70/début des années 80. En effet le traité bilatéral signé en 1973 par les
dictatures brésilienne et paraguayenne inclut des dispositions léonines puisqu’il « répartit en
46
parts égales la production mais prévoit que chacun des deux partenaires a le droit
d’acquérir, au prix de revient, l’énergie qui ne sera pas utilisée par l’autre pour sa propre
consommation interne. Conformément aux dispositions de l’article XIII, le Paraguay, qui
consomme environ 5% de sa part de l’énergie produite à Itaipu, se trouve d’emblée lésé : il
est contraint de vendre l’excédent de près de 95% au Brésil au prix de revient, ou presque »88
.
Néanmoins, la réinterprétation et la mise à jour de cette théorie par des auteurs comme
Mathias Luce pour analyser la politique régionale brésilienne contemporaine nous semble,
sinon valable, du moins pertinente. Pour Luce, tout comme la définition de l’impérialisme par
Lénine avait réorganisé les relations internationales de pouvoir sous un nouvel angle, le sous-
impérialisme a émergé dans les années 60 comme une étape historique qui a redéfini les
fondements de l’économie et de l’État brésiliens, entrainant des répercussions sur sa politique
extérieure, notamment vis-à-vis du continent sud-américain. Il s’agit alors de déterminer si les
projets d’intégration régionale menés sous Cardoso et Lula s’inscrivent dans une tendance
sous-impérialiste. Selon Luce, il existerait un projet géoéconomique régional né d’une
initiative conjointe de l’État brésilien et des grandes entreprises brésiliennes pour s’accaparer
les ressources naturelles des États voisins et ainsi consolider une sphère d’influence régionale.
b. L’expression contemporaine du sous-impérialisme brésilien
A l’opposé de Sean Burges qui souhaite démontrer que le projet régional brésilien s’inscrit
dans une stratégie d’hégémonie consensuelle organisée autour d’intérêts communs, des
chercheurs comme Mathias Luce8990
, Raul Zibechi91
, ou Claudio Katz92
ressuscitent le
concept de sous-impérialisme développé par Marini pour l’appliquer au Brésil des années
Lula. Le pays lusophone serait en effet en train de se construire un véritable pré-carré dans le
cadre d’une politique expansionniste autonome en Amérique du Sud. Cette vision marxiste
des relations politiques, économiques et financière qu’entretient le Brésil avec ses voisins
s’appuie sur plusieurs constats. Les inégalités dans les relations de production entre le Brésil
et ses voisins sont allées croissantes ces dix dernières années. En concrétisant son potentiel
88
Cécile Lamarque, Le traité d’Itaipu entre le Paraguay et le Brésil : un scandale qui a trop duré, Risal.info,
http://risal.collectifs.net/spip.php?article2432, consulté le 4/01/2012. 89
Mathias Luce, « O subimperialismo brasileiro revisitado: a política de integração regional do governo Lula
(2003-2007) », Mémoire de Master en Relations internationales, UFRGS, Porto Alegre, 2007 90
Mathias Luce, « Le sous-impérialisme brésilien en Bolivie et en Amérique latine », Boletin del Servicio de
Noticias Ambiantales, n° 83, octobre 2010 91
Raúl Zibechi, « Brazil and the difficult path to multilateralism », Americas Program Special Report, Center for
International Policy, 8 mars 2006 92
Claudio Katz est un économiste argentin, professeur à l'Université de Buenos Aires, membre d’EDI
(Economistas de Izquierda)
47
industriel grâce à une stabilisation durable de sa situation financière et monétaire, le Brésil est
devenu un géant économique entraînant par là même de profondes asymétries avec le reste de
l’Amérique du Sud.
Ces asymétries sont d’abord de nature commerciale. Le statut avancé ainsi que la diversité de
l’économie brésilienne ont entraîné une reproduction du schéma centre/périphérie entre le
Brésil et ses partenaires sud-américains. En effet, les exportations brésiliennes à destination
de l’Amérique du Sud ont généralement une plus grande valeur ajoutée que ses importations
en provenance de la région. Les pays sud-américains sont majoritairement restés des
producteurs de commodités, que ce soit des minerais, des ressources énergétiques ou encore
des produits agricoles destinés à être transformés par l’industrie agroalimentaire brésilienne.
Par conséquent le Brésil a connu sur la dernière décennie une très forte augmentation de ses
excédents commerciaux concernant ses relations commerciales avec les pays sud-américains,
car la valeur de ses exportations a augmenté plus rapidement que la valeur de ses
importations. En 2000, le Brésil exportait 11.1 milliards de dollars en biens et services vers
les pays de la région et en importait pour 10.8 milliards93
. Après la contraction de l’activité
économique sud-américaine en 2001 et 2002 causée par la crise argentine, les exportations
brésiliennes ont repris le chemin de la croissance pour atteindre leur apogée en 2008 : cette
année-là c’est plus de 38 milliards de dollars de biens et services qui ont été exporté vers les
pays voisins. Les importations en provenance de ces derniers ont aussi augmenté mais à un
rythme moins soutenu : seulement 24 milliards la même année. Le Brésil affichait donc un
2008 un excédent de 14,2 milliards dans ses relations commerciales avec la région. Les deux
dernières années ont été plus compliquées en raison de la crise financière, mais le Brésil a su
rebondir notamment en raison de son statut de global trader. La demande sud-américaine
représente certes une part importante des débouchés pour ses exportations (près de 25% dans
son ensemble), mais la diversité de ses relations commerciales lui permet de ne pas dépendre
uniquement de la demande régionale (en 2010 le trio de tête des importateurs de biens
brésiliens était composé dans l’ordre par l’Union Européenne, la Chine et les États-Unis).
A l’inverse, certaines économies sud-américaines sont très dépendantes de la demande
brésilienne, comme les pays membres du Mercosur par exemple. Le Brésil était en 2010 la
première destination pour les exportations argentines de marchandises (à hauteur de 21.2% du
total des exportations argentines), de même que pour l’Uruguay (20.4%). Son marché
93
Source : Ministère du Développement, de l’Industrie et du Commerce Extérieur brésilien.
48
représentait aussi la deuxième meilleure destination en termes de débouchés pour les
exportations paraguayennes (14.6%). Enfin les exportations boliviennes (principalement du
gaz naturel) sont destinées au Brésil à hauteur de 35%94
. Cet examen de la nature des biens
échangés entre le Brésil et les États sud-américains démontre une spécialisation inégale dans
la division régionale du travail, une condition favorable à la mise en place d’une stratégie
sous-impérialiste.
A ces asymétries commerciales s’ajoutent une hypertrophie des entreprises brésiliennes dans
la région. En effet depuis une quinzaine d’années, les multinationales brésiliennes ont cherché
à renforcer leurs positions dominantes en Amérique du Sud en se lançant dans une politique
d’internationalisation. Selon Joseph Marques, « Important reasons to internationalize include the
need to improve competitiveness, secure new markets, take advantage of new sources of credit
and tap international financial markets »95. Cette internationalisation se manifeste soit par des
processus de fusion-acquisition, soit dans le rachat de concessions d’exploitation de réserves
de matières premières.
Les pays du Mercosur sont particulièrement concernés par le phénomène de prise de
participation. En 2010, l’agrobusiness brésilien ne possédait pas moins de 50% de l’industrie
de viande uruguayenne via le rachat de pâturages et des entreprises de transformation96
. Des
sociétés brésiliennes comme Marfrig ou Friboi se sont ainsi retrouvé dans les 10 premières
entreprises exportatrices uruguayennes. Sur ces 10 entreprises basées en Uruguay et qui
réalisaient 1.5 milliards de dollars de chiffre d’affaires à l’exportation en 2010, cinq étaient
des entreprises détenues par des capitaux brésiliens et leur part dans ce chiffre d’affaire
s’élevait à 43%. Ces investissements sont stratégiques pour les sociétés brésiliennes, car en
rachetant des concurrents uruguayens elles bénéficient de leur label de qualité sanitaire, ce qui
leur permet d’accéder à des marchés interdits au Brésil. Selon Raul Zibechi, les processus
d’internationalisation des entreprises agroalimentaires et frigorifiques nationales et de
concentration de la terre, mettent l’Uruguay en position de grande vulnérabilité vis-à-vis du
Brésil. Aussi « les autorités uruguayennes manifestent-elles l’inquiétude que leur inspire ce
94
Source : Organisation Mondiale du Commerce.
http://stat.wto.org/CountryProfile/WSDBCountryPFView.aspx?Language=E&Country=AR,BO,BR,CL,CO,EC,
PY,PE,UY (consulté le 23/12/2011) 95
Joseph Marques, « Business and diplomacy in the age of globalization: Brazilian multinational corporations »,
Occasional Paper, Latin American Centre, Université d’Oxford, juillet 2010, p. 96
Claudio Katz, « L’Amérique latine et la crise mondiale », Inprecor, n° 556-557, janvier 2010
http://orta.dynalias.org/inprecor/article-inprecor?id=868
49
contrôle monopolistique qui peut permettre [aux entreprises brésiliennes] de fixer des prix au
préjudice des producteurs uruguayens ». Au Paraguay, autre « nain » du Mercosur, les
Brasiguayos (néologisme désignant les brésiliens installés au Paraguay) se révèlent être des
compétiteurs acharnés. Ils produisent ainsi 95% du soja paraguayen. Dans les deux
départements frontaliers de Canindeyú et d’Alto Paraná, ces riches propriétaires brésiliens
possèdent 1.2 millions d’hectares soit 40% du territoire97
. En Argentine, quelques-uns des
fleurons industriels ont été rachetés par des capitaux brésiliens. Ambev, 5ème
brasseur mondial
est ainsi progressivement entré dans le capital de l’argentin Quilmes entre 2002 et 2006 pour
finalement l’absorber complètement, une opération estimée à 1.8 milliards de dollars. De la
même façon, dans le secteur de la construction, Camargo Correa a absorbé Loma Negra, la
plus grosse cimenterie d’Argentine (50% du marché), pour 1 milliard de dollars en 2005.
Comme le souligne Daniel Solano, économiste au cabinet de conseil spécialisé Norte Sur
Consulting « ces opérations industrielles aboutissent en fait à de véritables restructurations
de certaines branches industrielles à l’échelle du Mercosur. […] Les entreprises brésiliennes
[prennent] le contrôle des leaders argentins et [organisent] les filières dans le sens de la
création de véritables pôles industriels compétitifs au niveau mondial »98
.
Si l’expansion des intérêts économiques privés brésiliens par le biais de fusion-acquisition ne
peut pas être assimilée à du sous-impérialisme lorsque celles-ci sont réalisées sur leur fonds
propres, il en va autrement lorsque l’État brésilien intervient pour favoriser ses champions
nationaux. Or plusieurs institutions brésiliennes pèsent de tout leur poids pour obtenir des
débouchés pour les grands groupes de construction et énergétiques nationaux.
En premier lieu il faut souligner le rôle fondamental de la Banque Nationale de
Développement Économique et Social (Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e
Social, BNDES). La BNDES est une institution financière au service de la politique
gouvernementale créée sous le gouvernement de Getulio Vargas (1951-1954) et qui avait pour
objectif initial de financer les projets de développement technologique et industriel. Depuis
que le Brésil a adopté un modèle économique davantage tourné vers les exportations, elle est
surtout un puissant levier d’internationalisation pour les entreprises brésiliennes. Les moyens
dont elle dispose sont faramineux. Ainsi en 2008 le montant des prêts accordés par ses soins
97
Raúl Zibechi, « Brazil and the difficult path to multilateralism », op. cit. 98
Daniel Solano, « Le Brésil et la coopération Sud-Sud : l’Amérique du Sud prioritaire », diploweb.fr, 13 mars
2010, http://www.diploweb.com/Le-Bresil-et-la-cooperation-Sud.html, consulté le 23/12/2011
50
s’élevait à 40 milliards de dollars dont environ 8 milliards était consacré à des projets hors des
frontières du Brésil99
. Les multinationales brésiliennes font régulièrement appel à elle pour
leur opérations de fusion-acquisition à l’étranger ainsi que lorsqu’elles aspirent à acquérir des
concessions d’exploitation de ressources naturelles. Cet engouement pour les matières
premières s’explique par un rééquilibrage des termes de l’échange. En effet, la croissance
d’autres pays émergents, notamment en Asie, a entrainé une forte hausse de leur cours, et les
nombreuses ressources du continent ont aiguisé l’appétit des grands groupes brésiliens.
Deuxièmement, la promotion d’une intégration physique de l’Amérique du Sud par
l’Itamaraty via l’IIRSA, est porteuse de formidables opportunités pour les entreprises
brésiliennes. Selon le discours officiel, l’IIRSA est un projet régional qui vise à transformer
les frontières en espaces d’intégration et non d’isolement. La construction de canaux de
communication routiers, fluviaux et ferrés doit impulser le commerce intrarégional en
améliorant l’efficacité des flux économiques entre pays voisins. En outre les investissements
en matière d’énergie, de transport et de communication encourageraient l’initiative privée en
favorisant la diminution des goulots d’étranglement qui jalonnent la région et empêchent
l’exploration de zones riches en ressources naturelles. C’est en fait le pendant tangible de
l’intégration commerciale, qui doit consolider l’émergence, à terme, d’un vaste marché
commun. Elle doit en plus mettre fin aux pénuries d’électricité qui frappent certains États sud-
américains. En effet comme le souligne Marco Aurelio Garcia, « L'Amérique du Sud est dans
une phase de croissance et va devoir mettre en place un plan stratégique en matière
d'énergie ». L’ancien conseiller spécial du président Lula livre son verdict : « Nous sommes
face à un grand paradoxe, notre région dispose des plus grandes réserves énergétiques
mondiales mais l'Argentine, l'Uruguay, le Chili et le Venezuela ont dû faire face à des
pénuries d'électricité. Les pénuries se produisent partout. Alors que devons-nous faire ? Nous
devons créer un grand réseau électrique afin de faire monter en puissance cette capacité de
production d'énergie à un moment où les taux de croissances sont très élevés. Ici au Brésil, on
parle d'un taux de croissance de 7.5 à 8%, taux que l'on retrouve en Argentine et en Uruguay
également. Et une croissance construite de manière isolée, chacun chez soi, n'aurait pas de
sens »100
.
99
Samuel Bodman, James Wolfensohn, Julia Sweig (Dir.), « Global Brazil and U.S.-Brazil Relations »,
Independent Task Force Report, Council on Foreign Relations (CFR), n°66, 2011, p.57 100
Marco Aurélio Garcia, entretien accordé à l’édition brésilienne du Monde diplomatique, octobre 2010, publié
sur http://www.autresbresils.net/spip.php?article2065
51
Les gains de compétitivité issus de la réduction des coûts de transport, de l’intégration
énergétique, et des économies d’échelle doivent permettre à terme aux économies sud-
américaines de s’insérer dans la compétition mondiale.
Selon Mathias Luce, en dépit du discours officiel sur les bénéfices mutuels de l’intégration,
ces projets régionaux impulsés par la diplomatie brésilienne viseraient plutôt à procurer au
géant sud-américain une plateforme d’expansion commerciale et pourraient accentuer à terme
une division du travail en Amérique du Sud déjà relativement importante. Une hypothèse
supportée par Flemes. Pour lui en dernier ressort « IIRSA and Mercado Común del Sur
(Mercosur) are generating superior advantages for the greatest regional economy, Brazil,
because it is the greatest exporter of manufactured products as well as the leader in terms of
its foreign direct investment (FDI) in South America »101
.
C’est pour cette raison que Luce invoque le sous-impérialisme pour caractériser la politique
régionale brésilienne, l’IIRSA constituant selon lui « les veines du projet géoéconomique
brésilien »102
.
La construction des infrastructures en tant que telle est déjà une lucrative opportunité pour les
entreprises de BTP brésiliennes. En effet le coût de la construction de l’ensemble des projets
compris dans le portefeuille de l’IIRSA est estimé à une valeur de 50 milliards de dollars. Dès
2003, lors du 1er
séminaire conjoint BNDES- Corporación Andina de Fomento (CAF)103
consacré à la prospective financière des projets d’infrastructures liés à l’IIRSA,
l’établissement financier brésilien annonçait par la voix de son directeur la création d’une
division Amérique du Sud au sein de son organigramme. Ce département Amérique du Sud de
la BNDES, une fois créé, fut chargé par la suite de constituer un portefeuille de projets
considérés comme prioritaires par les chefs d’État de la région. Ces derniers n’ont
généralement pas les moyens nécessaires pour financer les projets d’infrastructures
s’inscrivant sur leur territoire national. C’est à ce moment que la BNDES entre en jeu. Elle
propose alors le financement des ouvrages publics mais sous certaines conditions : l’octroi des
marchés publics à des entreprises brésiliennes, ainsi que l’utilisation de matériaux (ciment,
enrobé, etc…) d’origine brésilienne. On retrouve alors un partenariat public-privé cher à la
101
Daniel Flemes & Thorsten Wojczewski, « Contested leadership in international relations: power politics in
South America, South Asia and Sub-Saharan Africa », op. cit. p.13 102
Mathias Luce « O subimperialismo brasileiro revisitado: a política de integração regional do governo Lula
(2003-2007) », op. cit. p.72 103
L’une des institutions à l’origine de la proposition de l’IIRSA avec la Banque Interaméricaine de
Développement (BID).
52
diplomatie commerciale brésilienne, avec la BNDES dans un rôle de booster d’exportations,
en l’occurrence des services d’ingénierie civile.
De plus, d’après le discours officiel brésilien, l’IIRSA est supposée faciliter l’accès à de
nouvelles ressources afin de concrétiser une intégration énergétique. Or il convient de faire
une place à part pour le secteur énergétique dans la stratégie régionale brésilienne, car dans
les années 2000 une partie du secteur énergétique est encore sous contrôle étatique au Brésil.
Petrobras est l’entreprise la plus emblématique du secteur puisqu’elle est la première
entreprise d’Amérique latine en termes de chiffre d’affaires, et la huitième au niveau mondial
selon le magazine Forbes. En 2010, elle réalise la plus grande capitalisation boursière de
l’histoire en levant 67.7 milliards de dollars. Ce fleuron de l’industrie brésilienne, créé en
1953 par l’Administration Vargas avait été progressivement privatisée dans les années 90
dans le cadre de la politique néolibérale menée par Cardoso. Cependant l’État, devenu
actionnaire minoritaire (39% des actions), avait conservé 55% des droits de vote. Durant les
quinze dernières années, Petrobras, à l’instar des autres grands groupes brésiliens s’est
massivement internationalisé. De fait, le groupe pétrolier a prospecté dans toute l’Amérique
du Sud, avec à la clé des résultats impressionnants. Ainsi en Bolivie, Petrobras a investi près
de 1.6 milliards depuis 1996, jusqu’à contrôler en 2006 45,9% des réserves prouvées de gaz,
39,5% des réserves de pétrole, l’ensemble de l’industrie pétrochimique et 20% des stations-
services du pays. Soit 20% du PIB bolivien entre les mains de la compagnie brésilienne et une
participation pour la moitié de ses recettes fiscales104
. En 2002, Petrobras a racheté 58% de
son concurrent argentin Pérez Companc pour un milliard. Entre 2004 et 2007, toujours en
Argentine, l’entreprise originaire de Sao Paulo a injecté 1.5 milliards pour l’exploration et
l’exploitation de gisements pétroliers et gaziers105
. Cette mainmise sur les réserves
d’hydrocarbures sud-américaines s’illustre aussi en Uruguay et au Paraguay. Étant donné que
l’Union fédérale avait conservé la majorité des voix, il est difficile de ne pas imaginer que
l’opportunité de chacun de ces investissements n’a pas été discutée au préalable avec les plus
hautes autorités de l’État brésilien. Ce dernier entend d’ailleurs bien garder la main puisque
lors de levée de capitaux de 2010, il a porté sa participation à 48%, ce qui lui assure 64% des
voix106
.
