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La CuréeLa scène du bal
Émile Zola
(Université Paris VIII – Saint-Denis)Docteure en philosophie
Document rédigé par Julie Mestrot
Commentaire de texte
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Document rédigé par Julie Mestrot
La CuréeLa scène du bal
Émile Zola
Commentaire de texte
TEXTE ÉTUDIÉ 7La scène du bal
Notes
MISE EN CONTEXTE 9Le naturalisme d’Émile Zola
Le Second Empire : le Paris des grands travaux et de la spéculation immobilière
Situation de l’extrait étudié
COMMENTAIRE 13La dégradation du topos de la scène de bal
La critique d’une classe sociale récemment enrichie
La prise de conscience de Renée
CONCLUSION 20
POUR ALLER PLUS LOIN 21
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Émile ZolaÉcrivain et journaliste français
• Né en 1840 à Paris• Décédé en 1902 dans la même ville• Quelques- unes de ses œuvres :
ʟ Nana (1880), roman ʟ Au bonheur des dames (1883), roman ʟ Germinal (1885), roman
Né en 1840 et décédé en 1902, Émile Zola est considéré comme l’un des romanciers majeurs du xixe siècle en France. Il est principalement reconnu en tant que chef de file du mouvement naturaliste qui entend appliquer à la littérature les méthodes scientifiques expérimentales de l’époque : après observation du réel, Zola émet une hypo-thèse et la vérifie par expérimentation dans ses œuvres. Le cycle romanesque des Rougon- Macquart, la principale œuvre de l’auteur, se pose comme l’illustration de cette esthétique. Cette fresque de vingt livres connaitra un grand succès malgré de nombreuses critiques.
Zola est également célèbre pour ses prises de position, souvent sources de condamnations. La plus notoire concerne l’affaire Dreyfus où son pamphlet J’accuse… ! (1898) contribua grandement à l’issue heureuse du procès du capitaine Dreyfus.
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TEXTE ÉTUDIÉ
LA SCÈNE DU BAL
Et, quand elle leva les yeux, elle vit encore une figure du cotillon1, tout au fond, par les deux portes laissées ouvertes.
C’était un bruit assourdissant, une mêlée confuse où elle ne distingua d’abord que des jupes volantes et des jambes noires piétinant et tournant. La voix de M. de Saffré criait : « Le Changement de dames ! Le Changement de dames ! » Et les couples passaient au milieu d’une fine poussière jaune ; chaque cavalier, après avoir fait trois ou quatre tours de valse, jetait sa dame aux bras de son voisin, qui lui jetait la sienne. La baronne de Meinhold, dans son costume d’Émeraude, tombait des mains du comte de Chibray aux mains de M. Simpson ; il la rattrapait au petit bonheur, par une épaule, tandis que le bout de ses gants glissait sous le corsage. La comtesse Vanska, rouge, faisait sonner ses pendeloques2 de corail, allait, d’un bond, de la poitrine de M. de Saffré, sur la poitrine du duc de Rozan, qu’elle enlaçait, qu’elle forçait à pirouetter pendant cinq mesures, pour se pendre ensuite à la hanche de M. Simpson, qui venait de lancer l’Émeraude au conducteur du cotillon. Et madame Teissière, madame Daste, madame de Lauwerens, luisaient comme de grands joyaux vivants, avec la pâleur blonde de la Topaze, le bleu tendre de la Turquoise, le bleu ardent du Saphir, s’abandonnaient un instant, se cambraient sous le poignet tendu d’un valseur, puis repartaient, arrivaient de dos ou de face dans une nouvelle étreinte, visitaient à la file toutes les embrassades d’hommes du
La CuréeL’appât du gain : vers une quête
du plaisir
• Genre : roman• Édition de référence : La Curée, in Les Rougon- Macquart,
Paris, Seuil, 1969, t. I.• 1re édition : 1871• Thématiques : Second Empire, arrivisme, capitalisme,
vice, plaisir
La Curée (1871) est le roman considéré comme la véritable ouverture du cycle des Rougon- Macquart, le premier volume (La Fortune des Rougon) étant souvent jugé introductif. Il a pour toile de fond le Paris des grands travaux haussman-niens. Aristide Saccard et sa femme Renée s’adonnent aux plaisirs dévoyés que procurent l’or et la chair dans ce Paris de la spéculation immobilière et de la fête impériale. Alors qu’Aristide se livre en rapace à d’obscures transactions, sa femme Renée s’éprend de son beau- fils Maxime, campant une Phèdre moderne.