104
Raul Zibechi, « Sous-impérialisme.br », América Latina en Movimiento, 28 juin 2006,
http://alainet.org/active/12082&lang=es, consulté le 23/12/2011 105
Ibid. 106
Petrobras annonce avoir levé 67,7 milliards de dollars, Le Figaro, 30/09/2010, http://bit.ly/bKtvYG, consulté
le 10/12/2011.
53
D’une façon plus générale, les officiels brésiliens évitent toute référence à une stratégie
coordonnée d'investissement en Amérique du sud, de peur de donner de la substance aux
accusations de sous-impérialisme107
. Il faut pourtant reconnaître qu’au vu de ce qui vient
d’être exposé on peut légitimement présumer de son existence.
2. Le leadership régional, chimère ou pari en passe d’être réalisé ?
Le leadership régional est-il un pari en passe d’être réalisé ou reste-t-il une lointaine
chimère ? À juste titre, l’observateur de la politique régionale brésilienne peut s’interroger. En
effet, le sous-impérialisme brésilien, qu’il s’agisse d’une stratégie délibérée des
gouvernements de la dernière décennie ou du ressenti des populations sud-américaines face à
l’attitude prédatrice des multinationales brésiliennes, ralentit l’accession du Brésil au statut de
puissance régionale. En effet celui-ci a dû essuyer plusieurs revers diplomatiques
symboliques, notamment dans le cadre économique et commercial. Or, le statut de puissance
régionale (dans son acception constructiviste) s’acquière aussi par le symbolique. De plus il
existe en Amérique du Sud une puissance secondaire qui profite des échecs du Brésil pour
tenter de le déborder sur sa gauche (au sens idéologique du terme) sur le terrain de l’unité sud-
américaine. A l’inverse certains pays restent encore très liés à Washington. Difficile dans ces
conditions de prétendre au leadership régional. Le Brésil, conscient que sa taille est autant un
atout qu’une faiblesse, essaye depuis de réduire les asymétries pouvant exister dans la région
pour corriger les erreurs initiales des projets d’intégration régionale qu’il a impulsés.
a. Les contrecoups de l’expansionnisme économique brésilien
Les investissements directs brésiliens à l’étranger sont reçus de manière ambivalente dans
la région. Bien que nécessaires pour la plupart des économies voisines, ils suscitent le
ressentiment des sociétés civiles sud-américaines. Celui-ci se manifeste par des réactions
souverainistes voire nationalistes, mais aussi par des protestations de mouvements écologistes
et/ou indigènes, lesquels sont épouvantés par l’empreinte environnementale de l’IIRSA ou par
les conséquences néfastes des exploitations d’hydrocarbures sur le biotope. Or avec l’arrivée
de leaders de gauche à la tête des gouvernements sud-américains, cette dénonciation du sous-
impérialisme brésilien a trouvé un écho politique. La contestation s’est alors traduite par une
revendication de la souveraineté nationale sur les ressources naturelles.
107
Samuel Bodman, James Wolfensohn, Julia Sweig (Dir.), « Global Brazil and U.S.-Brazil Relations », op. cit.
p.58
54
C’est ainsi qu’au lendemain de son élection à la présidence bolivienne, Evo Morales, leader
du Movimiento al Socialismo (MAS) décide, conformément à l’une de ses promesses de
campagne, de nationaliser les réserves énergétiques du sous-sol bolivien. L’objectif est de
faire profiter la population de cette manne financière. Il publie très rapidement le décret
n°28701 qui proclame la nationalisation des propriétés des compagnies étrangères exploitant
le gaz bolivien. Concrètement, ces compagnies avaient pour obligation de céder 51% de leurs
parts à l’État bolivien. Comme l’indique Bruno Lippe Pasquarelli, Petrobras a été une des
entreprises les plus touchées par cette mesure, en raison du volume de ses actifs en Bolivie108
.
La filière bolivienne de Petrobras continua d’administrer les activités d’extraction mais c’est
l’entreprise publique Yacimientos Petroliferos Fiscales de Bolivia (YPFB) qui fut chargée de
commercialiser les hydrocarbures, de définir les volumes d’exploitation ainsi que le prix de
revente, aussi bien pour le marché interne qu’à l’exportation. Or le Brésil a besoin de ces
ressources pour ne pas compromettre sa croissance économique et pour réaliser son projet
d’intégration énergétique. Par conséquent, la décision de Morales allait à l’encontre de ses
intérêts stratégiques. Pour certains commentateurs brésiliens109
, cet épisode reste comme l’un
des plus grands revers qu’ait eu à subir Lula puisque le Brésil était pris à son propre piège : en
menant une politique d’expansion de ses intérêts économiques tout en cherchant à se
positionner comme un leader consensuel, respectueux des intérêts de chacun, Lula n’eut guère
d’autre choix que de reconnaitre la nationalisation des actifs de Petrobras en Bolivie.
Le Paraguay de Lugo est un autre exemple significatif de la revendication des États de la
région sur leurs ressources naturelles. En effet le traité d’Itaipu, que nous avons abordé
précédemment, consacrait la redistribution de l’électricité produite de manière très inéquitable
(cf. supra). L’obligation pour le Paraguay de revendre au Brésil l’énergie qu’il ne consommait
pas, a entraîné un manque à gagner croissant pour l’économie paraguayenne au fur et à
mesure que le coût de l’énergie dans le monde augmentait. Il ne reçoit en effet que 300
millions de dollars par an pour presque 50 000 gigawatts, alors qu’en cas d’application du
prix du marché, le Paraguay se verrait rétribuer quelques 4 milliards de dollars110
. Par
108
Bruno Vicente Lippe Pasquarelli, « Un analysis de la actividad diplomatica del Brasil durante el gobierno de
Lula », XIV Encuentro de Latinoamericanistas Españoles : congreso internacional, Santiago de Compostela,
Espagne, 2010, p.15 109
Paulo Roberto de Almeida « La politique internationale du PT : de la fondation du parti à la diplomatie du
gouvernement Lula », In Denis Rolland (Dir.), Pour comprendre le Brésil de Lula, L’Harmattan, 2004 110
Raul Zibechi, « Le Brésil est-il en train de construire son propre pré carré ? », Risal.info, 4 mars 2009
http://bit.ly/zhHWfI, consulté le 10/01/2012
55
conséquent Fernando Lugo, élu président en 2008, a exigé une renégociation du traité au
gouvernement brésilien.
D’autres affaires sont venues ternir à la fois la réputation des entreprises brésiliennes et
l’image du gouvernement brésilien.
En Équateur, la construction du méga-barrage de San Francisco par Odebrecht dans la
première moitié des années 2000, est à l’origine du déplacement des populations vivant en
amont de l’ouvrage. Achevé en 2007, le barrage présente dès l’année suivante des
dysfonctionnements dans sa machinerie. L’entreprise reconnu rapidement les contrefaçons. Le
23 septembre 2008, Rafael Correa, élu président en 2006, prend alors la décision d’expulser
l’entreprise de BTP brésilienne de son pays alors que celle-ci avait encore plusieurs
importants chantiers en cours, notamment dans le cadre de l’IIRSA. Au mois de novembre de
la même année, il refuse de rembourser le prêt concédé par la BNDES pour la construction du
barrage et présente un recours devant la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de
commerce internationale de Paris pour la suspension de la dette équatorienne. En signe de
protestation le gouvernement brésilien rappellera son ambassadeur pour consultation (pour la
première fois depuis la Guerre de la Triple Alliance entre 1865 et 1870, le dernier conflit
qu’ai connu la région).
Odebrecht fut également mis en cause par Hugo Chavez au Venezuela très peu de temps après
le scandale du barrage de San Francisco, pour une fraude fiscale d’un montant de 282 millions
de dollars. Certains analystes y voient là la marque d’une stratégie plus politique, destinée à
contrecarrer la quête brésilienne du leadership régional111
.
b. Une construction régionale émoussée par les divisions idéologiques
Les revendications dont nous venons de retracer l’historique, ne sont en effet que le reflet
d’une certaine défiance des pays sud-américains à l’encontre des prétentions brésiliennes.
Sous Lula, le gouvernement brésilien a en effet affirmé son intention d’incarner le rôle de
leader régional. Une ambition visant à s’assurer le statut de puissance régionale. En effet si
nous reprenons la définition qu’en donne Detlef Nolte, une puissance régionale « articulates
the pretension (self-conception) of a leading position in a region »112
. Mais celui-ci ajoutait
également que cette prétention devait être reconnue ou au moins respectée par les autres États
111
Daniel Flemes & Thorsten Wojczewski, « Contested leadership in international relations: power politics in
South America, South Asia and Sub-Saharan Africa », op. cit. 112
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », op.cit.p.893
56
de la région. (« In addition, it is expected that a regional power is a state whose leading
position in the region is recognised or at least respected by other states inside and outside of
the region, especially by other regional powers »)113
.
Le leadership a donc ceci de particulier qu’il est l’articulation de deux perceptions devant
coïncider à un moment T. Une conscience de soi du leader en tant que tel, mais aussi une
reconnaissance par les autres acteurs de ce statut de leader. Cette reconnaissance se manifeste
par le suivisme, le bandawagonning. Dans le cas du Brésil, ce leadership est essentiellement
discursif, basé en grande partie sur sa capacité à fédérer les États de la région autour de ses
projets d’intégration régionale, d’aucuns diront grâce à son soft power. Selon Flemes, il existe
« a nexus between the existence of an inclusive ideational leadership project on the one hand
and the acceptance of and acquiescence to leadership on the other »114
.
S’il est vrai que les projets d’intégration régionale formulés par le gouvernement Lula lui ont
permis de remporter l’adhésion des États sud-américains (l’Unasur est sans doute le succès le
plus significatif car il a permis au Brésil de circonscrire les frontières géopolitiques de son
projet régional et de définir une identité régionale commune), les réactions souverainistes de
certains de ses voisins témoignent d’un certain décalage entre l’image que le Brésil se fait de
son leadership et l’acceptation de celui-ci dans la région sud-américaine. Notre analyse nous
conduit à penser que le Brésil a surestimé sa capacité d’attraction, son soft power.
Dans la conception réaliste des relations internationales, les États peuvent adopter deux
comportements lorsqu’ils sont confrontés à l’influence d’un État plus fort : l’équilibrage
(balancing) ou le suivisme (bandwagonning). La rationalité étant à la base du paradigme
réaliste, le choix entre les deux options se fait en fonction d’un calcul coût/avantages. Si la
coopération avec l’État fort entraîne un coût supérieur aux avantages qu’en retirent les États
faibles, alors ces derniers feront le choix du balancing, lequel se traduit généralement par une
mise à niveau des moyens militaires de l’État faible par rapport à ceux de l’État fort. Si en
revanche les coûts de la coopération avec l’État fort procurent des gains supérieurs, alors les
États faibles choisiront le bandwagonning.
113
Ibid. 114
Daniel Flemes & Thorsten Wojczewski, « Contested leadership in international relations: power politics in
South America, South Asia and Sub-Saharan Africa », op. cit. p.26
57
Or en Amérique du Sud, les États dits faibles ont du mal à distinguer les avantages que leur
procure la politique régionale brésilienne (intégration commerciale, énergétique et politique,
stabilité politique, défense des valeurs démocratiques) des coûts que l’attitude prédatrice de
ses acteurs économiques entraîne (asymétries croissantes, balance commerciale défavorables).
La région étant pacifique depuis la fin du 19ème
siècle, le recours à la force est exclu, d’autant
plus que comme nous l’avons vu, le modèle coopératif proposé par le Brésil ne s’inscrit pas
dans une logique coercitive. Il existe cependant une voie médiane pour les gouvernements
sud-américains d’exprimer leur insatisfaction vis-à-vis de cette régionalisation asymétrique :
le « soft balancing ». Cette notion, théorisée par Robert Pape, « is a middle strategy that does
not directly challenge the more powerful state’s military preponderance, but uses nonmilitary
tools to delay, frustrate, and undermine the superior state’s unilateral policies. Soft balancing
involves institutional strategies such as the formation of limited diplomatic coalitions or
ententes to constrain the superior power »115
.
Or il existe en Amérique du Sud une puissance régionale secondaire nourrissant des ambitions
subrégionales et capables de fédérer autour d’elle le mécontentement que suscite la
prééminence brésilienne : le Venezuela d’Hugo Chavez. Caracas a donc cherché à combattre
Brasilia avec ses propres armes : en instituant des projets régionaux articulés autour de son
leadership. Chavez a ainsi profité de l’émergence de gouvernements de gauche radicale pour
proposer un projet alternatif d’intégration régionale nommé dans un premier temps
Alternative Bolivarienne pour les Amériques puis rebaptisé en Alliance bolivarienne des
Peuples d'Amérique en 2009 (Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América,
ALBA). Ce projet marque sa différence avec les projets d’origine brésilienne par le rejet du
paradigme de l’économie de marché. Fondée en 2005 entre le Venezuela et Cuba, elle repose
dans un premier temps sur un mécanisme d’échange appelé « Traité commercial des peuples »
(TCP). Avec l’élection de chefs d’État issus de la gauche radicale en Amérique du Sud,
l’ALBA s’élargit. Le 29 avril 2006, elle enregistre l’adhésion de la Bolivie, trois mois après
l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales. Quelques jours après avoir rejoint l’ALBA, Morales
annonce son intention de nationaliser les réserves d’hydrocarbures boliviennes. Chavez lui
apportera son soutien diplomatique dans cette entreprise. Puis en 2008, des États caribéens et
d’Amérique centrale rejoignent l’Alliance bolivarienne, marquant ainsi la volonté d’Hugo
Chavez de ne pas se laisser enfermer dans le concept géopolitique d’Amérique du Sud que
115
Daniel Flemes & Thorsten Wojczewski, « Contested leadership in international relations: power politics in
South America, South Asia and Sub-Saharan Africa », op. cit. p.10
58
construit l’Itamaraty. L’Amérique latine, plus vaste, lui permet de diluer l’influence
brésilienne et de rehausser la sienne grâce à sa proximité géographique avec l’Amérique
centrale et les caraïbes (plus éloignée de la zone d’influence brésilienne) et sa connivence
idéologique avec le régime castriste. Enfin l’Équateur du président Rafael Correa, lui aussi
issu d’un parti de la gauche radicale (bolivarienne) adhère à l’ALBA en 2009 après des
pourparlers un peu plus compliqués116
.
Dans le premier TCP, le Venezuela s’engageait d’abord à exporter du pétrole à destination de
Cuba en échange de services médicaux. Cette logique coopérative irrigue le fonctionnement
de l’ALBA. Les immenses réserves de pétrole de la ceinture de l’Orénoque, exploitées par la
compagnie publique vénézuélienne PDVSA, permettent à Chavez de se montrer généreux
avec les autres États membres de l’ALBA. Les échanges de type services contre pétrole se
font souvent à la défaveur du Venezuela, mais Chavez retire de cette « pétro-diplomatie » un
certain prestige politique dans la région qui lui permet de soutenir la comparaison avec un
Brésil refusant d’assumer son rôle de paymaster de l’intégration régionale. Le Venezuela a en
outre conclu un certain nombre d’accords, birégionaux avec les États caribéens (Petrocaribe)
et subrégionaux avec les États andins (Petroandino) et avec les pays sud-américains (Petrosur)
permettant à ces derniers de s’approvisionner en pétrole à tarif préférentiel.
À travers l’ALBA, des États comme la Bolivie et l’Équateur peuvent mettre en concurrence le
leadership brésilien, en lui démontrant qu’ils peuvent s’orienter vers d’autres structures de
coopération si le Brésil ne daigne pas prendre en compte les asymétries régionales. Mais
l’ALBA est un projet instable car il dépend fortement de la couleur du gouvernement de ses
membres. A l’inverse, les projets d’origine brésilienne, de par leur nature consensuelle
permettent de réunir potentiellement l’ensemble des États sud-américains, quelle que soit
l’idéologie des gouvernements en place. Cependant, les gouvernements de droite colombien et
péruvien des années 2000 représentaient également un possible frein pour le leadership
brésilien, car bien qu’ayant adhéré à l’Unasur, ces deux pays sont traditionnellement de
proches alliés de Washington. Les accords militaires américano-colombiens faisaient de cette
dernière le marchepied des États-Unis dans la région, un facteur nuisible à l’édification du
statut de puissance régionale pour Lula.
116
Correa exigeait que le Venezuela réintègre la Communauté Andine des Nations. Chavez était en effet sorti de
cette communauté qui regroupait outre le Venezuela, l’Équateur, la Colombie et le Pérou après que ces deux
derniers membres aient signé des accords de libre-échange bilatéraux avec les États-Unis.
59
Pour contrecarrer l’influence vénézuélienne, le Brésil mise beaucoup sur le tandem qu’il
forme avec l’autre puissance régionale secondaire à savoir l’Argentine. De l’aveu même de
Marco Aurelio Garcia, « [la] relation avec l'Argentine est absolument essentielle ; sans cette
alliance, il n'y aura pas d'intégration régionale »117
. Mais là encore le même schéma de
méfiance se répète : disputes commerciales et rivalité historique compliquent également cette
relation. Le Brésil se devait donc de prendre en compte une partie des doléances de ses
voisins, sans quoi il était impossible d'approfondir la coopération régionale.
c. La diplomatie de la générosité ou la promesse de la réduction des inégalités
régionales.
Dès son arrivée au pouvoir le gouvernement Lula entreprit de mettre en place une
« diplomatie de la générosité ». Le terme a été inventé par Samuel Pinheiro Guimarães,
secrétaire général de l’Itamaraty de 2003 à 2009. Selon cette doctrine, la politique extérieure
brésilienne doit avoir pour objectif fondamental la construction d’un espace économique et
politique régional, mais sans aucune prétention hégémonique (au sens réaliste du terme). Les
extraordinaires asymétries existant déjà à l’époque entre le Brésil et ses voisins devaient être
régulées par le biais de partenariats généreux. Pour Guimarães, il était nécessaire d’appliquer
un traitement spécial et différencié, presque proportionnel, aux asymétries réelles, afin de ne
pas créer de faux espoirs et de légitimer le discours sur les intérêts communs.
Cette diplomatie de la générosité s’est exprimée dans un premier temps dans le cadre du
Mercosur. Dès 2003 un Fonds de Convergence Structurelle du Mercosur (FOCEM) est
instauré118
. Dans les grandes lignes, le FOCEM vise à améliorer l’infrastructure économique
et sociale, les niveaux de vie des populations les moins favorisées, mais aussi la compétitivité
des économies régionales. Le projet reprend des considérations d’ordre redistributif et
compensatoire via le transfert de ressources des pays les plus grands vers les plus petits. À ce
titre, en 2007, le Brésil pourvoyait à 70% du montant total du FOCEM, l’Argentine à 27%,
tandis que l’Uruguay n’en finançait que de 2% et le Paraguay 1%. La même année, la
redistribution donnait lieu à la répartition suivante : 48% des dépenses étaient allouées au
Paraguay, 32% à l’Uruguay, tandis que l’Argentine et le Brésil se contentaient de 10%
chacun. Au-delà du cadre du Mercosur un Programme de Substitution Compétitive des
117
Marco Aurélio Garcia, entretien accordé à l’édition brésilienne du Monde diplomatique, octobre 2010,
http://bit.ly/xQIHs1 (consulté le 4/01/2012) 118
Cf. annexe n°4
60
Importations (PSCI)119
a également été mis en place au début du premier mandat de Lula. À
travers ce programme le Brésil souhaitait aider ses voisins à mettre en place des stratégies
d’exportations vers son propre marché.
Cependant il convient de relativiser cet effort de convergence qui est encore loin d’avoir
réduit de manière satisfaisante les asymétries régionales. En effet le budget annuel du
FOCEM tourne autour des 100 millions de dollars soit seulement 0.01% du PIB du Mercosur.
Comme le faisait remarquer une étude de l’Observatoire de l’Amérique latine et des Caraïbes
de Science Po Paris (OPALC), on est encore loin des standards qui peuvent exister dans
l’Union Européenne en matière de convergence économique120
. De plus, pour certains
hommes politiques brésiliens comme Marco Aurelio Garcia, ces asymétries commerciales
avec le reste du continent constituent un problème insoluble puisqu’elles sont dues à des
raisons économiques structurelles :
« Nous avons une économie extrêmement diversifiée, un niveau de productivité
croissant alors que d'autres pays sont dans la situation du Chili qui n'exporte que six
produits différents. Et qu'exporte le Chili ? Des produits de la mer, du vin, des fruits,
du cuivre; du bois et de la cellulose. Nous importons ces produits mais nous sommes
en mesure de leur vendre une quantité incomparablement plus grande de produits
différents »121
.
Concernant les revendications souveraines de ses voisins sur leurs ressources naturelles, Lula
a adopté un comportement de « patience stratégique »122
. Lorsqu’Evo Morales a nationalisé la
filière bolivienne de Petrobras, le Brésil a d’abord fait usage des protestations diplomatiques
de rigueur dans ces cas de figure. Mais Lula a ensuite cherché à apaiser la situation en
reconnaissant comme « légitime » la décision du président bolivien. De même sur le différend
du barrage d’Itaipu, Lula a accepté en juillet 2009 de tripler le prix de l’électricité qu’il
rachète au Paraguay. Cette complaisance à l’égard de son voisinage se retrouve aussi dans sa
relation bilatérale avec l’Argentine, puisque Lula a régulièrement fermé l’œil sur les
119
À ne pas confondre avec l’ISI (Substitution des Importations par Industrialisation) que nous avons évoqué
plus en amont et qui était 120
« Le Fonds de Convergence Structurelle du Mercosur », OPALC, http://bit.ly/xEQwI9 (consulté le
23/12/2011) 121
Marco Aurélio Garcia, entretien accordé à l’édition brésilienne du Monde diplomatique, octobre 2010,
http://bit.ly/xQIHs1 (consulté le 4/01/2012) 122
Pedro Da Motta Veiga & Sandra Polonia Rios, « A Política Externa Brasileira sob Lula: o fim do “Consenso
de Brasília”? », CEBRI Artigos, CEBRI, juillet 2010, p.15
61
restrictions commerciales illégales123
que Nestor puis Cristina Kirchner ont imposé pour
maintenir leur balance commerciale à un niveau décent. Cette patience stratégique était, selon
le chef d’État brésilien, le prix à payer pour un « leadership imaginatif »124
. En effet, dans sa
quête pour le leadership régional, la stratégie brésilienne s’accommode mal de l’image d’État
sous-impérialiste qui lui est accolée. D’où cette patience stratégique qui à long terme doit
permettre au Brésil de parfaire son image de leader consensuel.
Enfin, pour éviter que le Venezuela ne devienne un concurrent trop encombrant, le Brésil a
entrepris de circonscrire l’action diplomatique de la République bolivarienne en l’incluant
dans ses projets d’intégration régionale. Malgré le clivage idéologique existant, le
gouvernement Lula s’est attelé, comme à son habitude, à construire des partenariats sur les
intérêts communs des deux pays. L’IIRSA a été utilisé à cet escient, puisque le
développement d’infrastructures est a priori une démarche dénuée de toute idéologie. Même
si nous avons démontré les accointances du projet avec les intérêts économiques brésiliens,
Chavez a lui aussi perçu les avantages qu’il pouvait tirer d’une intégration énergétique. En
effet celle-ci lui permettra à terme de déployer son influence vers le sud de la région, via sa
pétro-diplomatie. L’Unasur est également un projet qui a su séduire le leader vénézuélien,
notamment à travers le CDS qui tend à exclure l’influence américaine de la région. Les États-
Unis sont en effet l’ennemi déclaré d’Hugo Chavez, et la lutte contre l’impérialisme US est au
fondement de sa politique étrangère contestataire.
L’inclusion du Venezuela au Mercosur, actée en 2006, procède autant de cette stratégie que
de la volonté du gouvernement argentin et uruguayen de pondérer le poids du Brésil dans le
marché commun « alors même que les objectifs diplomatiques d’Hugo Chavez sont très
éloignés de la logique commerciale du traité d’Asunción »125
. Le processus d’adhésion n’a
abouti que très récemment en raison du veto qu’opposait le parlement paraguayen à l’entrée
du Venezuela dans le Mercosur. Le Venezuela a quant à lui dû rompre ses liens avec la
Communauté Andine des Nations (CAN). Ce coup tactique tenté par Lula est assez risqué car
l’entrée du Venezuela risque de fragiliser un peu plus l’intégration commerciale. En effet
Hugo Chavez tente déjà d’imposer les principes d’échange solidaires inhérents à l’ALBA, qui
vont à l’encontre d’une des raisons d’être du Mercosur, à savoir une zone de libre-échange
123
Au regard du traité constitutif du Mercosur. 124
« Impasse com a Argentina », O Estado de S. Paulo, 29 mai 2011, http://bit.ly/zwyLLg (consulté le
23/12/2011) 125
Alain Rouquié, « Le Brésil, un État sud-américain parmi les grands ? », op. cit. p.111
62
dénuée de barrières douanières entre Etats membres. Heureusement pour le Brésil, l’influence
vénézuélienne est soumise aux aléas du cours du pétrole. Avec la crise financière de 2008, le
Venezuela a vu fondre sa rente, restreignant d’autant ses marges de manœuvre dans la région.
De plus la découverte des pré-sels au large de Rio de Janeiro devrait rapidement permettre au
Brésil de contrôler les initiatives pétro-diplomatiques du Venezuela et donc plus largement sa
politique étrangère.
Si l’on se livre à un bilan des relations qu’entretiennent le Venezuela et le Brésil, la formule
suivante de Daniel Flemes résume assez bien la situation : « Venezuela acquiesces to Brazil’s
regional leadership more than it accepts or contests it »126
. Autrement dit, Chavez participe
aux projets brésiliens car ces derniers prennent en compte ses intérêts, mais sans pour autant
attribuer un chèque en blanc à Brasilia.
Conclusion de la première partie
Entre hégémonie consensuelle et sous-impérialisme, nous venons de proposer deux lectures
de l’action régionale de l’État brésilien. La vérité est sans doute quelque part entre les deux
interprétations. Quel que soit le prisme adopté, le constat est le même : le Brésil a réussi à
donner corps au concept d’Amérique du Sud, mais il peine à s’imposer comme leader de cette
région. En effet, la mise en œuvre des projets d’intégration commerciale et physique est pour
l’instant compliquée par des projets alternatifs ou des mouvements de résistance. Son statut de
puissance régionale n’est donc pas encore consolidé malgré sa prépondérance. Or, la politique
régionale brésilienne s’inscrit dans le cadre plus important de son action extérieure.
Conformément à notre hypothèse de départ, l’accession au rang de puissance régionale ne
serait qu’un objectif intermédiaire dans la stratégie brésilienne, dont le véritable but est de
réussir son insertion dans le système international.
126
Daniel Flemes & Thorsten Wojczewski, « Contested leadership in international relations: power politics in
South America, South Asia and Sub-Saharan Africa », op. cit. p.15
63
II. L’assise régionale, outil d’insertion dans un système
multipolaire
Sous la dictature militaire, nous avons vu que l’isolationnisme était considéré au Brésil
comme le meilleur moyen de préserver l’autonomie du pays, condition nécessaire pensait-on
pour développer l’économie brésilienne sur la base de son marché intérieur, sans recourir aux
importations. Le Brésil se gardait alors d’adhérer à des régimes internationaux qui auraient pu
compromettre cette autonomie. L’exemple le plus parlant de cette « autonomy through
distance » est le refus qu’a opposé la junte à la ratification du Traité sur la Non-Prolifération
des armes nucléaires (TNP).
Avec la fin de la Guerre froide et le passage d’un monde bipolaire à un système unipolaire,
une réflexion est engagée sur la pertinence de cette politique étrangère. En effet les États-
Unis, sortis vainqueurs de leur affrontement avec le bloc soviétique, deviennent l’unique État
dominant du système international, une « hyperpuissance » selon les mots d’Hubert Védrine.
À cette époque, les chancelleries du monde entier sont convaincues que l’architecture
internationale dessinée par les États-Unis est destinée à se perpétuer indéfiniment. Francis
Fukuyama n’est-il pas allé jusqu’à évoquer « la fin de l’histoire »127
? En conséquence, les
décideurs politiques brésiliens issus de la transition démocratique opèrent un revirement
doctrinal et estiment que l’autonomie ne s’obtient pas forcément par l’isolement, mais au
contraire en participant à l’élaboration des régimes internationaux afin de les faire converger
le plus possible avec l’intérêt national brésilien. Avec le début de la globalisation, l’idée
prévaut au Brésil que le pays, en raison de sa taille et de ses avantages compétitifs, a
davantage intérêt à intégrer un système international où prime le libre-échange, plutôt que de
centrer son développement sur son marché intérieur. Par conséquent, comme le font
remarquer Tullo Vigevani et Gabriel Cepulani, les gouvernements brésiliens des années 90, et
particulièrement celui de Fernando Henrique Cardoso comprennent que « the new
international configuration would require one to incorporate human rights, environmental
protection, democratic transition, social rights, liberal economic reform and the acceleration
of South American integration ». L’autonomie « through participation » est alors le leitmotiv
de la politique étrangère brésilienne.
127
Francis Fukuyama, « La Fin de l'histoire et le dernier homme », Flammarion, 1993
64
D’après Samuel Huntington, cet état du système international s’est révélé n’être qu’un
« moment unipolaire »128
. Les efforts de la superpuissance américaine pour maintenir un
système unipolaire ont provoqué un effort encore plus intense de la part des grands pays
émergents pour établir un système multipolaire. De fait, nous serions depuis la fin des années
90-début des années 2000, dans une période de transition, marquée par une nouvelle mutation
du système international. Ce dernier serait entré dans une phase intermédiaire, qualifiée par
Huntington d’uni-multipolaire, avant de se transformer définitivement en système
multipolaire à l’horizon 2020.
Si les prévisions calendaires sur le terme de cette transformation du système international
nous semblent difficiles à confirmer, il ne fait aucun doute que des tendances lourdes viennent
valider l’hypothèse d’une transition vers un monde multipolaire. En plus de la dimension
géographique de la diffusion de la puissance, on peut distinguer comme Joseph Nye différents
échelons d'expression de la puissance129
. L'échelon militaire où les USA sont encore
dominants, et où ils ont de fortes probabilités de le demeurer à long terme. Nye distingue
également l'échelon économique, où selon lui « les problèmes ne peuvent être gérés
uniquement par les États-Unis ». Nul doute que la crise économique et financière ayant débuté
en 2008 ainsi que ses conséquences aux États-Unis, contribuent à renforcer ce constat. En
effet cette crise démontre qu’à l’échelon économique, les États-Unis sont désormais obligés
de recourir à la coopération pour résoudre un problème. Enfin l’inventeur du concept de soft
power identifie l'échelon des problématiques transnationales (tel que le terrorisme ou le
changement climatique), où les États-Unis sont un acteur parmi d’autres. Ce constat renvoie
aux propos que nous avons tenus en introduction : la multipolarisation est la conséquence à la
fois du déclin de l’hégémonie américaine et de l’apparition de nouveaux acteurs sur la scène
internationale.
Or lorsque Lula arrive au pouvoir en 2003, le Brésil prend conscience qu’il fait peut-être parti
de ces nouveaux acteurs et l’équipe de conseillers de Lula est convaincue par l’hypothèse
d’un système international multipolaire, en témoigne cet extrait d’une interview de Marco
Aurelio Garcia :
128
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order », op. cit. p.2 129
Sören Schlovin, « Emerging non-OECD countries: Global shifts in power and geopolitical regionalization »,
GIGA Working Papers, German Institute of Global and Area Studies, n°128, avril 2010, p.7
65
« Nous vivons dans un monde en transition, une transition longue, dont le dénouement
n'est pas totalement prévisible si l'on en juge à partir des transformations par
lesquelles le monde est passé depuis les années 90. L'idée de construction d'un monde
fondée sur le multilatéralisme se renforce. Et nous sommes persuadés que ce
multilatéralisme débouchera sur la mise en place d'un monde multipolaire »130
.
C’est ainsi qu’au début du premier mandat de Lula, la politique étrangère est de nouveau
repensée pour mieux s’adapter à cette transformation du système international. La
participation à l’élaboration des normes internationales s’accompagne désormais de
revendications. Lula et ses conseillers estiment que le système international ne représente pas
assez le nouveau poids acquis par les émergents et réclame davantage de multilatéralisme.
D’après une analyse produite par le Council of Foreign Relations, « Not content to be
‘socialized’ into an existing framework of rules and norms, rising powers like Brazil are
determined to renegotiate and revise international rules and institutions to reflect their own
national interests and preferences »131
. Le Brésil adopte alors une posture de puissance
révisionniste : cela signifie qu’il consent à s’insérer dans le système international actuel, sans
remettre en cause l’existence en tant que telles des institutions et des organisations qui le
composent, mais en exigeant une meilleure représentativité du poids des nouveaux acteurs
dont il fait partie ainsi qu’une meilleure prise en compte des impératifs de développement.
Mais ce Brésil révisionniste prend conscience qu’il n’a peut-être pas encore assez de poids
pour pouvoir affirmer son autonomie et préserver son développement dans un monde
multipolaire. Même si d’après le Council of Foreign Relations la mutation du système
international constitue son objectif ultime (« For Brazil, the ultimate goal is to ensure the
emergence of a more diverse and pluralistic world order consistent with principles of
multilateralism »132
), nous émettons l’hypothèse que le Brésil seul ne dispose pas du poids
nécessaire pour défendre efficacement son intérêt national dans le futur système multipolaire.
C’est ce qui expliquerait qu’une troisième doctrine de politique étrangère ait vu le jour lors du
premier mandat de Lula : « the autonomy through diversification »133
. Selon Tullo Vigevani et
Gabriel Cepaluni, elle s’exprime par « an adherence to international norms and principles by
130
Marco Aurélio Garcia, entretien accordé à l’édition brésilienne du Monde diplomatique, op. cit. 131
« Rising Brazil: Implications for world order and international institutions » compte-rendu de l’atelier co-
organisé par la Fundação Getulio Vargas et l’International Institutional and Global Governance (IIGG) program
du Council of Foreign Relations (CFR), Rio de Janeiro, Brésil, 9-10 décembre 2009 132
Ibid. 133
Tullo Vigevani & Gabriel Cepaluni, « Lula’s foreign policy and the quest for autonomy through
diversification », op. cit.
66
means of South – South alliances, including regional alliances and through agreements with
non-traditional partners (China, Asia-Pacific, Africa, Eastern Europe, Middle East, etc.),
trying to reduce asymmetries in external relations with powerful countries ». C’est bien
évidemment le volet des alliances régionales qui nous intéresse dans le cadre de notre étude.
Cette brève introduction nous ayant permis de contextualiser la politique étrangère régionale
du Brésil par rapport aux enjeux de l’évolution du système international, il nous faut
désormais aborder son impact à l’échelle hémisphérique ainsi qu’à l’échelle globale. En effet
chercher à préserver ses marges de manœuvre tout en ayant pour voisin la puissance toujours
dominante du système international requiert une habile stratégie régionale (A). Reprenant
notre hypothèse sur le statut limité du Brésil dans la hiérarchie globale des puissances, nous
verrons ensuite que la politique régionale brésilienne a été conçue pour surmonter ce handicap
(B).
67
A. La naissance d’une bipolarité dans l’hémisphère occidental
Nous avons vu en première partie que la politique régionale brésilienne lui permettait
d’obtenir directement de nombreux avantages économiques notamment commerciaux. Mais
cette politique a aussi un objectif plus indirect à l’échelle hémisphérique. Il s’agit clairement
de remettre en cause l’image d’un continent constituant l’arrière-cour des États-Unis, que ces
derniers avaient institué à la fin du 19ème siècle avec la fameuse doctrine Monroe. Ce modèle
avait perduré pendant la guerre froide, Washington ayant alors contribué indirectement mais
fréquemment à la mise en place de dictatures sensées prévenir l’accession au pouvoir de parti
de sensibilité marxiste. Mais avec la fin de la guerre froide, Washington a délaissé l’Amérique
du sud afin de concentrer ses moyens diplomatiques et militaires au Moyen-Orient, centre de
ses préoccupations énergétiques et sécuritaires. Le Brésil s’est alors engouffré dans le vide
laissé par Washington pour tenter d’établir son propre leadership, d’abord discrètement sous
Cardoso puis de manière plus affirmée sous Lula. Dès lors, une « compétition de basse
intensité » s’est instaurée entre les deux pays (1). Celle-ci témoigne de la transition vers un
système multipolaire (2).
1. Entre Brasilia et Washington : une compétition de basse intensité
De par son appartenance à l’hémisphère occidental, le Brésil est implacablement
confronté à l’influence des États-Unis. L’émergence, sous la présidence Lula, d’un Brésil
ambitieux en termes de leadership se heurte inévitablement aux intérêts des États-Unis en
Amérique latine. Or, dans le cadre de sa stratégie révisionniste, l’autonomisation du Brésil sur
la scène régionale et internationale passe par une émancipation du pays auriverde vis-à-vis de
Washington. En effet, d’après l’ancien ambassadeur américain au Brésil et ex-secrétaire
général de l’Organisation des États Américains (OEA), Luigi Enaudi, « A new generation of
Brazilian leaders has emerged who tend to see U.S., and generally Western, political and
economic influence as a generic obstacle to Brazil’s rise, and therefore as something to be
checked when possible »134
. La politique régionale menée par Lula a contribué à mettre fin à
cette dépendance, tant en matière de sécurité et de défense que de relations commerciales. La
construction d’un bloc régional participe à cette exclusion progressive de l’influence
américaine hors de la région.