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MISE EN CONTEXTE
LE NATURALISME D’ÉMILE ZOLA
Le courant naturaliste, né à la fin du xixe siècle, prolonge le réalisme dont il pousse à l’extrême la démarche et les théories. Les romanciers naturalistes, dont Zola est le chef de file, entendent montrer que l’homme obéit à un double déterminisme : il est d’une part influencé par l’hérédité bio-logique, d’autre part par le milieu dans lequel il vit. Pour ce faire, les écrivains appliquent à leurs œuvres une méthode scientifique : après observation du réel, ils formulent une hypothèse et la vérifient par expérimentation. Ils placent alors un personnage déterminé dans une histoire bien précise et en dégagent la succession des faits qui obéit au double déterminisme cité ci- dessus. Cette démarche phy-siologique, voulue scientifique, doit mener à une meilleure connaissance de l’homme.
Le sous- titre des Rougon- Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, montre bien ce que Zola doit aux sciences naturelles et à la biologie, mais également à la sociologie. Le naturalisme de Zola consiste à envisager ses personnages sous l’angle du déter-minisme de l’hérédité et du milieu, comme nous venons de le voir. Selon la généalogie de Rougon- Macquart, c’est ainsi la tare originelle de l’aïeule Adélaïde Fouque qui, transmise à ses descendants, prendra selon le milieu et l’éducation la forme de la pulsion criminelle (La Bête humaine, 1890) ou de l’alcoolisme (L’Assommoir, 1877).
salon. Cependant, madame d’Espanet, devant l’orchestre, avait réussi à saisir madame Haffner au passage, et valsait avec elle, sans vouloir la lâcher. L’Or et l’Argent dansaient ensemble, amoureusement.
Renée comprit alors ce tourbillonnement des jupes, ce piétinement des jambes. Elle était placée en contrebas, elle voyait la furie des pieds, le pêle- mêle des bottes vernies et des chevilles blanches. Par moments, il lui semblait qu’un souffle de vent allait enlever les robes. Ces épaules nues, ces bras nus, ces chevelures nues qui volaient, qui tourbil-lonnaient, prises, jetées et reprises, au fond de cette galerie, où la valse de l’orchestre s’affolait, où les tentures rouges se pâmaient sous les fièvres dernières du bal, lui apparurent comme l’image tumultueuse de sa vie à elle, de ses nudités, de ses abandons.
NOTES
1. Cotillon : danse collective, le plus souvent à la fin d’un bal.
2. Pendeloque : petit bijou qui se porte suspendu à une chaine, à un ruban, à un bracelet.
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empereur par plébiscite et prend le nom de Napoléon III. Mais le rétablissement de l’Empire a souvent été consi-déré comme une usurpation du pouvoir. Ainsi Victor Hugo, notamment, appelle le peuple à la révolte contre ce pouvoir jugé inique dans Les Châtiments ( pamphlet, 1853) ;
• par ailleurs, la France, en pleine révolution industrielle, connait à cette époque une certaine prospérité écono-mique et financière. L’État entreprend alors de grands travaux, en particulier dans l’urbanisme : il s’agit de substituer au vieux Paris, fait de rues obscures et étroites, un Paris moderne, traversé par de larges axes de communi cation facilitant la circulation des hommes et des marchandises, moins propices également aux émeutiers. C’est le préfet de la Seine, Georges Eugène Haussmann (1809-1891), qui élabore et dirige le projet ;
• enfin, en 1870, les échecs répétés de la diplomatie et des guerres napoléoniennes ont fragilisé la France. Le pays est aussi animé d’un esprit d’opposition politique à l’Empire qui a vu la prise de pouvoir économique de la bourgeoisie. Ce mouvement de protestation se cristallise alors dans la révolte parisienne de la Commune (1870). La même année, la France déclare la guerre à la Prusse et l’empereur est fait prisonnier à Sedan. Le 4 septembre 1870, la Troisième République est proclamée.
SITUATION DE L’EXTRAIT ÉTUDIÉ
Renée Saccard mène une vie de luxe insolent et de succès mondains grâce aux opérations financières de son mari, Aristide Saccard. Le couple formé par Renée et Aristide semble l’incarnation de « la ville folle de son or et de sa chair ». En effet, alors que son mari s’enrichit démesurément
Zola se départit cependant fréquemment d’une ambition strictement naturaliste, qui viserait uniquement à la pro-duction et à la diffusion d’un savoir relatif à l’hérédité et à l’influence du milieu, pour stigmatiser une classe sociale immorale et des comportements qu’il condamne.
LE SECOND EMPIRE : LE PARIS DES GRANDS TRAVAUX ET DE LA SPÉCULATION IMMOBILIÈRE
La Curée a pour cadre, comme l’ensemble du cycle des Rougon- Macquart d’ailleurs, le Second Empire. Dans ce roman, Zola met particulièrement l’accent sur le fonctionnement politique et économique du nouveau régime qui met l’argent au pouvoir. Zola s’appuie sur une importante documentation pour décrire les mécanismes économiques et politiques, le plus souvent frauduleux, qui ont présidé aux grands travaux hauss-manniens à Paris. Par la suite, la spéculation immobilière à laquelle ces derniers ont donné lieu a permis à des person-nages de peu de valeur de s’enrichir rapidement.
Par ailleurs, la cohérence profonde de La Curée repose sur le lien que l’auteur établit entre l’appât du gain et la véna-lité, deux thèmes qui traversent l’ensemble de l’œuvre. L’accumulation rapide de richesses jette les personnages de La Curée dans une quête effrénée du plaisir et de la jouis-sance qui ira jusqu’à l’immoralité et la perversion.
Petit rappel historique :
• en 1852, sous la Deuxième République, Louis Napoléon Bonaparte (1808-1873), neveu de Napoléon Ier (1769-1821), est élu président. Le 21 novembre 1852, il est établi
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COMMENTAIRE
LA DÉGRADATION DU TOPOS DE LA SCÈNE DE BAL
La scène de bal étudiée ici constitue un topos romanesque. Un topos est un motif que l’on retrouve fréquemment dans la littérature et dont l’étude permet d’observer l’évolution des visions du monde, mais aussi des pratiques littéraires.
Le bal, lieu de sociabilité par excellence, est l’occasion pour les hommes et les femmes de se rencontrer plus librement, notamment aux époques où les relations entre hommes et femmes sont très réglementées. La danse, qui rapproche les corps, installe le plus souvent un climat de séduction et de sen-sualité qui attire le lecteur, de même que le faste, les décors, les parures, les costumes et les lumières. Le motif ou topos du bal exerce ainsi une puissante attraction sur le lecteur.
Par ailleurs, le bal est l’occasion d’une dramatisation de l’action ou de l’approfondissement de la compréhension d’un personnage, il reflète souvent une partie de la société et, davantage encore, il révèle l’esthétique singulière d’une œuvre. D’où l’importance de ce motif littéraire. Ainsi, on ne compte plus les œuvres dans lesquelles on le trouve : Le Lys dans la vallée et Le Bal de Sceaux de Balzac (écrivain français, 1799-1850), Madame Bovary et L’Éducation sentimentale de Flaubert (romancier français, 1821-1880), La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette (femme de lettres française, 1634-1693), Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (écrivain italien, 1896-1957).
par des actions frauduleuses, Renée se livre quant à elle au dévoiement de la chair en nouant une relation incestueuse avec son beau- fils, Maxime. À la fin de la sixième partie du roman, elle donne un bal chez elle, qui sera pour Renée l’occasion d’une prise de conscience amère et d’un rejet du monde, annonçant sa fin pathétique. Renée comprend qu’elle n’a été qu’un instrument aux mains de Maxime et d’Aristide.