134
Luigi R. Einaudi, « Brazil and the United States: the need for strategic engagement », Strategic Forum of
National Defense University, Institute for National Strategic Studies, n°266, mars 2011, p.9
68
D’après nous, cette exclusion s’est réalisée en deux mouvements. Le premier est un
mouvement défensif, initié par Cardoso et poursuivi par Lula, face à aux assauts
intégrationnistes commerciaux des États-Unis. Le deuxième est un mouvement offensif : Lula
a en effet pris l’initiative personnelle d’écarter les États-Unis de la gestion des enjeux de
sécurité et de défense de la région via la création d’une nouvelle structure.
a. Les négociations sur la Zone de Libre-Échange des Amériques, expérience
fondatrice du tropisme sud-américain de Brasilia
Si durant les années 90, l’autonomie du Brésil était conçue comme s’acquérant grâce à
l’adhésion aux régimes internationaux de libre-échange, il n’était pas non plus question
d’adopter le premier traité de libre-échange venu. Les négociations menées avec les États-
Unis pendant plus de 10 ans sur la création d’une Zone de Libre-Échange des Amériques
(ZLEA)135
témoignent de cette méfiance héritée de la période isolationniste. Ce projet
d’intégration commerciale qui devait selon la formule consacrée s’étendre « de l’Alaska
jusqu’à la Terre de feu » s’inscrivait dans le grand mouvement de libéralisation du commerce
initié pendant la décennie néolibérale de 1990.
En 1994, le Brésil signe l’Acte Final de Marrakech, traité international fondateur de l’OMC,
ainsi que le Protocole d’Ouro Preto qui met en place la structure institutionnelle du Mercosur.
Avec ce dernier, il manifestait son désir de s’insérer progressivement dans l’économie globale
puisque, rappelons-le, le Mercosur est à la fois une zone de libre-échange et une union
douanière qui doit protéger ses membres des méfaits d’une ouverture trop précoce au
commerce international. De leur côté, la même année, les États-Unis, le Mexique et le Canada
inaugurent l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain (ALENA). Le
contenu de cet accord est beaucoup plus limité puisqu’il y est seulement question de libre-
échange. L’ALENA est en réalité conçu par le gouvernement américain comme une étape
vers une zone de libre-échange beaucoup plus vaste, qui engloberait l’ensemble de
l’hémisphère occidental : c’est le projet de ZLEA de l’Administration Bush père qui sera
ensuite repris par Bill Clinton. Les négociations liées à ce projet débutent lors du 1er
Sommet
des Amériques réunissant les chefs d’État et de gouvernement de l’ensemble du continent136
,
à Miami, en décembre 1994.
135
Free Trade Area of the Americas (FTTA) en anglais ou Área de Libre Comercio de las Américas (ALCA) en
espagnol. 136
À l’exception de Cuba.
69
L’inclination néolibérale du président Cardoso n’a toutefois pas effacé toute trace d’analyse
critique héritée de son passé de sociologue marxiste. Le jeune Cardoso fut en effet un des
contributeurs majeurs à l’élaboration de la théorie de la dépendance et c’est sans doute ce qui
explique la méfiance de celui-ci, 30 ans après, à l’égard du projet de l’Administration Clinton.
En effet, la ZLEA pouvait réduire à néant les chances du Brésil de sortir de la dépendance et
mettre en péril le développement national en précipitant son ouverture au libre-échange.
Cardoso décida alors d’entrer prudemment dans les négociations tout en aménageant des
garde-fous. C’est ce qui explique pourquoi, dans un premier temps, il a cherché à promouvoir
parmi ses partenaires sud-américains l’Area de Libre Comercio de Sudamerica (ALCSA).
Cardoso avait mis sur pied cette initiative lorsqu’il était ministre des affaires étrangères sous
Itamar Franco, son prédécesseur. Il s’agissait d’un projet de zone de libre-échange à l’échelle
de l’Amérique du Sud qui devait permettre d’opposer un bloc massif et consistant aux nord-
américains dans les négociations sur la ZLEA. Mais l’ALCSA ne rencontra pas le succès
escompté et Cardoso décida de s’appuyer davantage sur le Mercosur, noyau fonctionnel et
tangible de l’intégration commerciale en Amérique du Sud. Ainsi, il ne renonçait pas à
imposer le principe de négociations de bloc régional à bloc régional aux États-Unis, pourtant
réfractaires à ce procédé. Ces derniers espéraient en effet négocier avec des pays latino-
américains en ordre dispersé car, comme le note Daniel van Eeuwen, « à l’instar de ceux du
Maghreb face à l’Union Européenne, [cela] accentue leur faiblesse vis-à-vis de
‘l’hyperpuissance’ du nord »137
. Ces différentes manières d’aborder les négociations révèlent
en fait une divergence de vue profonde sur le concept même de ZLEA. Pour le Brésil, la
ZLEA devait composer avec les blocs régionaux déjà préexistants (ALENA et Mercosur) et
tenir compte de leurs singularités afin que les asymétries existantes entre Nord et Sud soient
prises en considération. A l’inverse, pour les États-Unis, la ZLEA avait vocation à fusionner
tous les précédents accords régionaux en un unique régime de libre-échange à l’échelle
hémisphérique.
Car du point de vue brésilien, le projet de ZLEA est avant tout un projet hégémonique
américain visant à se réserver les marchés latino-américains dans la compétition économique
désormais ouverte entre les différentes régions du globe : la Communauté Européenne ne
cessait de s’élargir et les rapides progrès des tigres asiatiques commençaient à menacer la
137
Daniel van Eeuwen, « les relations Washington-Brasilia entre bipolarité conflictuelle et ‘rivalité cordiale’ » in
Denis Rolland & Antonio Carlos Lessa (Dir.), Relations internationales du Brésil, les chemins de la puissance :
volume 2, aspects régionaux et thématiques, L’Harmattan, 2010, p.72
70
production industrielle high-tech américaine. D’après Cristina Soreanu Pecequilo, « since
Latin America remained the only market in which the US could sell its products, this country
was trying to guarantee its space in a renewed version of ‘Americas for the Americans’ »138
.
De fait, en Amérique du Sud, gouvernements139
comme société civile se méfient de ce projet
et soupçonnent Washington de concocter un accord à son unique profit. Très rapidement
d’ailleurs, les négociations achoppent sur des divergences d’intérêts. L’agriculture est l’objet
des plus fortes tensions. En effet les barrières tarifaires et non tarifaires (de type
phytosanitaires par exemple) tout comme les subventions distribuées par l’État fédéral
américain à ses producteurs nationaux impliquent une compétition déséquilibrée pour les pays
sud-américains, qui plus est dans un des secteurs clés de leur commerce extérieur
(particulièrement pour le Brésil et son agrobusiness). Or aucune concession ne fut accordée
par les États-Unis sur ce terrain. A l’inverse, ils souhaitaient faire avancer leurs propres
intérêts sur le terrain de la propriété intellectuelle, où leur capacité d’innovation leur aurait
permis de s’assurer le monopole dans plusieurs secteurs industriels à haute valeur ajoutée. De
facto, les intérêts économiques des États sud-américains étant sensiblement les mêmes que
ceux du Brésil, ils s’unirent sous le leadership de ce dernier.
Le manque de flexibilité affiché par Washington contribua à l’enlisement des négociations.
En outre, alors que Cardoso tentait à la fin de son mandat une nouvelle approche plus
coopérative avec les États-Unis notamment dans le cadre de l’OMC, l’élection de Georges W.
Bush accentua l’unilatéralisme américain. Le Brésil fut notamment attaqué par les États-Unis
devant l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC sur la question des
médicaments génériques destinés à la lutte contre le VIH et de la violation de la propriété
intellectuelle que leur production entraîne140
.
Lorsque Lula entre en fonction, le 1er
janvier 2003, il a la lourde charge de reprendre les
négociations sur la ZLEA alors que les pourparlers doivent officiellement aboutir en 2005
dernier délai. Entre 2003 et 2004, le Brésil et les États-Unis co-président les négociations de
la ZLEA, le tout sur fond de règlements de plusieurs différends devant l’ORD. Devant cette
138
Cristina Soreanu Pecequilo, « Brazil and the United States : Bilateral relations prospects 1989-2010 », in
Denis Rolland & Antonio Carlos Lessa (Dir.), op. cit., p.86 139
Seule la Colombie, alliée indéfectible des États-Unis, se montre à l’époque entièrement favorable à la ZLEA. 140
Page web sur le règlement du différend opposant les États-Unis au Brésil, site de l’OMC, http://bit.ly/xSFfa4,
consulté le 10/01/2012
71
compétition de basse intensité, la doctrine « autonomy through participation » vient
d’atteindre ses limites. C’est à cette époque qu’elle est remplacée par l’ « autonomy through
diversification » qui, nous l’avons vu tout au long de cette étude, comprend un volet régional
très important. En vertu de celui-ci et dans le cadre des négociations sur la ZLEA, une relation
d’interdépendance s’instaure alors entre le Brésil de Lula et les gouvernements sud-
américains : le premier comptait sur le soutien des seconds pour peser davantage dans les
négociations face aux États-Unis, tandis que les seconds attendaient du premier qu’il incarne
le rôle de champion régional pour représenter leurs intérêts. Avec cette relation de quasi
mandat, le camp sud-américain marque des points et impose sa vision d’une « ZLEA light » :
le 23 novembre 2003, les représentants des 34 États participants reconnaissent qu’un « accord
équilibré [doit] aborder la question des différences dans les niveaux de développement et la
taille des économies [et] que les niveaux d’engagements des pays pouvaient varier »141
. Cela
signifiait la fin d’un projet de régime unique à l’échelle hémisphérique et donc une voie sans
issue pour les ambitions étatsuniennes.
Conscient que le soutien des pays sud-américains fut crucial pour faire plier les États-Unis,
Lula chercha à élargir le processus d’intégration régionale en lançant lors du 3ème
Sommet des
chefs d’États sud-américains la Communauté sud-américaine des nations (CASA)142
. En
2005, alors que la date-butoir fixée initialement pour la concrétisation de la ZLEA venait
d’être dépassée, il ne fait plus aucun doute que cette dernière est enterrée. Dans un discours
prononcé à l’inauguration du Congrès de l’Organisation régionale interaméricaine des
travailleurs (ORIT), Lula déclare : « le projet de création d’une Zone de libre-échange pour
les Amériques (ZLEA) ne fait plus partie de la discussion au Brésil ». Ce à quoi il ajouta :
« Ce qui est prioritaire pour nous, c’est l’intégration latino-américaine ».
Au final, seuls les États d’Amérique centrale (le Costa Rica, le Salvador, le Guatemala, le
Honduras et le Nicaragua) et un État caribéen (la République Dominicaine) ont accepté de
former une zone de libre-échange avec les États-Unis. Le Dominican Republic-Central
America Free Trade Agreement (DR-CAFTA), est néanmoins un accord multilatéral distinct
de l’ALENA. Cependant, cette victoire brésilienne en Amérique du Sud n’est que partielle.
En effet, après que la ZLEA eut été définitivement enterrée, les États-Unis ont adopté une
141
Daniel van Eeuwen, « les relations Washington-Brasilia entre bipolarité conflictuelle et ‘rivalité cordiale’ »
op. cit. p.78 142
Qui se concrétisera avec la naissance de l’Unasur en 2008 et que nous avons déjà abordé en première partie.
72
nouvelle stratégie en segmentant le projet de ZLEA État par État. Les négociations bilatérales
sont effectivement un nouvel outil pour mener à bien la politique commerciale américaine
dans l’hémisphère. De fait le Pérou, le Chili et la Colombie ont déjà ratifié de tels accords,
lassés par la lenteur du Brésil à lever ses propres barrières tarifaires et non-tarifaires.
Néanmoins, Lula a su profiter de la dynamique engendrée par son leadership dans les
négociations sur la ZLEA pour mener une contre-offensive visant à amoindrir un peu plus
l’influence de Washington dans la région. Si le commerce était un enjeu important par ses
implications économiques, le projet de Conseil de Défense Sud-américain (CDS), projet
régional basé sur la thématique sécurité/défense allait avoir des répercussions symboliques au
moins tout aussi importantes.
b. Le Conseil de Défense Sud-américain, un coup porté à la doctrine Monroe
depuis l’intérieur
Les limites géopolitiques de la politique régionale brésilienne ayant été peu ou prou
définies lors des négociations commerciales sur la ZLEA par le ralliement des pays sud-
américains et la « défection » des États d’Amérique centrale, il fallait désormais pour Lula
consolider ces dernières. Avec la création de la Communauté des Nations Sud-américaines en
2004, largement bâtie sur son leadership consensuel qui prévalait lors des négociations sur la
ZLEA, et qui deviendra l’Unasur en 2008, Lula s’est doté d’un outil de coopération
multifonctions de type « hub and spoke »143
, lui permettant de lancer des initiatives sur
n’importe quelle thématique. L’économie et le commerce bien sûr (il s’agit à l’origine de
l’intégration du Mercosur et de la Communauté Andine des Nations dans le même dispositif
régional), mais également l’énergie (avec l’IIRSA dont le développement est désormais
discuté au sein de l’Unasur), ou encore les politiques sociales. Ces thématiques sont discutées
soit directement lors de sommets réunissant les chefs d’États sud-américains, soit dans le
cadre de Conseils ministériels dédiés. La création du Conseil de Défense Sud-américain
(CDS) est un cas à part qu’il convient d’étudier attentivement en raison de son importance
diplomatique. En effet, la thématique de la défense est une des plus symboliques en termes de
souveraineté car elle implique des compétences de nature régalienne.
143
« Rising Brazil: Implications for world order and international institutions », op.cit. Hub and Spoke désigne
l’ensemble moyeu et rayons d’une roue. Cette métaphore illustre la centralité du Brésil dans les organisations
régionales d’Amérique du Sud, partie prenante à toutes les discussions en raison de sa prépondérance.
73
Depuis le 19ème
siècle l’hémisphère occidental est traditionnellement considéré comme le pré-
carré des États-Unis. Après la seconde Guerre Mondiale, la doctrine Monroe a été
réinterprétée de manière à faire face à une éventuelle montée du communisme en Amérique
Latine, de sorte que la souveraineté des États de la région en matière de sécurité et de défense
était plus que limitée. C’est cette logique de pré-carré qui prévalait lorsque les États-Unis ont
lancé la proposition d’une Organisation des États américains (OEA). Ratifiée par vingt-et-un
pays en 1948 à Bogota, la Charte de l’OEA a permis à Washington de s’imposer comme
référent en matière de sécurité dans la région. D’après Andrès Serbin, « l’OEA entérinait
traditionnellement, implicitement ou explicitement, les décisions unilatérales et les
interventions des États-Unis dans la région »144
: l’invasion de la Baie des Cochons en 1961,
l’intervention militaire en République Dominicaine en 1965, l’invasion de la Grenade en
1983, et enfin celle du Panama en 1989. Il faut cependant reconnaître à l’OEA un rôle positif
lors de la vague de démocratisation dans la région et dans la prévention des atteintes aux
droits de l’Homme avec la mise en place de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme,
une des premières du genre.
Dans le contexte de ce début de 21ème
siècle, l’OEA présente surtout l’inconvénient d’être le
forum par lequel les États-Unis apportent leur soutien inconditionnel à la Colombie145
. Or, la
Colombie peut être considérée comme le substrat de la présence et de l’influence de
Washington en Amérique du Sud. Un rapide historique s’impose. Les deux pays ont bâti une
collaboration militaire très poussée, motivée pour la Colombie par les menaces auxquelles elle
est confrontée sur le plan intérieur. Pour les États-Unis il s’agit surtout de garder un pied en
Amérique du Sud, un continent où il n’a plus l’emprise d’antan. À la différence de la majorité
des États sud-américains de cette époque, le pouvoir en place à Bogota est idéologiquement
compatible avec la vision de Washington. Uribe est un homme de droite, qui a toujours
accueilli favorablement les projets américains de zone de libre-échange. Sur le plan militaire,
la coopération entre les deux pays s’est intensifiée à partir de 1999 et la mise en place du Plan
colombien pour la paix (Plan Colombia para la paz). Ce plan, élaboré par Bill Clinton et
Andres Pastrana et prolongé par le tandem George W. Bush/Alvaro Uribe, consistait
initialement en une opération de lutte contre le narcotrafic articulée autour de plusieurs types
144
Andrés Serbin, « Multipolarité, leaderships et institutions régionales : les défis de l’UNASUR face à la
prévention des crises régionales », In Isabelle Vagnoux & Daniel Van Eeuwen(Dir.), Les relations
interaméricaines en perspective : entre crises et alliances, Edition de l’Institut des Amériques, 2010 145
Augusto Varas, « Brazil in South America: from indifference to hegemony », Comment, Fundación para las
Relaciones Internacionales y el Dialogo Exterior (FRIDE), mai 2008, p.1
74
d’actions : renforcement des infrastructures judiciaires (state-building), aide aux paysans et
encouragement aux cultures de substitution, développement et protection des droits de la
personne, aide aux réfugiés, équipement militaire et entraînement des soldats et policiers
engagés dans la lutte contre la drogue et les FARC. Dix ans plus tard, c’est bien ce dernier
volet militaire qui a pris le pas sur les autres initiatives que comportait le plan. La Colombie
aurait ainsi reçu près de 6 milliards de dollars d’aide de la part des États-Unis pour ses
dépenses militaires. Cette relation constitue clairement un obstacle pour la stratégie régionale
brésilienne. De plus, avec les accessions concomitantes d’Hugo Chavez à la présidence
vénézuélienne et de Georges W. Bush à la Maison Blanche, l’OEA est devenu le théâtre de
joutes verbales et d’affrontements rhétoriques, compliquant la mise en place de discussions
constructives sur les nombreux enjeux sécuritaires (FARC, narcotrafic) de l’Amérique du
Sud146
. Le leader bolivarien avait en effet basé sa politique étrangère sur « la lutte contre
l’impérialisme américain », tandis que les faucons républicains de Washington hésitaient à
classer Caracas comme l’une des capitales de « l’axe du mal ».
Persuadé qu’une Amérique du Sud stable et débarrassée de l’influence américaine
demeurerait un vœu pieux tant que la Colombie recevrait le soutien inconditionnel des États-
Unis et que la sécurité de la région se jouerait dans le cadre de l’OEA, Lula proposa à ses
partenaires de mettre sur pied une instance consultative de coopération et de coordination en
matière de défense. Son ministre de la défense, Nelson Jobim, se lança alors dans une tournée
sud-américaine pour convaincre les gouvernements voisins du bien-fondé de cette initiative.
L’idée de départ était de créer le CDS en même temps que l’Unasur, mais elle fut rapidement
abandonnée. En effet, alors que le concept de l’Unasur remportait tous les suffrages, le CDS
suscitait l’incrédulité des gouvernements colombien et péruvien. Uribe était particulièrement
opposé à cette proposition. Il faut dire que le pays venait de traverser en mars 2008 une grave
crise diplomatique avec l’Équateur et le Venezuela. Le président colombien expliquait son
choix par la préexistence de l’OEA, qui selon lui remplissait déjà les fonctions du CDS, et par
les divergences que la Colombie entretenait avec ses voisins équatorien et vénézuélien sur la
définition de « groupe armé terroriste »147
. Proposer au vote la création du CDS deux mois
après la crise andine revenait à condamner le projet. La Colombie accepta néanmoins de
participer à un groupe de travail sur le sujet. Le vote devant promulguer l’officialisation du
146
Vincent Doire, « Bilan de la politique étrangère des États-Unis en Amérique latine sous George W Bush », La
Chronique des Amériques, Centre d’études interaméricaines de l’Université de Laval, septembre 2007, p.4 147
Héctor Luis Saint-Pierre, « La defensa en la política exterior del Brasil: el Consejo Suramericano y la
Estrategia Nacional de Defensa », Instituto Real Elcano, 7 octobre 2009, p.16
75
CDS fut donc découplé de la signature du Traité constitutif de l’Unasur. Celui-ci intervint
quelques mois plus tard, une fois les esprits refroidis. La déclaration finale consacrant la
naissance du CDS fut signée lors du Sommet extraordinaire de l’Unasur à Costa do Sauipe, au
Brésil, le 16 décembre 2008. Les principaux protagonistes de la crise andine, l’Équateur et la
Colombie y trouvèrent des motifs de satisfaction, avec pour le premier la mention du « strict
respect de la souveraineté, l’intégrité et l’inviolabilité territoriale des États », et pour la
deuxième le « rejet de la présence ou de l’action de groupes armés hors la loi »148
. L’objectif
déclaré du CDS est la résolution des conflits, notamment par la création d’un forum destiné à
promouvoir le dialogue entre les ministères de la défense de chacun des pays membres. La
première réunion des ministres de la défense eut lieu les 9 et 10 mars 2009.