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indicateurs de temps : « d’abord », « et », « après », « tandis que », « ensuite », « puis », « un instant ». L’accumulation marque l’extrême rapidité du mouve-ment, rapidité également rendue par l’accumulation des verbes d’action : « repartaient, arrivaient […] visitaient ». Ces mêmes verbes contredisent la grâce et la séduction subtile qui caractérisent d’ordinaire le bal : les partenaires sont « jetés », « rattrapés », « lan-cés », « forcé[s] », ils « piétinent », etc. D’autre part, les parallélismes de construction contribuent à traduire l’aspect mécanique, répétitif et violent de la danse : « jetait sa dame aux bras de son voisin, qui lui jetait la sienne », « tombait des mains du comte de Chibray aux mains de M. Simpson ».
• Enfin, les personnages en présence sont désignés de manière métonymique (« L’Or et l’Argent », « l’Éme-raude ») et constituent moins des êtres humains que des corps morcelés. Ils sont réduits à des objets ou à des parties de leur corps : « hanches », « bout des gants », « poitrines », « mains », « jambes », « jupes » servent à désigner les personnages et sont même parfois sujets de verbes d’action. Précisons également que le faste des costumes est décrit d’une manière ambigüe : les robes et parures des femmes en font « de grands joyaux vivants ».
Ainsi, la scène de bal devient, chez Zola, l’occasion d’un désordre, d’une « mêlée confuse », où les corps se dis-loquent et où les personnages n’ont plus que des rapports violents. Mais cette scène de bal, à l’instar de nombreuses scènes de ce type, sert aussi à mettre en scène une partie de la société du Second Empire, et à critiquer ses valeurs et les rapports sociaux qu’elle génère.
La scène de bal étudiée ici est intéressante en ce qu’elle constitue une dégradation radicale du motif habituel. Chacun des éléments traditionnels de la représentation de cette scène dans la littérature subit ici un traitement qui lui retire tout pouvoir de séduction sur le lecteur et provoque au contraire un effet de dégout. Ce sentiment est d’ailleurs celui de Renée, par les yeux de qui le lecteur voit cette scène, comme en atteste la valeur des temps : le passé simple au début et à la fin du texte (« elle leva les yeux », « vit » et « comprit »), et l’imparfait secondaire ou de description dans le reste de l’extrait, par lequel la scène nous est dépeinte selon la vision subjective de l’héroïne.
• Tout d’abord, celle- ci distingue mal les sons produits. La première phrase du second paragraphe met ainsi d’emblée le lecteur face au désordre de la scène : « C’était un bruit assourdissant, une mêlée confuse. »
• Significativement, les indications de lieux sont très peu présentes et ne mettent guère en valeur le faste attendu du décor : « poussière jaune », « les ten-tures rouges se pâmaient dans les fièvres dernières ». D’autres indications de lieu révèlent les codes sociaux et les règles de la danse (« tours de valse », « devant l’orchestre », « visitaient à la file toutes les embrassades d’hommes »), mais ces indications sont contredites ou dévaluées (« forçait à pirouetter », « avait réussi à saisir […] au passage », « sans vouloir la lâcher ») : les codes sociaux et ceux de la danse ne sont donc pas respectés.
• Ensuite, la description de la danse, qui constitue en temps normal un véritable morceau de bravoure lit-téraire, se fait ici notamment par l’accumulation des
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corsage », les femmes « se cambraient sous le poignet tendu d’un valseur ». Aussi l’accent est- il mis sur le dévoilement de leur chair avec la répétition de l’adjectif « nu » et l’évocation suggestive des étreintes de Mme d’Espanet et de Mme Haffner qui « dansaient ensemble, amoureusement ».
Ainsi, dans le monde que décrit Zola, les femmes sont d’abord des instruments qu’utilisent les hommes pour par-venir à leurs fins. Elles sont donc les moyens mais aussi les vitrines de leur réussite : les bijoux qu’elles exhibent révèlent le pouvoir de ceux qui les possèdent, maris ou amants.