Ce nouvel organe de l’Unasur s’inscrit clairement dans la stratégie d’hégémonie consensuelle
brésilienne. Au-delà de la stabilité que celui-ci doit établir au profit de tous, on y retrouve
également des traces de l’intérêt particulier brésilien. Témoin, la directive « Stimuler
l’intégration de l’Amérique du Sud » de la Stratégie de Défense Nationale brésilienne :
« Cette intégration ne contribuera pas seulement à la défense du Brésil, mais elle permettra
également de stimuler la coopération militaire régionale et l’intégration des bases
industrielles de défense. Elle écartera les risques de conflits au sein de la région, tous les
pays vont tous en direction de la construction de l’unité sud-américaine. Le Conseil de
Défense Sud-américain, actuellement discuté dans la région, créera un mécanisme consultatif
qui permettra d’éviter les conflits et de promouvoir la coopération militaire régionale et
l’intégration des bases industrielles de défense, sans la participation de pays étranger à la
région »149
. Cette dernière sentence est éloquente : derrière le maintien de la stabilité dans la
région, il s’agit aussi de tirer un trait définitif sur la doctrine Monroe. Un dessein qui doit se
réaliser en deux parties : premièrement en mettant un terme aux relations privilégiées entre
Bogota et Washington, et deuxièmement, en démontrant que les pays sud-américains sont
capables de prendre en main leur propre sécurité, pour éviter que les États-Unis ne s’ingèrent
dans les affaires régionales.
La divulgation en août 2009 de tractations secrètes entre la Colombie et les États-Unis pour la
mise à disposition de bases militaires, fait office de baptême du feu pour le CDS. Un Sommet
148
Olivier Dabène, « L’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR), Le nouveau visage pragmatique du
régionalisme sud-américain », Amérique Latine, Political Outlook, Observatoire Politique de l’Amérique latine
et des Caraïbes (OPALC), IEP de Paris, 2010, p.2 149
Stratégie de Défense Nationale, Ministère de la Défense brésilien, p.17
76
extraordinaire est préalablement convoqué à Bariloche, le 28 août 2009. Les chefs d’États de
l’Unasur décident de « renforcer l’Amérique du sud comme zone de paix, s’engageant à
établir un mécanisme de confiance mutuelle en matière de défense et de sécurité » et
« réaffirment que la présence de forces militaires étrangères ne peut, avec ses moyens et
ressources liés à ses objectifs propres, menacer la souveraineté et l’intégrité d’une nation
sud-américaine et en conséquence la paix et la sécurité de la nation ». Chavez obtient que
soit insérée dans la déclaration une convocation ultérieure du CDS pour que toute la lumière
soit faite sur la teneur de cet accord.
La réunion du CDS du 15 septembre 2009 à Quito voit la Colombie sur le point de quitter
l’Unasur. Sous la pression de ses partenaires du CDS, qui lui signifient qu’ils n’accepteront
pas l’ingérence de son allié américain dans les affaires militaires sud-américaines, la
Colombie est contrainte de dévoiler les dessous de ses négociations avec les États-Unis.
L’accord en question devait octroyer à ces derniers un bail de 10 ans renouvelable sur sept
bases militaires colombiennes. L’Équateur venait en effet de décider par l’intermédiaire de
Rafael Correa de ne pas renouveler celui de la base de La Manta, alors seule base US en
Amérique Latine. Washington et Bogota ont eu beau expliquer qu’il s’agissait d’une avancée
dans la lutte contre le narcotrafic et la guérilla armée, certains éléments révélés contredisaient
cette version. Les bases devaient en effet être aménagées de façon à pouvoir recevoir les très
gros porteurs militaires C-17 de l’US Air Force ainsi que des appareils de reconnaissance
Awacs. Autant dire des moyens militaires disproportionnés et inadaptés à la lutte antidrogue.
Uribe exige en contrepartie de la publication de son accord avec Washington, des détails sur
les contrats militaires signés par certains pays avec des puissances étrangères (en d’autres
termes le Venezuela et la Russie)150
. Réuni une nouvelle fois le 27 novembre le CDS adopte
alors une importante résolution, posant les bases d’un dispositif de confiance et de sécurité
commune qui comprend un volet d’échanges d’information et de transparence et une
coordination des actions.
À travers cette séquence diplomatique, le CDS a rempli les objectifs que le Brésil attendait
d’une telle plateforme. Premièrement, il a réussi à s’imposer comme le forum de résolution de
crise de référence au détriment de l’OEA. Deuxièmement, un pas significatif a été fait en
direction de la stabilité régionale grâce à la mise en place des « procédures de mesures de
150
Olivier Dabène, « L’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR), Le nouveau visage pragmatique du
régionalisme sud-américain », op. cit. p.3
77
promotion de la confiance et de la sécurité ». Ce mécanisme de partage d’informations sur les
dépenses militaires du CDS rencontre davantage de succès que celui de l’OEA. Ainsi Hugo
Chavez, en réponse à l’inquiétude de ses voisins sur les contrats de fournitures d’équipement
militaire passés avec la Russie en 2007151
, a annoncé qu’il ne voyait pas d’inconvénient à
divulguer toutes les données de ces contrats devant l’Unasur. De son côté, la Colombie
propose un visage plus conciliant, notamment depuis l’élection de Juan Manuel Santos, qui se
montre plus enclin qu’Uribe à discuter avec ses voisins équatorien et vénézuélien de la lutte
contre les FARC.
Là encore, ce coup diplomatique de Lula est à mettre en partie au crédit d’une conjoncture
politique favorable, la vague d’élections de leader de gauche en Amérique du Sud, hostiles à
la présence américaine, ayant facilité l’adoption d’un consensus face à l’attitude de la
Colombie. À noter, bien que cela dépasse un peu le cadre chronologique de notre étude, que
des développements du CDS sont à prévoir. La coopération militaire pourrait prochainement
aller au-delà des simples échanges d’informations. Si le projet d’alliance militaire sur le
modèle de l’OTAN proposé par Hugo Chavez n’a pas séduit outre mesure les dirigeants sud-
américains, une autre piste semble davantage prometteuse. En effet le Brésil envisagerait de
mettre en place une industrie de défense sud-américaine. D’après Hal Brands, « combined
with Brazil’s growing technological capabilities, progress on this front will allow Brasilia to
become a major supplier to South American militaries, with all the influence that entails »152
.
Une façon de s’émanciper encore un peu plus des États-Unis, un des principaux fournisseurs
d’équipement militaire de la région.
2. Une confirmation de la dérive du système international vers un modèle
multipolaire
Pour construire sa zone d’influence dans un hémisphère dominé par les États-Unis, le
Brésil s’est appuyé sur une stratégie de soft balancing, soit la même qu’il subit à l’intérieur de
l’Amérique du Sud. Cette extension traduit le relatif déclin des États-Unis et nous donne un
aperçu des traits d’un éventuel système multipolaire. Néanmoins, les États-Unis restent l’État
dominant d’un système international contemporain qu’Huntington qualifie d’uni-multipolaire.
151
« Entre 2005 et 2007, Caracas a passé avec Moscou douze contrats d’armements d’un montant de 4,4 Mds de
$, lui achetant notamment vingt-quatre avions de chasse Sukhoï, cinquante hélicoptères de combat et cent-mille
kalachnikov ». Source : Bruno Muxagato, « Un parfum de guerre froide en Amérique latine : l’arrivée de la
russie dans le ‘pré carré’ des États-Unis », Diplomatie magazine, n°38, mai-juin 2009, p. 30-37. 152
Hal Brands, « Dilemmas of brazilian grand strategy », SSI Monograph, Strategic Studies Institute (SSI), août
2010, p.50
78
Par conséquent, pour autant que le Brésil ait pu s’émanciper, il lui faut continuer de coopérer
avec Washington.
a. Une intégration régionale partiellement construite sur le rejet de
Washington
Comme le rappelle Hal Brands,
« The United States is widely (if perhaps debatably) assumed to be in relative decline;
a range of second- and third-tier powers are jockeying for greater influence. It is now
common to hear that the world is moving toward a ‘post-American’ age, that we have
reached the ‘end of American exceptionalism’ or ‘the end of American hegemony’—
the common themes in these assessments being the ebbing of U.S. supremacy and the
rise of a new class of powers that will rival Washington for influence in the 21st
century »153
.
L’expérience ratée de la ZLEA était clairement une première expression des nouvelles limites
de l’influence de Washington dans la région. Le développement de l’intégration régionale qui
s’en est suivie en est une autre.
La construction d’une région est l’élément central de la diplomatie brésilienne depuis l’arrivée
de Lula au pouvoir. Or « Brazil simply cannot achieve the increased influence it seeks […] in
South America […] without weakening that of the dominant power in these environments »154
.
Par conséquent, la construction de la région sud-américaine comme pôle s’est autant bâtie sur
un sentiment d’appartenance à une identité commune que sur un certain rejet de l’influence
américaine. La politique régionale brésilienne se nourrit de cette dualité. En effet, même s’il
existe des points communs entre le Brésil et le reste de l’Amérique du Sud (le passé colonial,
les valeurs catholiques, les racines ibériques, qui constituent le « we-feeling », c’est-à-dire un
sentiment d’appartenance à un groupe social fondé sur des valeurs communes), nous pensons
que ce sentiment communautaire s’appuie davantage encore sur ce que Daniel Flemes définit
comme une identité collective négative155
.
« A ‘negative collective identity’ or ‘they-feeling’ can be identified by demarcating
common positions from external actors, and in this connection especially from the
USA. The collective refusal of the unilateral policies of Washington, the disapproval of
the concepts of rogue states and preventive wars as well as the critical attitude of most
153
Ibid. 154
Ibid. 155
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order », op. cit. p.12
79
South American states towards the non-participation of the USA in the regularisation
of the international environmental- (Protocol for Climate Protection from Kyoto) and
human rights policy (International Criminal Court of Justice) strengthen the unity of
the group of nations ».
C’est ce qui explique également pourquoi le Brésil s’est attaché à affirmer son leadership dans
un espace géographiquement plus restreint que l’Amérique latine, région composée d’États
hispanophones et situés en semi-périphérie ou périphérie du système mondial de production.
Brasilia a en effet préféré concentrer ses efforts sur l’Amérique du sud, plus éloignée de
l’influence de Washington et débarrassée du Mexique, qui aurait alors été un encombrant
concurrent. Celui-ci présentait en effet deux inconvénients. Premièrement son poids
économique et démographique risquait de réduire l’importance de celui du Brésil, ce qui
aurait constitué un handicap dans sa quête de leadership. Deuxièmement, c’est un allié de
longue date des États-Unis et se lancer dans une coopération régionale avec le Mexique
revenait à prendre le risque que les États-Unis l’utilisent comme cheval de Troie. Pour les
diplomates brésiliens, la politique étrangère du Mexique est d’ailleurs un contre-modèle. En
effet pour ces derniers, le Mexique a sacrifié son indépendance en ralliant l’Accord de Libre
Échange Nord-Américain (ALENA) alors que pour les brésiliens l’autonomie est le meilleur
moyen de faire face à la globalisation. L’Amérique du Sud présentait également l’avantage de
découpler le projet régional de l’identité latino-américaine, dans laquelle le Brésil n’aurait pas
été aussi prépondérant.
Le Brésil a pu capitaliser sur cette identité collective négative en mettant sur pied une
stratégie de soft balancing contre les États-Unis. L’opposition à la ZLEA et surtout la création
du CDS s’inscrivent dans cette démarche. Nous avons abordé la stratégie de soft balancing en
première partie, pour décrypter les agissements de certains États sud-américains à l’encontre
des intérêts brésiliens. Pour rappel, il s’agit d’une stratégie intermédiaire menée par un État A
dont l’objectif est de contrecarrer la politique étrangère d’un État B hégémonique en usant de
moyens non-militaires, encadrés par les règles du système international. Thazha Varkey Paul
définit trois préconditions pouvant mener un État à engager une stratégie de soft balancing156
.
Dans l’ensemble, ces trois préconditions sont remplies dans le cadre des relations américano-
brésiliennes :
156
Ibid.
80
- Premièrement « the hegemon’s power position and military behavior are of growing
concern but do not yet pose a serious challenge to the sovereignty of second‐tier
powers ». L’arrivée au pouvoir de George W. Bush s’est effectivement traduite par
une attitude belliqueuse sur le plan international notamment dans le « Très Grand
Moyen Orient »157
(Afghanistan, Irak). L’Amérique du Sud est quant à elle restée en
dehors du viseur de Washington, alors même que la nature du régime chaviste en
faisait un candidat tout désigné pour être rangé dans le camp de « l’axe du mal ». La
réactivation de la 4ème
flotte de l’US Navy158
en avril 2008, officiellement pour lutter
contre le narcotrafic et alors que celle-ci avait été désarmée peu après la seconde
Guerre Mondiale, a cependant semé le trouble au Brésil. Nul doute que cette décision
de Washington a involontairement légitimé les efforts brésiliens pour mettre sur pied
le CDS, symbole du soft balancing brésilien.
- Deuxièmement, « the dominant state is a major source of public goods in both the
economic and security areas that cannot simply be replaced ». Même si les officiels
brésiliens reconnaissent que leur pays a bénéficié de la Pax Americana et adhèrent à
l’économie de marché, ils perçoivent toujours le système international actuel comme
préjudiciable à leur intérêt national en particulier au développement de leur économie.
L’échelle régionale constituait dès lors un terrain idéal pour mettre en place des biens
publics alternatifs, en témoigne la mise en place du CDS censé devenir l’organisation
garante de la stabilité régionale au détriment de l’OEA.
- Troisièmement, « the dominant state cannot easily retaliate either because the
balancing efforts of others are not overt or because they do not directly challenge its
power position with military means ». Là encore, le CDS ne se présente pas comme
une alliance anti-américaine. Son objectif avoué est de contribuer au maintien de la
paix et à la stabilité régionale. Par conséquent, les États-Unis peuvent difficilement
protester contre cette prise de responsabilité des États sud-américains.
En dehors du rejet de la ZLEA et de la mise en place du CDS, on peut recenser d’autres
épisodes de la manifestation de ce soft balancing lors de la dernière décennie. Sous Cardoso
déjà, le Brésil avait refusé, au début des années 2000, l’utilisation de ses bases militaires à
Washington. Avec Lula, l’affirmation du leadership régional fut logiquement accompagnée
157
D’après le nom que les néo-conservateurs américains utilisaient pour désigner leur projet de remodelage de
cette région s’étendant du Maghreb à l’Afghanistan. 158
Dont la zone d’activité couvre l’Atlantique Sud et le Pacifique Sud, soit les deux océans bordant l’Amérique
du Sud.
81
d’une fréquence plus élevée de ces manifestations. Le Brésil a ainsi encouragé plusieurs États
d'Amérique du sud dans leur refus de participer à la coalition internationale que levait les
États-Unis pour aller en Irak en 2003159
. Dans le cadre du conflit civil colombien le Brésil a
également refusé que les avions militaires américains participant aux opérations militaires de
l’armée colombienne entrent dans l’espace aérien brésilien. De même, depuis son arrivée au
pouvoir, Lula réclame la fin de l’embargo sur Cuba. Cette tactique s’est avérée payante
puisque même s’il leur arrive encore de contester son leadership, les voisins du Brésil ont
intégré le concept régional d’Amérique du Sud. De fait l’ensemble des gouvernements sud-
américains bâtissent désormais leurs politiques étrangères en fonction de la région.
De leur côté, les États-Unis ont eux aussi mis en œuvre des stratégies visant à entraver
l’ascension brésilienne notamment en matière d’industrie militaire. Ainsi, le CDS doit
permettre à long terme au Brésil de mettre sur pied une industrie de défense régionale. Celle-
ci lui permettrait de devenir un important fournisseur d’équipement militaire en Amérique du
Sud. Il essaye notamment d’accroitre ses capacités industrielles et son indépendance en
insérant des clauses de transfert de technologie dans ses contrats d’armements. En effet pour
le moment une partie de cette industrie est limitée par l’importation de pièces d’origine
américaine. Ainsi, lorsque le Brésil a voulu vendre des Super Tucanos 14 au Venezuela, le
Congrès américain a interdit aux industriels américains de fournir les pièces nécessaires à leur
fabrication.
Au confluent de la logique de rééquilibrage guidant la politique régionale brésilienne et du
déclin de l’influence américaine se dessine dans l’hémisphère occidental une bipolarité
naissante. Les États-Unis et le Brésil ne partagent plus une logique de pure coopération :
certains auteurs évoquent une « compétition de basse-intensité »160
, d’autres une
« confrontation cordiale »161
. Le concept de coopération antagonique, développé par Ruy
Mauro Marini pour décrire les relations américano-brésiliennes sous la dictature militaire162
,
vient également à l’esprit. Pourtant le Brésil a plus d’intérêts en commun avec les États-Unis
que le bilan que nous venons de dresser le laisse à penser.
159
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world » op. cit. p.8 160
Julia E. Sweig « A new global player », op. cit. 161
Daniel van Eeuwen, « les relations Washington-Brasilia entre bipolarité conflictuelle et ‘rivalité cordiale’ »
op. cit. 162
Cf. supra le paragraphe consacré à la définition historique du sous-impérialisme.
82
b. L’obligation de maintenir des liens avec la première puissance mondiale
Le tableau des relations américano-brésiliennes que nous venons de dépeindre est assez
pessimiste. Il illustre pourtant la compétition dans laquelle les deux pays se sont lancés.
Cependant il existe des domaines dans lesquels la coopération entre les deux États a progressé
lors des dix dernières années. En effet la stratégie de soft balancing n’implique pas de rompre
ses relations avec l’État dont on cherche à réduire l’influence. Dans un contexte
d’interdépendance généralisée, il subsiste entre le Brésil et les États-Unis des intérêts
communs pouvant susciter une coopération profitable aux deux parties. Mais ces engagements
sont sélectifs. En effet, d’un côté le Brésil ne fait pas confiance aux États-Unis car sa politique
étrangère révisionniste est dominée par « a pervasive sense of danger »163
, de sorte que la
coopération reste limitée. D’un autre côté, les brésiliens sont conscients qu’ils ne peuvent
s’aliéner les États-Unis et qu’il est donc impératif de maintenir le dialogue avec eux. Ainsi
Marco Aurélio Garcia déclarait en 2008 :
« Je ne pense pas que nous soyons dans une période de tension avec les États-Unis,
c'est plutôt le contraire. Je crois même que nous devrions tout faire pour calmer le jeu.
Je sais que ce n'est pas facile, qu'il existe une rhétorique anti-américaine très forte
dans notre région, cependant nous sommes amenés, que nous le voulions ou non – à
cohabiter. Nous nous trouvons dans la même région du monde et je pense que nous y
gagnerions tous si nous pouvions arriver à une relation de bon voisinage »164
.
Les deux pays ont beaucoup à gagner d’une coopération active notamment sur le plan
énergétique, mais celle-ci peine à se mettre en place. Ainsi le Brésil est en passe de devenir un
important exportateur énergétique tant pétrolier qu’en biocarburants. Il est en effet le
deuxième producteur mondial d’éthanol derrière les États-Unis. Mais là où l’éthanol
américain est à base de maïs, la « recette » brésilienne est élaborée à partir de canne à sucre.
Les deux modèles sont en concurrence, et bien que la production américaine ne soit pas
autosuffisante, les États-Unis ont mis en place des droits de douane prohibitifs pour favoriser
leur production : le montant de ces derniers s’élève à 54 cents par gallon d’éthanol. Un
premier pas vers une collaboration plus poussée a néanmoins été réalisé en 2007 puisque lors
de sa venue à Brasilia George W. Bush avait signé un mémorandum de coopération
scientifique sur le sujet.
163
Hal Brands, « Dilemmas of brazilian grand strategy », op. cit. p.11 164
Marco Aurélio Garcia, entretien accordé à l’édition brésilienne du Monde diplomatique, op. cit.
83
Au-delà de l’aspect économique, ce type d’accord bilatéral devrait permettre de réduire
l’influence de la pétro-diplomatie vénézuélienne dans la région. Car en matière diplomatique,
les américains pensent partager un rival commun avec Brasilia. Leurs mobiles sont variés,
parfois partagés. Pour les États-Unis, la diatribe anti-impérialiste du leader bolivarien est une
menace pour ses intérêts en Amérique latine. Pour le Brésil, comme nous l’avons vu
précédemment, le Venezuela représente un point de fixation pour les États souhaitant
manifester leur désaveu à l’affirmation de son leadership régional. Enfin pour l’un comme
pour l’autre, Chavez représente une potentielle menace pour la stabilité du continent,
notamment en raison de son antagonisme avec la Colombie. Bien que les relations se soient
apaisées depuis l’élection de Juan Manuel Santos, les crises andines de 2008 et 2009 sont trop
récentes pour pouvoir affirmer que tout risque de tension est écarté. Comme le souligne Hal
Brands « With respect to the contemporary setting in Latin America, both Brazil and the
United States have a vested interest in containing authoritarian populism and seeing that
Chávez does not emerge as the preeminent regional statesman »165
.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Washington ne voit donc pas d’un si mauvais œil
l’apparition de structures régionales dominées par le Brésil même si celles-ci se construisent
au détriment de leur influence. En effet d’après Zbigniew Brzezinski « Puisque la puissance
sans précédent des États-Unis est vouée à décliner au fil des ans, la priorité géostratégique
est donc de gérer l’émergence de nouvelles puissances mondiales de façon à ce qu’elles ne
mettent pas en péril la suprématie américaine »166
. Les États-Unis pourraient donc se
satisfaire du rôle d’État pivot qu’est en train d’endosser le Brésil en Amérique du Sud. En
effet, du point de vue américain mieux vaut privilégier l’émergence de puissances partageant
un certain nombre de valeurs communes, comme la confiance dans l’économie de marché, un
régime démocratique ou encore le respect du droit international. De plus, en s’octroyant le
rôle de stabilisateur régional, le Brésil déleste les États-Unis du fardeau du maintien de la
sécurité en Amérique du Sud.
De son côté le Brésil ne souhaite pas entrer dans un schéma d’opposition frontale avec la
Maison Blanche, et cherche donc à encadrer l’action diplomatique vénézuélienne. D’abord
parce les États-Unis constituent un marché stratégique pour l’économie brésilienne (15% de
ses exportations, 3ème
plus grand marché à l’exportation derrière la Chine et l’Union
165
Hal Brands, « Dilemmas of brazilian grand strategy », op. cit. p.11 166
Barbara Marque « Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes », op. cit. p.11
84
Européenne), et qu’en cas de velléités trop appuyées à l’encontre de Washington, des mesures
de rétorsion seraient à craindre. S’il est vrai que le Venezuela continue d’exporter son pétrole
en direction des États-Unis malgré les tensions diplomatiques, il ne faut pas oublier que le
pétrole est une ressource à part, et que Washington pourrait difficilement se priver d’une
source abondante et située hors de la péninsule arabique lui permettant de diversifier son
approvisionnement. Le Congrès américain aurait sans doute moins de scrupules à imposer des
sanctions douanières à l’encontre de l’agrobusiness brésilien. Enfin, dans sa quête
réformatrice des relations internationales, le Brésil a besoin du soutien de l’architecte du
système. Difficile en effet d’envisager une réforme des Nations-Unies en se mettant à dos l’un
des membres du Conseil de Sécurité. Les États-Unis ont le pouvoir d’accélérer la
reconnaissance des revendications brésiliennes pour un système international plus
représentatif notamment aux Nations Unies. Par conséquent « Brazilian diplomats will find it
extremely difficult to accomplish their major diplomatic goals […] without the cooperation or
at least the acquiescence of the United States »167
.
En conclusion, il est difficile de définir clairement les relations qu’entretiennent le Brésil et
les États-Unis. Matias Spektor plaide pour un « vide idéologique [dans la politique étrangère
brésilienne] concernant la place des États-Unis ». Des chercheurs américains comme Hal
Brands dressent dans leurs analyses le portrait d’un Brésil quelque peu paranoïaque. Pour
notre part, nous estimons que l’attitude brésilienne est en partie conditionnée par le contexte
anti-américain imprégnant l’Amérique du Sud. Celui-ci constitue un terreau facilitant sa
politique d’intégration régionale sur lequel le gouvernement Lula a capitalisé. Mais la
politique étrangère brésilienne se retrouve prise au piège de ses propres contradictions :
réclamant la reconnaissance par les États-Unis du statut de puissance régionale en Amérique
du Sud (en se positionnant comme le garant de sa stabilité), le Brésil est également tributaire
de la reconnaissance de son leadership par ses voisins. Or l’intégration des éléments anti-
impérialistes que sont le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur, l’amène à renforcer lui-même
son attitude anti-américaine, dans l’espoir que ceux-ci acceptent son leadership : le
gouvernement brésilien se retrouve donc face à une équation difficilement solvable. Le Brésil
donne davantage l’impression de se laisser entraîner sur le terrain de l’anti-américanisme que
de s’imposer comme une force de modération en Amérique du Sud. Les catilinaires des
gouvernements radicaux sud-américains contre les « yankees » restent en effet monnaie
167
Hal Brands « Dilemmas of brazilian grand strategy », op. cit. p.53
85
courante. Par conséquent, le Brésil doit prendre garde à ne pas se laisser dépasser par ses
partenaires sud-américains alors que sa politique révisionniste commence tout juste à porter
ses fruits. Sa soif de réformes reçoit en effet depuis peu l’attention de Washington
puisqu’Hilary Clinton, Secrétaire d’État américaine déclarait en février 2011 :
« We very much admire Brazil’s growing global leadership and its aspiration to be a
permanent member of the United Nations Security Council. We look forward to a
constructive dialogue with Brazil on this issue during President Obama’s trip and
going forward. We believe that there are many, many areas of leadership
multilaterally that Brazil will be demonstrating, and we want to support those
efforts »168
.
168
Samuel Bodman, James Wolfensohn, Julia Sweig (Dir.), « Global Brazil and U.S.-Brazil Relations », op. cit.
p.47
86
B. Une politique étrangère au service de l’édification d’un pôle régional
Insatisfait de sa place dans le système international actuel, le gouvernement brésilien
cherche depuis l’élection de Lula à réviser celui-ci afin de le rendre plus représentatif de
l’ordre multipolaire émergent dont il pense être un acteur à part entière. Entre autres, le Brésil
souhaite introduire davantage de multilatéralisme dans les instances décisionnaires
internationales. Sa prétention à obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations
Unies en est l’illustration la plus criante. Selon le raisonnement binaire de la diplomatie
brésilienne, un multilatéralisme accru doit renforcer l’autonomie du pays, ce qui, à terme lui
permettra d’accélérer son développement en influant la prise de décisions favorables à son
économie.
D’après Daniel Flemes, l’actuel système uni-multipolaire préfigure le futur système
multipolaire : celui-ci sera soit « a concert of great powers », soit « a multiregional world
order » c’est-à-dire organisé soit autour de pôles étatiques, soit autour de pôles régionaux
constitués autour de puissances régionales. Il est également possible que le système soit une
combinaison de ces deux schémas. La Chine est d’ores et déjà une grande puissance réduisant
l’influence des États-Unis dans le système international. À l’inverse l’Union Européenne est
la seule région fonctionnelle à s’imposer comme un pôle consistant, notamment au niveau
commercial, mais aussi à l’échelon institutionnel, avec la mise en place d’un service
diplomatique commun. La politique d’intégration sud-américaine menée sous Lula laisse à
penser que le Brésil fait le pari d’un pôle régional organisé autour de son leadership pour
réussir son insertion dans le futur système international (1). Cependant il n’est pas exclu,
devant les difficultés qu’il rencontre pour imposer son leadership, que le Brésil soit contraint
de procéder à une analyse critique de sa stratégie régionale, celle-ci pouvant déboucher sur
deux options diamétralement opposées (2).
87
1. La région, facteur multiplicateur de puissance
Proclamant publiquement ses ambitions globales, le Brésil est une puissance au statut
incertain. Nous allons essayer de lever le flou sur sa position dans le système international
actuel. Cette première étape est un préalable nécessaire pour vérifier la véracité de notre
hypothèse d’un éventuel lien entre la politique régionale du Brésil et sa stratégie d’insertion
internationale.
a. Une puissance au statut incertain mais aux ambitions globales
Pour les décideurs politiques brésiliens, la mutation du système international est
l’occasion pour le pays de progresser dans la hiérarchie globale des puissances. Nelson Jobim,
ministre de la défense sous Lula déclarait ainsi en 2009, « Brazil must think big. This is the
moment in which it’s necessary to be audacious in order to advance […] There is no longer
any possibility of asking Brazil, on the international stage, to take positions that run contrary
to its interests »169
.
Cependant, on peut s’interroger sur la capacité d’impact systémique du Brésil pour imposer sa
vision d’un ordre international plus démocratique et plus favorable à son intérêt national.
Dans notre démarche intellectuelle initiée en première partie170
, nous nous appuyions sur le
postulat de Douglas Lemke selon lequel la puissance d’un État s’analyse sur une série de
hiérarchies parallèles et superposées. Reprenant ce schéma d’analyse, nous allons évaluer le
statut de la puissance brésilienne à l’échelle globale. Cela nous permettra de déterminer
l’aptitude du Brésil à s’insérer efficacement comme acteur dominant du futur système
multipolaire171
. Pour construire son raisonnement Lemke a emprunté à Organski sa pyramide
des puissances que ce dernier employait dans sa « Power Transition Theory ». Nous adhérons
à cette vision hiérarchique des relations internationales au détriment du modèle anarchique.
De fait, Organski divisait les États selon quatre catégories de puissance. Au sommet du
système se trouve une superpuissance, disposant des plus grandes ressources matérielles et
dominant les autres États. Viennent ensuite les grandes puissances, « a collection of potential
rivals to the dominant state and who share in the tasks of maintaining the system and
controlling the allocation of power resources »172
. À l’échelon inférieur, on retrouve les
169
Hal Brands, « Dilemmas of brazilian grand strategy », op. cit. p.2 170
Sur la place du Brésil dans la hiérarchie régionale. 171
Sachant que celui-ci sera soit un concert de grande nation ou un ordre multirégional, il faut que le Brésil
devienne soit une grande puissance, soit le leader d’une région relativement bien intégrée. 172
Ronald L. Tammen, Power transitions: Strategies for the 21st century, Seven Bridges Press, 2000
88
puissances moyennes, « unable to challenge the dominant state or the system structure »173
.
Enfin au bas de la pyramide se trouve la catégorie des petites puissances, qui regroupe par
défaut les États restants. En tant que réaliste, Organski s’appuie essentiellement sur des
critères d’ordre matériel, les « power resources ». Une approche aujourd’hui insuffisante
comme nous l’avons précédemment démontré174
et qui nous contraint à rechercher des
définitions plus modernes des différentes catégories de puissance, intégrant notamment des
composantes plus informelles. De fait, nous ne faisons que reprendre le squelette typologique
d’Organski. Procédant par déduction, nous reprenons dans l’ordre décroissant les catégories
de puissances, afin de situer la position du Brésil dans cette hiérarchie.
Sans trop perdre de temps, nous pouvons déjà affirmer que le Brésil n’est pas une
superpuissance et qu’il ne le deviendra jamais. Dans le système uni-multipolaire
contemporain les États-Unis demeurent au sommet de la pyramide des puissances. Mais,
conséquence de leur déclin, cet échelon est logiquement appelé à disparaître dans un monde
multipolaire. Vraisemblablement, il n’y aura pas à l’avenir de « lonely superpower » au
sommet du système international. Pour autant, cela ne veut pas dire que les futurs pôles seront
égaux en puissance. La Chine et les États-Unis auront probablement un ascendant sur les
autres pôles en raison de leurs atouts respectifs : commercial et démographique pour la
première, militaire pour les seconds.
La catégorie des grandes puissances est en revanche digne de susciter notre intérêt. Le Brésil
revendique en effet ce statut de manière de plus en plus affirmée. Lula déclarait ainsi en 2003
que « le Brésil [était] prêt à assumer sa grandeur »175
. Principale expression de cette
ambition, la revendication d’un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies :
« A permanent seat would serve as a symbol of Brazil’s arrival on the global stage and permit
it to shape debates on international diplomacy and the use of force »176
. Les origines de cette
quête sont bien antérieures à l’élection de Lula. En effet, au début des années 90, le Brésil
s’allie avec le Japon, l’Allemagne et l’Inde pour former le Groupe des 4 (le G-4) et réclamer
une réforme de l’Organisation des Nations Unies. D’après l’argumentaire du G-4, l’ordre
établi par les vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale n’a plus de raison d’être au regard
des évolutions qu’a connu le système international, un discours qui a gagné en légitimité au fil
173
Ibid. 174
Cf. supra le paragraphe intitulé « Une nouvelle approche de la puissance régionale » 175
Hal Brands, « Dilemmas of brazilian grand strategy », op. cit. p.6 176
Ibid.
89
des années. En effet « This arrangement distorts current geopolitical realities and keeps
latecomers like Brazil, India, and Japan from rising to the top echelon of international
politics »177
.
Selon Daniel Flemes, « great powers are those states that, through their great economic,
political and military strength, are able to exert power over world diplomacy »178
. Le Brésil
dispose-t-il d’un tel statut ? D’après Andrew Hurrell, il existe quatre critères permettant
d’identifier une grande puissance :
- Premièrement, « the capacity to contribute to the international order ». Le Brésil via
la création du CDS a démontré sa volonté de garantir la stabilité régionale en
Amérique du Sud. Celle-ci n’est cependant pas à l’abri de nouvelles tensions
diplomatiques entre les pays andins, par conséquent cette capacité reste à confirmer.
Néanmoins, en prenant le commandement en 2004 de la Mission des Nations unies
pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), le Brésil a mis en exergue sa capacité à
participer à des missions de maintien de la paix. Reste que cette mission est peu
éloignée de son territoire et qu’il n’est pas là non plus certain que le Brésil soit capable
de projeter efficacement de tels effectifs en dehors de l’Amérique latine et des
Caraïbes.
- Deuxièmement, « internal cohesion which allows for effective state action ». Les
institutions et le système politique brésiliens ont fait la preuve de leur solidité depuis
la transition démocratique. Cela permet au gouvernement brésilien de mener une
politique extérieure ambitieuse, comme s’attelle à le démontrer notre étude.
- Troisièmement, « economic power, such as high levels of economic growth or a large
market ». Nous avons démontré en première partie que le Brésil avait connu un essor
économique très important, bien que moins spectaculaire en termes de taux de
croissance que celui d’autres pays émergents comme la Chine ou l’Inde. Néanmoins il
est aujourd’hui la 6ème
économie mondiale et son marché intérieur avec sa classe
moyenne grandissante est un atout dans la compétition économique mondiale.
- Quatrièmement, « military power, with the ability to compete with other dominant
powers in a conventional war ». C’est ici que le bât blesse. En nous appuyant sur le
travail réalisé en première partie sur les composantes classiques de la puissance
brésilienne, nous savons que les capacités militaires brésiliennes péchaient par leur
177
Ibid. 178
Daniel Flemes, « Brazil’s vision of the future global order », op. cit. p.2
90
vétusté. Le Brésil est par conséquent incapable de projeter ses forces armées au-delà
de l’Amérique latine, et encore moins capable de rivaliser avec celles des grandes
puissances. De plus, contrairement aux autres membres des BRIC, il ne possède pas
l’arme nucléaire, marqueur d’appartenance au club des grandes puissances. Certes,
dans sa Stratégie de Défense Nationale de 2008, le Brésil annonce des investissements
importants en matière d’équipement militaire, mais une grande partie a été repoussée
sine die, comme l’achat de chasseurs dernière génération. En effet la crise économique
mais aussi les importants investissements en matière d’infrastructures pour accueillir
la Coupe du Monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en
2016 ont remplacé l’achat d’équipement militaire au rang de priorité budgétaire.
Si incontestablement le Brésil s’impose comme « global trader » et est amené à jouer un rôle
de plus en plus important dans le système international dans les prochaines décennies, il
convient de tempérer l’optimisme brésilien. « Even under the most optimistic projections,
however, Brazil will not possess the economic or military capacity to compete with other
major powers—namely the United States, China, and the European Union (EU)—for decades,
if then »179
. On retrouve le même constat chez Daniel Flemes : pour le chercheur, « Brazil is
not a great power »180
.
Dans la hiérarchie des puissances établie par Organski, les puissances moyennes arrivent
immédiatement après les grandes puissances. Il existe plusieurs définitions de la puissance
moyenne, un consensus n’ayant toujours pas été dégagé autour de cette notion. Le terme de
puissance moyenne est généralement utilisé pour décrire « des États qui ne jouissent pas d’un
statut de grande puissance mais qui, néanmoins, détiennent une influence relative sur la scène
internationale »181
. De leur côté, Leslie Armijo et Sean Burges considèrent comme puissance
moyenne « a state that few would consider a major power, yet whose total capabilities
suggest it belongs among the top-ten-plus global powers »182
. On notera la relativité
scientifique de cette définition basée sur le recensement des capacités matérielles d’un État
qui « suggèrent » son appartenance à un « top-ten-plus » tout ce qu’il y a de plus ambigu.
Au final, ces définitions établissent une notion aux contours relativement flous, ce qui ne
permet pas d’en faire une catégorie pertinente. En effet, un nombre croissant d’acteurs
179
Hal Brands « Dilemmas of brazilian grand strategy », op. cit. p.2 180
Daniel Flemes, « Brazil’s vision of the future global order », op. cit. p.3 181
Barbara Marque « Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes », op. cit. p.12 182
Leslie E. Armijo & Sean Burges, « Brazil, the Entrepreneurial and Democratic BRIC », op. cit. p.17
91
étatiques (regroupés sous le qualificatif de « pays émergents ») sont susceptibles d’être rangés
dans cette catégorie, ce qui nuit à son homogénéité. Ainsi, bien souvent, les concepts de
puissance régionale et de puissance moyenne sont confondus. Or « Regional powers and
middle powers are typically intersecting sets, but are not necessarily either equivalent or
nested. Thus Nigeria is a regional power in West Africa, but not a middle power, while
Canada, Mexico, Australia, and Indonesia are middle powers but not regional powers. Brazil,
India, and South Africa qualify as both »183
.