Ce passage est emblématique de l’œuvre dans son ensemble parce qu’il synthétise la question des rapports entre l’argent et la chair qui traverse La Curée d’un bout à l’autre. La monstruosité de l’union de l’argent et de la chair est particulièrement bien rendue à travers cette évo-cation du bal où les rapports sociaux sont dévoyés, où les femmes sont déshonorées et réifiées, où les hommes se font violents et les rapports « furieux ». Le bal est bien un tourbillon de foule, de musique, de mouvement, comme il se doit, mais il s’agit d’un tourbillon qui emporte les hommes et les femmes dans une spirale de perversion de morale. La phrase « L’Or et l’Argent dansaient ensemble, amoureu-sement » peut, en outre, à elle seule synthétiser cette scène et l’ensemble de l’œuvre : l’or et l’argent sont personnifiés, les êtres humains en sont les incarnations.
La scène de bal est donc pour Zola l’occasion d’une critique sociale féroce. Mais, comme annoncé précédemment, elle a aussi un intérêt dramatique important : elle permet une prise de conscience de la part de l’héroïne.
LA CRITIQUE D’UNE CLASSE SOCIALE RÉCEMMENT ENRICHIE
Ainsi, le bal reflète la société du Second Empire. Le désordre et le chaos de la scène doivent surprendre le lecteur qui voit mis en scène des personnages appartenant aux hautes sphères de la société : alors que ceux- ci devraient se caractériser par le raffinement des mœurs, au contraire, ils se conduisent sauvagement, brutalement. Mais, surtout, le texte met l’accent sur la démonstration de richesse dont le bal est l’occasion. La bourgeoisie récemment enrichie apparait très soucieuse d’étaler un luxe de costume et de parures : « son costume d’Émeraude ». Plutôt que de briller, les femmes « luis[ent] comme de grands joyaux vivants, avec la pâleur blonde de la Topaze, le bleu tendre de la Turquoise, le bleu ardent du Saphir », et les bijoux de « l’Émeraude » sont des « pendeloques ». Les femmes sont les vitrines de la richesse des hommes. Le bal semble une allégorie du chaos social que génèrent l’appât du gain et le gout immodéré d’un luxe qu’aucune moralité ne vient tempérer.
Cet extrait se fait également l’écho de la place de la femme dans la société, ou plutôt de son absence de place puisque celle- ci se révèle significativement toujours en mouvement. En effet, ce sont surtout les femmes qui se déplacent, passant d’un cavalier à un autre : « Il la rattrapait au petit bonheur. » Elles sont « lancées » et « tombent » entre « les mains » des hommes, « prises, jetées et reprises » dans une sorte de bacchanale presque obscène : « dans une nouvelle étreinte, visitaient à la file toutes les embrassades d’hommes du salon », « le bout de ses gants glissait sous le
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cause l’héroïne elle- même, à qui le bal offre un reflet de sa vie. On devine l’humiliation d’une femme qui s’est livrée à la débauche et à l’obscénité, qui s’est vue humiliée, instrumen-talisée par les hommes dans les bras desquels elle aussi a été « lancée », « jetée », sans égard, envisagée uniquement pour son corps et son argent.
Cette scène essentiellement descriptive présente aussi un intérêt dramatique, car elle laisse deviner un changement d’attitude du personnage. On comprend qu’auparavant Renée était absorbée par le monde du luxe et de la jouis-sance. Sa prise de conscience annonce un changement à venir. L’héroïne en effet gardera cette attitude de retrait mélancolique et de rejet vis- à- vis de ce monde qui fut le sien, attitude qui implique aussi un rejet d’elle- même.