Certains chercheurs ont alors tenté de définir les puissances moyennes en les déconnectant
d’une approche matérialiste. Désormais c’est par leur comportement que les puissances
moyennes sont identifiées. Théoriquement les puissances moyennes auraient « the tendency to
pursue multilateral solutions to international problems, the tendency to embrace compromise
positions in international disputes, and the tendency to embrace notions of ‘good
international citizenship’ to guide diplomacy »184
. C’est ce que Robert Cox nomme le
« middlepowermanship ». Cette approche n’est pas sans rappeler le behavioralisme, approche
paradigmatique des relations internationales ayant eu son heure de gloire dans les années 60-
70. Mais cette nouvelle définition présente elle aussi un inconvénient : elle regroupe dans la
catégorie des puissances moyennes des États acceptant le statu quo du système international
(le Canada et l’Australie par exemple) et ayant adopté une stratégie de suivisme à l’égard de
la superpuissance, et ceux qui à l’inverse souhaite réformer l’ordre établi, comme les
membres de l’IBAS (Inde, Brésil, Afrique du Sud). En effet les politiques étrangères de ces
derniers, bien qu’ayant un caractère révisionniste, sont très souvent articulées autour de cette
notion de « good international citizenship ». La prise de commandement de la MINUSTAH
par le Brésil en est l’exemple type. La tentative de médiation sur le nucléaire iranien en 2009,
pour maladroite qu’elle ait été, correspond également à une recherche de compromis propre
aux puissances moyennes.
Prenant acte de l’absence d’homogénéité d’une définition unique, Eduard Jordaan a subdivisé
le concept de puissance moyenne en deux sous-catégories. Jordaan établit une série de critères
cumulatifs combinant capacités matérielles, facteurs historiques et approche behavioraliste
permettant de distinguer une « puissance moyenne traditionnelle » d’une « puissance
183
Ibid. 184
Daniel Flemes, Daniel, « Emerging middle powers’ soft balancing strategy : State and perspectives of the
IBSA dialogue forum », GIGA Working Papers, German Institute of Global and Area Studies, n°57, août 2007,
p.8
92
moyenne émergente ». Pour Jordaan une puissance moyenne traditionnelle est un pays riche,
stable, égalitaire, démocratique et peu influent au niveau régional. À l’inverse, une puissance
moyenne émergente est un pays semi-périphérique, inégalitaire, ayant connu une transition
démocratique récente et étant influent au niveau régional. À l’évidence, cette définition sied
davantage au Brésil. Surtout, toujours dans une approche behaviouraliste, Jordaan fait une
distinction entre les deux catégories de puissances moyennes en raison de leur « behavioural
differences »185
. En effet alors que les puissances moyennes traditionnelles acceptent le statu
quo dans le système international, les puissances moyennes émergentes « opt for reformist
and not radical global change ». À l’évidence le Brésil appartient à cette dernière catégorie.
En conclusion, le Brésil a toute sa place dans la catégorie des puissances moyennes
émergentes.
À partir de la définition des puissances moyennes émergentes, Barbara Marque a réussi à
dégager une stratégie d’insertion dans le système international qui leur serait a priori
commune. D’après elle, une puissance moyenne n’est en mesure de défendre ses intérêts
stratégiques que lorsque que celle-ci est parvenue à créer une conjoncture qui lui est favorable
grâce à une « stratégie multivectorielle ». Deux grands axes se dégagent de cette stratégie : la
construction d’une « unipolarité régionale » via le renforcement des processus d’intégration
et la « multiplication des sphères d’influences » sur la scène internationale afin d’accroître un
rôle de médiateur international et la reconnaissance de ce rôle. « En d’autres termes,
l’approche multivectorielle de ces puissances se base sur une institutionnalisation stratégique
des relations internationales »186
. La participation du Brésil à des forums internationaux aux
aspirations révisionnistes comme l’IBAS, le groupe des BRIC ou encore le G-4 illustrent sa
volonté de multiplier les sphères d’influence à l’échelle internationale. Concernant le volet
régional, il apparaît évident, d’après nos précédentes conclusions, que le Brésil tente de
construire une unipolarité régionale en Amérique du Sud.
b. Les avantages de l’unipolarité régionale dans un système multipolaire
Le concept d’unipolarité régionale employé par Barbara Marque ainsi que par Daniel
Flemes rejoint celui d’hégémonie consensuelle développé par Sean Burges. Au fond, les deux
notions recouvrent la même idée : celle qu’une puissance moyenne émergente comme le
Brésil se sert de son environnement régional comme d’un tremplin pour se projeter sur la
185
Ibid. 186
Barbara Marque « Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes », op. cit. p.28
93
scène internationale187
. Notre hypothèse de départ est donc confirmée : le Brésil cherche à
transcender son statut par l’obtention du leadership en Amérique du Sud. Sous Cardoso, le
leadership du Brésil, encore à l’état embryonnaire, était conçu comme le résultat de sa
prééminence économique dans la région. Il avait vocation à se limiter à la sphère régionale car
les ressources du Brésil ne lui permettraient pas de projeter sa puissance au-delà. À l'inverse,
l'administration Lula a pensé qu’une plus grande influence au niveau global pouvait être
concrétisée par une action diplomatique plus intense et par la prépondérance du pays dans la
région. Considérant que la structure du système international glisse lentement vers une
organisation multipolaire, l’influence régionale est en effet en passe de devenir un important
atout diplomatique pour les puissances moyennes émergentes. Puisque le futur système
multipolaire sera vraisemblablement articulé autour de grandes puissances (Chine, États-Unis)
et de pôles régionaux (Union Européenne), la construction d’une unipolarité régionale est
donc la solution envisagée par le Brésil pour pallier son déficit de puissance et sublimer son
rôle sur la scène internationale. En tant que leader d’un pôle régional intégré, le Brésil
bénéficierait alors de plusieurs avantages décisifs sur la scène internationale.
En premier lieu, une région stabilisée et démocratique est un formidable atout dans « the quest
for international respect »188
. Ce « respect international » fait allusion à l’image positive que
le pays cherche à renvoyer sur la scène internationale en tant que puissance régionale
exemplaire. Le Brésil acquiert cette notoriété et cette reconnaissance à travers son rôle de
médiateur en Amérique du Sud. Le fait d’avoir construit l’intégration régionale sur des bases
démocratiques (en incluant des clauses spécifiques dans les traités constitutifs du Mercosur ou
de l’Unasur) est également important pour la crédibilité du projet révisionniste brésilien. Cette
image est un atout dans la stratégie réformiste du Brésil : elle lui permet de s’afficher comme
un acteur responsable du système international et de légitimer ses revendications auprès des
puissances dominantes. Ces dernières, encore majoritairement occidentales, sont soucieuses
de promouvoir les valeurs démocratiques ainsi que la bonne gouvernance189
. Le rayonnement
187
D’après Sean Burges « At the core of the consensual hegemonic project was an attempt to precipitate a
process of region formation in South America centred on Brazil, using the collected strengths of the continent’s
individual states as a platform to improve Brazilian and South American insertion into the international system,
thereby offering some protection to national autonomy ». in Sean Burges, « Consensual hegemony : theorizing
brazilian foreign policy after the Cold War », op. cit. p.80 188
Thiago Gehre, « Brazil in South America : Lula and the quest for international respect : (2003-2010) », in.
Denis Rolland & Antonio Carlos Lessa (Dir.), Relations internationales du Brésil, les chemins de la puissance :
volume 2, aspects régionaux et thématiques, op. cit. p.51 189
Leslie E. Armijo & Sean Burges, « Brazil, the Entrepreneurial and Democratic BRIC », op. cit. p.20
94
régional a donc une incidence sur l’influence à l’échelle internationale car « une puissance
régionale reconnue acquiert visibilité et audibilité sur la scène internationale »190
.
Deuxièmement, la région peut être envisagée comme une réserve de « bargaining power »191
dans les négociations internationales. Ainsi, le Mercosur est-il ouvertement perçu par les
responsables brésiliens comme un moyen de fédérer les intérêts des autres membres autour de
positions communes. Si dans une perspective purement interne, le Mercosur est décrié en tant
que marché commun par les partenaires du Brésil en raison de la place écrasante occupée par
l’économie de ce dernier, il est en revanche fort utile pour l’ensemble de ses membres
lorsqu’il s’agit de négocier avec des pays ou blocs économiques tiers. Il s’agit tout
simplement de l’application concrète du vieux précepte « l’union fait la force ». Le Mercosur
s’est montré efficace dans les négociations sur la ZLEA et c’est aujourd’hui un bloc capable
de traiter avec l’Union Européenne. De même, dans le cadre de l’OMC, le Mercosur est un
bloc sur lequel se repose le Brésil pour les négociations multilatérales192
. L’Unasur pourrait
permettre à terme d’élargir cette assise à l’ensemble de l’Amérique du Sud.
Troisièmement, la région est un atout géopolitique majeur dans la course aux ressources
énergétiques. En effet, « Today, energy as a raw material –oil in particular but perhaps also
natural gas– has emerged as one of the most important variables in the global geopolitical
context »193
. La raréfaction des énergies fossiles et l’importance critique que sont en train de
prendre les enjeux d’approvisionnement et d’indépendance mettent en exergue la valeur des
réserves en pétrole et en gaz de la région. L’Amérique du Sud est en train de devenir au fil des
découvertes un pôle important de production d’hydrocarbures. La région concentre ainsi 8.4%
des réserves mondiales prouvées en pétrole mais ne représente que 4.6% de la demande
globale194
. À noter que les sables bitumineux de la ceinture de l’Orénoque au Venezuela, ne
sont pas pris en compte dans ces statistiques car ce sont des hydrocarbures non
conventionnels. Or l’apparition de nouvelles technologies couplée à une hausse généralisée
des cours du pétrole ont rendu l’exploitation de ces sables bitumineux profitable. On estime
les réserves de la ceinture de l’Orénoque à 220 milliards de barils, soit plus que l’Arabie
190
Barbara Marque « Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes », op. cit. p.36 191
Tullo Vigevani & Gabriel Cepaluni, « Lula’s foreign policy and the quest for autonomy through
diversification », op. cit. 192
Manuel Mejido Costaya, Peter Utting & Gloria Carrion, « The changing coordinates of trade and power in
Latin America : implications for policy space and policy coherence », op. cit. p.27 193
Paul Isbell, « Energy and geopolitics in Latin America », Working paper, Real Instituto Elcano, 11 mars
2008, p.5-6 194
Ibid.
95
Saoudite195
. À terme, la construction d’infrastructures communes via l’IIRSA permettrait à
l’Amérique du Sud de devenir une région intégrée autosuffisante et de mener une politique
énergétique commune, à l’instar de ce que l’Union Européenne tente de mettre en place. Cette
indépendance permettrait alors aux pays de la région, dont le Brésil, de poursuivre leur
développement économique sans trop se soucier de cette contrainte. De surcroît, le surplus
non consommé de cette manne serait évidemment de nature à dynamiser les exportations des
pays producteurs.
Quatrièmement, l’agrégation de puissance doit assurer au Brésil une capacité d’impact
d’ordre systémique. Le gouvernement Lula avait compris qu’il ne pouvait pas miser sur ses
seules prédispositions géopolitiques, mais qu’il devait au contraire les compléter avec les
capacités de ses voisins. Daniel Flemes considère l’agrégation de puissance comme la
capacité d’une puissance régionale à rallier ses voisins autour son projet politique196
. À
travers sa quête pour un leadership régional consensuel, le Brésil cherche à renforcer le poids
de ses revendications. En effet, le leadership consensuel « facilitates the diffusion of political
ideas and models which serve the interest of the regional power »197
. Cette diffusion est
d’autant plus aisée que dans le sillage du Brésil, c’est l’Amérique du Sud toute entière qui
émerge. Les revendications du Brésil concernant un ordre mondial plus juste et plus
démocratique sont par conséquent partagées par ses partenaires sud-américains. Les différents
projets régionaux fomentés par le Brésil ont vocation à canaliser ces revendications et à les
formaliser par des positions politiques communes. L’objectif du gouvernement Lula lorsqu’il
a créé l’Unasur, était de profiter de cette convergence d’intérêts et d’établir des liens
économiques et politiques solides avec les États sud-américains afin de créer un bloc régional
plus fort, autour de son leadership.
Cinquièmement, dans la continuité de cette logique, la région doit procurer au Brésil une
certaine représentativité. Le leadership est une relation à double sens : le leader compte sur
une base diplomatique solide caractérisée par une attitude proche du bandwagonning. En
retour, les pays d'Amérique du sud comptent sur le statut de puissance régionale reconnue du
Brésil pour porter leur parole dans les forums où celle-ci est inaudible. On peut penser
195
Ibid. 196
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order », op. cit. p.14 197
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », op. cit. p.895
96
notamment au G-20, à l’OMC, ou encore au Forum économique de Davos198
. Mais cette
représentativité a toutefois des limites. Celles-ci s’expriment particulièrement dans le débat
sur l’attribution au Brésil d’un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies au
titre de représentant régional. L’Argentine et la Colombie ont publiquement exprimé leur
désaccord. Selon elles, cela reviendrait à entériner le statut de grande puissance du Brésil et à
accentuer les asymétries régionales : des conséquences que ces pays ne sont pas encore prêt à
assumer tant que Brasilia refusera de s’engager de manière plus ferme dans la construction
régionale.
198
Leslie E. Armijo & Sean Burges, « Brazil, the Entrepreneurial and Democratic BRIC », op. cit. p.19
97
2. L’autonomie, à la fois fin en soi et frein de la stratégie brésilienne
Depuis la fin de la présidence de Lula et l’élection de Dilma Rousseff, le Brésil se
retrouve à la croisée des chemins. Devant le climat de défiance à son égard, il doit remettre en
question la façon dont il tente d’exercer le leadership en Amérique du Sud. Est-il prêt à
remettre en question sa sacro-sainte autonomie de façon à relancer le processus d’intégration
régionale et renforcer la place de l’Amérique du Sud comme pôle majeur du futur système
international multipolaire ? Ou à l’inverse, doit-il faire le pari que sa croissance économique,
son statut de monster country et un effort budgétaire sur le plan militaire suffiront à combler
le fossé qui le sépare du statut de grande puissance ?
a. La pratique de l’institutionnalisme pragmatique ou l’essoufflement du
leadership brésilien
Conformément à la description faite par Barbara Marque de la stratégie des puissances
moyennes émergentes, le Brésil pratique l’institutionnalisme stratégique à l’échelle globale,
c’est-à-dire qu’il travaille à la redéfinition « des rapports de force au sein même des enceintes
et institutions multilatérales afin de refléter au mieux [ses] intentions de déplacement du
centre de gravité du monde »199
. Ainsi, à l’OMC, le Brésil fait partie des leaders du G-20 des
pays en développement, qui luttent pour une meilleure prise en compte de leurs spécificités
dans l’élaboration des accords commerciaux. À l’ONU, il cherche à élargir le Conseil de
Sécurité. Il souhaite également accélérer la réforme des institutions financières internationales
que sont la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. In fine, le pouvoir des
grandes puissances s’en retrouve dilué, alors que les marges de manœuvre de l’État brésilien
augmentent.
En revanche, la construction d’une unipolarité régionale, l’autre versant de cette stratégie de
puissance moyenne émergente, censée garantir le leadership du pays en Amérique du Sud et
lui procurer plus de poids sur la scène internationale, est entrée dans une phase de stagnation.
Pourtant d’après Detlef Nolte, « regional institutionalisation and integration are instruments
of power aggregation. This is especially important for emerging regional powers, which want
to boost their influence in global politics »200
. Mais le climat de défiance régnant dans la
région et les prétentions de puissances secondaires comme le Venezuela et l’Argentine à jouer
199
Barbara Marque « Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes », op. cit. p.26 200
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », op. cit. p.895
98
un rôle sur la scène politique régionale, ont mis en péril le schéma d’hégémonie consensuelle
mis en place par le Brésil.
Selon Daniel Flemes il existe plusieurs conditions cumulatives incitant les puissances
secondaires à accepter le leadership d’une puissance régionale. Il cite notamment l’existence
d’intérêts communs, ainsi qu’une compatibilité idéologique du projet régional avec les valeurs
défendues par les gouvernements des puissances secondaires. D’autres conditions retiennent
notre attention en ce qu’elles constituent un défi pour l’autonomie du Brésil :
- Premièrement, la puissance régionale doit partager ses compétences, et laisser les
puissances secondaires s’approprier le leadership sur certains enjeux spécifiques.
- Deuxièmement, les asymétries régionales doivent être canalisées via la construction
d’institutions démocratiques. A l’inverse, « the absence or neglect of regional
cooperation structures makes the equal participation of secondary players in regional
decision-making processes, and consequently their willingness to follow very
unlikely »201
.
Or, si l’on se penche sur les modèles de coopération mis en place au sein du Mercosur ou de
l’Unasur, principales organisations régionales promues par le Brésil, on constate que ces
conditions ne sont pas remplies. Plusieurs exemples illustrent la faiblesse des structures
régionales en place. Ainsi, lorsque la crise argentine éclate fin 1998, le Mercosur a très
clairement montré les limites de son fonctionnement. En effet, en l’absence de toute politique
macro-économique concertée, le Brésil a pu dévaluer le real unilatéralement, aggravant la
situation argentine. Buenos Aires voyait là s’éteindre tout espoir de sortie de crise rapide,
étant donné que les exportations à destination de son voisin constituaient l’un des moteurs de
sa croissance. De fait, le Mercosur ne prévoyait aucun mécanisme institutionnel permettant de
faire cohabiter des économies structurellement différentes. Après ce fiasco, l’intégration
commerciale sud-américaine est entrée dans une longue période de stagnation, laquelle
perdure encore.
Même si, lors de son arrivée au pouvoir, le gouvernement Lula a déclaré de manière très
ostentatoire sa volonté de relancer le Mercosur, la pratique a démontré un certain décalage
avec la rhétorique. En effet, « Le fonctionnement du Mercosur reste strictement
201
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order », op. cit. p.14
99
intergouvernemental, le Brésil étant particulièrement réticent, en dépit des discours de ses
dirigeants, à l’égard de tout dispositif supranational »202
. De fait, comme nous l’avons vu
auparavant, le Mercosur demeure une union douanière imparfaite et l’approfondissement du
marché commun rencontre beaucoup de difficultés. Le mauvais fonctionnement du marché
intérieur est en partie imputable à la mauvaise volonté brésilienne. Le Brésil est ainsi le pays
membre ayant ratifié le plus faible nombre de résolutions203
et ce défaut d’exemplarité
entraîne des dérives de la part de ses partenaires. Ainsi comme le rappellent Pablo Gabriel
Ferreira et Rafael Ioris, « Les gouvernements du Brésil et de l’Argentine n’ont pas été
capables de parvenir à un accord concernant les barrières commerciales, notamment sur les
produits industriels, que le deuxième a imposé au premier »204
. Une des pistes pour améliorer
l’efficacité du Mercosur réside dans la création d’une instance judiciaire supranationale à
même de régler les différends commerciaux, mais cette solution entraînerait une part
d’incertitude et un abandon de souveraineté que la classe politique brésilienne, toutes
tendances confondues, n’est pas prête à accepter. Aussi, États membres et partenaires de
l’organisation redoutent-ils l’unilatéralisme brésilien en raison de sa prépondérance dans les
structures intergouvernementales. « Loin de partager le pouvoir de décision avec ses
modestes voisins il apparait au contraire enclin à rechercher le profit maximal avec un
engagement minimal »205
.
Le constat vaut aussi pour l’Unasur : cette dernière repose sur une structure
intergouvernementale sans institutions supranationales et donc sans partage de compétences.
C’est davantage un forum de discussion entre chef d’États et membres de gouvernements,
basé sur le modèle « hub and spoke » qu’une organisation intégrée. Ce type de structure
convient mieux à la diplomatie brésilienne, puisque ce schéma lui permet plus facilement
d’imposer ses vues à ses partenaires, sa voix étant décisive pour la mise en œuvre de tout
projet régional.
Cet institutionnalisme pragmatique répond aux exigences de l’intérêt national brésilien qui
vise à préserver l’autonomie du pays. Conformément à cet impératif, l’élargissement de la
coopération régionale a toujours été privilégié à son approfondissement, ce qui explique la
202
Alain Rouquié, « Le Brésil, un État sud-américain parmi les grands ? », op. cit. p.110 203
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order », op. cit p.19. 204
Pablo Gabriel Ferreira & Rafael Ioris, « Les élections présidentielles au Brésil et les conséquences pour la
politique étrangère brésilienne », La Chronique des Amériques, Centre d’études interaméricaines de l’Université
de Laval, n°5 septembre 2010, p.3 205
Alain Rouquié, « Le Brésil, un État sud-américain parmi les grands ? », op. cit. p.110
100
stratégie en cercles concentriques qui s’est mise en place ces vingt dernières années. Le
Mercosur et l’Unasur sont ainsi dénués de toute capacité contraignante, permettant à Brasilia
de conserver des marges de manœuvre pleines et entières en matière de politique étrangère.
Le Brésil redoute en effet que ses partenaires sud-américains puissent exercer un droit de
regard sur cette dernière. Ces craintes sont en partie justifiées car « Regional institutions
empower weaker states by constraining the freedom of the regional powers through
established rules and procedures »206
. De fait, l’élaboration de positions communes au sein
d’institutions supranationales implique nécessairement de faire des concessions entre États
membres, conformément à une logique de formation de consensus.
Mais cette aversion du Brésil pour la mise en commun de compétences et la mise en place
d’institutions garantissant l’égale participation des États sud-américains risque de se retourner
contre lui. C’est en effet l’une des principales causes de la frustration de ses partenaires. Or
leur mécontentement fait obstacle à une reconnaissance pleine et entière du leadership
brésilien dans la région, ce qui empêche Brasilia de bénéficier d’une base diplomatique
régionale dans les négociations internationales. Les voisins du Brésil, pourraient être tentés de
forger des alliances stratégiques avec des puissances extérieures à la région, comme la Chine,
les États-Unis, l’Union Européenne, voire la Russie, ce qui constituerait une régression dans
le processus de construction régionale. Par ailleurs, « Brazil’s regional approaches contradict
considerably to its discourse of global justice and democratic multilateralism »207
: ce double
standard pourrait nuire à la légitimité de ses revendications.
En dépit d’un affaiblissement de son autonomie régionale à court terme, l’approfondissement
de la coopération régionale serait bénéfique pour le Brésil à long terme. Elle lui permettrait de
réduire les tensions régionales et la méfiance à son endroit car serait la garantie pour ses
partenaires sud-américains de la prise en compte de leurs intérêts nationaux. Le processus
d’intégration régionale serait relancé, et Brasilia pourrait légitimement revendiquer le
leadership régional, synonyme d’une présence renforcée sur la scène internationale grâce
l’adossement de sa puissance à un bloc régional plus solide. Les décisions prises dans le cadre
d'institutions régionales seraient davantage liantes et permettraient à la puissance régionale et
à ses partenaires de peser davantage dans les négociations internationales.
206
Daniel Flemes & Thorsten Wojczewski, « Contested leadership in international relations: power politics in
South America, South Asia and Sub-Saharan Africa », op. cit. p.9 207
Daniel Flemes, « Brazil’s strategic options in a multiregional world order », op. cit. p.20
101
Paradoxalement, la maximisation de l’autonomie brésilienne à l’échelon global pourrait donc
passer par une soumission partielle du pays à des institutions régionales supranationales. Les
responsables politiques brésiliens sont conscients de cette équation, mais un consensus n’a
toujours pas été dégagé autour de cette solution. Toute dépense dans un bien public régional
dont les bénéfices pour l’intérêt national brésilien ne sont pas garantis est considérée par une
partie des élites politique et économique comme un investissement risqué et inutile. Aux
antipodes des tenants de ligne régionale, une frange de plus en plus grande d’acteurs
politiques, médiatiques et économiques brésiliens appelle le gouvernement brésilien à prendre
seul en main son avenir sur la scène internationale.
b. L’existence d’une option alternative à l’intégration régionale ?
Une ligne de fracture se dessine au Brésil entre ceux qui pensent que le pays a besoin de
l’Amérique du Sud pour s’imposer comme l’un des leaders du futur système multipolaire et
ceux qui pensent que le gouvernement Lula a commis une erreur en lui accordant autant
d’importance. En effet, une partie grandissante de l’opinion publique brésilienne, confiante
dans les capacités de son pays, dénigre la coopération sud-américaine. Celle-ci suscite de plus
en plus d’interrogations de la part des élites brésiliennes. La « patience stratégique » et la
« diplomatie de la générosité » sont particulièrement stigmatisées par l’opposition politique et
les médias. En effet ces deux procédés n’ont finalement pas porté leurs fruits. Ils devaient
témoigner de la bonne foi de l’engagement régional de Brasilia et renforcer son leadership,
mais ils n’ont pas suffi à dissiper la méfiance qu’entretiennent les voisins du Brésil à son
égard. Par ailleurs, sur le plan interne, la diplomatie de la générosité est très mal perçue : en
effet les citoyens brésiliens ne comprennent pas que leur gouvernement consacre des
ressources budgétaires au développement de l’économie de ses voisins (notamment via sa
contribution au FOCEM), alors que des pans entiers de la population brésilienne vivent
encore dans des conditions très précaires. Même si, comme nous l’avons vu, les sommes
allouées par le Brésil pour la convergence économique au sein du Mercosur restent
marginales (environ 70 millions d’euros par an), cette opération renvoie l’image d’un
gouvernement davantage soucieux du bien-être de ses voisins que de celui de sa propre
population. Symboliquement, cette « générosité » passe d’autant plus mal lorsque de leur
côté, des pays comme la Bolivie ou l’Équateur cherchent à limiter l’expansion des intérêts
économiques brésiliens. Un geste interprété comme une marque d’ingratitude et qui renforce
l’idée que la région est davantage un boulet qu’un tremplin pour le Brésil. La patience
102
stratégique adoptée par le gouvernement Lula face à la nationalisation des intérêts
économiques brésiliens à l’étranger (Bolivie) a elle aussi été sévèrement critiquée. En jouant
l’apaisement le Brésil aurait, selon les détracteurs de l’action gouvernementale, démontrer son
incapacité à assurer le respect de ses intérêts et à asseoir son autorité208
.
De fait, en observant les dernières années de la présidence Lula, on remarque plusieurs
signaux qui portent à croire que ce courant de pensée est en train de gagner une partie de la
diplomatie brésilienne. La promulgation du décret présidentiel n°6592 est un premier indice
de cette évolution. Cet acte administratif, dit « décret Sinamob » (pour Système National de
Mobilisation), autorise les incursions des forces militaires brésiliennes hors des frontières
nationales en cas d’une éventuelle « agression étrangère ». Or l’agression étrangère y est
définie de manière très extensive : il s’agit « des menaces ou des actes nuisibles vis-à-vis de la
souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale, du peuple brésilien ou des institutions
nationales, même si cela ne représente pas l’invasion du territoire national »209
. Cette
décision témoigne d’une certaine lassitude de l’État brésilien face aux revendications de ses
voisins. La procédure qu’il instaure n’a encore jamais été mise en œuvre, mais elle sonne
comme un avertissement pour les États sud-américains et démontre un changement dans la
ligne de conduite du Brésil.
La Stratégie de Défense Nationale de 2008 est le deuxième indicateur de cette évolution.
Nous avons en effet démontré précédemment que l’état de vieillissement avancé des moyens
militaires du Brésil le contraignait à un vaste programme de renouvellement de son
équipement. Mais lorsque l’on observe le détail des acquisitions prévues à long terme, on
comprend également qu’il s’agit de faire entrer la défense brésilienne dans une autre
dimension. Les nombreux appels d’offre et contrats d’armement des dernières années
illustrent cette démarche. Ainsi le Plan d’action pour la mise en œuvre d’un partenariat
stratégique établi entre le Brésil et la France prévoit la vente de cinquante hélicoptères de
transport Super Cougar, la construction de quatre SMC classe Scorpène, et la coopération
technique française pour le développement du premier sous-marin à propulsion nucléaire
brésilien. L’acquisition d’un tel navire de guerre ferait grimper la côte de prestige de la
marine brésilienne, car les pays possédant ce matériel forment un club très fermé. Rappelons
208
Pedro Da Motta Veiga & Sandra Polonia Rios, « A Política Externa Brasileira sob Lula: o fim do “Consenso
de Brasília”? », CEBRI Artigos, Centro Brasileño de Relaciones Internacionales (CEBRI), vol.3, an V, juillet
2010, p.15 209
Article 2 du décret présidentiel n°6592 du 2 octobre 2008, http://bit.ly/zHXNRO, consulté le 10/12/2012
103
aussi que la Marine brésilienne a annoncé fin 2010 son intention de se doter 6 sous-marins
nucléaires et 20 autres à propulsion classique d’ici à 2047. À long terme, le Brésil possédera
un équipement militaire digne des grandes puissances.
En se dotant d’un matériel militaire aussi technologiquement avancé, certains chercheurs
brésiliens comme Joao Bertonha210
estiment que le Brésil pourrait alors plus facilement
imposer son leadership en Amérique du Sud, mais aussi que le Brésil pourrait purement et
simplement se passer d’une stratégie d’intégration régionale. En effet, cet investissement lui
permettrait de se hisser au rang de grande puissance, étant donné que ses capacités militaires
actuelles constituent son principal handicap pour obtenir ce statut. Cette puissance militaire
faciliterait également l’obtention d’un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations-
Unies puisque le Brésil disposerait de forces adaptées au maintien de paix et de la sécurité
internationale.
À notre avis, cette évolution ne constitue pas un revirement radical de la stratégie brésilienne.
Initiée sous Lula, cette initiative vise plus surement à garantir au pays une alternative
stratégique si la contestation de son leadership régional se prolonge. Certes, on peut
considérer que l’acquisition de cet équipement militaire risque ternir l’image positive dont
jouit le Brésil sur la scène internationale, puisque cette dernière est essentiellement articulée
autour de sa capacité de médiation. Mais on peut également voir dans cette évolution la
volonté de l’État brésilien de procéder à un rééquilibrage entre soft et hard power et de se
doter d’une palette d’outils plus large pour mener sa politique étrangère.
210
Joao Fabio Bertonha, « Brazil: an emerging military power? The problem of the use of force in Brazilian
international relations in the 21st century », op. cit.
104
Conclusion
Le Brésil est aujourd’hui à la croisée des chemins. Les politiques étrangères régionales
menées par Cardoso puis par Lula ont donné d’incontestables résultats. En moins de 15 ans,
l’Amérique du Sud est devenue un concept géopolitique tangible sur lequel le Brésil a pu
capitaliser dans le cadre de sa stratégie d’insertion internationale. L’économie brésilienne
profite ainsi des initiatives diplomatiques comme le Mercosur ou l’IIRSA. Le Brésil est
devenu le garant de la stabilité et de la diffusion des valeurs démocratiques dans la région et il
tire de son statut de médiateur régional un certain prestige sur la scène internationale. Il a
réussi à faire cohabiter au sein des mêmes structures des pays idéologiquement antagonistes,
comme les États membres de l’ALBA et la Colombie, y compris dans des organisations ayant
pour thématique la sécurité régionale, ce qui témoigne de l’adresse de sa diplomatie. Par
ailleurs, à l’échelle hémisphérique il a su mobilisé les pays membres du Mercosur et leurs
voisins autour de son leadership contre le projet de ZLEA conduit par les États-Unis. Ce
succès lui a permis de s’affirmer face à la première puissance mondiale.
Mais la stratégie régionale du Brésil doit désormais faire face à certaines incohérences. Le
décalage entre le discours sur l’intégration régionale et sa pratique irrite désormais assez
largement ses voisins. Les asymétries entre ces derniers et le géant lusophone appellent à une
meilleure prise en compte de la spécificité de leurs économies. Alors que le Brésil
s’industrialise, les économies sud-américaines sont encore articulées autour de la production
de commodités (agricoles, énergétiques ou minières). La construction d’une région unie et
solidaire exige une certaine convergence économique. Or le Brésil rechigne à financer de
manière conséquente la construction d’un espace économique intégré : les quelques dizaines
de millions d’euros versés chaque année dans le cadre du Focem font pâle figure à côté des
montants mis à disposition par la BNDES aux entreprises brésiliennes. L’expansionnisme,
voire l’attitude prédatrice, des multinationales brésiliennes suscite d’ailleurs de plus en plus
d’inquiétude chez les populations voisines. Les gouvernements sud-américains pourraient être
tentés, face à leur électorat, de freiner cette expansion via des mesures de nationalisation,
comme ce fut le cas en Bolivie, ou en excluant les entreprises brésiliennes de leurs appels
d’offre. Par ailleurs, le désistement du gouvernement Lula sur la question du financement de
l’intégration régionale alimente l’intérêt de ses voisins pour les projets alternatifs comme
105
l’ALBA. Si le Brésil aspire réellement au leadership régional, il lui faut résoudre l’urgente
question des asymétries économiques.
À l’échelon hémisphérique, la politique régionale brésilienne a entrainé un certain flou autour
de ses relations avec Washington. Alors que les deux pays auraient beaucoup à gagner d’un
partenariat plus étroit, notamment en matière énergétique, le Brésil s’est enfermé sous Lula
dans une posture anti-américaine qui a nui à la reconnaissance de son importance par
Washington.
Enfin les ambitions réformatrices de Lula concernant le système international sont
diamétralement opposées aux méthodes qu’il a appliquées dans la mise en œuvre de la
construction régionale. Alors que le Brésil réclame un ordre mondial plus démocratique et la
possibilité de participer aux décisions engageant l’avenir du système international, il fait
preuve de frilosité sur la scène régionale et tarde à mettre en place des structures permettant
l’égale participation des États sud-américains. Pour Detlef Nolte, « Regional powers are like
actors that have to play rather different roles in two plays that are exhibited in the same
theatre: On one stage they are defending their privileges in the prevailing regional power
hierarchy. On a second stage they are challenging the current global order. From time to
time, the combination of both roles may create problems of credibility and coherence »211
. La
diplomatie tous azimuts du Brésil, qui l’amène à forger des alliances avec les autres pays
émergents que sont l’Inde, le Chine, l’Afrique du Sud dont les intérêts stratégiques sont très
différents de ceux des États sud-américain, conduit à des problèmes de compatibilité entre son
agenda régional et son agenda international.
Comme nous l’avons exposé dans notre ultime développement, le Brésil va probablement
devoir se décider à abandonner une partie de son autonomie sur la scène régionale s’il mise
réellement sur l’Amérique du Sud pour le propulser comme leader du futur système
multipolaire. C’est désormais à Dilma Rousseff qu’il incombe d’améliorer cette stratégie.
211
Detlef Nolte, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics », op. cit. p.901
106
Annexes
Annexe 1 : Représentation cartographique de l'Amérique du Sud
Source : CIA World Factbook
107
Annexe 2 : Cartographie des différents processus d'intégration régionale existant dans l'hémisphère américain.
Source : Atelier Cartographique de Science Po Paris.
108
Annexe 3 : Représentation cartographique des 10 axes de développement prévus au sein de l'IIRSA.
Source : IIRSA.org
109
Annexe 4 : Infographie sur le fonctionnement du Fonds de Convergence Structurelle du Mercosur (2007)
Source : Observatoire Politique de l'Amérique latine et des Caraïbes, Sciences Po
110
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Entretiens:
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Ambassade de France au Brésil :
http://ambafrance-br.org/
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http://www.bresil.org/
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http://www.unasurcds.org/
Mercosur :
http://www.mercosur.int/
Ministère de la Défense du Brésil :
https://www.defesa.gov.br/
Ministère des Relations Extérieures du Brésil :
http://www.itamaraty.gov.br/
Unasur :
http://www.pptunasur.com/
Think-tanks:
Centre d’Etudes Interaméricaines (CEI) de l’Université de Laval :
http://www.cei.ulaval.ca/
Centro Brasileño de Relaciones Internacionales (CEBRI) :
http://www.cebri.com.br/cebri/
Council of Foreign Relations (CFR) :
http://www.cfr.org/
Council on Hemispheric Affairs (COHA) :
http://www.coha.org/
German Institute of Global and Area Studies (GIGA) :
http://www.giga-hamburg.de/
Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur le Brésil (GRIB) :
http://www.gribresil.org/
Observatoire Politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) :
http://www.opalc.org/web/
Portuguese Institute of International Relations and Security (IPRIS) :
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http://www.ipris.org/
Red de Seguridad y Defensa de America Latina (RESDAL) :
http://www.resdal.org/
South African Institute of International Affairs (SAIIA) :
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Presse:
Estadao :
http://www.estadao.com.br/
Folha de Sao Paulo :
http://www.folha.uol.com.br/
Infolatam :
http://www.infolatam.com/
Le Monde Diplomatique :
http://www.monde-diplomatique.fr/
Mercopress :
http://en.mercopress.com/
Blogs:
América Latina (Le Monde) :
http://america-latina.blog.lemonde.fr/
Autres Brésils :
http://www.autresbresils.net/
Latin America’s Moment (Coucil of Foreign Relations) :
http://blogs.cfr.org/oneil/
Regards Latinos (Le Figaro) :
http://blog.lefigaro.fr/amerique-latine/
The Oppenheimer Report (Miami Herald) :
http://www.miamiherald.com/andres_oppenheimer/
Unasur.fr (site français sur l’actualité géopolitique sud-américaine) :
http://www.unasur.fr/
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Contenu multimédia:
Brazil’s rising star, documentaire produit par CBS, pour l’émission « 60 minutes », 12
décembre 2010, disponible en libre accès :
http://www.cbsnews.com/video/watch/?id=7143554n
Géopolitique, le débat, RFI, émission du samedi 2 octobre 2010 consacrée au Brésil,
podcast disponible en libre accès :
http://www.rfi.fr/emission/20101002-1-le-bresil
Géopolitique, le débat, RFI, émission du samedi 13 novembre 2011 consacrée à la
puissance au 21ème
siècle, podcast disponible en libre accès :
http://www.rfi.fr/emission/20111113-1-puissance-xxieme-siecle
Le monde selon Brasilia, documentaire de Kakie Roubaud, 2010, disponible en libre
accès sur Youtube :
http://www.youtube.com/watch?v=MrEHoUbSe14