LA PRISE DE CONSCIENCE DE RENÉE
Pendant toute la scène, l’héroïne se situe simultanément dans le bal et en dehors de celui- ci. D’un côté, c’est elle qui donne le bal ; de l’autre, elle reste en retrait, voyant le bal « par les deux portes laissées ouvertes » puis « en contre-bas ». La focalisation interne nous fait voir le bal à travers ses yeux, comme on l’a déjà dit : c’est elle qui perçoit cette « mêlée confuse », ce « bruit assourdissant », des termes qui révèlent une vision extrêmement négative du bal. On comprend alors que Renée accomplit nécessairement un retour critique sur elle- même : le bal qu’elle a organisé, et par conséquent son mode de vie, lui apparaissent comme un chaos monstrueux. La force et la radicalité de sa prise de conscience sont mises en valeur par le retour à l’emploi du passé simple et par l’usage de l’adverbe de temps à la fin de l’extrait : « Renée comprit alors », puis « lui apparurent ».
Significativement, l’évocation de sa prise de conscience vient juste après la personnification l’or et l’argent dan-sant ensemble. La personnification associe les motifs du lien amoureux et de l’argent. Renée réalise qu’elle n’a été qu’un instrument aux mains des hommes qui ne cherchent qu’à combler leur désir de richesse. Le bal dans son entier semble constituer à ses yeux une allégorie de la dégradation morale de la société du Second Empire dans laquelle évolue Renée, et donc de sa propre dégradation.
Cette prise de conscience donne à la scène une tonalité pathétique : « […] lui apparurent comme l’image tumul-tueuse de sa vie à elle, de ses nudités, de ses abandons ». Non seulement cette prise de conscience touche à la société dans laquelle Renée évolue, mais elle met également en
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POUR ALLER PLUS LOIN
ÉDITION DE RÉFÉRENCE
• Zola É., La Curée, in Les Rougon- Macquart, Paris, Seuil, 1969, t. I, p. 364-365.
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CONCLUSION
Cette scène de bal, en offrant une image dégradée du topos du bal, sert la critique sociale de Zola. Elle présente, outre une clef de compréhension essentielle de l’ensemble de l’œuvre, un intérêt dramatique puissant. Le bal est en effet une étape décisive dans la vie de Renée, qui décidera par la suite de se retirer de ce monde immoral et méprisable pour mourir seule dans la tristesse et l’austérité.
Gaudé• La Mort du roi Tsongor• Le Soleil des Scorta
Gautier• La Morte amoureuse• Le Capitaine Fracasse
Gavalda• 35 kilos d’espoir
Gide• Les Faux-Monnayeurs
Giono• Le Grand Troupeau• Le Hussard sur le toit
Giraudoux• La guerre de Troie n’aura pas lieu
Golding• Sa Majesté des Mouches
Grimbert• Un secret
Hemingway• Le Vieil Homme et la Mer
Hessel• Indignez-vous !
Homère• L’Odyssée
Hugo• Le Dernier Jour• d’un condamné• Les Misérables• Notre-Dame de Paris
Huxley• Le Meilleur des mondes
Ionesco• Rhinocéros• La Cantatrice chauve
Jary• Ubu roi
Jenni• L’Art français de la guerre
Joffo• Un sac de billes
Kafka• La Métamorphose
Kerouac• Sur la route
Kessel• Le Lion
Larsson• Millenium I. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes
Le Clézio• Mondo
Levi• Si c’est un homme
Levy• Et si c’était vrai…
Maalouf• Léon l’Africain
Malraux• La Condition humaine
Marivaux• La Double Inconstance• Le Jeu de l’amour et du hasard
Martinez• Du domaine des murmures
Maupassant• Boule de suif• Le Horla• Une vie
Mauriac• Le Nœud de vipères
Mauriac• Le Sagouin
Mérimée• Tamango• Colomba
Merle• La mort est mon métier
Molière• Le Misanthrope• L’Avare• Le Bourgeois gentilhomme
Montaigne• Essais
Morpurgo• Le Roi Arthur
Musset• Lorenzaccio
Musso• Que serais-je sans toi ?
Nothomb• Stupeur et Tremblements
Orwell• La Ferme des animaux• 1984
Pagnol• La Gloire de mon père
Pancol• Les Yeux jaunes des crocodiles
Pascal• Pensées
Pennac• Au bonheur des ogres
Poe• La Chute de la maison Usher
Proust• Du côté de chez Swann
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